Le Café Littéraire luxovien /  Des lectures (12)
Table des lectures
Prix Marcel Aymé
Prix Chronos
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La chèvre des marais, de Vincent Bousrez (éd. FC culture et patrimoine 2024)
Lecture par Marie-Françoise:

La chèvre est présente dans les chansons et les légendes franc-comtoises. Vincent Bousrez qui s'est intéressé depuis son plus jeune âge à l'histoire de la Franche-Comté, sa nature, sa gastronomie, ses contes et légendes, son parler, nous donne ici à lire, non plus un roman historique, comme l’étaient les deux tomes de Les Loups des bois, ses premiers livres, mais une fiction policière élaborée à partir de la légende qui courait dans le pays du Saulnot: celle de la chèvre des marais.

Prenante dès la première page qui d’emblée retient l’attention du lecteur par le ton qu'emploie celui qu’on ne sait pas encore être le capitaine de police Peureux chargé de l’enquête sur la mort d'une jeune fille découverte la gorge tranchée dans les marais de Saulnot, lequel narre à la première personne son vécu au présent et ses pensées telles qu’elles lui viennent sans châtier son langage. Un langage qui décoiffe, par sa vitalité, sa verve aux accents et au vocabulaire plus ou moins argotique d’aujourd’hui, mêlé de termes typiquement franc-comtois utilisés peut-être encore de nos jours par quelques anciens des campagnes dont le lecteur devine le sens par le contexte. Ce qui ne le rebute pas, le lecteur, bien au contraire tant le langage parlé de ce capitaine anarchiste sur les bords, est fleuri, sans toutefois tomber dans la vulgarité, qui ne perd pas de temps en longues conjonctures psychologiques ou intellectuelles.

« On sort de la bicoque. Je regarde le ciel. Ça se peucit dangereusement. Avec un peu de chance, une rabasse viendra écourter notre visite en plein-air. En attendant, je fais contre mauvaise fortune bon cœur et suis les deux intellos dans les ruines. Et qu’ici je suis en train de retaper le mur ouest. Et que là je suis en train de trésir de vieux outils, restés sous terre depuis des siècles et que je vous montrerai à la fin de la visite. Et la Sémonin de s’esbaudir de chaque pan de muret et du travail « incroyable » réalisé par le maître des lieux. Tu parles! Un tas de cailloux! L’archéologue nous explique les tenants et les aboutissants historiques de sa propriété. J’ai beau m’en battre les roustons comme de ma première chemise, sa passion me le rend encore un peu plus sympathique. Enfin le tour du proprio s’achève. La prof est aux anges. »

Le capitaine Peureux en effet est assisté, contre son gré ce qui le fait souvent pester, d’Alice Sémonin, professeur chercheuse en anthropologie sociale qui fait sa thèse sur les racontottes, et qui de suite voit une analogie entre ce meurtre et les légendes ancestrales, certains protagonistes ayant tôt fait d’en accuser le fantôme de la chèvre des marais…

Bref, c’est un roman policier de terroir, récréatif, qu’on lit d’une traite, un excellent dérivatif aux ouvrages qui se veulent plus sérieux. Bien mené et bien écrit dans ce style parlé qui ne manque pas d’humour, l’auteur, par le biais de ses personnages y dénonce au passage les problèmes de société, les travers et dérives politiques d’aujourd’hui. Et si, comme il se doit le criminel est démasqué arrêté et incarcéré, la fin reste ouverte qui, aux yeux du lecteur appelle une suite que l’auteur envisage peut-être d’écrire? À moins que le lecteur ne doive se contenter d’une explication fantastique qui rejoint la légende?

 

Professeur Unrat (L'Ange Bleu) de Heinrich Mann
lecture par Hildegard Thorand :

Heinrich Mann est un écrivain allemand né à Lübeck en 1871 et mort en 1950 à Santa Monica en Californie. Il est le frère aîné de Thomas Mann (écrivain allemand, né à Lübeck en 1875, qui fut prix Nobel de littérature en 1929) et l'oncle de Klaus Mann (écrivain allemand, naturalisé tchèque puis américain, né le 18 novembre 1906 à Munich et mort le 21 mai 1949 à Cannes).
       La famille Mann appartient à la haute bourgeoisie hanséatique décrite par Thomas dans Les Buddenbrook.

Heinrich Mann, outre ses romans et ses nouvelles, donne des essais, des pièces de théâtre et des traductions. À l'avènement d'Hitler, en 1933, son nom est sur la liste des écrivains interdits. Il se réfugie d'abord en Thécoslovaquie, puis s'installe à Paris, pour enfin gagner les États-Unis où il réside pendant toute la guerre à Santa Monica.
       Professeur Unrat ou l'Ange bleu, publié à Munich en 1905, est à coup sûr le plus célèbre de ses romans. Cette célébrité est due à deux adaptations cinématographiques – la première en 1930 avec Marlène Dietrich sous la direction de Joseph von Sternberg, la seconde réalisée en 1959 par Edward Dmytryk (né au Canada de parents ukrainiens).

Résumé :
       Le professeur Unrat est un tyran et  comme son nom était Raat, tout l'établissement l'appelait Unrat, "le fumier".
       La vie à l'école est pour lui un combat quotidien, ses élèves sont  ses ennemis qu'il faut combattre par tous les moyens.
       Unrat a un adversaire particulier à l'école en la personne du fils, âgé de 17 ans, du consul Lohmann. Un jour, il découvre que cet élève a écrit un "poème d'amour" à Mademoiselle Rosa Fröhlich. Il se met à la recherche de cette demoiselle et découvre qu'elle se produit en tant que "danseuse de beuglant" dans un lieu de divertissement : "L'ange bleu". Il va la voir et cette "artiste", courtisée par son élève, ne manque pas de faire son effet sur le professeur.
       Rosa charme le professeur qui est de plus en plus épris. Il exauce tous ses souhaits, des plats coûteux au restaurant, de nouveaux vêtements, un appartement meublé…
       Avec elle, Unrat, au soir de sa vie (à 57 ans!) découvre pour la première fois la passion, avec la violence et la même naïveté que ses élèves de seconde. Les tourments – propres à l'adolescence – siéent mal à un vieillard, c'est ce contraste qui rend Unrat insupportable à la société.
       Raat se soucie de moins en moins de ce que les gens pensent de lui. Il est renvoyé de l'enseignement et à un moment donné, prend la décision d'épouser Rosa. Après deux ans de mariage avec elle, il est financièrement ruiné.
       Finalement, Lohmann entre à nouveau dans la vie de Raat. Rosa rencontre l'ancien élève en ville et l'invite dans son appartement. Là, Lohmann propose de payer toutes ses dettes et pose son portefeuille ouvert sur la table. Lorsque Rosa chante également son vieux poème de la rédaction de l'école, Raat, jaloux, se précipite de la pièce voisine et tente de lui serrer la gorge. Il saisit ensuite le portefeuille de Lohmann et se précipite dehors. Peu après, le couple Raat est arrêté.
       Interprétation :
       Ce qu'il cherche, c'est la justification de son nom ???

 

Le monde selon Garp, de John Irving (éd. Seuil 1980– Le Point 1998)
lecture par Marie-Françoise :

La quatrième de couverture nous annonce : "Jenny Fields ne veut pas d’homme dans sa vie, mais elle désire un enfant. Ainsi naît Garp. Il grandit dans un collège où sa mère est infirmière. Puis ils décident tous deux d’écrire, et Jenny devient une icône du féminisme. Garp, heureux mari et père, vit pourtant dans la peur: dans un univers dominé par les femmes, la violence des hommes n’est jamais loin… Un livre culte à l’imagination débridée, facétieuse satire de notre monde."

John Irving, dans ce long roman foisonnant de 648 pages que le lecteur ne lâche pas tant les péripéties, sont souvent hilarantes de l’avant conception de Garp puis de sa vie et celle de son entourage et des siens, "prend à bras le corps les problèmes de la violence, de la sexualité, de la famille, de la libération des femmes et compose un livre hilarant sur un monde fou" y ajoute l’édition du Point de 1998.

Quelles sont les nombreuses femmes qui jouent un rôle, plus ou moins important, dans la vie de Garp ?

— D’abord Jenny, sa mère, "énergique et coriace elle avait rarement besoin qu’on lui remonte le moral", et sera toujours là pour le guider et le sortir des mauvaises passes. Elle écrira un ouvrage à succès la propulsant icône du féministe malgré elle. Devenue riche, elle ouvrira un hôpital pour accueillir des jeunes femmes en détresse, et soigner des Ellen-jamesiennes.
       — Helen, fille du professeur de lutte de Garp au collège, intelligente et grande lectrice, elle assiste aux cours de lutte de son père, en lisant dans un coin. Pour elle, Garp a des "sentiments nobles". C’est pour elle qu’il commencera à écrire. Il l’épousera. Ils auront trois enfants: Duncan, Walt puis Jenny. Helen, souhaitant mener une vie professionnelle, enseignera l’anglais tandis que Garp écrira tout en tenant la maison, s’occupant des enfants et préparant les repas… rôle qui lui convient à merveille… Mais elle aura une liaison, qui lorsqu'elle y mettra fin,  aura des conséquences néfastes pour ses garçons.
      — Cushie Percy, fille délurée du proviseur du collège. Pour elle Garp est un bon copain. Pour elle Garp éprouve de la "concupiscence" et donc…
      — La dénommée "Pooh" Percy, sœur cadette de Cushie, elle resta dans ses langes jusqu’à plus de dix ans, pas tout à fait nette, son rôle sera néfaste pour Garp…

      — Maggi, la mère de Cushie et de Pooh, admirative de son époux le proviseur, est peut-être la femme qui possède le moins de caractère personnel de cette histoire.

      — Charlotte, une prostituée, belle mais déjà âgée, que fréquentée un temps par Garp.

      — Cindy, la baby-sitters de Duncan, le fils de Garp, puis d’autres baby-sitters… pour assouvir sa "concupiscence"…

      — La fillette nue dans le parc dont Garp découvrira et rattrapera le violeur… ce qui fera de Garp une célébrité. Bien avant qu’il le devienne par ses écrits.

      — Mrs Ralph, la mère de l’ami de Duncan. Elle dira beaucoup plus tard que Garp "était doté d’une grande séduction et qu’elle a toujours déploré mais respecté qu’elle ne se soit pas matérialisée à son profit"…

      — Roberta, transgenre, anciennement excellent joueur d’une équipe célèbre de football sous le nom de Robert Muldoon. Accueillie à l’hôpital de Jenny après son opération, elle deviendra son amie, celle Garp et le soutien de tous le membres de la famille, jusqu’à la fin. Et dirigera avec énergie la fondation Jenny Fields créé après l’assassinat de Jenny.

      — Mrs Hope Standish, héroïne du roman écrit par Garp intitulé Le monde selon Bensenhaver, dans le premier chapitre elle y est kidnappée, et tue son violeur en pleine action…

      — Alice et son époux seront grands amis du couple Garp, et un temps, sources de d’amours croisés… ce qui ne brisera pas les ménages. Garp aime Helen, Helen aime Garp… quoi qu’il(s) fasse(ent).

      — Jillsy, femme de ménage chez l’éditeur de Garp, n’aime pas lire. Mais l’éditeur lui donne à lire les manuscrits. Si elle ne s’endort pas sur sa lecture et la poursuit assidûment, c’est qu’ils seront appréciés du grand public… Alors, il peut les publier, les affaires sont les affaires, même si lui ne serait pas de cet avis. Ainsi en fut-il de Le monde selon Bensenhaver

      — Ellen James, fillette de onze ans, violée puis mutilée pour qu’elle ne puisse parler et dénoncer son violeur. Elle n’apparaît que vers la fin du roman. Recueillie par Garp elle fera partie de la famille et se liera à Duncan, également handicapé au cours des péripéties du roman…

      — Les Ellen-jamesiennes, femmes peu ou prou détraquées, qui, pour protester contre la concupiscence et les agissements des hommes, et en réaction au viol, s’automutilent et sont à la source d’un mouvement qui se dit féministe mais que Garp n’approuvait pas, puis finalement Jenny non plus, qui pourtant accueillait et soignait ces femmes désormais muettes, qui ne pouvaient plus s’exprimer que par écrit.

Sans évoquer les personnages masculins, et sans dévoiler bien des phases du roman, "partiellement autobiographique", nous confie aussi la quatrième de couverture, voilà déjà de quoi en avoir un petit aperçu. Les événements et même les drames qui s’y passent sont narrés souvent de façon à les rendre drôles, ils sont cependant graves, mais toujours surmontés grâce à l’énergie des personnages… 
       Le fond et les thèmes du roman sont sérieux, de John Irving qui y expose également les problèmes propres à tout écrivain et fait dire à son personnage: «Le romancier est un médecin qui ne s’occuperait que des incurables… et nous sommes tous des incurables.» Donc, à lire, on ne s’y ennuie pas…

 

 

Connemara, de Nicolas Mathieu (éd. Actes Sud 2022
lecture par Roberte :
 

Christophe et Hélène ont eu, dans leur adolescence un petit «crush». On les retrouve à la quarantaine.
       
Si Christophe est resté au pays, la Lorraine, qu’il parcourt comme voyageur de commerce, attaché à sa vie rurale et au hockey sur glace qu’il a pratiqué longtemps dans sa jeunesse, il est séparé de sa femme et a un fils et un vieux père.
        Hélène, après de brillantes études et un séjour dans la capitale est revenue à Nancy où elle exerce ses talents dans un cabinet de consulting. Elle est mariée et a deux filles.

        Ils se retrouvent dans une relation parfois difficile comme pour un nouveau départ. Nicolas Mathieu analyse au scalpel cet amour renaissant, le monde du travail, la vie de province, les relations sociales avec l’art de pointer les détails qui font mouche. En quelques mots, selon le bandeau qui accompagne le livre : Un grand roman sur l’amour, le temps qui passe et la France d’aujourd’hui.

        Quant à savoir pourquoi le roman s’intitule Connemara, c’est parce que leur histoire se déroule en 2017, à la veille d'une élection présidentielle dans une France rythmée par les “Lacs du Connemara”, chanson de Michel Sardou qu’ils écoutent souvent.

 

Fantastique histoire d’amour, de Sophie Divry (éd. du Seuil 2024)
lecture par Roberte Burghard :

Un roman riche parce qu’il est à la fois une histoire d’amour, mais aussi un thriller et un polar.

Trois « personnages » animent ce livre.
        Bastien, la quarantaine, désabusé après une rupture amoureuse, catholique vaguement pratiquant et qui se réfugie dans l’alcool.

        Maïa, trentenaire, journaliste scientifique qui vient de se faire licencier, joggeuse et amie des oiseaux. À la recherche d’un article qui lui fera une bonne pige.

        Le monstre : la compacteuse d’une usine de traitement du plastique. Elle exerce sur ceux qui l’approchent de près une irrésistible attirance.

On vient de découvrir une victime: un ouvrier broyé par la machine.
        Bastien et Maïa sont amenés à s’intéresser à cet « accident » qui se révèle être un homicide. C’est dans le rôle d’inspecteur du travail de Bastien. Et Maïa intervient pour seconder sa tante chercheuse au CERN à Genève qui veut récupérer des cristaux dans la machine.

Beaucoup de péripéties bien sûr. Mais aussi une occasion de montrer des aspects de notre société: monde du journalisme, de la recherche, du travail et d’étudier les relations humaines. Intéressant!

 

 

La chute des géants, de Ken Follett (éd. Robert Laffont 2010)
lecture par Marie-Françoise :

Le roman retrace le lent cheminement de l’imbroglio diplomatique après la dépêche d’Ems qui a servi de prétexte pour engager la guerre franco-allemande de 1870.

Ce, depuis le vécu et les aspirations profondément humaines de membres de cinq familles des pays qui se retrouvèrent en guerre, involontairement pour beaucoup: Anglais et Écossais, Américains, Allemands et Autrichiens, Russes, Gallois. Cinq familles qui chacune aurait pu faire l'objet d'un roman séparé, mais dont les personnages attachants, de toutes catégories sociales et même de milieux diplomatiques,  vont se croiser, nouer des liens d’amour et d’amitié mais se retrouveront face à face dans des camps opposés… malgré eux qui ne voulaient pas la guerre et ont pour certains tout fait pour qu’elle n’éclate pas, éviter les millions de morts engendrés.
        « Je ne dis pas que l’Allemagne est innocente! Protesta Maud. Je dis qu’aucun pays ne l’est! Je dis que ce n’est pas pour préserver la stabilité de l’Europe que nous nous battons, pas pour que justice soit rendue aux Belges ni pour punir le militarisme allemand. Nous nous battons parce que nous sommes trop orgueilleux pour reconnaître que nous nous sommes trompés! »  

Nous sommes aussi au début des mouvements féministes, les femmes parmi les nombreux personnages retiennent particulièrement l’attention. Elles sont modernes, libres et féministes, deux sont journalistes et se battent pour que les femmes obtiennent le droit de vote, ne dépendent plus du bon vouloir et des lois dictées par les hommes, soient libre de se marier, ou pas, à leur guise, d’élever leur enfants, etc.
        La plupart des femmes qu’Ethel connaissait travaillaient douze heures par jour et s’occupaient, en plus, des enfants et de la maison. Sous-alimentées, harassées, logées dans des taudis et vêtues de haillons, elles trouvaient encore le courage de chanter’ de rire et d’aimer leurs enfants. Pour Ethel, chacune de ces femmes avait dix fois plus le droit de voter que n’importe quel homme.

Jeux politiques, trahisons, amours contrariés, rivalités et intrigues passionnent le lecteur et lui font découvrir les dessous de l’Histoire, tout au long des 995 pages de cette véritable épopée qui commence le 22 juin 1911 et se prolonge jusqu’aux mois de décembre 1923-janvier 1924.

 

 

Madelaine avant l’aube, de Sandrine Collette (éd. JCLattès août 2024)
lecture par Marie-Françoise :

On ne sait pas dans quel pays cela se passe, on ne sait pas à quelle époque cela se passe. On devine que c’était autrefois il y a très longtemps lorsqu’il y avait des paysans qui travaillaient la terre quasiment de leurs mains et des maîtres tout puissants à qui elle appartenait.

C’est un pays où l’existence est dure pour ceux- là qui travaillent. Où le manger n’est jamais assuré, la terre étant avare et le climat, de long gel ou de trop de pluie, le plus souvent néfaste, la récolte est maigre quand il y a, et qu’il faut partager avec le maître. Le maître qui a tous les droits, sur les paysans de ses terres, leurs filles et leurs femmes… C’est un pays où les paysans sont habitués à leur sort parce que c’est ainsi depuis toujours. Et pour qui l’essentiel est de continuer à vivre, et pour ce, de travailler, de s’épauler en famille pour faire rendre à la terre âpre ce qu’elle peut… seul moyen de passer outre aux deuils, seul moyen de manger.

C’est dans ce pays que Sandrine Collette fait évoluer son histoire. Une histoire dure avec des deuils et des drames. Une histoire haletante aussi, où apparaît Madelaine, fillette affamée sortie de la forêt et adoptée par une famille de ce pays reculé dit des Montées. Madelaine qui bouleversera leur vie. Madelaine la révoltée, la passionnée, la courageuse, qui n’accepte pas, elle, de se plier à ce sort injuste et se rebiffera.

C’est une histoire qui heurte notre quotidien de lecteurs nantis. De quoi osons nous nous plaindre? Car ceux d’avant nous menaient autrefois cette vie si dure, et il en existe de nos jours à nos portes et dans bien des pays pauvres ou en guerre qui sont contraints de la mener encore, cette vie de misère, pour continuer à vivre, pour être encore…

L’écriture en est très belle, vivante et narrée au temps présent, que l’autrice a longuement reprise, remaniée et retravaillée avant qu’elle ne soit éditée. Un roman qui met en avant les thèmes de la précarité de l’existence au lendemain jamais assuré, de l’injustice, de l’instinct de révolte, de l’instinct de survie et des liens familiaux garants de cette survie… du travail opiniâtre.

Une histoire qui nous fait réfléchir en nos temps d’incertitude, ou tout peut basculer d’un jour à l’autre. Peut-être l’histoire romancée de ses personnages éprouvés n’est-elle prétexte pour l’autrice qu’à nous rappeler les duretés de la vie, et du devoir de vivre, qu’on croit avoir gommées…

 

 

Des saisons adolescentes, de Sébastien Berlendis (éd. Actes Sud 2020)
lecture par Marie-Françoise

"C’est un après-midi de mai dans un lycée de la périphérie lyonnaise. (…) Je raconte l’histoire d’un garçon qui perd la mémoire. Bientôt il ne pourra garder qu’un seul souvenir, dernier souvenir qu’il peut néanmoins choisir. Je propose aux élèves de se mettre à la place du jeune garçon et d’écrire sur leurs plus beaux papiers le souvenir qu’ils souhaiteraient conserver."
        C’est à partir de cet exercice scolaire que l’auteur a élaboré ce recueil. De texte en texte il est difficile de donner un âge à ses élèves, certains semblent déjà bien mûrs. L’écriture est très maîtrisée, poétique, leur professeur, également écrivain ne s’est pas contenté de corriger leur premier jet.

"Deux années passeront, un soir de novembre j’ouvrirai la boîte cartonnée qui contient l’ensemble des textes. Je les lirai une deuxième fois, je rappellerai certains élèves, il sera temps d’écrire à mon tour."

Pour écrire ses propres textes, Sébastien Berlendis s’est donc nourri des idées de ses élèves, sans les leur voler puisqu’il les a rappelés et les remercie en fin d’ouvrage en citant leurs noms.  D’ailleurs les élèves le lui avaient en quelque sorte demandé : "Alors que ses camarades ont déjà quitté la salle, une élève traîne, s’approche du bureau et me demande d’écrire également."

De texte en texte, on trouve une écriture uniformisée à la première personne du présent, moulée dans le style de Sébastien Berlendis. Celle des élèves devait être bien moins travaillée, mais aurait peut-être par leurs variété et différence d'un élève à l'autre, intéressé le lecteur dans leur vérité première. Il faudrait pouvoir comparer leur premier jet avec ce que nous donne à lire ici Sébastien Berlendis. 

Des textes qui finalement évoquent tous les premiers émois, les premiers deuils, les vacances, des lieux qui paraissaient uniques et enchanteurs, la découverte que le présent devient passé, que l’écriture ou une photographie jaunie peut le figer ou l’éterniser… Tous thèmes chers à Sébastien Berlendis et qui rendent ses écrits emprunts de poétique nostalgie…

Ce travail sur les écrits des élèves fut sans doute enrichi de l’expérience de leur professeur, écrivain mais également photographe, et peut être parmi cet ensemble de textes s’y glisse-t-il un sien propre?
        Je pense en particulier à celui dont l’auteur initial, évoque la photographie de ses parents : 
        "Je pose les films sur la vitre de la chambre, je les éclaire violemment, j’espère une surprise, quelque chose qui m’ébranle. Je plisse les yeux, rien. Les films présentent un temps, des visages, des paysages où ma place et mon regard peuvent se projeter. Alors que je range les pellicules, mes doigts effleurent une photographie, la seule développée. Image en noir et blanc, papier, comme il se doit, jauni par les ans, deux personnes prennent la pose. Ma mère (…). Mon père (…) Le décor importe peu tant leur joie et la jeunesse de leur amour absorbent tout le reste."
       
Peut-être précurseur de
Lungomare, ouvrage de Sébastien Berlendis paru en 2024?  

 

Mrs Hemingway, de Naomi Wood ( éd. Quai Voltaire / La Table Ronde 2017 – folio 2023)
lecture par Adéla :

Connu comme homme à femmes et alcoolique, c’est la découverte de la vie privée de l’auteur célèbre connu pour : Pour qui sonne le glas, et  Le Vieil homme et la mer, à travers le vécu de ses quatre épouses successives: Hadley Richardson, Pauline Pfeiffer dite Fife, Martha Gellhorn et Mary Welsh qui lui restera dévouée jusqu’à ce que, rattrapé par ses démons et ses noires pensées, il se suicide.
        Un récit, prenant, de passions, de fêtes, de vie souvent à trois, de guerre et d’alcool, où l’auteure, Naomi Wood, s’attache après de nombreuses et sérieuses recherches à brosser l’histoire des Mrs Hemingway qui partagèrent la vie d'Hemingway, avec des aller et retour dans le temps, celui des débuts et celui des fins de passion, en y mêlant sans doute son ressenti personnel et peut être une part de fiction pour combler l’inconnu, rendre vrai, vivant et prenant son roman sur cet écrivain, journaliste correspondant de guerre, mais aussi pêcheur et chasseur, dont la vie fut érigée en mythe.

Ce roman de Naomi Wood nous donne un éclairage nouveau sur une autre œuvre posthume d'Hemingway, Le jardin d'Eden, qu'il serait bon de lire ou de relire dans la foulée, Michel Mohrt, le préfacier, y écrivait que ses détracteurs diraient que le romancier s'y parodiait lui-même... 

 

 

Lungomare, de Sébastien Berlendis (éd. Actes Sud 2024)
lecture par Marie-Françoise :

En Italie à Rocabianca, petite station balnéaire à quarante kilomètres plus à l’est de San Remo, l’auteur, Sébastien Berlendis attend Annabella. Ils passent leurs vacances entre l’hôtel Miramare, la plage, les escapades et visites de lieux magnifiques des environs, en lisant, écrivant, et lui, en photographiant paysages et personnages croisés…

En parallèle lui revient à l’esprit la jeunesse de ses parents lors de leur rencontre en 1971, à vingt ans, d’après les photos qu’il possède… et des moments de son enfance avec eux… Mêlé au fait qu’aujourd’hui sa mère souffre et répète « Quelque chose a été raté »… alors que les photos attestent du contraire…

D’une écriture sobre qu’on savoure comme une friandise toute de pudeur et de délicatesse, il décrit les paysages, les lieux italiens aux noms chantants, les impressions de son vécu… Mais d’une écriture empreinte d’une certaine mélancolie puisqu’on y sent le temps passer… Celui de ses vacances présentes qui vont bien sûr se terminer… Et celui d’un passé qui revient, celui évoqué par les photos anciennes de ses parents, jeunes et heureux, traversant celui de celles qu’il prend actuellement dans des lieux similaires, de même son écriture qui tente de figer en images les lieux et le temps en un éternel présent… Calque de sa jeunesse sur la leur?

 

 

Le dernier Néandertalien, de Ludovic Slimack (éd. Odile Jacob 2023)
lecture par Julie :

En 2015, après  vingt-cinq années de recherches archéologiques dans une petite grotte du Sud de la France, Ludovic Slimack se trouve confronté aux vestiges d'un corps. Des équipes scientifiques du monde entier se penchent sur cette découverte fondamentale. Ce corps pourrait bien être celui de l'un des derniers néanderlaliens, mais les résultats des analyses scientifiques les plus pointues déroutent les chercheurs.

C'est toute la démarche de l'archéologue qui se doit d'être précautionneuse et prendre des pincettes avant d'affirmer toute conclusion en confrontant ses  résultats à d'autres analyses les recoupant, ou non... à laquelle nous initie ici pas à pas Ludovic Slimack. 

Car pour être sûr qu'il s'agit bien d'un des derniers néandertaliens, il faut dater selon les méthodes différentes d'analyse moderne les dents, os, crâne ainsi que fragments et matériaux retrouvés dans cette grotte de la vallée du Rhône. Or les résultats de ces différentes analyses ne se recoupent pas. De plus, est-il sûr que ce néandertalien soit l'artisan ou le possesseur du silex pourtant trouvé à une trentaine de centimètres de sa main? Il peut avoir été placé là à une autre époque, on ne sait comment. Et quand je dis époque, cela peut se traduire en millénaires et dizaines de millénaires... 

L'auteur développe donc tout ce cheminement et les pensées qui le font passer de son intuition, de sa certitude archéologique primordiale, au doute, au questionnement, à imaginer diverses solutions possibles à vérifier, ainsi que ses échanges avec des chercheurs d'autres disciplines et d'autres lieux de fouille, afin de prouver que la créature découverte soit bien un homme de Néandertal qui aurait vécu bien après que l'on ait cru ceux-ci complètement disparus.

Son cheminement est scientifique, mais aussi philosophique quant à la disparition complète d'une espèce de la planète sans qu'on sache les détails de cette disparition, le pourquoi ni le comment... L'auteur ne manque pas de mettre en parallèle cette disparition des néandertaliens qui se sont mis en retrait, ont cédé la place aux sapiens, avec les disparitions récentes de certaines civilisations devant de nouveaux venus plus aptes à évoluer. Au cerveau différent peut-être, aux modes de vie, aux façons de se regrouper pour s'en sortir, etc. Bref, d'espèces différentes capables d'actes abjects, ainsi peut-être qu'au paléolithique les Sapiens, qui ont éradiqué de la planète tous les autres humanoïdes...

Cette grave et triste question philosophique et existentielle est évoquée par Ludovic Slimack de manière de plus en plus lyrique au fur et à mesure qu'il approche de la fin de son livre. Puisqu'il s'agit aussi dans son ouvrage de tenter d'appréhender comment ces civilisations, ces néandertaliens sont morts, petit à petit et sans bruit... il y pose la question: "Est-ce ainsi que les hommes meurent?", miroir de celle d'Aragon: "Est-ce ainsi que les hommes vivent?"

L'on sait que Sapiens et Néandertal ont pu se mélanger et se sont métissés acquérant des gènes néandertaliens et ne retenant que les plus utiles d'entre eux. (De même d'ailleurs qu'avec les denisoviens, issus aussi de la même forme humaine ancestrale Homo heidelgergensis venue d'Afrique et répandue en Eurasie orientale, quand les néandertaliens se sont développés en Eurasie occidentale). Les paléogénéticiens estiment en 2024 que l'ensemble des génomes des eurasiens (=tout habitant de l'Eurasie, supercontinent formé par la réunion de l'Europe et de l'Asie) contient pas moins de 30% du génome néandertalien, ce qui est beaucoup. Alors, complètement disparu l'homme de Néandertal???

Bref, se lit avec intérêt cette enquête aux nombreux développements qui part de la démarche rigoureusement scientifique, passe au questionnement philosophique pour finir dans le quasi lyrisme...

PS. Dans la foulée on pourra lire, de Silvana Condemi et François Savatier, "L'énigme Denisova" paru en 2024, sur la branche d'H. heidelgergensis qui peupla l'Eurasie orientale. L'écriture en est différente qui s'en tient strictement aux découvertes, recoupements et faits avérés, sans trop aborder les méandres  de la démarche, de la pensée.

 

 

 

Dewey, de Vicki Myron (avec la collaboration de Bret Witter pour l'écriture) (éd. Jean-claude Gawsewitch 2008)
lecture par Marie-Françoise

Dewey, c'est le nom de l'inventeur d'un système de classification des livres dans les bibliothèques. C'est aussi le nom donné au héros de ce livre : un chat. Pourquoi?
        Parce que, chaton frigorifié découvert dans la boîte aux lettres de la bibliothèque municipale de la ville de Spencer (dans l'Iowa, au centre des États-unis d'Amérique) où travaille Vicki Myron, elle l'a réchauffé et qu'avec ses collègues elles ont décidé de l'adopter. Qu'ainsi il est devenu chat de bibliothèque.
        D'une lecture facile et agréable, c'est donc l'histoire de son adaptation immédiate, de sa détestation de la solitude, de son charme, de son comportement exemplaire avec les lecteurs de tous âges, qui est narrée ici. Ainsi que ses facéties de chat devenu roi de la bibliothèque, son domaine. Vicki raconte comment Dewey, aimé de tous, en est devenu l'emblème ainsi que celle de la ville et une célébrité dans toute l'Amérique et le monde entier.
        En effet, Dewey, pas sauvage de caractère et allant vers les gens, s'installe sur leurs genoux sans dédaigner personne et attire du monde à la bibliothèque. Il est une aide et un soutient moral pour beaucoup, il aide à la socialisation du personnel et des usagers de la bibliothèque et bien au delà.

Mais, en parallèle à l'histoire de Dewey, qui vécut dix neuf années de 1988 à 2006, où forcément Vicki dévoile des pans de la sienne, c'est aussi l'histoire de la petite ville américaine typique de Spencer au nord-ouest de l'Iowa que nous apprend l'auteure. Sa situation géographique, son climat, ses origines historiques, les premiers colons qui s'installèrent dans cette ville qui n'existait que sur le papier, ses problèmes, sa crise agricole, l'incendie qui la ravagea, sa crise financière, etc. Comment la ville résista à tout et peu à peu se développa sur cette plaine où il fallait constamment être en mouvement, se moderniser et grandir. Et le rôle que, d'après Vicki, Dewey joua auprès de ses habitants, bonnes gens du Midwest, solides et travailleurs, fiers mais modestes.

Bref, ce récit, documentaire par certains côtés, sur l'Iowa, la vie des chats, leur vieillissement inéluctable et le chagrin assuré puisque l'on sait bien en adoptant un animal qu'il vivra bien moins longtemps que soi... est surtout un livre sur le bonheur que procure un animal domestique et réciproquement sur celui qu'on lui procure en lui assurant une vie heureuse. 
        C'est un livre écrit pour l'amour de Dewey. Âmes sensibles, préparez vos mouchoirs !

 

L'homme qui voulait vivre sa vie, de Douglas Kennedy (éd. Belfond 1998 - Pocket 2204)
lecture par Marie-Françoise

Je ne sais trop pourquoi la bibliothécaire m'a proposé ce livre lorsque je lui demandais des romans sur le thème des vacances, plaisants de préférence. Peut-être parce que le mot "vacances" implique une sorte d'évasion de la vie routinière. Peut-être aussi parce qu'il est souvent associé à "voyage".

Il est en effet dans ce roman beaucoup question de voyage. Du moins, de longue errance sur les autoroutes des divers états d'Amérique du nord qui conduisent de New York City au Montana, Ben, le narrateur, photographe dans l'âme mais devenu, par suite des nécessités et des bonnes opportunités de sa vie, avocat envié dans un grand cabinet de Wall Street.

Ben nous conte comment, suite à ses déboires conjugaux et à une crise de violence meurtrière, il a été amené brutalement à changer d'identité, à quitter sa vie d'opulence aisée, à quitter la mort dans l'âme ses deux enfants en bas âge, sans se dénoncer à la police pour que ceux-ci le croient mort plutôt que d'avoir un père en prison, un père meurtrier.
        Pour fuir là où personne ne le reconnaîtrait, en adoptant l'identité de sa victime, un photographe sans renom, et renaître dans le mensonge à une nouvelle vie. Dans laquelle il s'adonne bien sûr à sa passion: la photographie. Jusqu'à ce que ses clichés apportent la célébrité au nouvel homme qu'il est devenu, et avec elle à nouveau l'angoisse d'être reconnu et l'envie de fuir, de changer de vie...

Sans abandonner la photographie, jamais. L'œil derrière l'objectif permettant de séparer l'homme qu'il est du monde qui l'environne...
        Car si ce roman est effectivement narré de façon plaisante et prenante, il est aussi prétexte à réflexions sur l'acte photographique et porte à l'acuité du lecteur des évidences existentielles:

"Tant d'objets, tant de choses minutieusement réunies dans un lieu clos. C'était merveilleux, étonnant. Étonnant de constater que la vie n'est qu'une longue suite d'accumulations, la recherche permanente de moyens de combler l'espace, d'occuper le temps. Tout cela au nom du confort matériel, certes, mais surtout pour ne pas avoir à reconnaître qu'on ne fait que passer sur cette terre, qu'on la quittera bientôt sans autre bien que les habits dont sera vêtu notre cadavre. Amasser dans la seule intention de tromper le sort commun qu'est l'engloutissement à venir dans l'inconnu, de s'inventer un semblant de permanence, de croire à la solidité de ce que l'on a bâti. Mais, un jour ou l'autre, la porte claque derrière soi, quoi qu'on y fasse. et à ce moment, il faut tout abandonner."

L'angoisse de la perte, tu ne sais absolument pas ce que c'est, hein?»... «Ça te conduit à penser que tout est fragile, que tout n'a qu'un temps. Tu finis par douter du bonheur, douter que cela puisse exister. Et chaque fois qu'il t'arrive quelque chose de bien dans ta vie, tu sais que ça ne restera pas, qu'on va te le reprendre à un moment ou à un autre...»"

Même si les lectrices féministes objecteront que dans ce véritable thriller non dénué d'humour et qu'on ne lâche pas, le récit des dissensions du couple Ben et de son épouse Beth, est fait uniquement du point de vue du narrateur masculin, lequel la fait passer aux yeux du lecteur pour une véritable mégère et lui donne tous les torts, sans nuancer... Ben est sympathique aux yeux du lecteur lequel considère son crime comme accidentel et involontaire et est ravi de suivre comment de part sa profession le narrateur qui connaît toutes les ficelles financières, administratives et judiciaires, saura en jouer et ne se laissera pas sombrer... 
        Bref, c'est la vaste comédie de sa vie qu'il nous narre en tant que Ben, puis Gari, puis Andy, lui qui veut vivre une vie différente de celle que la société lui impose.

Finalement ce roman amène à poser cette question: Qui d'entre nous, lecteur,lectrice, n'a eu un jour, à un moment particulier de sa vie, le désir de s'échapper, ne s'est dit: «En ce moment précis, si je voulais, je continuerai ma route seul(e), pour un moment ou pour toujours... J'en ai la possibilité matérielle, il suffirait d'oser...» Certains passent à l'acte et d'autres pas...
        Est-il inscrit dans nos gènes immémoriaux, ce désir d'errance? De ne pas se fixer? De ne pas se laisser engluer? Ce désir d'ailleurs? De vivre une autre, des autres, vie(s)? De s'abstraire du passé?
 

 

 

L’île des rêves, de Hino Keizo  (éd. Kodanska au Japon 1985 - éd. Philippe Picquier 2012 traduction Jean-Jacques Tschudin)
lecture par Sonia Dedier :

Le personnage principal se nomme Sakaï Shôzô et l’histoire se situe à Tôkyô. L’île des rêves n’est rien d’autre qu’un immense terrain vague situé dans la Baie de Tôkyô.

Mr Sakaï, employé dans une société de construction, est fasciné par les grandes tours, les gratte-ciel modernes et il assouvit sa passion de l’architecture en se promenant chaque dimanche dans les rues de Tôkyô.
       Mais un dimanche, il arrive au cours de ses promenades vers un terrain vague, immense, recouvert d’immondices et d’ordures ménagères rejetés par la ville. Il ne comprend pas comment une décharge d’ordures peut dégager une telle fascinante beauté. Et il y retourne tous les dimanches.
       Mais un soir, il manque de se faire renverser par une moto conduite par une mystérieuse jeune femme, habillée en noir. Et depuis ce jour-là, il tente de retrouver sa trace en fréquentant régulièrement cette île artificielle et abandonnée. On le met alors en garde contre la mystérieuse femme, jugée dangereuse. Mr Sakaï est troublé par cette rencontre et la retrouve. Elle lui demande de la suivre pour explorer le nouveau monde qu’elle lui propose de découvrir. Ensemble ils vont explorer les terre-pleins, en canot pneumatique et arrivent au milieu d’une végétation luxuriante, un paysage mouvant.

       Sakaï peu à peu est attiré comme un aimant par cette femme à la moto, par ces étranges paysages comme échappés d’un rêve où se mêle la nature à la pollution. Il perd peu à peu pied avec la réalité et ce sera sa perte.

C’est un roman très particulier mais fascinant qui s’interroge sur la portée de notre vie actuelle sur l’environnement. C’est aussi une réflexion sur la ville et la place de l’homme dans l’habitat urbain.  

 

lecture par Marie-Françoise :

À noter que les lecteurs qui apprécient l'atmosphère de réalité étrange virant au fantastique dans laquelle baignent certains romans d'Haruki Murakami, la retrouveront ici. Narré à la troisième personne, au présent, en phrases courtes, l'écriture est belle, envoûtante, teintée d'un rien de poésie.

Ce roman dit, ― à cause de la densité sans cesse croissante de la population sur une surface réduite ―, la course à l'urbanisation, à la construction de cellules de béton, de gratte-ciels, et pour ce, à l'occupation des eaux de la baie de Tokyo par des terre-pleins artificiels obtenus par l'accumulation en strates alternées de terre et des propres déchets de la ville...
        "Il revit les détritus de toute sorte qui dégageaient chacun sa propre lumière; le jeu des forces qui, en continuant sans relâche à produire des déchets, donnaient naissance à de nouvelles terres; mais aussi, inversement, celui des forces qui, en créant les terre-pleins, décomposaient tout ce que produisait Tôkiô pour bientôt mettre la ville elle-même au rebut.
       Comme dans un rêve. Mais un rêve si profond qu'à son réveil tous les aspects du monde réel, lui-même inclus, apparaissaient à ses yeux comme des ombres fugaces. Un de ces rêves d'une profondeur infinie qu'on ne fait que quelques fois dans une vie.
"

Paru pour la première fois en 1985 au Japon, c'était donc un roman précurseur sur la vie qui se perd et renaît des déchets... Un roman qui met en évidence la place précaire de l'homme et ses multiples états dans le cycle sans cesse renouvelé du vivant à l'inerte, de l'inerte au vivant... Et la vision qu'il a, vertigineuse et terrifiante, de cette beauté, de cette force qui le dépasse.
        "Tout en se disant que les forces qui produisaient sans fin des ordures et des cadavres, puis les décomposaient en matière microscopique, étaient également celles qui donnaient tour à tour naissance à de nouvelles vies, Shözo enfermait sous terre, une à une, diverses images d'oiseau. Les détritus mettaient en lumière la vie des choses, comme les mannequins le faisaient pour les rêves des hommes..."

Enfin, le roman de Hino Keizo incite le lecteur à se documenter plus avant sur l'origine de la ville de ToKyo qui comporte actuellement plus de 14 millions d'habitants. 
        Tokyo, anciennement Edo... dont l'anse d'Hibida dès 1593 fut comblée avec les déblais du creusement des douves du château d'Edo, et de l'arasement de la colline de Kanda, l'énorme quantité de terre servit aussi à repousser le front de mer, créant les premiers polders. La ville de Tokyo conserve peu de son passé, ayant été détruite deux fois au XXème siècle. Ses quartiers "anciens" ne remontent pas plus loin que l'après-guerre. 
        Il est intéressant aussi de regarder sur le Net des images satellite 3D des lieux dont parle l'auteur. La baie de la Tokyo actuelle avec ses îles et diverses avancées aux contours rigoureusement rectilignes... Impressionnant !

 

Jours brûlants à Key West, de Brigitte Kernel (éd. Flammarion 2018)
lecture par Marie-Françoise :

Si, par le biais de la presse à sensation, le lecteur français connaît de grands traits de la vie et peut-être du caractère de Françoise Sagan : Le succès fulgurant de son premier roman Bonjour tristesse écrit à 18 ans, sa naissance dans une famille très aisée, son goût pour la vitesse et les voitures de sport, son accident, son addiction aux drogues, au jeu, sa mélancolie, ses réflexions matures derrière son allure décontractée. "Elle voulait la sève de l'existence, la paix, les distractions, elle décidait sans réfléchir de réaliser ce dont elle avait subitement envie, déléguait tout souci d'intendance", peut-on lire dans le roman de Brigitte Kernel.

Ce lecteur français connaît moins Tennessee Williams, l'auteur américain de Un tramway nommé Désir qui invita Françoise Sagan à séjourner chez lui au mois d'avril 1955 lors de sa tournée promotionnelle de Bonjour tristesse aux États-Unis. Ni Carson McCullers auteure de Le cœur est un chasseur solitaire, que Tennessee avait recueillie chez lui après un AVC qui l'avait laissée handicapée physiquement. Non plus que l'acteur Franck Merlo, à cette époque amant de Tennessee Williams qui y séjournait aussi.

Brigitte Kernel nous fait découvrir par le biais de Jours brûlants à Key West, en exergue duquel elle précise "Cette histoire vraie que j'ai inventée", leur caractère dépressif et leurs problèmes existentiels, leur addiction à l'écriture qui les fait tenir, les relations qui ont pu être les leurs durant le séjour de vacances de deux semaines de Françoise Sagan lors de ce caniculaire mois d'avril dans la maison du 1431 Duncan Street à Key West, à la suite duquel Franck Merlo quitta Tennessee, ou l'inverse...

Brigitte Kernel qui a lu leurs œuvres, visionné les films, s'est documentée sur eux, et s'inspire pour introduire certains événements dans son récit de phrases extraites de leurs romans qui s'appliquent à leur vie en ces jours qu'elle leur fait revivre.

Mais la construction est particulière puisque l'auteure elle-même est personnage de ce livre qu'en fait elle rédige pour et en lieu de Franck Merlo qui lui confie ses ressentis sur Françoise Sagan, sur Tennessee Williams, sur Carso McCullers, leur découverte, leurs attirances, leur séduction, leur charme, leur détestation, leurs retrouvailles... et ce à quoi ils passèrent leurs journées durant ces quinze jours de grande chaleur et de présence de la très jeune Françoise Sagan.

Brigitte Kernel c'est  "B.", sorte d'écrivain public, qui recueille et couche sur le papier les confidences et souvenirs de celui qui n'a pas le don de l'écriture. Ici donc, Franck Merlo. Ce, même s'il y a longtemps que tous les protagonistes sont morts (Franck Merlo en 1963, Carson McCullers en 1967 et Tennessee Williams en 1983) et que Brigitte Kernel ait écrit ce roman probablement peu avant l'année de sa parution, c'est à dire 2018. 
        Elle le fait comme si elle rencontrait vraiment Franck chaque jour huit ans après le fameux mois d'avril 1955, alors que, atteint d'un cancer il décline et perd peu à peu la mémoire. "B." ponctue son roman de lettres, imprimées en italiques adressées à son éditeur "G.", pour l'informer de l'avancée du livre et de l'état de santé de Franck, qui sur la fin décline rapidement... 
        Et le lecteur d'y croire... tant tout semble vrai. Tant "B.", ou Brigitte elle-même se prend de sympathie pour Franck, son personnage ayant réellement existé... Franck qui devient peu à peu le personnage principal du livre, occultant Tennessee, Carson et Françoise... au fur et à mesure qu'il craint de perdre ses souvenirs et pour cela veut qu'ils soient écrits afin de les relire et les apprendre... afin aussi que Françoise, Carson et Tennessee les lisent une fois paru..

Bref, c'est un habile, instructif, intéressant et beau récit, où alternent les échanges de Franck et "B.", et la mise en forme des  souvenirs rédigée  à partir de ses confidences. 
       Un roman qu'on a envie de prolonger en lisant les œuvres des autres auteurs si bien évoqués et en regardant les films réalisés à partir des romans de Tennessee dans lesquels jouait Franck...

 

Venise était un piège, de Michèle Larrère 
lecture par Marie-Françoise :

J'ai lu d'une traite, emportée par la verve jubilatoire des premières pages qui démarrent sur des chapeaux de roues ce roman qui nous transporte de Venise la Sérénissime italienne avec ses palais et œuvres d'art, ses canaux, ses lagunes et ses brumes, ses miasmes, son climat à la mauvaise saison, son carnaval et ses excès, sa vie trépidante envahie de touristes, à la Venise verte et calme du marais poitevin où règnent encore des idées désuètes et une morale conventionnelle.

Nourries et intéressantes sont les descriptions et les considérations historiques et actuelles sur Venise, comme si l'auteure luxovienne Michèle Larrère qui les décrit avec son franc parler, y avait vécu longuement. Du moins s'est-elle énormément documentée avant d'écrire ces pages qui nous en apprennent beaucoup sur cette ville et ses dessous, ville vitrine et lieu de prédilection pour des voyages de noces.

Le roman est qualifié par l'auteure de policier. Mais à part la commissaire au caractère trempé surnommée Furiosa, son chef hiérarchique de la sûreté nationale et l'inspecteur Pavani non loin de la retraite qui sont largement présentés avec leurs qualités, leurs défauts et leurs frustrations, de même qu'est largement narrée l'histoire des personnes soupçonnées du double crime qui a eu lieu au dernier jour du carnaval, les détours de l'enquête en elle-même sont bien minces. Et le criminel, dévoilé à la fin, surgit un peu comme un lapin du chapeau d'un prestidigitateur, ce qui ne se conforme pas vraiment à la dixième règle énoncée par S.S. Van Dine concernant les romans de ce genre.

Il n'empêche, Venise était un piège est un petit roman qui ne manque pas de piquant, où tout est bien qui finit bien, une heureuse distraction

 

 

La femme à la fenêtre, de A.J.Finn (éd. Les Presses de la Cité 2018)
lecture par Marie-Françoise

Elle est psychologue pour enfants. Elle vit recluse avec son chat "Punch", dans sa maison de Harlem, seul lieu où elle se sente en sécurité après qu'un grave traumatisme (on en découvrira peu à peu le pourquoi et le comment au fil du roman) l'ai rendue agoraphobe. 

Elle passe son temps à aider des gens à aller mieux sur un site en ligne sous le pseudo "votrepsyenligne" ; à jouer aux échecs sur Internet ; à se gaver d'anciens films en noir et blanc dont elle possède quantité de DVD  ; à boire du bon vin, du merlot, mais excessivement, ce qui ne fait pas forcément bon ménage avec les divers médicaments bêtabloquants qui lui sont prescrits et qu'elle ingurgite parfois à l'aveuglette, bien que de part son métier elle en sache les possibles effets secondaires néfastes, dont possiblement des hallucinations.
       "Quelle quantité d'alcool ai-je ingurgité exactement? Ah oui: deux bouteilles. Plus celle du déjeuner. Ca fait... Beaucoup de vin, je veux bien l'admettre.
       Quant aux médicaments... Ai-je pris la bonne dose ce matin? Ai-je seulement pris les bons cachets? Je deviens de plus en plus négligente depuis quelque temps, j'en ai bien conscience. Le Dr Fielding a raison de penser que mon état empire."

Elle occupe aussi son temps à observer ses divers voisins depuis ses fenêtres à  l'aide du "viseur de son Nikon D5500 équipé d'une lentille Opteka qui ne rate pas grand chose", ce qui l'amène à être témoin d'un crime: "Mais comment convaincre la police quand on doute soi-même de sa propre raison", nous dit la quatrième de couverture :

"Le locked-in syndrome, ou syndrome d'enfermement... Parmi les causes possibles: crise cardiaque, lésion du tronc cérébral, sclérose en plaque et même poison. En d'autres termes, il s'agit d'un état neurologique et non psychologique. Pourtant, je me retrouve littéralement enfermée derrière des portes verrouillées et des fenêtres closes, à fuir la lumière témoin impuissant de l'agression d'une femme de l'autre côté du parc. Personne d'autre n'a remarqué quoi que ce soit, personne n'est au courant. Je suis la seule à savoir. Moi, une femme bouffie par l'alcool, séparée de sa famille, qui s'envoie son locataire. Un monstre de foire pour les voisins. Une cinglée pour les flics. Un cas à part pour son psychiatre. Une source de pitié pour sa kiné. Une recluse. Certainement pas une héroïne, ni un limier.
       Je suis autant enfermée dans mon univers intérieur qu'exclue par le monde extérieur."

Elle, c'est la narratrice, Anna Fox. Ses seuls contacts sont son psychiatre, sa kiné, un locataire à qui elle loue son sous-sol depuis deux mois pour n'être pas tout à fait seule dans sa grande maison, mais aussi et surtout, Ed son époux et sa fille Olivia dont elle vit "séparée" mais avec qui elle dialogue.

Sans vouloir résumer ce roman, ou plutôt ce thriller à suspens paru en 2018 qui nous tient en haleine au long de ses  521 pages et dont la renommée n'est plus à faire puisqu'il a été traduit dans le monde entier et qu'en a été réalisé un film, je dirai simplement qu'Anna Fox, mêle à son récit, très vivant, elle s'exprime au présent, de nombreuses allusions à des situations de films en similitude avec les siennes et met en écho à ses propres pensées des répliques de héros de polars en noir et blanc à suspens pour la plupart, qu'elle regarde "pour s'apaiser"... et connaît par coeur pour les avoir vus, revus et les revoir encore.

En fait, dans ce roman, très hitchcockien, le premier A.J.Finn que l'on devine grand cinéphile, l'auteur réalise le tour de force de nous rappeler par le biais du personnage imaginaire d'Anna et de ses angoisses et paniques, les films dont elle évoque les titres tout au long , il n'y en a pas moins de 52,  une véritable anthologie, que le lecteur découvre à mesure avec l'envie de les voir ou revoir. Pour n'en citer au hasard que quelques-uns : 
       L'ombre d'un doute / L'homme qui en savait trop / Hantise / Meurtre en musique / Charade / Seule dans la nuit / Effets secondaires / La force des ténèbres / Vertigo / La corde / La mort aux trousses / Rebecca / Une femme disparaît / Les passagers de la nuit / Fenêtre sur cour / Sueurs froides / Piège à minuit / L'espion aux pattes de velours / etc.  

Question style, on apprécie particulièrement les dialogues d'Anna avec les autres protagonistes du roman, où l'écriture intercalée à la ligne et sans tiret de ses pensées intérieures en décalage avec ce qu'elle prononce, permet au lecteur de détecter sa vivacité d'esprit et ses éventuels mensonges.

 

 

Quand sort la recluse, de Fred Vargas (éd. Flammarion 2017 et J'ai lu 2018)
lecture par Marie-Françoise :

Excellent roman policier dans lequel le lecteur retrouve les personnages qui gravitent dans le sillage du commissaire Adamsberg, avec chacun son trait de caractère particulier: ses divers inspecteurs et lieutenants, son ami archéologue et évidemment le commandant Danglard qui ne sera pas d'accord avec le fait de mener l'enquête non officielle sur laquelle Adamsberg les oriente, ce qui, un temps, divisera la brigade.

Cette fois, ce qui préoccupe Adamsberg ce sont des morts apparemment naturelles, mais statistiquement trop nombreuses, de vieux, survenues suite à des morsures par araignée. Et pas par n'importe laquelle, par celle dite "recluse".

Le roman est sous-tendu par cette idée de réclusion que l'auteur explore sous toutes ses formes: celle de l'araignée qui se cache et dont le venin est mortel à forte dose ; celle de la femme qui à l'instar des recluses du moyen âge s'est volontairement faite enfermer dans un pigeonnier ; celle, contrainte, des séquestrées ; enfin, celle d'emprisonnement infligée par le législateur.*

Le roman est sous-tendu également par l'idée de l'éjection: celle du venin de l'araignée ; celle du sperme par éjaculation du violeur. Car s'il y eut déjà il y a plus de cinquante ans dans cette histoire, des "mordus" par venin de recluse, il y eut aussi d'anciennes séquestrées et violées, qui à présent se vengent des sévices subis à l'époque de leur jeunesse et dont ils/elles ont gardé traumatismes et séquelles.

Est donc menée, bien sûr à partir des "bulles gazeuses" ou "proto-pensées" du commissaire Adamsberg, une enquête prenante débouchant parfois sur de fausses pistes, des rebondissements sur les méfaits, anciens et récents, qui sont mis au jour, pour découvrir la, le ou les auteurs de ces meurtres presque parfaits par venin de recluses.

Bref, ce roman, bien écrit, est aussi très instructif de par son côté documentaire sans qu'il y paraisse, puisqu'il nous apprend, en même temps que leur façon de vivre, qu'existaient autrefois (et peut-être encore aujourd'hui), des recluses.  

*NB. Paru en 2017, soit avant les confinements pour causes du Covid19, cette sorte de réclusion par souci sanitaire ou par mise en quarantaine, qui n'aurait d'ailleurs pas été nécessaire dans le déroulement de ce roman, n'y est pas évoquée.

 

Vivre  vite, de Brigitte Giraud (éd. Flammarion 2022)
lecture par Sonia Dedier :

L'auteur tente vingt ans après, de faire un dernier point sur cet accident de moto qui a pris la vie de son jeune époux dont elle n'a jamais su la véritable cause.

Au fil des pages, elle va dresser une liste très longue de «Si» comme une litanie, qui l'a obsédée pendant des années.
       L'histoire étant qu'elle décida d'acheter une maison mais c'est elle qui fit le choix de celle-ci (elle rencontra d'ailleurs pas mal de difficultés à la trouver), son mari n'étant pas très convaincu de changer d'habitation d'où la culpabilité de Brigitte et son interrogation: «Et si on était restés dans l'appartement?»
       Vingt ans plus tard, Brigitte, l'auteur décide de vendre la maison, enfin. Elle y était restée seule avec son fils, pensant que cela la relierait à Claude, son mari.
       Au cours des chapitres, Brigitte Giraud ausculte un par un les hasards qui ont précédé la perte de son mari. Ce sont des scènes qu'elle retranscrit, empreintes de chagrin et d'incompréhension.

Beaucoup de questions s'imposent :
       Faut-il croire au destin? Est-ce que notre destin est déjà écrit?
       Ce sont nos choix qui façonnent notre destin.
       Quelle différence entre le destin et le hasard? Le hasard définit les événements ou circonstances qui peuvent survenir et qui peuvent être favorables ou non.

Un auteur psychothérapeute et auteur de l'ouvrage: Prendre en main son destin, transformer ses faiblesses en sagesse, nous éclaire sur ce qu'est selon lui «la destinée» et comment nos choix influent ou non, dessus.
       Il y a deux réalités : l'une subie et l'autre qui peut être choisie.
       C'est là toute la liberté qui nous est possible, à nous, êtres humains, de subir notre destin ou le choisir.

lire une deuxième note de lecture sur : Vivre vite

 

La recluse du Destel, de Martine Alix Coppier (éd. Presses de la Cité, collection Terres de France 2014)
lecture par Adéla : 

D'une écriture maîtrisée pour un roman du terroir, c'est un récit facile à lire, moral et "presque" sage, qui se termine dans l'émotion.

Mêlée d'accent provençaux, cette fiction qui se passe en effet en Provence est inspirée d'une ermite mystérieuse ayant réellement vécu autrefois dans ses contrées reculées mais dont on ne savait rien et dont parlaient les anciens aux veillées.

Nous sommes au début du XVIIIème siècle, dans la Varoise, à la Ciotat et à Marseille. Il y est question d'amour, de fautes d'une jeune femme recluse volontaire pour les expier dans une grotte reculée de la région où coule le Destel, non loin de la Sainte-Baume, où, selon la tradition, Marie Madeleine, arrivée en Gaule après avoir quitté la Béthanie pour faire pénitence d'avoir été prostituée, s'était elle-même retirée.

Le récit, émaillé de nombreux termes et expressions du vocabulaire provençal, est surtout prétexte à évoquer les paysages et la nature, l'Histoire, les légendes, les croyances et les us, les lieux, les constructions, les Bastides des riches, les bouges des pauvres, leurs vêtements et nourriture, leurs métiers dans le textile, on est au pays des mûriers et du ver à soie; dans la marine, la Méditerranée est proche; dans le travail du bois; de la terre...― , tels ils étaient à cette époque dans ces contrées bucoliques l'été, hostiles l'hiver pour une ermite.

Est narrée, bien sûr, par retour de mémoire, le scandale qui a amené l'héroïne, Marie Laugier, à se reclure et à vivre misérablement des produits de la nature sauvage et d'aumônes, et son histoire tragique, s'abandonnant aux aléas du hasard et à son destin.

L'intérêt de ce roman, qui a une petite allure d'écomusée n'est pas à négliger car l'auteure, Martine Alix Coppier, diplômée des Beaux-Arts et des Monuments Historiques et qui a également enseigné , aime recueillir la mémoire des anciens et de leurs coutumes pour les nouvelles générations et s'est spécialisée dans l'écriture de romans historiques, de biographies et de romans du terroir. Elle s'est assurément largement documentée sur le passé provençal et fait donc par le biais de ce roman, de plus en plus prenant au fil des pages, où les enseignements ethnologiques arrivent tout naturellement au détour des phrases sans guère importuner le lecteur, œuvre de transmission.

 

 

Face aux ombres, de Catherine Enjolet (éd. Phébus 2014)
lecture par Marie-Françoise :

Sur Ariane Lavnir pèse une lourde hérédité qu'elle ne soupçonnait pas ayant été confiée à droite et à gauche par sa mère qui ne s'est plus occupée d'elle dès le décès de son père. Mère qui ensuite a bien vite disparu de sa vie. Aussi ne sait-elle absolument rien de qui que ce soit de sa famille. Elle n'a gardé que quelques souvenirs de sa mère qui aimait chanter du temps de son enfance où on ne lui avait rien dit.
       À présent adulte et enceinte, elle emménage dans l'appartement d'un immeuble, dit neuf parce que sa façade a été réhabilitée, qu'elle a choisi par hasard au Quartier latin où elle a toujours rêvé d'habiter et où elle aime entendre la musique et les chansons du limonaire.
        Alors qu'encore dans les cartons, elle se retrouve en proie à des interrogations depuis qu'un couple en recherche d'un certain René ayant autrefois vécu à son adresse et porteur du même patronyme qu'elle, Lavnir, a sonné à sa porte. Et plus encore lorsque sa tante paternelle, Léna, se manifeste soudain dans sa vie d'adulte pour lui parler de son frère (le père d'Ariane), et lui apprendre qu'elle lui ressemble beaucoup."Son portrait tout craché" disait paraît-il la mère d'Ariane, et que cette tante reconnaît en l'une des personnes d'une photo qui se trouve accrochée au mur du couloir, "l'oncle René".
       À partir de là et de recherches initiées par sa tante, Ariane découvrira  de lourds secrets. Des souffrances non apaisées d'êtres décédés.
       Pour que son enfant naisse sans le poids traumatisant de ce lourd passé, elle décide de se faire accompagner par un psy. "Car si les chagrins affrontés se guérissent (...) Les souffrances héritées se cristallisent" et c'est elle qui en fait les frais.
       Les découvertes successives "Entre l'oncle pendu [René, qui ne serait pas le fils de son père] et l'aïeule morte en couches [Marie Chanson, grand-mère maternelle d'Ariane, dont Marie est le deuxième prénom!]" "Les branches paternelles et maternelles l'enserrent et l'étouffent" et les nombreuses coïncidences qui se révèlent peu à peu la plongent de plus en plus dans l'angoisse quant au rôle du hasard, du destin, entre non-dits mortifères et malédictions, quant à l'accouchement de son enfant parce que "Les signes s'accumulent, comme un verdict".
       Ce roman qui met en évidence les souffrances traumatiques trans-générationnelles,
― syndrome reconnu en psychiatrie ―, mêle au présent, dans une écriture contemporaine, sans dialogues, aux accents poétiques sans fioritures, en séquences, le travail d'Ariane, monteuse cinématographique, ses pensées sur l'élaboration de son projet de scénario qu'elle intitule L'ironie du sort, que sa propre situation inspire, aux recherches généalogiques de la tante Léna, à leur avancée, à celle de ses séances chez le psy et à l'évolution de sa grossesse, tandis que Pierre, qu'elle n'évoque qu'en disant "le père de mon enfant", Reporter photographe, est en déplacement.

 

 

Comme dans un film de Noël, d'Elliot P.Lewis
lecture par Marie-Françoise :

Nous avions déjà remarqué cet auteur en lisant  The Zephyr song - du lait et des cookies. Dans ce nouvel ouvrage de 115 pages, à nouveau publié à compte d'auteur, mais sans les restrictions évoquées dans le précédent, on retrouve les mêmes qualités d'écriture et cette façon d'avancer dans le récit qui ne lasse pas. 

Cette fois c'est un seul des personnages, Jill, qui s'exprime au présent. Un jeune, toujours, d'à peu près dix-sept ans, puisque, décidément l'auteur semble s'attacher à cette période charnière de la vie où les jeunes se cherchent.
       Dans le récit ils sont cinq, trois filles et deux garçons qui vont, sans adultes c'est la première fois, pour quelques jours passer la fête de Noël dans un chalet de montagne. La plus âgée, la plus mature, la s
œur de Jill a vingt-trois ans. 
       Jill espère bien que cette période,
cette parenthèse exempte de tout soucis , lui sera propice à déclarer son amour à l'élu de son cœur, son ami depuis toujours puisqu'ils se sont connus bébés... Mais les choses ne seront pas simples avec la présence des autres et les quiproquos...

C'est un récit de jeunes, qui ressemble à ces séries télé faites pour eux, légères et sans grands drames, plus léger donc que Du lait et des cookies, période et magie de Noël oblige. Agréable et facile à lire, sans qu'on se prenne la tête, on y suit les méandres des pensées de Jill, qui lui, se la prend, la tête, et se fait des films, imaginant différentes façons de se déclarer, de faire le premier pas...

 

 

L'ordre et le chaos, de Maud Tabachnik (éd. Albin Michel 2014)
lecture par Marie-Françoise :

Paru dans la collection "Spécial suspense", c'est un road movie un peu particulier puisque le lecteur s'y prend de sympathie à la fois pour l'auteur des crimes et pour les enquêteurs.

Ce, parce que la tueuse, Merryl, la quarantaine narre elle même son histoire à la première personne. Elle a mené jusque là avec sa mère sévère et claustratrice une vie d'obéissance, sans attrait et sans beaucoup de distractions, sans se mêler aux futilités inutiles du monde et travaillant dans la même société que qu'elle. Au décès de sa mère, si soudain qu'il pourrait être suspect, Merryl, désormais libre, réalise enfin son rêve: prendre la route à bord d'un camping-car. Malheureusement, le hasard la met en face de la brutalité des hommes. Et c'est pour en soustraire une fillette qu'elle effectuera son premier crime. Elle en commettra d'autres, toujours le hasard la mettant devant une situation qui la révulse, où elle se sent le devoir de tuer sans se sentir coupable et se sentant en légitime défense. Et le lecteur la comprend, l'excuse et souhaite qu'elle s'en sorte. Car évidemment ses crimes finiront par être reliés entre eux, d'autant que malgré sa prudence, elle commettra une faute... Elle sera recherchée dans toute l'Angleterre où se passe ce récit, même si au départ, devant la brutalité des crimes, on ne croyait pas qu'ils soient l'œuvre d'une femme. Même si, seule en camping car, voyageant dans des coins perdus en dehors de la saison touristique.

En face, l'inspecteur Milland, ancien excellent policier de Scotland Yard, dégradé et muté à Chester, la ville à ses yeux la plus ennuyeuse du comté de Cheshire , suite à une soi-disant bavure au cours de laquelle a été tué son ami et coéquipier, abandonné par suite par son épouse qui a demandé le divorce, ce qui l'a plongé dans la déprime. Bref, il n'est plus motivé par son boulot. Chargé de l'enquête dans ce commissariat d'habitude tranquille où les policiers n'ont pas l'habitude de faire du zèle, il choisit pour le seconder un jeunot fraîchement arrivé qui se révélera efficace. Et le lecteur de souhaiter que ces deux-là aboutissent dans leur enquête, dont le récit alterne à la troisième personne, à partir de la page 66, avec les chapitres où s'exprime la tueuse.

Le tout au présent, ce qui rend le récit très vivant. Et même si ce n'est pas de la grande littérature, le lecteur se laisse vite emporter par l'intrigue et d'une égale sympathie pour les deux clans... 

Il semble au lecteur, qu'arrivée à ce point du récit, l'auteure se soit trouvée dans une impasse. Car dès lors, comment faire avancer le roman? La tueuse doit être arrêtée, bien sûr, mais elle est sympathique au lecteur qui souhaite qu'elle s'en sorte. De même il faudrait que les policiers, dont Milland, qui a repris goût à la vie et à son métier, soient couronnés de succès, comme dans tout roman policier qui se respecte.
       C'est peut-être pour cela qu'à la page 286, le lecteur soudain ne comprend plus. Il y a basculement dans la folie. Merryl parle à une s
œur qu'elle aurait eue et qui serait revenue, qu'elle n'avait à aucun moment évoquée auparavant. Une sœur qui serait la coupable. Une sœur sur qui elle se décharge de ses crimes en quelque sorte.  Dédoublement de la personnalité, attitude paranoïaque, et comportement de plus en plus violent de Merryl lorsqu'elle se retrouve découverte, encerclée et acculée par les forces de l'ordre. À l'hallali.
       Tandis que Milland mis dans une situation similaire à celle de son manque de courage d'antan, cette fois, ne recule pas...

Le titre, L'ordre et le chaos, s'explique peut-être par ce début de roman logique et bien huilé où Merryl a un comportement apparemment raisonné, puis que survient tout d'un coup de façon totalement imprévisible ce basculement dans la folie et le chaos, même si l'on sentait que Merryl n'était pas psychologiquement bien nette dès le départ... Et cette fin, décevante pour le lecteur, bouclée en une trentaine de pages d'un roman qui en comporte 309.

 

 

 

La fête de l'insignifiance, de Milan Kundera (éd. Gallimard 2014)
       lecture par Marie-Françoise :

Écrire un roman où aucun mot ne serait sérieux, c'est ce qu'a voulu faire ici Milan Kundera. Est-ce à dire pour cela que ce roman est insignifiant? Non, car si sa trame en elle-même semble l'être, il est prétexte, par les réflexions philosophiques des personnages agrémentées d'une dose de non-sérieux, à mettre en lumière les problèmes les plus sérieux de la réalité de notre monde.

Il y a Alain qui se questionne sur le sexe des anges, sur le nombril et l'arbre d'Ève, cette généalogie issue de la toute première femme, celle sans nombril, à l'origine de l'humanité...
       Il y a Ramon, observateur, qui renonce à visiter l'exposition Chagall devant la queue et l'affluence de la foule qui s'y presse. Qui alors se promène au jardin du Luxembourg, où il observe des gens plus calmes.
       Il y a D'Ardelo qui apprend qu'il n'a pas le cancer, ce qui le rassure. Mais qui fera croire à ses amis qu'il est atteint de cette grave maladie, ce qui le valorise à leurs yeux par la force morale qu'ils lui découvrent, et à laquelle ils ne croyaient pas.
       Il y a Quaquelique, le silencieux, l'insignifiant, que les femmes préfèrent aux vantards. Ce qui les valorisent, elles.
       Il y a Charles qui lit les souvenirs de Nikita Krouchtchev, et à ses amis en raconte les passages drôles, dont l'histoire des vingt quatre perdrix et pourquoi le nom de Kalinine (affligé du besoin fréquent d'uriner) a été choisi par Staline pour renommer la capitale de la Prusse. Charles qui à partir de ces récits voudrait monter un théâtre de marionnettes.
       Il y a les mères d'Alain et de Charles. Celle d'Alain qui voulait avorter de lui. D'où son questionnement sur le nombril. Mère dont il garde la photo alors que jeune fille. Celle de Charles, que celui-ci chérit, malade puis agonisante.
      
Il y a Caliban, autrefois acteur, à présent serveur de cocktails avec Charles, qui parle un Portugais qu'il invente pour se faire croire étranger.

Il y a dans la société les excusards et les accusateurs. Gagnera qui réussira à rendre l'autre coupable. Perdra qui avouera sa faute. Lors d'une bousculade involontaire par exemple: qui va engueuler l'autre? Qui va s'excuser?

Il y a les blagues et l'époque d'après blagues, le retour à la nostalgie.

Il y a la question des droits de l'homme:
       «Regarde autour de toi: de tous ceux que tu vois, personne n'est ici par sa volonté. Bien sûr, ce que je viens de dire est la vérité la plus banale de toutes les vérités. À tel point banale, et à tel point essentielle, qu'on a cessé de la voir et de l'entendre.» (...)
       «Tout le monde jacasse sur les droits de l'homme. Quelle blague! Ton existence n'est fondée sur aucun droit. Même de finir ta vie par ta propre volonté, ils ne te le permettent pas, ces chevaliers des droits de l'homme.» (...)
       «Et la mère continua: Regarde-les tous! Regarde! Au moins une moitié de ceux que tu vois sont laids. Être laid, ça fait aussi partie des droits de l'homme? Et sais-tu ce que c'est que de porter sa laideur toute sa vie? Sans le moindre repos? Ton sexe non plus, tu ne l'as pas choisi. Ni la couleur de tes yeux. Ni ton siècle. Ni ton pays. Ni ta mère. Rien de ce qui compte. Les droits que peut avoir un homme ne concernent que des futilités pour lesquelles il n'y a aucune raison de se battre ou d'écrire de fameuses Déclarations!» (...)
       Alain se taisait, puis il dit d'une voix paisible: «De quoi te sens-tu coupable? De ne pas avoir eu la force d'empêcher ma naissance? Ou de ne pas t'être réconciliée avec ma vie qui, par hasard, n'est quand même pas si mauvaise?»
       Car il y a l'illusion de l'individualité.

Et enfin et surtout, il y a l'insignifiance qui donne son titre au roman: 
       «L'insignifiance, mon ami, c'est l'essence de l'existence. Elle est avec nous partout et toujours. Elle est présente même là où personne ne veut la voir: dans les horreurs, dans les luttes sanglantes, dans les pires malheurs. Cela exige souvent du courage pour la reconnaître dans ces conditions aussi dramatiques et pour l'appeler par son nom. Mais il ne s'agit pas seulement de la reconnaître, il faut l'aimer, l'insignifiance, il faut apprendre à l'aimer. Ici, dans ce parc, devant nous, regardez, mon ami, elle est présente avec toute son évidence, avec toute son innocence, avec toute sa beauté. Oui, sa beauté. comme vous l'avez dit vous-même: l'animation parfaite... et complètement inutile, les enfants qui rient...» «Cette insignifiance qui nous entoure, elle est la clé de la sagesse, elle est la clé de la bonne humeur...»

       lecture par Marie-Claude Holder :

Roman dans le monde d'aujourd'hui à Paris, dans les beaux quartiers. Milieu aisé de la culture, d'artistes, de créateurs, de comédiens, d'auteurs de théâtre, etc.
En 7 parties, 7 tableaux, comme une pièce de théâtre?
Roman court en français simple, pas une traduction.
Pas de vocabulaire ni de tournures grammaticales compliquées, beaucoup de dialogues, langage parlé entre les principaux personnages:
Alain, Ramon, Caliban, D'Ardelo, Charles, sont des hommes d'âge mur qui dialoguent d'un tableau à l'autre. Invités d'un cocktail, de bonne ou de mauvaise humeur, blagues, mensonges légers, vérité qui n'en est pas vraiment, désinvolture... semblant attentifs à l'autre et vite distraits. 
Insouciance et légèreté.
Des femmes en arrière-plan, des statues gloires du passé glorieux
― dans ce parc où «il y a» des enfants insouciants et légers qui jouent. («La vie est là, simple et tranquille» de Verlaine)
Derrière le côté mondain et léger d'un cocktail, des rêves et des souvenirs du passé entremêlés. Du passé soviétique de l'auteur à travers une blague loufoque, d'une mère qui ne voulait pas donner la vie dans un monde inutile, un «univers insignifiant», d'une langue maternelle oubliée par un exilé qui n'est pas compris... des épisodes de rêve ou du réel, des réminiscences de la vie passée.
La question, c'est celle du sens à donner à la vie et au monde. Être léger et «de bonne humeur», faire la fête dans un univers qui n'a pas de sens. S'éloigner du «sérieux des grandes vérités» qui d'un jour à l'autre ou d'une époque à l'autre de l'histoire n'en sont plus, et sont devenues des «utopies assassinées».

Troisième partie
Alain et Charles pensent à leurs mères.
Alain et le mystère du nombril, quand il a vu sa mère pour la dernière fois (p49)
assassinat, la femme veut mourir et elle tue
«celui qui a voulu lui imposer la vie est mort noyé. Et celui qu'elle voulait tuer dans son ventre reste vivant» p56

Cinquième partie p90
«unendliche Wohlgemutheit»
Hegel cité par Ramon
«dans sa réflexion sur le comique, Hegel dit que le vrai humour est impensable sans l'infinie bonne humeur: pas la raillerie, pas la satire, pas le sarcasme. C'est seulement depuis les hauteurs de l'éternelle bonne humeur que tu peux observer au-dessous de toi l'éternelle bêtise des hommes et en rire»

L'arbre d'Eve p101
Ramon rêve d'une voix féminine qui dit:
«Pour moi, c'est Eve, la première femme, Elle n'est pas née d'un ventre. C'est de sa vulve à elle, la vulve d'une femme anombrilique, que le premier cordon ombilical est sorti p101, 102, 103 
(naissance de l'humanité)

La chute des anges «Une utopie assassinée», après laquelle il n'y en aura plus aucune autre?
D'une époque dont il ne restera plus de traces? Des livres, des tableaux rejetés dans le vide? De l'Europe, qui ne sera plus l'Europe? Des blagues dont plus personne ne rira?
le sérieux des grandes vérités;

 

 

L'Identité, de Milan Kundera (éd. Gallimard 1998)
lecture par Marie-Françoise :

Chantal et Jean-Marc s'aiment et doivent se retrouver dans une ville normande trouvée par hasard dans un guide. Mais des circonstances fortuites feront qu'ils ne s'y rejoindront pas tout de suite.

Jean-Marc rencontre F., ancien ami volontairement perdu de vue, parce que Jean-Marc qui lui en voulait de ne pas l'avoir soutenu autrefois ce qui lui avait valu de perdre son poste. F. lors de cette rencontre lui rappelle qu'à l'époque Jean-Marc n'aimait pas, chez les filles, les sécrétions, le clignement perpétuel des paupières qui irrigue l'oeil, comme si le Créateur avait bâclé son travail. Jean-Marc ne s'en souvient absolument pas et se rend compte que les amis ne sont là que pour être le miroir de soi-même en vous rappelant des souvenirs. Or, lui, Jean-Marc, n'en a rien à faire. F. lui donne aussi des nouvelles de sa santé, lui raconte son récent coma au cours duquel il était resté lucide, mais comme en rêve. Il entendait les médecins qui disaient à côté de lui inconscient qu'il allait mourir. F. lui confie: «Je n'ai jamais eu peur de mourir. Maintenant si. Je ne peux pas me débarrasser de l'idée qu'après la mort on reste vivant. Qu'être mort, c'est vivre un cauchemar infini
       Ce qui plonge Jean-Marc dans la déprime et le pousse à avancer son départ pour rejoindre au plus vite Chantal, son aimée.
       Mais celle-ci, ne l'attendant pas si tôt s'est allée promener en bord de mer.
       Lorsque Jean-Marc arrive à l'hôtel, ne trouvant pas Chantal, il part à sa recherche sur la plage.
       Mais elle a déjà rebroussé chemin et c'est en une autre personne qui manque de se faire écraser par un char de plage qu'il croit la reconnaître et craint cruellement de la perdre lors de cet accident. Qui sera évité de justesse. Il se rendra compte alors avec stupéfaction que ce n'était pas Chantal. Qu'il a pu confondre son apparence physique avec celle d'une autre. Qu'il n'a pas su reconnaître la silhouette de l'être le plus aimé.
       Avant de rentrer à l'hôtel, Chantal est allée dans un café, où, s'étant plainte de la musique trop forte, elle craint de se faire agresser par un des clients qui lui barre le passage. Heureusement, elle finit par sortir sans problème, mais toute chamboulée et retourne à l'hôtel.
       Où Jean-Marc la retrouve enfin lorsqu'il revient.
       Mais il ne reconnaît pas son visage. Elle a l'air vieux. Se plaint de fatigue. Et prononce une phrase qui lui était venue à l'esprit en marchant: «Les hommes ne se retournent plus sur moi.» Puis rougit.
       Après quoi, au fil des jours, elle recevra des lettres d'un inconnu qui dit l'avoir remarquée, la suivre, etc.
       Chantal alors tentera de savoir qui est cet homme qui s'intéresse à elle. Passera en revue ceux de son entourage. Même un mendiant. Et imaginera une relation possible avec l'inconnu. Pour s'apercevoir de son erreur à chaque fois. Mais, des lettres qui continuent d'arriver, plus brûlantes, elle ne parle pas à Jean-Marc, alors qu'avant ils se disaient tout. Elle les cache dans son armoire à linge fin, sous ses soutiens-gorge.
       Il y aura entre Chantal et Jean-Marc "des sourires figés. Des gestes artificiels au goût de fausseté."
       Jean-Marc qui est l'auteur des lettres car il voulait lui montrer que non, qu'elle est toujours désirable, finit pas se rendre compte que Chantal n'est plus celle qu'il a connue. Qu'elle est capable d'imaginer une relation avec un autre.
       À certains objets légèrement déplacés Chantal finira par se rendre compte que Jean-Marc a trouvé sa cachette. Plus tard, elle déduira que c'est lui l'auteur des lettres. Elle lui en voudra. Alors, sur un coup de tête?, elle partira.
       Pour Londres. Par hasard? En gare, elle retrouve des collègues, car en fait, le voyage était prévu. Elle en avait même parlé à Jean-Marc.
       Alors Jean-Marc qui l'aime et dont elle est désormais la seule raison de vivre, part à sa recherche, prend le train pour Londres, seul indice qu'elle lui avait laissé. Il l'y voit discuter avec ses collègues.
       Dans le wagon où ils se trouvent, l'un d'eux dit:
       «Notre seule liberté est de choisir entre l'amertume et le plaisir. L'insignifiance de tout étant notre lot, il ne faut pas la porter comme une tare, mais savoir s'en réjouir.» «Elle [Chantal] se dit qu'elle a vécu dans une réclusion d'amour et qu'elle est prête maintenant à obéir au parfum de la rose et à son parfum grisant

C'est alors qu'ils vivront tous deux un cauchemar. Jean-Marc arrive devant une maison dont la porte est close pour lui. Il sait Chantal à l'intérieur au milieu d'une partouze. Chantal devant ses propres visions est prise de peur panique. Elle se réveille dans les bras de Jean-Marc qui crie «Chantal! Chantal! Chantal!»

Et l'auteur qui narrait ce récit de se poser ces questions :
       "Et je me demande qui a rêvé? Qui a rêvé cette histoire? Qui l'a imaginée? Elle? Lui? Tous les deux? Chacun pour l'autre? Et à partir de quel moment leur vie réelle s'est-elle transformée en cette perfide fantaisie?" "Quel est le moment précis où le réel s'est transformé en irréel, la réalité en rêve? Où était la frontière? Où est la frontière?"

Et le lecteur, de rester perplexe entre l'insignifiance et la puissance des rêves et de l'irréel dans nos vies.

 

 

La nuit de l'oracle, de Paul Auster (éd. Actes Sud 2003)
lecture par Marie-Françoise :  

Le narrateur, Sidney Orr, écrivain qui a été victime d'un collapsus, est de retour chez lui après un long séjour à l'hôpital. Convalescent, toujours aussi amoureux de sa femme Grace, il revient peu à peu à la vie et lors d'une promenade dans son quartier découvre une nouvelle papeterie au charme irrésistible tenue par un Chinois. Il y achète, ainsi que le matériel nécessaire pour se remettre à l'écriture, un étrange carnet bleu, made in Portugal, qui l'attire.

Rentré chez lui, il commence le même soir à écrire dans ce carnet, comme dans un état second, comme si une histoire lui était dictée. Celle d'un directeur littéraire d'une grande maison d'édition new-yorkaise qui vient d'échapper miraculeusement à la mort après qu'une gargouille tombée d'un toit ait failli l'écraser dans sa chute. La trame de départ de son récit, il la raconte aussi, c'est l'histoire de Flitcraft lue dans le Faucon maltais. Celle d'un homme, "mari, père, homme dont les affaires marchent bien et qui n'a à se plaindre de rien", qui échappe à la chute malencontreuse d'une poutre, et suite à cela, se rendant compte que "des événements fortuits nous guettent à chaque jour de notre vie, et [que] ces vies peuvent nous être ôtées à tout moment sans la moindre raison", en arrive "à la conclusion qu'il n'a pas le choix, se soumet à cette force destructrice", sort de sa propre vie et disparaît... Mise en abîme dans le récit, qui lui-même en comportera un troisième...

Dans un style simple en apparence, Sidney, qui parle de ses propres péripéties et de sa vie conjugale, s'exprime à la première personne. Mais il y mêle, à la troisième personne, des bifurcations, des histoires qui s'entrecroisent on l'a dit, qu'il invente à mesure qu'il écrit dans son carnet bleu le récit des agissements de Nick Bowen, c'est le nom de son personnage. S'y imbrique également l'histoire d'un manuscrit retrouvé que son personnage, Nick, parti brusquement lui aussi après la chute de la gargouille, est en train de lire. C'est un "Bref roman portant un titre suggestif, La Nuit de l'oracle, attribué à une romancière en vogue dans les années vingt et trente, décédée depuis plus de vingt ans." Ce manuscrit a été écrit par Sylvia Maxwell, la grand-mère de Rosa. Laquelle Rosa l'a confié à l'agent littéraire de la maison d'édition où travaille Nick. Rosa de qui Nick est tombé amoureux au premier regard...

Mais ce carnet bleu dans lequel Sidney, notre narrateur du départ, écrit, a une puissance magique, quelque peu maléfique, et le mènera à l'impasse... Et le lecteur de se demander comment diable il se sortira de cette impasse... 

Dans son roman, Paul Auster mêle amour, hasard, coïncidences troublantes, notion de temps et de destinée. Y sont exprimées des idées philosophiques sur le présent, le passé, l'avenir. L'auteur y confère aux choses simples de l'existence, un réalisme magique. Et la troublante idée de la possibilité qu'ont les événements imaginés par un écrivain de survenir dans le futur : 
       «Les pensées sont réelles, disait-il. Les mots sont réels. Tout ce qui est humain est réel et parfois nous savons certaines choses avant qu'elles ne se produisent, même si nous n'en avons pas conscience. Nous vivons dans le présent, mais l'avenir est en nous à tout moment. Peut-être est-ce pour cela qu'on écrit, Sid. Pas pour rapporter des événements du passé, mais pour en provoquer dans l'avenir

 

Les désenchantées, de Pierre Loti
lecture par Marie-Françoise :

Émouvant roman sur la condition des femmes de la haute société des harems de Turquie au tout début des années 1900 lorsque, ayant bénéficié d'une culture intellectuelle, elles restent cependant contraintes de ne vivre qu'entre femmes, sans avoir le droit de sortir après la tombée du jour. Sans avoir le droit de montrer leur visage aux hommes autres que les eunuques chargés de les surveiller ou de leur époux qui leur est imposé. Sans pouvoir avec lui discuter. Alors qu'après leurs lectures d'œuvres occidentales, elles aspirent à l'amour et au choix, à être libres de prendre leur envol, à s'exprimer, elles sont obligées de mener une vie de recluses, même si c'est dans le luxe.

Ce roman est aussi magnifique qui révèle la beauté de la Turquie, de ses paysages, ses villes, Istanbul, Constantinople, le Bosphore, la mer de Marmara, l'atmosphère orientale qui a charmé Pierre Loti lors de ses voyages et qu'il décrit si bien. Il y donne aussi un aperçu de la vie que les étrangers y mènent alors.

L'étranger du roman, c'est André Lhéry, écrivain renommé qui, ayant accepté un poste de diplomate à l'ambassade de l'ancienne Constantinople, revient pour deux ans dans ces lieux auxquels il est sentimentalement attaché. Il s'y lie d'amitié avec trois jeunes musulmanes très cultivées, après que l'une d'elles ayant lu ses romans, ait osé prendre contact avec lui par lettre.

Leurs rencontres à haut risque seront toujours, bien sûr, clandestines et voilées, qui permettront au lecteur occidental de connaître la vie de ces femmes des harems d'orient, dont l'auteur se fait ici la voix en déplorant par ailleurs les changements dus au progrès d'une Turquie qui s'occidentalise vivant les dernières heures de l'Empire ottoman.

"Aurez-vous bien senti la tristesse de notre vie. Aurez-vous bien compris le crime d’éveiller des âmes qui dorment et puis de les briser si elles s’envolent, l’infamie de réduire des femmes à la passivité des choses… Dites-le, vous, que nos existences sont comme enlisées dans du sable, et pareilles à de lentes agonies… Oh! dites-le! Que ma mort serve au moins à mes sœurs musulmanes ! J’aurais tant voulu leur faire du bien quand je vivais!… J’avais caressé ce rêve autrefois, de tenter de les réveiller toutes… Oh ! non, dormez, dormez, pauvres âmes. Ne vous avisez jamais que vous avez des ailes!… Mais celles-là qui déjà ont pris leur essor, qui ont entrevu  d’autres horizons que celui du harem, oh! André, je vous les confie; parlez d’elles et parlez pour elles."  

Dans son roman, Pierre Loti souhaitait pour les femmes d'Orient un changement de ces coutumes traditionnelles basées sur la religion, et nul doute qu'il eut lieu. Mais le cri de détresse de ses héroïnes est redevenu actuel avec l'émergence de l'islam politique dans les années 1970, lorsque la condition des femmes s'est dégradée dans plusieurs pays comme en Iran ou au Soudan, avec le cas limite de l'Afghanistan sous les talibans.

L'auteur, Louis-Marie-Julien Viaud, connu sous le nom de Pierre Loti, est né en janvier 1850 à Rochefort et mort le 10 juin 1923 à Hendaye. C'était un officier de marine français. Il bourlingua sur les océans, du Bosphore à Tahiti en passant par Valparaiso ou la mer de Chine. Ses récits de perpétuel voyageur connurent une audience populaire de son vivant déjà et enchantèrent plusieurs générations de lecteurs. Il fut membre de l'Académie française. Et si dans l'avant propos de Les Désenchantées, il présente son récit comme entièrement imaginé, on sait qu'il s'est nourri de ses innombrables voyages pour écrire et qu'une grande partie de son oeuvre est d'inspiration autobiographique...  

 

 

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