Le Café Littéraire luxovien / Des lectures (11) | |||||||
►Table
des lectures ►Prix Marcel Aymé ►Prix Chronos ►Participer
Die
Charité, d'Ulrike Schweikert (éd.
Rowohlt Polaris) L'auteure, Ulrike Schweikert, est née en 1966 en Allemagne. Après un apprentissage dans une banque et six ans de travail en tant que courtier en valeurs mobilières, elle a étudié la géologie et a obtenu un doctorat. Plus tard, elle a également étudié le journalisme. Son premier roman est paru en 2000. La Charité est une série de romans parus en 2018, 2019 et 2022, je n'en ai pas trouvé de traduction en français. La Charité est l'hôpital le plus traditionnel de Berlin et, avec près de 3100 lits, c'est l'un des plus grand hôpitaux universitaires d'Europe. Elle a pour origine une maison de peste fondée en 1710, puis est devenue en 1727 un hôpital bourgeois appelé Charité. En l'an 1810, l'université de Berlin y a commencé à enseigner et la Charité est ainsi devenue un important centre d'enseignement et de recherche, qui a accueilli plus de la moitié des lauréats allemands du prix Nobel de médecine et de physiologie. Le
roman, qui débute en 1831 —
on attend depuis des semaines que le choléra frappe en Allemagne —,
lie trois destins de femmes, qui sont liés eux-mêmes entre eux et bien
sûr à la Charité. Ce livre mérite d'être lu. Malgré son contenu lourd, il a une certaine légèreté et il incite à réfléchir, à reconsidérer certaines choses.
Tu
n'es pas une mère comme les autres (Du bist nicht so wie andere Mütter),
d'Angelika Schrobsdorff (éd.
Libretto 2014) L'auteure,
Angelika Schrobsdorff, née en 1927 à Fribourg en Allemagne et morte à
Berlin, était une écrivaine allemande. L'auteure retrace dans ce récit la vie anticonformiste de sa mère. Née à la veille de la Belle Époque, Else Kirschner (1893-1949) appartient à la bourgeoisie commerçante juive berlinoise. Éprise d'indépendance et de liberté, Else s'enfuit avec un artiste plutôt que d'épouser l'homme riche à qui sa famille la destine. Lorsqu'il la trompe, elle refuse de se laisser abattre et se met à vivre une sexualité sans préjugés. Les hommes et les fêtes se succèdent. Elle aura trois enfants de trois pères différents. convertie au christianisme, elle cache à ses enfants son origine juive et, rayonnante, ne s'inquiète pas de l'ascension d'Hitler. Mais après de longues années, l'évidence est là: les Allemands ne sont pas qu'un peuple de poètes et de penseurs. S'ensuit l'exil en Bulgarie. En lisant ce livre on se sent plongé dans l'époque, avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. C'est parfois plus que déconcertant, parfois cela vous coupe le souffle. La lutte pour la survie est très bien décrite, malgré certains aspects déconcertants, c'est un livre qui valait la peine d'être lu. Je l'ai lu, ce livre de 557 pages, en quelques jours, et ça valait la peine pour moi qui ait une amie bulgare, vraiment bulgare ! mais aussi à cause de la langue allemande, en grande partie magnifique, ainsi qu'à cause de l'histoire réelle. L'édition espagnole en a été élue livre de l'année 2016. En Bulgarie, l'auteure a reçu l'Ordre de la Rose (dont je n'ai pas trouvé la signification).
Dévoile-moi,
de Sylvia Day (éd.
J'ai lu 2012) Sylvia Day, américaine d'origine japonaise est née en 1973. C'est une auteure de romans d'amour. Elle écrit également sous des pseudonymes, surtout des romans de fiction. Elle est auteure à succès numéro un dans vingt huit pays. Dévoile-moi est le premier tome de la "série Crossfire". Gidéon Cross et Eva, les deux personnages principaux, sont deux personnes aux passés difficiles. Leur rencontre est explosive, leur histoire très passionnelle. Sur
la quatrième de couverture on lit: Le
résultat est magnifique, un roman d'amour, un roman érotique, avec
beaucoup de scènes érotiques, beaucoup de scènes de sexe, mais pas
vulgaires (à une exception près peut-être ).
Crénom,
Baudelaire ! de Jean Teulé (éd.
Mialet-Barrault) L'auteur, Jean Teulé, est né en 1953. Il s'illustre dans divers domaines: le bande dessinée, le cinéma, la télévision. À son actif: plusieurs biographies, sur Rimbaud, Verlaine, François Villon... Charles
Baudelaire est né à Paris en 1821 et décédé en 1867. Pourquoi
ce titre "Crénom, Baudelaire !" ? Je
n'ai terminé ce livre qu'au deuxième essai. Je n'ai pas aimé le lire.
Pourquoi? Avant tout parce que le personnage principal m'était
absolument antipathique.
Le
dernier homme, de Mary Shelley
(éd. du
Rocher 1988 - Folio 2021) Si
vous vous retrouviez être le dernier homme sur terre, que feriez-vous? Le
style d'écriture de cette œuvre
du XIX ème
siècle paru en 1828, est bien différent de celui, minimaliste, des
écrivains d'aujourd'hui, rapide, qui, en phrases courtes, en mots
souvent simples et succincts, suggère et laisse au lecteur deviner le
non-dit, le non écrit... Mary Shelley au contraire, en de longues
phrases souvent lyriques, déploie, analyse les sensations, le
caractère, les sentiments et la sensibilité extrême des personnages,
leurs défauts, leur bonté, leur symbiose avec les paysages qu'ils
admirent ou qui les terrifient, la beauté du monde, l'horreur des
calamités, etc., sans raccourcis. Nous
sommes dans un roman d'anticipation. Qui fut très remarqué à
l'époque de sa parution, mais qui sonne comme un conte ancien pour
nous. Car le mode de vie et les préoccupations des protagonistes vivant sur la petite île d'Angleterre y restent ceux des années 1818,
sans qu'aucun progrès technologique ou industriel, encore moins
numérique, n'ait encore eu lieu. En cela, Mary Shelley ne fut pas
visionnaire. L'auteure
ne fut pas visionnaire non plus de l'impact des activités humaines sur
le changement climatique et possiblement de l'épidémie meurtrière
qu'elle fait sévir au cours de son roman. Chez elle, les hommes les
subissent comme un destin inéluctable vécu sous l'œil
de l'Être suprême, sans en être responsables: Que n'écrirait-elle pas, elle si talentueuse, si elle vivait de nos jours? Et la date aujourd'hui proche de 2100 qu'elle a choisie pour l'extinction de l'humanité n'est-elle pas prémonitoire de ce qui risque fort d'advenir d'ici là?
Le
jardin d'Eden, d'Ernest Hemingway Lu
le jardin d'Eden (qui m'a fait penser à Amor de Dominique Forma,
auteur que nous avions reçu aux Petites fugues), sauf que chez
Hemingway, la fin n'est pas sanglante, bien qu'elle aurait pu l'être si
l'épouse n'était pas partie d'elle-même... NB. Pour comprendre mieux la personnalité de l'auteur, on pourra lire Mrs Hemingway, de Naomi Wood.
L'envers
des ombres, de Céline Navarre (éd.
Gallimard 2023) Un récit sombre et lumineux. Sombre
par les désastres successifs qui frappent Lily, l'héroïne qui se
narre. Petite aux parents en désaccord. Au père fatigué de ses heures
d'usine et rabrouant la mère. Petite se retrouvant chez sa tante Ida
après le décès "accidentel" de son père. Après que sa
mère "folle" eut été internée pour vingt ans sans que Lily
puisse la voir. Une mère folle d'avoir tenté de s'ouvrir les veines.
Folle d'avoir tenté de noyer son époux. Folle d'avoir fait dévier la
voiture que celui-ci conduisait vers l'autre côté de la voie et
s'encastre sous un camion-citerne... Lumineux
par l'attention à toutes les sensations les plus infimes avec des mots
qui disent les fleurs, les animaux, les gens, les parfums, les choses,
qui nous entourent. Maints détails auxquels nous lecteurs, dans notre
quotidien, ne faisons pas attention, ou plutôt qui vont de soi et sur
lesquels nous ne mettons pas de mots, mais qui chez Lily, par le biais
de Céline Navarre, reviennent dans son désarroi, dans son manque...
Traduisent en phrases courtes par le truchement des sensations un
inexprimé indicible.
Glen
Affric, de Karine Giebel
(éd. Plon
2021) Je n'ai pas de mots pour exprimer l'émotion et l'angoisse qui étreint tout au long de ce roman terrible mais beau qui narre l'histoire de Léonard et de Jorge, et dont les âmes sensibles sortent en larmes. Léonard,
adolescent, fut trouvé dans la boue d'un fossé à l'âge de cinq ans.
Son cerveau a gardé les séquelles de maltraitances subies dans sa
petite enfance, c'est un "innocent" au regard d'enfant dont le
coeur est immense et la force physique colossale. Le
récit est prenant, touchant. On ne lâche pas le livre dans la hâte de
sortir de leur cauchemar, ou alors seulement pour souffler un peu...
tant ces deux êtres tombent immanquablement quoi qu'ils entreprennent
de mal en pis comme s'ils étaient nés pour ne connaître que
souffrance et injustice, que l'enfer. Mais je m'aperçois que les mots me sont finalement venus et que je vous en ai trop dit... trop dévoilé... et peut-être rebuté. Je vous encourage pourtant à lire ce beau roman qui le mérite, sauf bien sûr si vous êtes dépressif ou trop sensible... Son exergue a été emprunté à la préface de Joseph Kessel pour le roman de Steinbeck, Des souris et des hommes, il s'applique exactement à Glen Affric dont les personnages portent les mêmes prénoms : Léonard/Léo/Lennie et George/Jorge...
À
l'orée du verger, de Tracy Chevalier
(éd. Quai
Voltaire/La table ronde, 2016) Tracy
Chevalier a l'art de conter des histoires émouvantes qu'elle intègre
toujours dans un cadre historique.
Cette fois le roman, qui couvre presque vingt ans de 1838 à
1856, nous emmène en Amérique à l'époque de la ruée vers l'or. Mais
c'est surtout aux arbres que l'autrice s'est intéressée et en
particulier à deux espèces, migrateurs du fait des hommes: des
pommiers et certains pins millénaires de Californie. À
partir de personnages ayant réellement existé à cette époque: Elle
s'attache surtout à celle de Robert Goodenough. Fils d'une famille de
pionniers installée dans le Black Swamp, région marécageuse où il
faut dessoucher
le terrain
d'arbres aux racines profondes avant de
planter le potager et surtout les pommiers dont son père, James,
s'adonne à la culture, voulant atteindre le chiffre de cinquante qui
permettrait que le terrain leur appartienne définitivement. Ces
pommiers proviennent de graines semées ou de jeunes plants achetés régulièrement
lors des passages de John Chapman. Certains d'eux, James les greffe
avec art comme le lui avait enseigné son propre père pour en obtenir
des pommes à couteau au goût sucré, meilleur que celui de celles à
cidre. Ce
roman, bien sûr, n'est pas dénué d'un côté émotionnel qui retient le lecteur, car
si Robert s'intéresse, comme son père et son grand-père avant lui
avant tout aux arbres, ne manquent pas dans sa vie les personnages féminins: En quoi, L'orée du verger est un roman d'initiation, orée du verger, orée de la vie... Robert n'avait pas encore neuf ans au début du roman, il en a à présent vingt neuf, comme les graines d'arbres, il aura fallu qu'il s'éloigne pour se développer... "...eh
bien, ces arbres se plaisent plus dans le Black Swamp que je ne m'y
plairait jamais. Ils se sont acclimatés ici. Pourtant c'est que des
arbres!
Le
Grand Monde, de Pierre Lemaitre
(éd. Calman Lévy
2022) Faisant
suite à
la série Les enfants du désastre, de Pierre Lemaitre, après Au
revoir là-haut (prix Goncourt 2013), Couleurs de l'incendie
(2018), puis Miroir de nos peines (2020), Le Grand Monde
se situe après guerre, en 1948. On
y suit le destin de la famille Pelletier: Ce
que le roman met à jour: Bref,
tous les ingrédients à même de tenir le lecteur en haleine dans un
entrelacs soigneusement ficelé jusqu'à la révélation finale sont
là.
Se
souvenir encore des orages, de Pierre Pelot (éd.
Les Presses de la Cité 2022) Étrange,
mais beau... Bref, un roman plein de zones d'ombres, mais attachant, qui mêle l'intime et l'universel douloureux de la perte, des pertes, la violence aussi qui s'acharne à sévir tout autour... et l'apaisement enfin... le retour à l'écriture... «Il s'était décidé à écrire un livre, une histoire pour les enfants, l'histoire de Billy Blue le chat, l'histoire d'un bonhomme presque mort qui avait retrouvé Billie (c'était sa petite fille, sa jeune fille, sa grande fille), et le fantôme sinueux de son chat bleu, qui était le chat qu'il aimait le plus au monde. Tout ce monde s'efforçant de ne pas chuter des billots trop vite.»
Ma
mère n'a pas eu d'enfant, de Geneviève Peigné
(éd.
des Lisières 2021) par
Hildegard Thorand :
Vivre
vite, de Brigitte Giraud
(éd. Flammarion 2022) Vivre
vite, se lit vite, sur des chapeaux de roue. Est-ce pour cela et parce qu'elle est forcée, à cause de promoteurs immobiliers, de quitter la maison pour laquelle ils avaient eu un coup de cœur et dans laquelle justement ils allaient emménager, qu'elle s'attache, vingt ans après, à répertorier par écrit celle série de hasards, ces séries de hasards qui entrent dans le destin de tout un chacun en somme, car si ceci... si cela... tel événement aurait pu ne pas se produire, être évité. Seulement, voilà, avant on ne sait pas que ce petit détail, insignifiant en soi, mènera à cela... et après, on ne peut revenir en arrière. Vivre vite se lit donc vite, ou plutôt avec intensité, tant les événements qui participent du destin néfaste de Claude y sont disséqués à l'extrême dans une écriture précise et juste, sans longueur, sans apitoiement non plus. Tant Brigitte imagine, d'après ce qu'elle sait et a pu réunir comme éléments et témoignages, les dernières actions de Claude jusqu'à l'issue fatale... C'est une dissection de faits, d'actes, et non un étalage de sentiments ou de douleur. Même si l'on sait que la douleur fut là, qu'elle accompagne encore l'autrice... Qui vit avec, comme elle continue d'une certaine manière de vivre avec l'être perdu... Même si elle est passée à autre chose... Par la force des choses et par sa force propre, elle a toujours été une battante. Grâce aussi à l'écriture, et aux morceaux de musique qu'avec Claude qui dirigeait la discothèque de la bibliothèque municipale de Lyon ils écoutaient, et à leur fils âgé de sept ans à l'époque, à élever... «Quand une catastrophe surgit, on rebrousse chemin, on revient sur les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre l'origine de chaque geste, chaque décision. On rembobine cent fois. On devient spécialiste du cause à effet. On traque, on dissèque, on autopsie. On veut tout savoir de la nature humaine, des ressorts intimes et collectifs qui font que ce qui arrive, arrive. Sociologue, flic ou écrivain, on ne sait plus, on délire, on veut comprendre comment on devient un chiffre dans les statistiques, une virgule dans le grand tout. Alors qu'on se croyait immortel.» lire une deuxième note de lecture sur : Vivre vite
L'année
sans été (Tambora,
1816 Le volcan qui a changé le cours de l'histoire),
de Gillen D'Arcy Wood
(Princeton
Universiy Press 2014 ; éd. La Découverte 2016) Documentaire
très intéressant sur le grand bouleversement climatique engendré par
l'éruption (près de Java), du volcan Tambora en 1815. Éruption qui
passa inaperçue, mais dont l'émission des poussières volcaniques eut
des répercussions à l'échelle planétaire.
S'en suivirent, entre autres, une mini glaciation sur trois ans,
des millions de morts de froid, de famine et d'épidémies (choléra et
typhus), le développement de la culture de l'opium, la fonte des glaces
en Arctique libérant pour trois ans le passage Nord-Ouest et les
pôles, la première grande crise économique américaine... dont on ne
fit le rapport qu'il y a peu avec l'éruption. Ces
effets, d'un phénomène pourtant naturel qui s'étendit sur trois
années seulement, nous donne, prédit l'auteur dans son épilogue, un
avant-goût de l'avenir apocalyptique qui nous attend suite aux
activités humaines qui modifient le climat. Ce, à l'ère actuelle appelée
désormais l'Anthropocène. Mais
pour nous amateurs de romans, ce livre est
également très intéressant du point de vue littéraire, puisque
concomitamment, Gillen D'Arcy Wood, l'auteur, professeur à l'université
de l'Illinois et spécialiste de la littérature du XIXe siècle, nous
éclaire sur la genèse et nous donne des clés quant à l'écriture, à
cette époque justement, des œuvres
au "climat de fin du monde" de Mary Shelley: le tumultueux Frankenstein
et
Le Dernier
Homme, ainsi
que sur celles du petit cercle d'écrivains qui l'entourait : Percy
Shelley, Lord Byron, etc. Sans oublier les peintures des ciels
particuliers de Turner à la même époque. À lire donc, cette Année sans été, et dans la foulée, sous un jour qui ne nous apparaîtra plus relever du seul domaine du fantastique, le Frankenstein de Mary Shelley. «
La célèbre créature née de l'imagination de Mary Shelley porte
ainsi la marque des populations européennes affamées et malades au
milieu desquelles elle vivait pendant ce terrible été du Tambora.
Comme les hordes de réfugiés répandant le typhus dans toute l'Irlande
et l'Italie alors que Shelley écrivait son roman, la créature est un
vagabond et une menace pour la société civilisée. Au moindre contact,
les personnes en bonne santé tombent comme des mouches, mortes. Dans le
roman, ce pouvoir de tuer est attribué à la force surnaturelle du
monstre. Mais l'atmosphère terrifiante créée par la violence
déchaînée et sa capacité à frapper sans relâche sur des milliers
de kilomètres ressemblent davantage à la manière dont une famine ou
une épidémie se répandent.»
Une
longue impatience, de Gaëlle Josse
(éd. Noir sur
Blanc, Coll. Notabilia, 2017) Veuve
d'Yvon, un pêcheur breton dont elle a eu un fils prénommé Louis, Anne
s'est remariée en 1943 avec Étienne, un pharmacien qui lui a donné
deux autres enfants. En 1950, après avoir été frappé par son beau-père,
Louis, seize ans, s'enfuit de la maison. Commencent alors pour Anne
l'inquiétude, l'attente d'un bateau —car on sait très vite que Louis
a pris la mer
—, la lutte contre un immense sentiment de vide grâce à
ces différents mécanismes de défense que sont le cloisonnement, la régression,
la sublimation... S'il
s'attache beaucoup à la figure de la Mère, ce roman de l'attente et
des sentiments excessifs (pas seulement l'attente et les sentiments
d'Anne) montre aussi une femme marquée par son origine modeste, à un
point que l'on découvre seulement sur la fin. Coup
de cœur pour cette tragédie poignante, écrite à mots choisis sous la
plume à la fois fine et enveloppante de Gaëlle Josse, construite sur
des racines grecques bien qu'on y trouve également des similitudes avec
la parabole biblique du fils prodigue. «
Car
toujours les mères courent, courent et s'inquiètent, de tout, d'un
front chaud, d'un toussotement, d'une pâleur, d'une chute, d'un sommeil
agité, d'une fatigue, d'un pleur, d'une plainte, d'un chagrin. Elles
s'inquiètent dans leur cœur pendant qu'elles accomplissent ce que le
quotidien réclame, exige, et ne cède jamais. Elles se hâtent et se démultiplient,
présentes à tout, à tous, tandis qu'une voix intérieure qu'elles
tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles
ne cesseront de se tourmenter pour l'enfant un jour sorti de leur flanc.»
Laitier
de nuit, d'Andreï Kourkov (éd.
Liana Levi 2009) Les faits se passent à Kiev, en Ukraine, qui mêlent une dose de réalisme, une dose de fantastique, une dose de politique, et une issue presque de conte de fée. Les histoires des personnages, au premier abord sans lien, avancent en parallèle pour finir par s'imbriquer et se rejoindre. On y trouve : —
Une fille mère, Irina, qui vit à la campagne avec sa mère choura.
Nourrice, pour gagner l'argent qui leur est nécessaire, Irina
vend son lait tandis que son propre bébé est nourri au lait en poudre
bon marché. Elle rencontrera et se liera avec Yegor, au grand cœur.
D'origine campagnarde lui aussi et dont le travail est du domaine
confidentiel. Il y a aussi une valise pleine d'ampoules du remède "Antifrousse" détournée à l'aéroport en début de roman. Des trafics, des tentatives de corruption. Sans oublier la consommation d'alcool, les rasades de gnôle d'ortie, les plats traditionnels ukrainiens qui accompagnent et revigorent ou calment les protagonistes tout au long de leurs tribulations. Bref, tous ces ingrédients réunis donnent un roman savoureux, à la fois drôle et terrifiant, léger et fantasque, qui retient le lecteur haleine de chapitre en chapitre. Un roman où l'auteur, Andreï Kourkov, qui soutient l'ukrainisation se son pays, porte un regard acéré et ironique sur la vie en Ukraine postsoviétique. À lire.
Fanny
V., de Christelle
Ravey (éd.
de la Boucle 2013) Je
ne trouve pas de mots pour exprimer mon ressenti à la lecture de ce
beau roman de Christelle Ravey. Son chef-d'œuvre à mes yeux, dans
lequel elle sait aussi bien exprimer avec son écriture particulière et
poétique, le ressenti de tout petits enfants que celui de ses
personnages contraints par l'Histoire à s'exiler... Ce
roman, paru en 2013, a été longuement mûri et retravaillé, allégé
aussi depuis l'année 2008 où Christelle
Ravey, reçue par le Café littéraire luxovien
en avait déjà évoqué l'écriture lors de sa période qu'elle
qualifiait de "méditerranéenne", et sa recherche d'éditeur. Il
rejoint la triste actualité de ce printemps 2022 puisque les personnages,
enfants et petits enfants de Juifs ukrainiens émigrés à Istanbul en
Turquie, sont contraints en 2012, de partir à nouveau, de tout laisser
et de refaire leur vie ailleurs... Le
déracinement, l'inlassable ténacité et capacité de recommencer des
personnages est remarquablement narrée dans ce roman qui mêle les
moments de simple joie de vivre à ceux de profonde tristesse. Et qui
porte à l'émotion vive, car cette fois l'auteure ne s'est pas
astreinte à lui donner une fin heureuse. L'issue est dans l'ordre des
choses et reste cependant ouverte avec la promesse de la nouvelle génération
: *Schlouf,
yiddele, schlouf = dors, petit Juif, dors (chanson)
Les
choses à faire avant, de Christelle
Ravey
(éd. de la
Boucle 2018) Christelle
Ravey aime mêler dans le désordre les temps et les générations. Dans
ce roman encore il est question d'histoires de familles. De familles qui
se heurtent, et dont l'idylle —
vers les années 1860-70, au temps des Communards — de deux
jouvenceaux, Camille et Delphine, sorte de Romeo et Juliette, d'un
hameau reculé des Hautes-Alpes au-dessus de Grenoble, sera impossible
tant leurs familles sont hostiles l'une à l'autre depuis des générations
sans que l’on sache plus pourquoi. Haine
à nouveau concrétisée et ravivée une centaine d'années plus tard
par la mort de fillettes, bien qu'officiellement reconnues
accidentelles. Ce qui vaudra le départ, sans laisser d'adresse et plus
jamais de nouvelles d'Anna Louise la fille de Jeanne. Anna Louise en mal
de vivre depuis le décès accidentel lors d'une chasse de sa sœur aînée.
Anna Louise qui se liera d'amitié avec Hélène, fille de la famille
opposée. Anna Louise qui laissera très tôt son fils Illian vivre de
ses propres ailes, sans père ni mère. Que lui au moins connaisse la
liberté, ne dépende de personne. Jeanne,
la mère, après des recherches infructueuses s'est tournée dix-huit
ans après vers une écrivaine pour qu'elle tente de cerner, par
l'empathie de l'écriture, les raisons de la disparition d'Anna Louise,
et qui sait, parvenir à la faire revenir. L'histoire
mêlée de plusieurs couples est mise au jour dans ce roman. Mais outre
qu'il soit bien tissé, bien écrit, agréable à lire avec ses phrases
aux élans rêveurs propres à l'auteure qu'est Christelle Ravey, et
tienne le lecteur sans relâche en haleine tout au long de ses 467
pages, outre qu'il montre le rôle de l'héritage familial qui peut
conditionner la vie des descendants, remettant en cause une part des
libertés, outre le questionnement sur le chemin et le sens de la vie
qu'il induit, le grand intérêt de ce roman réside en ce que le
lecteur y chemine grâce aux recherches qu'effectue Maïa, l'écrivaine
chargée d'écrire des pages éclairantes sur Anna Louise à partir de
ses recherches et surtout de ses intuitions : «
Et si la littérature, au fond, ne faisait que ressusciter des
personnages, même quand on croit qu'elle les invente? Si elle ne
faisait que puiser dans l'immense réservoir sans fond des âmes qui se
sont absentées?» L'auteure,
Christelle Ravey, dévoilant dans ce roman-ci, par le biais de Maïa,
ses préoccupations et sa démarche d'écrivain. Nombre d'auteurs ne
disent-ils pas qu'ils se laissent emporter par la volonté de leurs
personnages, personnages qui vivent de leur propre vie, en dehors d'eux,
s'imposent à eux... Le
roman est aussi un hymne à la musique qui accompagne et aide à vivre.
Et puisque Christelle Ravey veut à son roman une issue heureuse, n'y
est pas à négliger le rôle un peu magique, tutélaire et bienfaiteur,
de l'aigle qui plane au-dessus des montagnes et lance son cri. C'est cet
aigle qui illustre d'un trait sobre la couverture du livre paru aux
belles éditions de la Boucle en 2018.
Les
loups des bois – Comtois, rends-toi, de Vincent Bousrez Paru
au éditions FC Culture & patrimoine en 2020 et distribué par
Vesoul éditions, ce petit roman de 250 pages a pour mérite de nous
plonger dans un épisode particulier de l'histoire de la Franche-Comté.
Il se passe durant les années 1667 et 1668, soit quelque trois décennies
après la Guerre de trente ans. La Franche-Comté, on le sait, par le
jeu de divers traités, alliances et échanges était alors «espagnole»
et convoitée par le roi de France, Louis XIV. Le
Roi Soleil en effet, marié à Marie-Thérèse, fille aînée de
Philippe IV roi d'Espagne, réclame au nom de son épouse les Pays-Bas
et la Franche-Comté en vertu du principe de «dévolution», ancienne
coutume espagnole qui réservait au premier enfant royal, sans
distinction de sexe, la succession. Mais,
se trouvant bien de leur autonomie et de leurs droits acquis lors du
gouvernement espagnol, craignant aussi de nouvelles exactions des Français,
quelques courageux irréductibles comtois qu'on nommait les Loups des
bois, dans la droite ligne de Lacuzon (héros qui pendant la période de
massacres quelques trente années auparavant réussit à lutter contre
les envahisseurs dans une guerre d’escarmouche sur les plateaux
jurassiens), veulent empêcher l'annexion de la Province par les Français
et les destructions par ceux-ci perpétrées et s'organisent en petites
compagnies. L'auteur,
à partir de l'Histoire et de la devise bien connue (retenue d'un échange
verbal entre assaillants français et défenseurs comtois qui aurait eu
lieu au cours d'un des sièges de la ville de Dole, et plus
vraisemblablement de celui de 1636) : « —Comtois, rends-toi!
—Nenni ma foi!...», nous propose un récit fictionnel, quelque
peu romancé, vivant et souvent rocambolesque, truffé d'épisodes sur
la gastronomie et le côté bons vivants de ces hommes et femmes,
nobles, paysans, ecclésiastiques et bourgeois qui harcelèrent la
soldatesque du Roi de France. Les
franc-comtois actuels reconnaissent les noms de nombre de localités évoquées
dans ce roman qui se situe donc des Vosges saônoises au Haut-Jura, de
la plaine de la Saône au Haut-Doubs. Enfin,
ce récit, en plus d'être agréable à lire, amène les lecteurs un peu
curieux à se documenter plus avant sur les méandres souvent méconnus
de l'histoire de la / leur Franche-Comté. Celle de l'auteur lui-même,
Le
bal mécanique, de Yannick Grannec De
construction intéressante ce roman nous permet d'aborder une période
de l'histoire et du marché de l'art, lorsque furent spoliées les œuvres
des artistes dits «dégénérés», par le IIIème Reich. La
première partie, actuelle, nous présente Josh Schors, producteur d'une
émission de télé réalité à succès qui mêle décoration d'intérieur
et thérapie familiale. Sous le vernis apparent d’un bien être
familial, on découvre que Josh, bientôt père et afin de que son
enfant puisse connaître ses origines, est lui-même à la recherche de
celles, réelles, de son père Carl Schors qu'il n'a jamais compris, et
qu’il est désireux de recouvrer certaine toile d'Otto Dix, – de la
collection personnelle du marchand d'art Theodor Grenzberg, qui fut
spoliée à l'avènement d'Hitler et du nazisme –, qui lui reviendrait
s'il peut prouver son lien de parenté avec ce dernier et Magda Grenz,
étudiante au Bauhaus qui fut déclarée à l'état civil comme sœur de
Carl... Carl/Karl, né en 1929, qui porte le nom des Schors à qui il avait
été confié en 1934... La
seconde partie remonte dans le temps et donne au lecteur la réponse aux
interrogations de Josh. Imaginée à partir d'un fond bien réel (l'auteure
s'est très documentée et donne en fin de roman une bibliographie non
exhaustive de ses lectures préliminaires), c'est l'histoire de Paul
Klee, Otto Dix, Vassily Kandinsky, Lux, Hannes Meyer, etc, et du Bauhaus
fondé par l'architecte Walter Gropius qui nous est présentée avec
l'enthousiasme et les difficultés que rencontrèrent les artistes
expressionnistes dans la première moitié du XXè
siècle. Le
roman est très vivant, car autant dans la première que dans la seconde
partie, ce sont tour à tour aux personnages eux-mêmes, réels et
imaginaires et non à un narrateur omniscient, que Yannick Grannec donne
voix, les faisant s'exprimer au présent. De sorte que le lecteur, même
s'il n'est pas particulièrement féru d'art, chemine, par le biais de
leur histoire fictionnelle, dans l'Histoire réelle, et que lui sont dévoilés
les aspects et l'atmosphère de cette période sombre où nombre d'artistes et d'œuvres
finirent en cendres... Dans
le dernier chapitre Yannick se pose en nouveau personnage qui confie ce
que l'on peut croire être la genèse du roman. Lors de sa
visite du musée de la fondation Schors-Grenzberg à Saint-Paul-de-Vence
et de son exposition temporaire intitulée "Et l'art dégénéré
engendra", naquit en elle le désir, de transmettre à ses
enfants cette contemplation de la beauté, même si "la définition
de la beauté est propre à chaque génération, à chaque individu, il
est important de nourrir ses enfants de celle qu'on croit reconnaître",
de leur "donner un cadeau sans étiquette et sans marque, bien
plus qu'une consolation, bien plus qu'un dérivatif, bien plus qu'une
colère contre un avenir absurde et dangereux". "C'est
un lien à travers le temps". En
ce qui concerne le titre, petite espièglerie de Yannick Grannec, comme
presque tous les chapitres du roman portent en exergue l'indication
d'une œuvre bien réelle d'un artiste, le chapitre 27 de la deuxième
partie nous porte à croire que le titre, Le bal mécanique, est
emprunté à une tempera sur toile de Paul Klee datée de 1929,
qui aurait représenté Magda, mais l'auteure précise que c'est une
oeuvre "controuvée"... rappelant par cela l’aspect
fictionnel de son texte. Précisons
que Yannick Grannec après un bac scientifique et des études
artistiques rejoint l’Ecole nationale supérieure de création
industrielle (ENSCI) où elle obtint en 1994 un diplôme de designer
industriel. Rien d’étonnant à ce qu’elle se soit intéressée de
près à l’esprit du Bauhaus. Elle vit dans le sud est de la France et
semble accoutumée à se nourrir de l'Histoire pour construire ses
romans. Ainsi, Les
simples,
situé en 1584 dans la région de Vence non loin de Nice, mettait en évidence
les problèmes des religieuses d'une abbaye bénédictine générés par
les revenus de leur activité (culture de plantes médicinales) qui étaient
convoités par l'évêque. Mais c'est une autre histoire.
Crue,
de Philippe Forest
(éd.
Gallimard 2026) Roman
étrange où le narrateur fait part de la morosité de la vie dans
un quartier en pleine transformation de sa ville natale où il a fini
par revenir vivre après les deuils déjà anciens de sa fille puis de
sa mère. Son chat a disparu, qu'il cherche arpentant de plus en plus
loin les alentours de son immeuble. Il ressent alors une impression de
mystère conférée par les démolitions de bâtiments anciens, les
terrains vagues entourés de palissades et les constructions nouvelles
de tours qui en émergent dans une zone jadis réputée inondable. Ajouté
à son isolement, car peu d'habitants y restent et son immeuble est l'un
des derniers, ce mystère lui semble toucher en fait l'humanité entière.
Car dès la naissance, où et dans quelque milieu qu'on vienne au monde,
nous sommes des condamnés à mort. Il
rencontre pourtant à la suite d'un incendie un homme et une femme. Avec
eux il se lie. Elle joue du piano. Lui, dit être écrivain et semble détenir
la clé du mystère qui les entoure. Jusqu'au jour où soudainement ils
disparaissent. Suit alors la grande crue, presque un déluge, qui
l'isolera encore davantage et fera de nombreux morts. Pour
lui, c'est une des manifestations de «l'épidémie» dont lui avait
parlé l'écrivain : Ce
roman qui date de 2016 m'a laissé une impression de vertige. Par sa
corrélation à un possible univers parallèle, aux trous noirs qui
aspirent... — Il "se transforme en une fable fantastique" prévenait
la quatrième de couverture. Mais aussi par son écriture quelque peu
envoûtante et parce que j'y ai trouvé une grande lucidité quant au
peu que nous sommes... L'auteur
y dénonce la mémoire oublieuse des hommes sur les grandes catastrophes
qui les ont précédés. Leur manque de prévoyance, leur responsabilité. Bref,
un roman pessimiste quant au sort de l'humanité, et nous en vivons en
ce troisième millénaire confirmation, qui malgré tout se termine bien
pour le narrateur... puisqu'il recouvre au retour inopiné de son chat
et avec la décrue, une lueur d'espoir. Sait-on jamais ?
Frank
McCourt - Autobiographie en trois volumes Frank
McCourt est né en 1930 à Brooklyn de parents irlandais. Émigrés dans
les années 20, ses parents sont rentrés en Irlande lorsque Frank avait
quatre ans. Le
premier tome raconte l’enfance et l’adolescence du point de vue de
l'enfant. Ce livre a connu un grand succès (entre autres le prix
Pulitzer) et a également été adapté au cinéma. Il est à lire
absolument !!! L'auteur réussit à merveille à plonger le lecteur dans
son univers d'enfant. Il y a des scènes incroyables qui ne vous lâchent
plus, qui vous font réfléchir. On devient curieux de savoir comment un
enfant peut se sortir d'un tel environnement. On comprend les difficultés
ultérieures à atteindre les objectifs fixés, les difficultés à
trouver sa place dans la société et aussi dans la profession. Ce
n'est qu'à sa retraite que Frank McCourt a écrit cette autobiographie
en trois volumes, réalisant ainsi son souhait de longue date de devenir
écrivain.
Soleil
à coudre, de Jean
D'Amérique
(éd. Actes
Sud 2021) J'ai
bien aimé le style d'écriture de l'auteur qui nous emmène dans un
bidonville de Haïti où vit une petite fille de douze ans avec
"Papa" —qui
n'est pas son père —qui est très violent et "Fleur
d'Orange" sa mère qui se prostitue.
lecture par Marie-Françoise : Le
roman se passe à Cité-de-Dieu, quartier bidonville populaire de
Port-au-Prince en Haïti. Tête-Fêlée,
l'héroïne/narratrice est une très jeune fille. Elle a pour mère Fleur
d'Orange, une prostituée. Pour beau-père Papa, un voleur et
trafiquant aux ordres du pire bandit de la ville, Ange-de-Métal.
De ses parents elle dit : Tête-Fêlée
raconte sa vie au milieu de la violence des adultes, constate leurs
faiblesses, leurs addictions. Sa mère est alcoolique, elle-même fume.
Elle est contrainte d'aider son beau-père dans ses trafics malhonnêtes...
Le poids du silence plombe, ce, jusque dans le nom de personnages. Celui
de Silence, sa camarade classe. Elle
tente de s'échapper par le rêve et l'amour qu'elle porte à Silence.
Mais Silence, d'une autre classe sociale, est inaccessible et surprotégée
par son père. Tout au long du roman Tête-Fêlée tente de lui écrire
une lettre, cherchant les mots vrais: Le
roman commence tristement, nimbé par la quête de lumière de Tête-Fêlée,
par la perte de leur lumière humaine des divers personnages qui
pourtant vivent sous un soleil faussement paradisiaque. Puis,
écho aux multiples situations violentes que l'on peut lire dans la
presse au sujet de ce pays, tant naturelles (séismes, ouragans...),
qu'humaines (dictature, banditisme, corruption, agressions sexuelles,
meurtres, pollution, déchets à ciel ouvert, sort des migrants...) dans
lesquels se débat Tête-Fêlée pour échapper à son destin de
poussière, il devient sinistre et s'achève sur une
incertitude. Si
aucun trait d'humour ne vient égayer son roman, l'écriture dépaysante
de Jean D'Amérique, auteur haïtien, est cependant savoureuse, pleine
de métaphores poétiques.
Fresque
et mosaïque, de Xavier
Bazot (éd.
L'Atelier contemporain 2021) C'est
un bien plaisant petit livre que nous offre ici Xavier Bazot. Un recueil
de fragments comme son titre le laisse supposer. Ceux, colorés, d'une
mosaïque qui constituent, avec le recul, toute une fresque. Celle de la
vie d'un écrivain — de talent, on y reconnaît et apprécie son style
particulier et exigeant d'écriture —, mais d'un écrivain sans
notoriété auprès des médias, qui galère car il a souhaité ne vivre
que de son écriture, tout en menant, mais sans entraves, une vie de
famille dès lors que lui naquît une fille. Pas
facile toujours d'accorder ce travail d'écriture et l'attention à
donner à ses fillettes, il en aura deux, Lamiel et Armance, dont il
faut s'occuper lorsque la mère, Mina, heureusement travaille assurant
les revenus et la stabilité, même précaire, de la petite famille. Pas
facile lorsqu'on est absent, bénéficiant, lorsque c'est possible, de séjours
en résidence d'écrivain, souvent longs et lointains, mais qui allègent
les dépenses du ménage. Ce
livre est composé de ces instantanés de vie, depuis la naissance de
l'aînée, jusqu'à leur déménagement forcé d'un appartement loué dans
vieil immeuble parisien de plus en plus vétuste et abandonné. J'ai
dit, plaisant à lire, car si ce mode de vie avec ses difficultés
pourrait être relaté de façon dramatique, le ton de Xavier Bazot est
souvent à l'autodérision, qui ne le montre pas toujours d'un
caractère exemplaire, mais avec ses paradoxes et inconstances dans sa
façon bien particulière d'éduquer ses filles, de mener sa vie
familiale, conjugale et sociale... Ce sont ces fragments-là de vie privée
et de ses relations avec ses filles qu'il nous confie dans ce recueil,
et rien de la vie qu'il mène au dehors... Car
l'auteur raconte ici, pour le lecteur, mais aussi, j'imagine,
pour elles, ses filles, un ensemble d'actes, de pensées ou sentiments
commis à leur égard, en une sorte d'album dont on tourne les pages,
lis les bribes non datées qui leur rappelleront plus tard, si elles s'y
penchent, des souvenirs de leur petite enfance : « De notre relation
à notre enfant existe-t-il un acte, voire une pensée, un sentiment,
qui, à son sujet, nous ait effleuré ou que nous ayons commis, que nous
ne puissions lui raconter une fois que sa conscience et sa mémoire
auront franchi sans retour le rideau derrière lequel se retranchent,
tels au matin les rêves de la nuit, les souvenirs et les sensations de
la petite enfance? » Bref,
c'est un livre d'anecdotes, amusantes et surprenantes parfois, qui font
réfléchir. Il intéressera bien des parents qui éprouvent le
sentiment de n'avoir fait que ce qu'ils ont pu, et encore pas toujours,
à défaut de ce qu'ils auraient peut-être dû, pour élever leurs
enfants...
Une
femme en contre-jour, de Gaëlle Josse
(Éd.Noir sur Blanc, Coll.
Notabilia, 2019) Ce livre est une biographie esquissée d'une photographe amatrice, inconnue de son vivant : Vivian Maier. Décédée en 2009, cette américaine fut rendue célèbre de manière posthume par un heureux hasard. Femme discrète et pour le moins étrange, nurse de profession mais qui ne vivait que pour la photographie, celle des rues surtout bien qu'elle ait aussi réalisé nombre d'autoportraits, sans chercher à s'y mettre en valeur car elle aimait saisir le brut ou l'insolite, non l'apprêté. Le peu d'éléments biographiques à disposition sur Vivian entraîne l'autrice, pour étoffer l'ouvrage, à abuser de détails concernant les histoires de famille et, dans une deuxième partie, à établir un parallèle intéressant entre le travail d'écriture et celui de la photographie. Si Une femme en contre-jour n'est pas parmi les meilleurs livres de Gaëlle Josse, il permet de découvrir, sous une plume sensible, cette artiste mystérieuse qui n'avait pas même vu la plupart de ses clichés, faute d'argent pour développer les négatifs. « Son travail se focalise sur les visages, le portrait, et sur les exclus, les pauvres, les abandonnés du rêve américain, les travailleurs harassés, les infirmes, les femmes épuisées, les enfants mal débarbouillés, les sans domicile fixe. Parfois, c'est une femme des beaux quartiers, saisie d'un oeil ironique avec ses fourrures et ses bijoux, qui la regarde d'un air mauvais, ou un homme d'affaires, cigare et costume croisé, qui la toise avec agacement. Elle possède ce sens du détail qui dit tout d'une histoire, d'un monde, d'une vie.»
|
| Accueil / Calendrier / Auteurs / Expositions / Citations / A propos / Rencontres / Entretiens / Goûterlivres / Sorties |