Le Café Littéraire luxovien / Des lectures (10) | ||||||||||
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S'inspirant
des recluses du Moyen-Âge qui passaient leur vie en prières, enfermées
dans des lieux variant de l'appartement à la cellule minuscule, l'écrivaine
relate l'histoire, au XIIe
siècle, d'Esclarmonde,
une fille de seigneur qui, en refusant le mari choisi pour elle par son
père, se condamne à vivre retirée du monde pour se consacrer à Dieu.
Elle choisit (mais comment à quinze ans préjuger de ses forces?) d'être
emmurée dans une petite cellule du château familial (château
imaginaire surplombant la Loue), où seule une fenestrelle va lui
permettre de recevoir ses repas, de contempler un morceau du paysage et
de communiquer avec autrui, notamment avec des pèlerins qui viennent se
confier à elle. Bientôt, un évènement inattendu va la détourner de
sa foi. Romancière
singulière, Carole Martinez écrit des romans largement teintés de
contes dont elle est férue. S'y côtoient le charnel et le spirituel,
le pouvoir des pères et l'amour des mères (ou pour elles), les vivants
et les fantômes, l'Histoire et les légendes. Est à lire cette belle fiction historique à l'écriture poétique, au sujet original. On peut néanmoins lui reprocher des rebondissements trop convenus (ex: le père cruel rongé par le remords). Il
s'agit du deuxième tome ―
après Le
cœur cousu, avant La terre qui
penche (qui m'a moins convaincue) et récemment Les roses fauves
―
d'une tétralogie consacrée aux femmes. Chaque volume peut se lire indépendamment
des autres et fait entendre, de certaines de ces femmes, les voix
enfouies.
Nul
doute que les temps maussades et les périodes d'enfermement que nous
vivons accentuent mon penchant pour des lectures qui distraient,
transportent, exaltent,
enivrent. Je me suis donc laissée séduire par la grivoiserie
d'un livre de Jean Teulé : Héloise, ouille ! Le
sujet est connu : les 2 personnages sont Héloïse, jeune et jolie élève
(17ans), Abélard (36ans), le vieux maître. L'auteur
: Jean Teulé (tel Abélard) nous donne une leçon sur les pratiques de
l'amour médiéval, le tout exprimé dans un français imagé, osé,
cru, succulent surtout. Autant
confesser que je n'ai pas boudé mon plaisir: la gourmandise de bonnes
choses (lectures) serait-elle un péché? et le pire n'est il pas que
je vous invite à succomber à la tentation?!
Dans
le même registre et avec le même plaisir de lecture que Héloïse,
ouille !
évoqué ci-dessus on lit Le Montespan, toujours de
Jean Teulé, paru quelques années plus tôt.
À
la première personne, sur le ton plaisant et désinvolte de la Becky de
L'accro du shopping de Sophie Kinsella, avec l'impatience
d'Ariane la Belle du seigneur d'Albert Cohen, menant la vie
d'attente et de dépendance entre deux rendez-vous amoureux de Ray la Back
Street de
Fanny Hurst, Élise, jeune quinqua divorcée, prof de philo, raconte son
addiction amoureuse de femme soi-disant libérée pour un homme marié
et très peu disponible qu'elle ne peut rencontrer secrètement qu'une
fois par semaine. Avec la différence qu'en dehors de ce rendez-vous
hebdomadaire qui lui est devenu essentiel et primordial, Élise
continue à donner ses cours, à se rendre dans des colloques, à partir
en vacances, à s'occuper de sa mère Alzheimer, à rencontrer ses
ami(e)s, etc., et surtout décide de trouver un deuxième homme pour
attendre sans souffrir entre deux rendez-vous, celui qu'elle aime... Récit
vivant, sans lourdeur, sans scènes érotiques et sans vulgarité, sans
pathos non plus, avec un brin d'autodérision, il est parsemé ça et là de courtes phrases, ―
réminiscences de chansons, de romans, de films, etc., que vous reconnaîtrez
peut-être ―, en rapport avec sa situation ou son état d’esprit.
Si vous êtes sensible aux romans d'amour, et comme Élise, quelque peu frappadingue,
lisez-le ! C’est assez divertissant.
Ce
qu'il advint du sauvage blanc, de François Garde
(éd.
Gallimard 2012) La
question posée et la juxtaposition des deux mots «sauvage/blanc» du
titre du livre ont piqué ma curiosité et voilà que la vôtre se met déjà
en quête de plus d'informations sur le sujet. Octave
de Vallombrun,
membre de la société de géographie, est fasciné par Narcisse
Pelletier.
Il va en faire un objet d'étude. Est-il possible de re-civiliser
cet homme blanc devenu sauvage? Il notera ses observations sur la
transformation du matelot revenu dans le monde «normal, classique».
Narcisse Pelletier lui réservera bien des surprises car il demeure ―
avant tout autre qualificatif―,
un humain, un sujet (avec ses émotions, ses sentiments, ses relations
aux autres). En
conclusion : L'aventure vous attend ―
non pas avec Robinson mais avec Narcisse ―,
laissez vous embarquer dans cette histoire, elle vous mènera loin dans
le temps (XIXès.),
l'espace (l'Australie), mais vous serez aussi étonné(e), vous
rirez, et sans doute marquerez-vous une pause, en refermant le livre,
pour laisser votre esprit réfléchir plus largement aux questions qui
émanent de la lecture de ce roman que je qualifie de curieux, pour le
moins d'original.
Sérotonine,
de Michel Houellebecq
(éd. Flammarion 2019)
Je ne me souvenais plus avoir déjà lu ce roman lorsque je l'ai
emprunté à la bibliothèque.
Il
ne m'avait pas laissé de souvenir marquant comme La
possibilité d'une île
ou La
carte et le territoire
du même auteur. Les premières
pages m'ont eu un air de déjà lu. À
cause du style et de l'écriture teintée de pessimisme et pleine
d'ironie douce amère, de piques, sur le quotidien de notre époque
contemporaine, je n'ai pas voulu me priver du plaisir de le relire. Écrit à la première personne, le roman raconte l’histoire de Florent-Claude Labrouste, quarante-six ans, ingénieur agronome (comme l'auteur), qui a travaillé pour de grands groupes agricoles ou agroalimentaires. Il a force de témoignage sur l'époque contemporaine d'une France qui piétine les traditions, banalise ses villes, détruit ses campagnes au bord de la révolte. Cet aspect-là est souligné dans le roman, par le biais de Florent et de son seul ami, Aymeric d'Harcourt, auquel il rend visite. Aristocrate, Aymeric s'est lancé dans l'agriculture biologique sur ses propres terres, mais vit dans la misère, sa femme le quitte et il finira dans l'alcool, se suicidera au cours d'une révolte paysanne. Aymeric, alter ego de Florent, en quelque sorte... Sans doute aussi de l'auteur... Au début du
roman, pas
vraiment satisfait par son travail, sous antidépresseur avec une libido
qui baisse, dégoûté par sa dernière maîtresse Yuzu, japonaise
intéressée uniquement par son appartement et qui va dans des soirées
coquines, Florent ne trouve pour s'en débarrasser
que le moyen de disparaître sans laisser de traces. Il quitte donc emploi et
appartement et vivra de l'héritage de ses
parents décédés. Son récit avance tantôt par des poussées en
avant, tantôt par des bonds dans le passé.
Sexe, désespoir, solitude et même envie de meurtre sont au programme.
Il tente de revoir les femmes aimées. Pourrait-il reconquérir
ses anciennes maîtresses? Kate, Claire, notamment Camille avec l'espoir insensé de
la retrouver, en se débarrassant au besoin des obstacles imprévus. Déçu par son travail, par ses ruptures, par une libido
absente, Florent constate l'échec des idéaux de jeunesse, est en prise au
remord. On pense à Serge Doubrovsky dans Le
livre brisé,
ou dans Laissé pour conte, mais
chez Houellebecq, sans jeux de mots et de sonorités, sans
violence. Il semble faire un clin d'œil à
l'inventeur du terme autofiction : Certains passages
d'ordre technique ou scientifique surgissent au cours de la
lecture, qui nous
mettent les pieds dans le plus que concret :
Note : Le lecteur curieux découvrira que ce vers est extrait d'un poème du recueil Le Roman inachevé de Louis Aragon. Qu'il se poursuit par : "...et leurs baisers au loin les suivent...". Le lecteur se souviendra aussi, pour peu qu'il ait lu Pierre Pelot, auteur solitaire et désabusé lui aussi, que, dans un monologue lyrique et dans la pensée de Lola-Loréna qu'il prête à Simon, son héros de Braves gens du Purgatoire, il poursuit par "...comme des soleils révolus". Ce lecteur, se souviendra également du titre d'un autre roman de Pierre Pelot, en affirmation cette fois : C'est ainsi que les hommes vivent...
Pour un Café littéraire envisagé sur le thème du Loup, réapparu dans les Vosges en Haute-Saône à l'automne 2020, j'ai été amenée à lire cette BD qui traite du thème ancestral de la lutte pour le territoire où chacun revendique sa légitimité d'exister. Ici, le berger qui vit de l'élevage de ses brebis face au loup qui les tue pour se nourrir.
Les
images et le texte instillent le suspens, angoissent lecteur lorsque le
berger frôle plusieurs fois la mort à la poursuite dangereuse du loup.
Le lecteur espère que le loup, ―
dont,
alors que jeune louveteau, le berger avait tué la mère ―
,
qui reste toujours un rien au-delà de la portée du tir du chasseur, ne
sera pas touché; de même il craint le pire pour le berger quand, pris
dans une tempête dans leur ascension obstinée en haute montagne,
éloignés de tout, les voilà blessés... Les deux finiront-ils par
pactiser et trouver le moyen de cohabiter? La bande dessinée est suivie d'un texte très intéressant du philosophe Baptiste Morizot. Il analyse les différentes lectures que l'on peut faire de cette BD. Prolonge la réflexion lorsqu'elle tourne à la fable, lorsque le métier de berger se perd dont les anciens ne sont pas remplacés, lorsque de nos jours les loups sont réintroduits et protégés, avec lesquels il faut composer. L'auteur,
Jean-Marc Rochette, originaire de Grenoble se destinait au métier de
guide de haute montagne. En 1976, après un grave accident, il délaissa
l'alpinisme et devint auteur de bandes dessinées.
Le
don du loup, d'Anne Rice
(éd. Michel
Lafon 2012 traduit de l'anglais ( Etats-Unis) par Philippe Mothe) Le
roman se lit facilement à partir du moment où l'on accepte
l'incroyable fantastique narré de façon vraisemblable par l'auteur
omniscient qui relate les faits au passé dans un style très vivant et
plein de sensations. Et qui met en exergue à son roman cette phrase sibylline
: Dites à la force qui gouverne l'univers ce que vous voulez. Peut-être
la ferons-nous advenir et qu'elle nous aimera malgré tout, comme nous-mêmes
nous l'aimons. De
plus, le roman nous fournit quelques titres parmi les classiques de la
littérature sur le mythe du loup-garou que Reuben, soucieux de
comprendre ce qu'il est devenu, consulte. Lectures que le lecteur
pourra, si le cœur lui en dit d'approfondir le thème, aborder lui
aussi :
L'archipel
du Chien de Philippe Claudel (éd.
Stock 2018) Voilà
un roman, ou faut-il dire un conte moral, narré de façon
impersonnelle, rapide, qui ne s'embarrasse pas de fioritures, de
dissections de sentiments. Un roman prenant qui dénonce, culpabilise.
Le ton est annoncé d'entrée dans le premier chapitre, avec le Je
du narrateur et le Vous, de vous et moi, qui pourraient, qui sont
quelque part, les personnages. Ceux qui refusent de voir. Ensuite le
narrateur s'efface, n'est plus que la voix qui narre. L'histoire
est dite au passé, comme un conte on l'a dit. En phrases courtes.
Incisives. Efficaces. Une île dans l'Archipel du Chien. Trois cadavres
retrouvés échoués sur la plage. Seuls quelques-uns sont au courant :
la Vieille (ancienne institutrice) qui les a trouvés avec Amérique (célibataire
un peu vigneron, homme à tout faire) et le Spadon (qui travaille pour
le maire), le Maire, le Curé, l'Instituteur, le Docteur. Des
cadavres de noirs. Venus d'où? Comment? On ne veut pas le savoir. On
les fait disparaître. Un projet immobilier de Thermes, de grande
importance pour l'île, prime. Seul l'instituteur cherche. Mal lui en
prendra. Un commissaire étrange, mais en est-ce bien un?, débarque. Sème
l'inquiétude avec des photos satellite aux détails précis. Nouveau Dieu qui voit tout? Prises
lors de la découverte des corps. De migrants. Une fillette déclare
avoir été violée. Mensonge sur commande. Et le volcan de île, le Brau,
ponctue l'enchaînement des faits de ses grondements de plus en plus
rapprochés. Colère? Et une odeur nauséabonde s'insinue partout et grandit.
Putride. Au
trente et unième et dernier chapitre, le narrateur reprend sa voix,
reprend son Je, l'histoire presque terminée, quand du temps a
passé. Quelque part il dit : Ovide a écrit que le temps détruit
les choses, mais il s'est trompé. Seuls les hommes détruisent les
choses, et détruisent les hommes, et détruisent le monde des hommes.
Le temps les regarde faire et défaire. Il coule indifférent comme la
lave a coulé du cratère du Brau un soir de mars, pour napper
de noir l'ïle et en chasser les derniers vivants.(...) Il fallait bien,
d'une façon ou d'une autre, qu'il y ait une punition. À
lire ! ce qui ne nous en rendra pourtant pas moins coupables.
par
Odile Gardaire :
Je partage ton avis sur L'archipel du chien : la question
"à leur place qu'aurais-je fait ? " se pose dans
beaucoup de circonstances, il est facile de condamner / de choisir le bon
camp ...
à postériori....
La
meute, de Thomas Bronnec
( éd. Les Arènes 2019) J'ai
sorti La meute de la bibliothèque municipale. Fiction de Thomas
Bronnec sur les dessous de la vie politique, il fait suite à En pays
conquis
(dont les comédiens avaient mis en scène
au petit théâtre de l'espace Frichet de Luxeuil un extrait lors
des Petites formes des petites fugues en novembre 2016). On y retrouve certains
personnages après un bond de quelques années. Nous sommes cette fois début 2020 après que
les Français aient voté pour le “Frexit” lors du référendum. Y
est narrée la lutte entre François Gabory et Claire Bontems qui était
sa secrétaire d'état lors de son premier mandat présidentiel. Tous
deux étant désireux, pour des raisons personnelles qui sont développées
dans le roman, de se présenter dans un an aux futures élections lorsque
Hélène Cassard, la présidente actuelle, se retirera. Fiction
bien sûr et construction intellectuelle. Outrée peut-être mais réaliste
et imaginée à partir d'éléments qui en rappelleront d'autres aux
lecteurs... Cette fois le roman tourne autour du féminisme, met le mâle
à mal. En politique la lutte droite gauche a volé en éclats pour être
remplacée par une lutte homme femme. L'auteur y met en évidence le rôle
de la presse, dénonce les réseaux sociaux manipulateurs, propagateurs
de rumeurs calomnieuses, les politiciens de nos jours dont la vie privée
est mise à nu, et aussi mise en scène... Bien
écrit, prenant à lire, avec des rebondissements, jusqu'à la fin on se
demande qui l'emportera... Petit
plus pour les lecteurs luxoviens, le clin d'œil fait par l'auteur dans les
premières pages lorsqu'il dépeint François Gabory commençant sa
deuxième campagne présidentielle dans notre France profonde, en
Franche-Comté et plus précisément en Haute-Saône dans la bonne
ville Luxeuil... où l'auteur puisa son inspiration lors de son bref
séjour d'un soir en 2016.
Pour
les inconditionnels du genre, voilà un honnête et sage petit roman, de
295 pages tout de même, qui fleure bon son terroir et procure un agréable
moment de lecture, il est écrit par un observateur attentif du monde
rural devenu romancier. L'histoire
se
passe dans un petit village retiré du Morvan, au fin fond de la
Bourgogne. Un village sans avenir où les autochtones pure souche préfèrent
envoyer leurs jeunes faire leur vie à la ville. Un village qui se
meurt. Un village où bientôt on devra fermer l'école faute d'un
nombre suffisant d'élèves. La
photo d'une trace de loup faite par le plus ancien du village avec le téléphone
portable que lui a offert son petit fils, puis des moutons retrouvés tués,
en faisant ressurgir les mythes et croyances qui sont attachés à cet
animal, seront le déclencheur de toute une histoire qui perturbe leur
petite vie tranquille, celle de ce roman. Roman qui en apprend beaucoup
au lecteur, en mettant les points sur les "i", sur le monde rural des
contrées reculées, où, encore aujourd'hui, il n'est pas facile de
faire évoluer certaines mentalités...
L'obstination
du perce-neige (Carnets
2012-2017),
de Françoise
Ascal
(éd. Al Manar
2020) avec des encres de Jérôme Vinçon Françoise
Ascal n'est ni auteur de roman ni auteur de nouvelles. Les textes
qu'elle nous donne habituellement à lire ne sont pas non plus des
essais. Même s'ils s'appliquent parfois à Bachelard, dans Un
rêve de verticalité,
ou à Colomban, dans la dernière partie de Variations-prairies,
c'est son ressenti personnel à propos d'eux qu'elle met en mots car elle
est avant tout poète. Elle
tient depuis toujours ou presque des carnets personnels. Qu'elle écrit pour
elle seule et qui ne sont pas destinés à être lus par
d'autres. Dans
L'obstination du perce-neige, Françoise
note l'intime de ses pensées lorsqu'elle se voit confrontée à la
maladie incurable. Obnubilée par cette maladie elle se questionne
: Suis-je coupable de quoi que ce soit pour que mon corps en soit
arrivé là ? puis au fil des examens médicaux, trouve des
réponses : Non, cela vient de plus loin que moi, cela a été
transmis par les ancêtres, c'est génétique... Et il faut vivre
avec... Elle évoque la douleur indicible... matière à longues
périodes de vide dans le suivi de ses écrits. Elle note comment peu à
peu elle s'habitue à vivre avec les dures contraintes des soins qui lui
mangent trois jours par semaine... À quoi elle emploie le reste du
temps, ce qu'elle lit, les expositions qu'elle visite, ce qu'elle peut
faire encore, admirer encore, le contentement qu'elle en ressent... Ce
que Françoise nous autorise ici à lire, est très personnel, mais
c'est à la fois le ressenti de chacun dans les périodes de maladie,
douloureuses, de vieillesse, de déclin, sans pourtant savoir l'exprimer
par des mots... Et l'on se sent au plus proche d'elle. C'est pourquoi ce
recueil est si facilement lisible. Je dis facilement, mais il est empreint
de la dureté de ce qui est à vivre, mais qui permet pourtant de vivre,
sans lâcher prise...
L'équilibre
du monde, de Rohinton Mistry
(éd. Albin
Michel 2001 ; Le livre de poche 2003) La
note de lecture sur ces Noces
indiennes
donne grandement envie de lire ce livre.
Noces
indiennes, de Sharon Maas (éd.
Flammarion 2002)
Avec ces Noces indiennes, l'écrivaine Sharon Maas —
née en Guyane britannique, nous raconte une belle histoire.
Celle du destin croisé de 3 personnes, dans 3 pays, au milieu de 3
peuples. Le texte est divisé en 3 "livres" :
Si le mariage arrangé, forcé,
est le thème principal de ce livre, ce dernier nous permet aussi
d'apprendre quelques rudiments d'histoire de l'Inde (l'occupation
britannique est plus que présente aujourd'hui encore dans ce pays, la
division de la population en castes, imperméable cloisonnement entre
les individus, demeure évidente, les préjugés racistes sont
perceptibles...).
Je me suis laissé embarquer dans ce roman où côté "décors"
rien ne manque, ni les couleurs, ni les odeurs, ni les bruits (il y a même
un clin d'oeil à Bollywood ! si, si ) "aux chenilles du monde entier et aux papillons qu'elles renferment", comment ne pas être touchée au cœur par cette image, à l'esprit par la perspective qu'elle ouvre ? Bonne lecture, bon envol !
Un
jour viendra couleur d’orange, de Grégoire Delacourt (éd.
Grasset 2020) C'est
l'histoire d'une famille dont le père, très
engagé dans le mouvement des Gilets jaunes (ça se passe en 2018), n’accepte pas de
ne pouvoir communiquer avec
son fils de 13 ans, autiste, qui vit dans son monde imaginaire guidé
par des couleurs. La mère, très douce,
le comprend et le protège. C’est l’histoire aussi d’un couple déchiré
dans le pays révolté. C’est très beau mais, et surtout, très humain.
J’ai tout aimé dans ce livre, alors j’ai commencé de lire On
ne voyait que le bonheur, du même auteur!
Le
voile noir suivi
de Je vous
écris, d'Anny Duperey (Éd.
du Seuil 2017)
Ce
long roman de quelques 622 pages est dédicacé par l'auteur : «Pour
Janet, une histoire d'amour». Y est mis en exergue cette
phrase de William Makepeace Thackeray : «... Quant
à cette petite demoiselle, le mieux que je puisse lui souhaiter, c'est
un peu d'infortune.» Histoire
d'amour en effet il y a, qui s'étend sur quelques quatre décennies d'éloignement,
soit jusqu'à ses soixante-seize ans, que met Marion, la quarantaine
passée, entre elle et Eddie O'Hare, son amant de seize ans. Ne se
remettant pas du décès accidentel de leurs deux garçons adolescents,
Marion abandonne en effet, maison, époux volage et leur fille Ruth âgée
de quatre ans, ainsi qu’Eddie. Elle n’emporte que les très
nombreuses photos de ses deux fils. Le
roman fait un saut brusque puisque l'on retrouve Ruth des années plus
tard. Elle est devenue écrivain elle aussi, pour une bonne part à
cause des photos : "Plus
tard devant l'échec de sa mémoire à lui ressusciter les photos des
disparus, elle se mit à inventer tous les instants captivants de leur
courte vie qu'elle avait manqué. La mort de Thomas et Timothy avant sa
naissance joua elle aussi un grand rôle dans sa vocation; des l'aube de
sa mémoire, il lui avait fallu les imaginer." Ce
roman, on l'a vu, donne aux photos une grande importance: Mais
l'importance de ce roman, c'est que John Irving y met en évidence les
différents processus qui mènent à l’écriture à travers plusieurs
types de romanciers personnifiés par quelques-uns de ses protagonistes
: Ce
qui est la façon pour l'auteur de tourmenter un peu son personnage à
qui dans son exergue il souhaitait "un
peu d'infortune". De
même il la tourmente par son veuvage précoce d'où vient le titre original
du roman : A
Widow For One Year. Car
Ruth est le personnage principal, même si ses histoires d’amour semblent
plus conventionnelles que celle d’Eddie et Marion. Bref
ce roman, qui fut comparé par Bruno Corty du Figaro « à
un manège de conte de fées (…) qui vous fait rêver et toujours
retomber sur vos pieds en douceur, avec juste une larme au coin de l’œil. »,
retient le lecteur. Il y a de l’humour, du suspens aussi, et une issue
optimiste.
Les
faits -
Autobiographie d'un romancier,
de Philip Roth
(1988, éd.
Gallimard 1990, traduits de l'anglais par Michel Waldberg) N'ayant
jamais rien lu de Philip Roth, le hasard et la programmation du Café
littéraire d'octobre 2020 sur le thème de l'écrivain dans son roman,
a voulu que je commence sa lecture par cet ouvrage dont le sous titre
indique: Autobiographie d'un romancier. Curieusement
dans cette œuvre,
Philip Roth fait précéder les chapitres qui relatent les faits
qui l'ont amené à devenir le romancier qu'il est, d'une lettre adressée
à Nathan Zuckerman (l'un de ses personnages dont on apprend qu'il est
son alter ego dans d'autres romans). Elle accompagne son manuscrit des Faits,
écrit prétendument en premier lieu pour lui-même à l'âge de
cinquante-cinq ans. Il lui demande s'il est publiable et s'il a le
moindre mérite. Puis clôt l'ouvrage de la réponse de ce dernier. Dans
les chapitres, il y en a cinq précédés d'un prologue, il se situe
dans sa famille, juive installée en Amérique, y développe sa relation
au père, parle de son enfance, de son adolescence Bien à l'abri
chez soi. Un chez soi de la petite classe moyenne qu'il ne quittera
qu'en 1951 — il est né en 1933— pour aller étudier à l'université
de Bucknell à Lewisburg. Enfin ! car il avait soif d'indépendance, de
liberté, notamment pour ses occupations du week-end après minuit...
qu'il voulait un peu plus libertines et érotiques et que son père, à
juste titre, confie-t-il, craignait. En
conclusion, je dirai qu'à part quelques pages parfois fastidieuses pour
le lecteur non averti sur l'accueil de ses textes, le développement et
la dissection de ses motivations, la plus grande partie des Faits,
consacrée à des événements qui l'ont façonné et notamment ses
relations avec les femmes, se lit comme un roman et que cette lecture
donne envie de lire ses autres œuvres.
Variations-prairie,
suivi de Mille
Etangs, Lettre à Adèle, Colomban, de Françoise Ascal
(éd. Tipaza
2020) Très
bel ouvrage sur beau papier dont les textes sont accompagnés de
dix reproductions de peintures pleine page de Pascal Geyre créées pour
cette édition. Ce
sont des pages de prose poétique qui se savourent lentement. Des pages
dans lesquelles l'auteure évoque le plateau des Mille-étangs en
Haute-Saône, lieu dont elle est toute imprégnée et qui l'a, dit-elle*,
façonnée. Plusieurs fois dans le recueil, elle emploie l'expression :
"mon corps poreux"... Il y a dans toutes les pages de
Françoise Ascal, l'influence sur le corps, du lieu, de la terre où il
retournera. "Humain, humus, humilité". Humus et
atmosphère qu'on retrouve dans les peintures de Pascal Geyre qui
ponctuent le recueil. Lequel
est constitué de quatre textes : Dualité
glissée dans bien des phrases, des contraires, des contrastes
indissociables qui frappent le lecteur au fil des phrases: Elle
cite Rainer Maria Rilke: "La mort est ce côté de la vie qui
n'est pas tourné vers nous". Glisse maintes allusions à la
mort : On
le voit, elle
est consciente du mal en nous : Elle
glisse des allusions à Nerval, à des peintres, aux jardins clos À
l'instar de la vie des hommes, de toute vie, de la sienne, les textes de
Françoise Ascal glissent lentement vers l'automne et l'hiver. Ils
rappellent au lecteur bien des visions personnelles... Pour peu qu'ils
soient dans l'âme un peu poètes, tous les amoureux contemplatifs des lieux auront à
cœur, je crois, de le lire.
Changer
l'eau des fleurs, de Valérie Perrin
(éd. Albin
Michel 2018) Il
y a l'histoire de Violette Trenet, Philippe Toussaint son époux et leur
fillette Léonine. Souvent
je me suis dit au cours de ma lecture: voilà une de ces histoires qu'on
lit facilement, une de ces histoires aux nombreux passages non dénués
d'intérêt et qui retiennent, mais qui ont un arrière goût lénifiant,
qui semblent écrites pour émouvoir le grand public avec de bons
sentiments. Une histoire qui semble construite, avec des passages qui
semblent parfois artificiels, qui semblent délibérément introduits
pour faire bien, plaire au lecteur qui se flattera d'y reconnaître
telle ou telle chanson, dans les paroles d'exergue souvent émouvantes
précédant chaque chapitres, ou tel ou tel film. Ainsi
l'histoire des amants, Irène et Gabriel, qui revient comme un
feuilleton alternant avec l'histoire de Violette, découverte dans le
journal intime de sa mère après son décès par son fils Julien. Ces
multiples histoires et celles que narrent à Violette les personnes qui
se rendent au cimetière qu'elle entretient, progressent en parallèles,
tressées. Chronologie et dates sont indiquées. Impossible au lecteur
de se perdre jusqu'au dénouement qu'il pressentait. Bref,
ce roman long de 664 pages, au style et vocabulaire simples, aux phrases
courtes, retient tout de même agréablement le lecteur. Cependant, même
si certains passages émeuvent et si l'ensemble est habilement monté,
il m'a semblé manquer de ce petit quelque chose qui lui donnerait un
caractère d'authenticité, qui le ferait ressentir viscéralement comme
vrai. Pas vraiment de pathos, un soupçon de cocasse, on n'y verse pas
de larmes de crocodile et j'ai senti tout au long n'être que dans une
fiction. Aussi, si ce roman a du succès auprès des lecteurs
actuellement ―
il
obtint en 2018, le prix des Maisons de la Presse ―,
peut-être avec le temps, tombera-t-il dans l'oubli?
L'archipel
d'une autre vie, d'Andreï Makine
(Éd. du
Seuil, 2016) Roman
gigogne, L'archipel d'une autre vie nous entraîne en Sibérie
extrême-orientale, où un adolescent, venu y effectuer un stage de géodésie
dans les années 70, va rencontrer Pavel Gartsev et écouter son
histoire. L'histoire d'une vie bouleversée par la poursuite dans la taïga,
avec quelques autres militaires russes, d'un prisonnier évadé du
Goulag, en 1952. La date importe : déclinait alors le régime stalinien
avant la mort du dictateur en 53, menaçait un troisième conflit
mondial du fait de l'opposition URSS/USA dans la guerre de Corée. Il
faut patienter une centaine de pages pour que le récit, d'abord lent,
presque ennuyeux dans ses détours avant que commence la traque, prenne
son rythme et vous emporte. Roman
d'aventures, quête métaphysique (souvent présente chez Andreï Makine),
critique politique et de la nature humaine, hymne à cette forêt
immense et dense dont il fallait, pour la véracité de la poursuite, la
connaissance intime qu'en a l'auteur d'avoir passé son enfance en Sibérie,
ce livre est inspiré d'une histoire vraie, Andreï Makine ayant bel et
bien, à l'âge de 14 ans, croisé le chemin de Pavel. L'auteur
exprime dans ces pages son rêve de voir enfin les Hommes penser, se
conduire, consommer autrement, dans le respect premier de la Nature d'où
découlent tous les autres.
«Marcher» dans la taïga est une façon de parler. En réalité,
on doit s'y mouvoir avec la souplesse d'un nageur. Celui qui voudrait
foncer, casser, forcer un passage s'épuise vite, trahit sa présence et
finit par haïr ces vagues de branches, de brande, de broussailles qui déferlent
sur lui. L'homme à capuche le savait...
Les
heures souterraines, de Delphine de Vigan
(Éd.
Jean-Claude Lattès, 2009) Un
livre sur le monde du travail, explorant parallèlement la mise à l'écart
progressive par son chef, de Mathilde, une cadre d'entreprise
parisienne, suite à une seule réflexion malvenue parmi des années de
bons et loyaux services, et la vie d'un médecin itinérant dans la
capitale, Thibault, accaparé par son métier, s'interrogeant sur un
amour à sens unique, côtoyant les petits maux comme la plus grande misère.
Roman qui met aussi en avant la solitude des êtres, notamment dans les
grandes villes . Souterraines
sont les heures passées quotidiennement dans le métro, le RER, un
bureau isolé ou à l'intérieur d'une voiture prise dans les
embouteillages pour Thibault ; souterraines sont les attaques contre
Mathilde ; souterraines encore, les blessures gardées secrètes ou les
heures vides de l'attente. S'il
se lit vite et colle à la réalité du travail et des mentalités, si
la montée de l'angoisse n'exclut pas l'espoir, manquent à ce roman un
style plus élaboré ainsi que des surprises, réflexions ou digressions
qui en auraient brisé la monotonie. Mais
la romancière voulait montrer la vie telle qu'elle est: routinière et
sans aucun cadeau tombé du ciel. Néanmoins, on imagine bien que Mathilde et Thibault vont se croiser. La première question est: quand? On attend. La deuxième : qu'adviendra-t-il de cette rencontre? Une amitié, une aventure, un amour, rien? Allez savoir!
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Street, de Fanny Hurst
(1931 - éd.
J'ai lu 1967, traduit de l'américain par Maurice Rémon) C'est un "Magnifique roman de la résignation, du sacrifice et de l'amour désintéressé de Ray Schmidt pour Walter Saxel", nous dit la quatrième de couverture. De l'amour qui lie dès leur première rencontre deux êtres que tout sépare — famille, fortune, rang social, religion, et qui ne s'éteindra qu'avec la vie. Mais c'est une femme de son milieu, celui de la bonne société juive de
la fin du XIXe
siècle de Cincinnati qu'épousera Walter, ne donnant à Ray, dont il
fera sa maîtresse, que le strict nécessaire, la maintenant dans une
relative pauvreté, alors qu'il fait vivre son épouse et ses enfants
dans l'opulence et le luxe.
Enfin, si le titre “Back street”, en français “ruelle”, traduit
bien celle qui reste en retrait, celle qui reste dans l'ombre, la médiocrité
et l'opprobre que fut Ray, et si beaucoup ne comprennent pas son
attitude et sa persévérance et eussent tourné les talons, la vie de
cette "chère vieille Ray" comme disait Walter est pourtant
exemplaire, elle est celle, universelle et intemporelle, des femmes qui se
sacrifient, ne vivent que pour l'unique et grand amour de leur vie dont
elles excusent et apprécient même les défauts.
La
guerre et la paix, de Léon Tolstoï (éd.
électronique janvier 2006 traduit par une Russe et par Henri Mongault
pour les chapitres philosophiques de l'épilogue) Roman
en trois volumineux tomes qui de 1805 à 1820 couvre la campagne de
Russie de Napoléon, suivis d'un long épilogue à caractère
principalement philosophique. Ecrit par un auteur russe, il nous en
donne, à nous Français, une toute autre vision. Parallèlement
au récit et à l'analyse psychologique dans le menu des tractations et
faits militaires et guerriers, des batailles, Tolstoï narre la vie, au
front et loin du front, de militaires de l'armée impériale russe et de
leurs proches. Leurs idéaux et leurs amours. Parce que "La
vie de l’homme est double : l’une, c’est la vie intime,
individuelle, d’autant plus indépendante que les intérêts en seront
plus élevés et plus abstraits ; l’autre, c’est la vie générale,
la vie dans la fourmilière humaine, qui l’entoure de ses lois et
l’oblige à s’y soumettre."
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