Le Café Littéraire luxovien/Lectures Prix Marcel Aymé
Prix Marcel
Aymé
►Rubens,
de Michel Embareck,
L'Écailler du sud, 2004 [128 pages, 6 €] ;
(1
- 2)
Rubens, de
Michel Embareck,
L'Écailler du sud, 2004 [128 pages, 6 €] Dès le premier
paragraphe le ton est donné. Celui particulier de Michel Embareck dans
un style élaboré et très moderne dont le lecteur se délecte. Un
style tout en jeu de langue et de mots, et d'émotion par eux cachée:
"Faire coller la tonalité des mots au rythme de l'action pour
enfin écouter dans le silence de son crâne la mélodie exacte du
texte, l'apnée des virgules, le grincement des adjectifs, la complainte
de la souffrance et du désir." Et le personnage, évoqué à la troisième personne par le narrateur, de glisser au fil de ses pensées pour Rubens, à celles de son enfance vécue "entre chiourme familiale et lycée de redressement", de sorte qu'à présent "il ne se sentait guère différent d'un animal autiste". Dont il s'évade, enfant, par la lecture, adulte, par les voyages: "Dès qu'il empoignait un sac de voyage les cicatrices du passé restaient à la maison." Ainsi est-il devenu journaliste "à la recherche d'ombres mortes". Journaliste. Car "Écrivain, jamais il n'aurait envisagé de le devenir. À ce jeu-là, on finissait toujours par cracher le morceau, raconter comment on avait été bête comme ses pieds, toucon avec le diable dans la peau pour en faire de mignons romans rustiques, vélo rouge et gâteaux sur la table le jour de la fête des petits cochons". Mais que fait Michel Embareck, l'auteur, dans ce livre, si ce n'est évoquer son enfance? Certes, pas de façon mignonne. "Il a
rencontré Rubens, il a osé d'un alcool à l'autre être
inexplicablement drôle, spirituel, bref ce qu'elle attendait de lui. Étrange livre plein d'ironie, que ce "Rubens", à lire et à relire, car il faut attendre la dernière page pour avoir la clef de bien des allusions, pour savoir où l'auteur habilement nous menait : "Il n'attendait pas Rubens sans espoir. Il l'attendait sans avenir." Car Rubens voyage elle aussi, et lui donne rendez-vous à l'aéroport Louis Armstrong, certain 11 septembre 2001, dans une Amérique décrite comme "un pays totalitaire sentant la moisissure à plein nez.", qui "lui apparaissait désormais comme un laboratoire secret de recherches sur l'absurde." Absurde.
Cyniquement le narrateur avait écrit : "Ici mieux qu'ailleurs,
l'agonie du monde le ravissait." On est passé de l'individuel
au collectif. Le 11 septembre ne pouvait pas laisser indifférent, et
Il ne faut pas chercher dans le petit ouvrage de Françoise Ascal un roman ni des nouvelles, pas non plus un récit. C'est une évocation, celle d'un lieu qui depuis des temps immémoriaux suscita le sentiment du sacré, "que ce sacré soit religieux ou pas", à travers les hommes qui l'arpentèrent. Ce lieu, c'est la colline de Bourlémont, elle domine Ronchamp, village de Haute-Saône, à son sommet est construite une Chapelle dédiée à Notre-Dame du Haut, elle fut aussi lieu de combats sanglants durant la seconde guerre mondiale. Françoise Ascal revoit les êtres qui ont arpenté ses sentiers, ne veut en oublier aucun, les imagine quand les souvenirs ou les documents ne suffisent pas: membres de sa famille au visage buriné de paysans ayant vécu au village quelques kilomètres en bas; pèlerins dès le Moyen Âge; Celtes dont les druides officiaient sous ses merisiers ancestraux; promeneurs; tirailleurs sénégalais, congolais, guinéens, marocains ou algériens de la deuxième guerre mondiale "qui avez donné votre vie pour des valeurs qu'on était loin de vous accorder chez vous et dont vous serez encore exclus à l'issue des combats"; soldats tombés de toutes les guerres dont la veuve, comme Adèle, sa grand-mère, "ne demande rien que de ne pas vivre trop longtemps, le rejoindre vite"; mineurs se souvenant des coups de grisou; esclaves de tous pays puisque Champagney, à trois minutes à vol d'oiseau, fut la première commune à réclamer, à la veille de la révolution, dans ses cahiers de doléances, l'abolition de l'esclavage; l'architecte Le Corbusier influencé par l'Orient qui, bien qu'athée, fut chargé de la reconstruction de cette Chapelle, "fendue comme un vieux chêne foudroyé", par les bombardements, en arpenta les sentiers, les environs, les paysages, pour "s'imprégner de l'esprit du lieu" et bâtir l'actuelle que l'auteur décrit comme "un vase de silence et de douceur", où elle voit dans la couleur rouge d'une des trois chapelles qui la composent "le ruissellement du sang qui n'en finit pas, dévale les hauts murs, rejaillit plus vigoureux. Fontaine ou noria."; jusqu'au Chapelain qui voua cinquante années de son existence à la "Marie tendre et triste", "mélancolique", tête inclinée portant l'enfant Jésus, vénérée là, restée "sourde" pourtant lors des combats. Petit livre émouvant, d'une belle écriture poétique, dans lequel Françoise Ascal tente de "tresser un lien entre des voix, retournées au silence". Pour ce faire elle emploie la forme de prétendues lettres, datées du 1er septembre au 29 novembre 2002, qu'elle adresse justement à Simon, un tirailleur sénégalais mort en défendant cette colline "aux confins des Vosges et de la plaine d'Alsace, au seuil de la trouée de Belfort, dans un piège à rat, à l'ombre d'une vierge Marie épuisée…", alors qu'elle même venait de naître. Simon qui ne les lira pas, Simon qu'elle imagine, invente, replace dans sa réflexion sur l'histoire et les hommes de ce haut lieu toujours très fréquenté. Le livre
incite le lecteur curieux à parcourir d'autres ouvrages à vocation
plus documentaire sur l'origine du culte en ce lieu, sur la Chapelle, sa
construction, sur Le Corbusier, sa vie, ses carnets, sur les combats qui
y sévirent, l'esclavage, la mine et la vie souterraine de la colline. lire
une autre note de lecture
Françoise
Lefèvre y déplore la perte, celle de la confiance, celle du royaume du
bonheur. Elle est plongée dans un état mélancolique dont il lui faut
se sortir. Une mélancolie qui au début ne cède pas. Si Françoise Lefèvre est lucide et connaît la souffrance, elle l'évoque avec des mots qui charment. Ses mots sont "baume" aussi pour le lecteur. Ils disent le pourquoi de l'écrire, de l'écrire vrai, de l'écrire qui lave: "On est contraint d'écrire". Grâce à l'écriture on atteint une dimension sacrée, "on a des pensées qui aident à la résurrection". Ce livre semble
venu sans plan de départ, au gré des idées qui s'enchaînent, avec sa
part de distraction lorsqu'elle ne focalise pas sur sa peine. Dans le deuxième chapitre: "La parenthèse allemande", Françoise Lefèvre fait une révélation qui touche à l'Histoire et l'aide à comprendre mieux pourquoi elle s'est toujours sentie "en Résistance". Sa vie entière elle l'a passée dans l'ignorance de son identité vraie, dans la hantise d'être issue d'une famille de nazis. C'est au soir de sa vie seulement qu'elle découvre une partie de son identité. Bref, ce
petit livre est un lever de soleil, on passe de l'ombre à la clarté.
On en sort en se disant que les peines ne sont pas le tout de la vie.
Que la vie toujours reprend le dessus. Qu'il ne faut pas baisser les
bras: "C'est étrange, ma vie qui marche quand c'est moi qui
tiens les rênes, qui prends les décisions. Les choses marchent quand
je suis au commandement et pas dans les sentiments. J'aurai perdu
beaucoup de temps, beaucoup de force avec les sentiments."
L'Adieu
aux abeilles, d'Alexandre Voisard,
Bernard Campiche éditeur, 2003 [100 pages, 12 €] Sept
nouvelles composent ce recueil. Elles mettent en scène des personnages
qui ne sont pas des héros à qui tout réussit ou auxquels il arrive
des aventures tragiques, grandioses et dignes d'intérêt, ce ne sont
pas des battants. Les personnages d'André Voisard sont des êtres
ordinaires, comme on en rencontre tous les jours, un peu frustrés, un
peu naïfs, inhibés, ils manquent d'esprit d'initiative, de confiance
en soi, de volonté, se laissent dominer par les autres, sont
malheureux, un peu, à cause de ça ou des vicissitudes de la vie. Ce ne
sont pas même des révoltés. Ils vivent repliés sur eux-mêmes sans
se mettre en avant, c'est ainsi qu'ils se protégent des autres qu'ils
n'osent ni affronter ni aborder, ou qu'ils gomment les événements
malheureux qu'ils ne veulent accepter, comme la mort d'un proche. Au
pire ils se noient dans l'alcool.
Douze
mètres cubes de littérature, de Roland Fuentès,
éditions du Rocher 2003 [184 pages, 17 €] Publié, parce que lauréat du Prix Prométhée de la Nouvelle, en 2003, ce recueil sort du cadre de la logique conventionnelle et peut offusquer certains lecteurs. Roland Fuentès y remet en effet en question les convictions, les évidences. Il écrit: "L'absurde, le cocasse et un fantastique léger me sont utiles pour accoler une parure bizarre à des choses que j'avais oublié d'observer. Mon seul message: rien n'est normal, rien n'est évident; il n'y a pas UNE réalité. Il n'y a que des questions." Dans ses nouvelles il ne s'en prive pas, bouscule les lois physiques, l'histoire et la chronologie, les raisonnements logiques, ce que l'on tient pour bonnes meurs aussi, relation entre les espèces et le bien fondé des actions humaines. Partant de là, on n'a peu de chance d'apprécier ses histoires déconcertantes, aberrantes, loufoques, à la limite du malsain et du morbide et qui paraissent incompréhensibles si l'on n'accepte pas, le temps du livre, de laisser tomber ses repères traditionnels, de se laisser embarquer dans l'illogique de l'auteur qui n'est pourtant pas toujours si éloigné du nôtre. Il puise pour les construire dans notre fond commun. S'inspire de l'enfance, du désordre des rêves, et fait preuve d'une imagination débordante à partir d'expressions usuelles telles que: "Il avait plu des cordes" prises à la lettre, de l'histoire de l'humanité, d'une réflexion sur la fin, la mort… Bref, s'il
est possible de se laisser prendre à son jeu puisqu' "Il faut
être bien fou pour ignorer le pouvoir des histoires.",
qu'elles sont malgré tout de construction intéressante, bouleversant
ce que l'on attend d'habitude d'une nouvelle, et écrites dans une
langue tout de même accessible, le livre une fois refermé, comme le
rêveur une fois éveillé, on les oublie.
Les
Enfants de la Vouivre, de Michel Dodane,
éd. Albin Michel, 2004 [400 pages, 19,90 €] Oui, la quatrième
de couverture dit juste, l'auteur rend bien hommage à sa Franche-Comté
natale dans de belles pages évocatrices de lieux et d'atmosphères en
une écriture ramassée et chantante, dont on se délecte dès la
première page: Pour résumer l'impression laissée par le livre on pourrait en reprendre une phrase: "La voiture de Louis Béliard allait bon train, négociant au mieux les virages sournois et la géographie escarpée et dolente". Oui, dolente, car cette histoire menée bon train, située dans les années 50 en Franche-Comté, n'est en fait qu'un conte, mêlé d'un soupçon d'ésotérisme. (On pense au "Da Vinci Code" de Dan Brown, best seller paru en décembre 2004 en traduction française chez Lattès. Il donne l'impression que la même méthode de construction est utilisée: un vertige de rebondissements et retournements de situation. Mais dans le livre de Dan Brown, la quête est riche de toute une culture artistique, historique, religieuse, ésotérique, mathématique, etc. qui ébranle les fondements mêmes de notre culture et apporte une vision nouvelle au lecteur en présentant une théorie sur le Graal, Marie Madeleine, le Féminin sacré, d'où son immense succès). Bref, Les
Enfants de la Vouivre, de Michel Dodane, tout en étant un livre
agréable et bien écrit (il a obtenu le prix Louis Pergaud en 2004),
semble bien artificiel et superfétatoire, même si à de rares pages
évocatrices de toute une atmosphère et de sentiments profonds on se
laisserait presque émouvoir, il n'apporte rien de neuf au lecteur.
Les
Planches au Roi, de Marie-Thérèse Boiteux,
France Empire, 2003, 348 pages, 19 €. C'est l'histoire d'une famille franc-comtoise, un feu, ou communion, au moment difficile du rattachement de la Comté à la France, au XVII ème siècle. Un livre tout public, bien pensant et tout à fait terroir, mais terroir intelligent, mêlant événements historiques et familiaux, tradition orale, vocabulaire, travaux, et coutumes, dans un récit romancé où le labeur et les amours sont de campagne et font penser parfois aux récits champêtres de George Sand. Pas de recherche
littéraire ici, mais une chronique du temps passé, par ailleurs bien
écrite, et qui se lit sans ennui. À peine, parfois, le lecteur
s'agace-t-il d'un discours un peu trop pédagogique, pour vite être
repris par l'enchaînement du récit. Les Planches au
Roi est le deuxième volume de cette saga familiale commencée avec Les
renards cuisent au four (cuisent employé dans son sens transitif), au
moment de la guerre des Comtois contre Français et Suédois, saga qui
s'étend sur près de deux siècles. Ce long récit nous montre enfin, comment peu à peu, par l'enchaînement des événements, on est passé du désir de poursuivre sa descendance en engendrant des héritiers afin de transmettre les biens de la communion, comment on est passé de cette façon d'exploiter la terre ensemble en vivant dans un même foyer réunissant parents, frères, sœurs, belles sœurs, enfants, et petits enfants sous l'autorité du chef de feu pour éviter que les biens durement acquis par le labeur ne soient repris par le Seigneur, à une autre: l'artisanat et l'entreprise, l'émigration vers les villes et la France, l'éclatement des familles, l'individualisme.
Des compte-rendus d'autres lecteurs :
Les Planches au Roi, de Marie-Thérèse Boiteux Les lecteurs de la
Médiathèque de Champagney :
Un automne sur la colline, de Françoise Ascal (éditions Apogée, septembre 2003) lecture par Martine Mouhot :
Rubens, de
Michel Embareck
Prix Marcel
Aymé
►À
deux pas de nulle part, de Michel Embareck,
éditions de l'Archipel 2002, 200 pages, 14,95€.
Prix Marcel
Aymé ►À la recherche
de Rita Kemper, de Luna Satie (éd.
Série Noire Gallimard, 2002)
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