Le Café Littéraire luxovien / Des lectures (8) | |
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des lectures ►Prix Marcel Aymé ►Participer |
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"La
seule personne dont le pardon pourrait me «rédimer» sera morte, ce
soir à minuit, depuis neuf ans, dix mois et seize jours. Skyler
où es-tu Skyler s'il te plaît
aide-moi Document qui consiste en ce roman d'une construction très particulière que nous donne à lire Joyce Carol Oates, où Skyler Rampike, 20 ans, écrit en sorte de catharsis. Il y est à la fois personnage principal, narrateur et auteur, s'y adresse souvent au lecteur par des notes en bas de page ou au cours même du récit de son enfance et de son adolescence perturbées par la mort de sa sœur Edna Louise, dont il se sent responsable. Edna
Louise dont la mère a changé le prénom en Bliss, depuis qu'elle est
devenue, à l'âge de quatre ans, mini étoile de patinage artistique,
par vocation pour cette discipline, mais aussi parce que sa mère,
qu'elle ne veut pas décevoir afin d'en être aimée, la pousse dans
cette voie pour réaliser ce qu'elle même n'avait pas pu, devient son
manager exigeant. Le narrateur s'attachant à décrire à maintes
reprises les jolies mais aguichantes tenues que portait sa sœur
lors des compétitions. Bliss
qui à l'âge de six ans sera découverte assassinée derrière la
chaudière de leur maison. Bliss qui ce soir-là avait demandé à son
frère de neuf ans de l'aider à changer sa literie qu'elle avait mouillée,
voulant le cacher à sa mère, et Skyler ne l'avait pas fait lui disant,
pour une fois, de se débrouiller seule... Car
ils sont nés
d'un père et d'une mère qui ne s'intéressent à leurs enfants qu'à
partir du moment où ils peuvent en être fiers, où ceux-ci peuvent
leur apporter la reconnaissance sociale et mondaine. Et pour ce, sont prêts
à tout. Les
enfants en seront gravement perturbés. Skyler après son échec en
patinage qui l'a déprécié auprès de sa mère, puis son accident de
gymnastique qui l'a rendu boiteux et déprécié auprès de son père,
après l'assassinat de sa sœur,
devenue championne junior de patinage artistique, devra être soigné
pour des troubles psychiques de toute sorte dans des institutions haut
de gamme, son père, beau riche plaisant aux femmes et trompant la
sienne, ne supportant pas la faiblesse, souvent absent et en
déplacements, occupant le poste haut placé de directeur adjoint
Recherche et Développement chez Univers.Inc, entreprise de
biotechnologies. Skyler,
désespéré, ne sait au juste si finalement il n'est pas lui-même
l'assassin de sa sœur puisqu'il ne l'a pas aidée... Les questions et
l'attitude de sa mère dès la disparition de Bliss le portant à le
penser: Le
lecteur lit dans l'attente et la crainte tandis que Skyler s'éloigne de
ses parents, refuse de leur parler, de les voir, tombe dans la drogue et
vit misérablement. Et que penser de l'épilogue situé au moment où commence ce long document très fouillé de quelques six cent soixante sept pages? Lorsque Skyler songe à s'immoler par le feu: "Cette ruelle, avec en fond la présence suggestive de la croix en faux or d'une obscure secte chrétienne, peut-on rêver endroit plus approprié pour que Skyler Rampike s'y efface de l'histoire, comme sa sœur Bliss en avait été effacée près de dix ans auparavant? LONGTEMPS
SUSPECTÉ DU MEURTRE DE SA SOEUR, quand
après
ces dix ans de dossier en "souffrance", dix ans de souffrance
effective, morale et psychologique pour Skyler, le lecteur entrevoit
enfin une ouverture, un espoir possible de rédemption pour Skyler... Bref
ce roman passionnant sur le désir de satisfaire pour être aimé, sur
le désir d'être considéré, sur la culpabilité qu'éprouve l'âme
humaine,
se lit dans la tension. Il a été écrit à partir d'un fait divers
réel où le frère de neuf ans d'une petite fille violentée et
assassinée a longtemps été suspecté de l'avoir tuée.
Les
météores, de Michel Tournier (Ed.
Gallimard 1975)
Voici un
roman puissant, de quelques 625 pages. Narré à plusieurs voix, sa présentation
dans les premières pages de la collection folio est très bien faite et
il y a déjà eu des études pointues dessus. Alors qu'en dire d'autre?
Comme
le titre le laisse présager, il est beaucoup question d'amour dans ce
roman, d'amour à fleur de peau, d'amour à l'excès, du jeu de séduction,
de possession et de dépossession de l'être aimé.
Hannah Kent, À
la grâce des hommes
(2013/2014
pour la traduction francaise aux éd. Presses de la Cité ) Étonnant premier roman que ce drame historique d'une écrivaine australienne dont la maturité (elle n' avait que 25 ans environ quand elle l'écrivait), l'originalité, la rigueur de ses recherches documentaires ne sont pas passées inaperçues puisque ce livre lui a valu cinq prix littéraires. Australienne certes, mais ayant séjourné dans le nord de l'Islande durant ses études : "Quand je vivais en Islande, je suis tombée amoureuse de la région, et ce roman est, à bien des égards, ma tentative de faire de la poésie grâce à la beauté ineffable de ce lieu", dit-elle dans un entretien. L'histoire, inspirée d'un drame qui s'y est déroulé entre 1828 et 1830, est celle d'Agnes Magnusdottir, condamnée à mort ainsi que deux autres personnes pour le meurtre de deux hommes et l'on ne sait d'abord quelle part a pris chacun à ces assassinats. L'Islande ne possédant pas de prisons à cette époque, Agnes fut transférée dans la famille d'un agent de sécurité habitant une maison isolée au nord-ouest du pays, pour y travailler comme fille de ferme jusqu'à ce que soit fixée la date de son exécution. La
grande qualité du livre réside dans une narration richement alternée
entre points de vue externe et interne, la voix off d'Agnes donnant à
l'histoire déjà prenante toute son intensité : Pourtant Agnes va se confier, à un jeune pasteur qui lui accorde le droit de dire "sa" vérité. Une vérité longue à venir, il est vrai, et qui peut paraître peu crédible. Il faut dire que les circonstances exactes de ces assassinats, personne ne les connaît. L'auteure a voulu dédiaboliser la personnalité d'Agnes tout en en relevant les contradictions, alors que cette femme fut condamnée sans même avoir été entendue. Hormis cette longue confession, on nous instruit sur les mœurs, la culture de ce pays, les conditions de vie à la ferme dans ces terres reculées au climat extrême, à une époque de grande pauvreté. L'auteure s'attarde surtout au sort des femmes. Il s'agit d'un livre lent, sombre bien sûr mais parsemé de touches lumineuses. Et s'il ne maîtrise pas encore les moments forts tels le climax ou la fin, il n'en demeure pas moins, ce "premier" roman, une belle découverte, pour lui-même comme de contenir le potentiel d'un futur chef-d'œuvre. Coup de chapeau également à la traductrice, Karine Regnier-Guerre. Un film américain adapté de ce livre a été tourné, reprenant son titre original : "Burial rites" (Rites funéraires). Rend-il la part d'intériorité qui approfondit ces pages?
Si vous avez apprécié La bibliothèque des cœurs cabossés de Katarina Bivald, vous devriez aimer ce roman d'Anna Jansson. Comédie romantique suédoise au ton léger, il est de la même veine et le plaisir qu'on prend à le lire, le même, si bien qu'on pourrait le croire une déclinaison du même auteur. Ici il n'est pas question de bibliothèque et de personnes à rendre heureuses par la lecture, mais de salon de coiffure et de clients à mettre en relation selon leur goûts et caractères en appariant leurs heures de rendez-vous afin qu'ils nouent des liens amoureux et finissent par se marier. La marieuse, c'est Angelika qui tient son salon de coiffure dans une ville de l'île de Gotland, au large de Stockholm. Elle est généreuse, pleine d'humour, vit seule depuis longtemps et n'envisage rien d'autre que de vivre par procuration ces histoires où elle rend les gens heureux. Jusqu'au soir où son regard croise celui d'un inconnu au charme fou... peut-être trop beau pour être honnête? PS. Par certains aspects, Le club des veuves qui aimaient la littérature érotique de Balli Kaur Jaswal, peut aussi se rapprocher de ce genre de romans.
Un
dernier baiser avant de te tuer, de Jean-Philippe
Bernié
(éd.
Libre expression 2018) De
son héroïne Claire Lanriel, J-Ph Bernié avait déjà brossé de
grands traits de l'enfance dans son premier roman, Quand
j'en aurai fini avec toi
paru en 2012 aux éditions montréalaises de la Courte échelle. C'est
pour le mettre au jour que l'auteur a remonté le temps et écrit un
ouvrage situé au cours de l'enfance de son héroïne, lorsqu'elle a
onze ans et demi. Claire
est proche de son petit frère Hugues et la seule à le comprendre.
"Elle avait toujours su quand son petit frère souffrait, même
quand il avait voulu le lui cacher", écrivait déjà J-Ph
Bernié dans son roman de 2012, comme prémonitoire au drame qui devra
advenir dans ce récit d'enfance que le titre Un dernier baiser avant
de te tuer laisse présager, et qui clora cette enfance. Au
fil des pages le roman devient de plus en plus prenant, de plus en plus
poignant. Comme les
précédents, Quand
j'en aurai fini avec toi
et J'attendrai le temps qu'il faudra, sans longueurs, sans
superflu, il ne lasse jamais, captive
le lecteur et le porte à souhaiter que l'auteur n'abandonne pas son
personnage et comble par de nouveaux ouvrages les autres
"trous" de la jeunesse de Claire.
Née d'une mère française et d'un père yougoslave qui fut poète, cette écrivaine peu connue a écrit avec Les escaliers d'eau un roman court et triste, énigmatique et sensuel, qui oppose au vide provoqué par la mort, la plénitude de l'enfance, sa mémoire heureuse. Les
personnages sont exclusivement féminins. Anna, Emma, la narratrice qui
n'a pas de nom, et Virginia la singulière, étaient quatre amies
d'enfance, d'adolescence. Bien plus tard, alors que chacune mène sa
propre vie, le suicide de Virginia provoque chez les trois autres plus
qu'un chagrin, un bouleversement durable. Ainsi que font les souvenirs, le livre se compose d'un fourmillement d'instants, saisis à différents âges et qui forment des petits "tableaux", dit l'auteure. Livre peu disert quant aux dates, vies, relations, caractères des personnages — sauf quelques traits de Virginia. Riche bien plus de parfums, odeurs, bruissements, gestes... Parmi d'autres éléments, l'eau à laquelle ces filles, ces femmes sont liées, et plus encore Virginia, habite ces pages nostalgiques, dans une recherche de toutes ses manifestations, même infimes. Aussi faut-il être attentif à ne pas manquer les termes qui y font référence. C'est un roman proche du texte poétique, touchant mais un peu répétitif en son fond comme en sa forme de phrases courtes, tendues d'absence. "Virginia
s'est noyée. Son corps flotte sur tous les océans, toutes les mers,
tous les fleuves, toutes les rivières, tous les lacs, tous les étangs,
toutes les mares. Elle suit la puissance des marées."
Il y a un aspect inquiétant dans les attractions aux noms à sensation d'une fête foraine et dans celles dérivées des applications modernes de la science qui autorisent des effets magiques: le magnétisme, l'électricité, l'optique... Le train fantôme, le palais des glaces, les jeux de tir, la tente en retrait qui cache son musée des horreurs avec ses phénomènes et ses monstres, les manèges qui ne cessent de tourner avec des hauts et des bas en une roue semblable au temps qui peut se dévider dans un sens et dans l'autre, la musique de l'orgue limonaire du carrousel de chevaux de bois qui s'entend de très loin... Inquiétude et attirance. C'est à partir de cette idée que Ray Bradbury a échafaudé son histoire fantastique. Celle de deux jeunes adolescents Jim et Will, que l'âge de vingt ans qu'ils n'ont pas encore et les mystères de la fête foraine attirent. Celle du père de Will, déjà vieil homme à ses yeux propres et aux leurs, âgé de cinquante quatre ans... C'est une histoire de désir, de terreur et de suspens, mais surtout d'amitié et de relation entre un père et un fils. Qui enfin se découvrent pour venir à bout des forces maléfiques de la fête. Une histoire initiatique dont on tirera la leçon que le rire, seul, vient à bout des pleurs et du désespoir, ces forces destructrices de la vie. Du fantastique emprunt de poésie et de nostalgie. L'auteur dans une posface ajoutée en 1998 confie ses peurs d'enfance et écrit: "Encore aujourd'hui, une partie de moi reste juchée sur l'affreux carrousel de mes quatre ans. Il semble qu'elle n'ait jamais trouvé l'issue de secours."
Juste
avant le bonheur, d'Agnès Ledig
(éd.
Albin Michel 2013, Pocket 2014) C'est presque un conte de fée puisque Julie, caissière de supermarché, jeune mère célibataire désargentée d'un petit garçon craquant de trois ans, au hasard d'un client attentionné qui lui tend la main, rencontrera, si ce n'est le Prince charmant auquel elle ne croit plus, de véritables amis. Un conte plaisant dont on apprécie l'humour des conversations entre les personnages, certains pourtant en mal de vivre dont la présence et la vitalité de la jeune femme illuminera la vie, amènera un bonheur réciproque. Jusqu'à la mi-temps du livre où, comme dans tout conte qui est trop beau pour être vrai, ou du moins pour durer, un drame surgit. La situation s'inverse, tourne au pathétique et aux larmes. Celles du lecteur sensible aussi... Ce sont alors ses amis qui l'épaulent, qui l'aideront à se reconstruire, à trouver l'apaisement, puis à nouveau à travers les bonheurs simples de la vie, le sentiment d'être heureuse de vivre. L'auteur utilise un joli mot pour dire leur rapprochement profond: la coalescence. Mais ne croyez pas que ce soit un récit mièvre, non, il est bien placé dans le contexte de notre époque ― et de toute époque après tout ―, des problèmes, des accidents, des malheurs qu'on rencontre à y vivre, des amitiés vraies aussi à ne pas négliger, et même à oser, pour sur-vivre. Et puis parce que l'on devine à travers la dédicace du livre: «À Nathanaël, qui est partout où je suis...», que cet hymne à l'espoir sonne comme une expérience vécue. Et que, même si les plus pessimistes des lecteurs mettraient une virgule entre les deux parties du titre: "Juste avant, le bonheur", ou carrément le changeraient en reprenant une phrase dite par l'enfant: «Laissez-moi!», il n'en comporte pas, délibérément, car il ne faut jamais baisser les bras, celui-ci peut toujours advenir.
Le
dernier Lapon, d'Olivier Truc
(éd. Métaillé
noir 2012) Voici
un beau et captivant roman policier, à fin émouvante. Il se passe en
Laponie, pays de légendes, à cheval entre Norvège, Suède et
Finlande. À
notre époque de scooters des neiges, de téléphones et d'ordinateurs
portables, de supermarchés, etc., Aslak y est resté le dernier Lapon
à continuer à se déplacer en skis pour surveiller son troupeau de
rennes de quelque deux cents têtes et en vivre sans dépendre des avancées
du progrès. Dans
le roman, il est question d'un ancien tambour de chaman volé et des
dessins symboliques qui l'ornent. Des joïk, ces anciens chants qui, de
génération en génération, transmettaient le savoir lorsque l'écriture
n'existait pas. De la religion protestante laestadienne qui veut
anéantir les croyances ancestrales des Saami, peuple Lapon luttant pour
la survie de sa culture. Des dissensions entre les partisans de la
modernité et ceux qui voudraient conserver les vieilles traditions et
croyances, lesquels traitent de déserteurs ceux qui abandonnent le dur
métier d'éleveurs... D'un éleveur de rennes assassiné. De
prospection géologique minière. L'auteur,
Olivier Truc, n'est pas natif de là-bas, mais il vit à Stockholm
depuis 1994 et connaît très bien la région dont il parle. Il nous en
décrit les paysages fascinants et nous fait découvrir à travers ses
personnages et leurs problèmes, leur habitat, leur façon de vivre
insoupçonnée dans nos contrées tempérées. Le froid intense à moins
40°. Le vent cinglant, glacial. La nuit interminable des jours sans
soleil. Ceux de peu de minutes d'ensoleillement dont la longueur s'accroît
de cinq heures au fil de cette enquête qui se déroule un mois de
janvier, du 10 au 28. Les aurores boréales... Cette
enquête, véritable thriller, aboutira puisque le tambour sera retrouvé,
l'assassin découvert, et le prospecteur qui apportait le mal, éliminé.
Mais l'issue laisse le lecteur sur sa faim. Qui aimerait une suite, car
bien des questions suggérées en cours de roman n'y sont pas résolues.
La découverte du géologue aura-t-elle des conséquences pour la
région? Qu'adviendra-il d'Aslak? Et quels problèmes d'ordre personnel
taraudaient les enquêteurs de la police des rennes, Nina et Klemet? Peut-être
le lecteur trouvera-t-il ces réponses dans les romans suivants
d'Olivier Truc: Le Détroit du Loup paru en 2014 et La
Montagne rouge en 2016. Bref, Le Dernier Lapon est un roman qui marque, il est à noter qu'il a obtenu près de vingt prix dont le prix Quai du polar 2013, le prix Mystère de la critique 2013 et le prix Michel-Lebrun 2013.
Les deux titres suivants d'Olivier Truc, également policiers, où l'on retrouve les mêmes personnages principaux, avec l'humour en plus pour La montagne rouge, se passent pour l'un à l'extrême nord de la Laponie, pour l'autre au sud, ne déçoivent pas. Passionnants, bien menés, ils sont tout autant instructifs sur la vie et les problèmes des habitants de ces contrées. Toujours bien documentés, cette fois ils mettent l'accent non plus sur les recherches et exploitations minières, mais sur celles, pétrolières, forestières et archéologiques . Et toujours on y constate les effets de la modernité, du progrès qui, même s'ils rendent leur vie plus confortable, se font au détriment des éleveurs traditionnels de rennes, autrefois appelés Lapons, aujourd'hui Sami, qui perdent peu à peu les ancestrales terres de transhumance des rennes...
Un
complot éloquent, de Michèle
Larrère (éd.
St Honoré 2018) Le
roman, sorte d'enquête qui, même si elle est initiée secrètement et
de sa seule initiative par un procureur de la République aidé d'un
inspecteur de police, n'est pas policier. Le
procureur Sixton, flanqué de l'inspecteur de police Fusain, tente de
retrouver le juge Kervelin qui a disparu, ainsi que Josué Valbrisson,
chercheur en sciences des probabilités. Ce dernier, d'une intelligence
hors du commun mais disgracié par la nature, nain et laid, était
affublé à la naissance d'un cerveau parasite et est menacé d'être
accusé de meurtre... Le
couple d'enquêteurs nous est présenté sous un jour quelque peu
cocasse. Sérieux mais pressés de mener leur enquête, ils se laissent
cependant embarquer dans l'écoute de longs propos que leur tiennent les
personnes qu'ils vont interroger. Propos qui ne les font pas vraiment
avancer dans leur enquête et leur font perdre un temps précieux,
puisqu'ils n'ont que quarante huit heures pour la mener avant que la
disparition du juge ne soit rendue officielle. Ce faisant, de visites en
visites, nos enquêteurs sont intrigués par les copies d'un tableau
sans valeur représentant un manoir au fond d'un parc boisé, qui ornent
mystérieusement plusieurs des intérieurs... Ce
roman, de descriptions plus que d'actions — celles très fouillées
des différents personnages (physique, caractère, comportement) et des
lieux (en rapport avec le caractère de ceux qui les habitent) —, écrit
dans un style vivant et sans longueurs, au langage souvent quelque peu
"choisi", est prétexte à aborder bien des domaines: Le
lecteur s'en doute par le ton emprunté: par un heureux
"hasard"?, tout sera bien qui finira bien. À lire pour un
plaisant divertissement et un panorama de la société de la seconde
moitié du XXe
siècle.
Avec
l'arrivée chez Amaterasu Takahashi d'un homme défiguré par la bombe H
larguée sur Nagasaki alors qu'il avait 7 ans et qui prétend être son
petit fils Hideo qu'elle croyait mort calciné le 9 août 1945 avec sa
fille Yuko, c'est tout un passé douloureux qu'elle voulait avoir mis
derrière elle en venant vivre en Amérique, qui ressurgit. Il
resurgit à sa lecture du journal intime de Yuko dans lequel elle se
plonge. Yuko dont elle n'a jamais pu faire vraiment le deuil du corps
jamais retrouvé, ni surtout savoir quel était son état d'esprit et
quel choix essentiel de vie elle avait pris juste avant sa mort. Il
resurgit à la lecture des lettres de Soto, père adoptif d'Hideo.
Lettres qu'il a écrites à Yuko le 9 août de chaque année après
1945… Le
roman est construit sur cet entrecroisement de souvenirs que revit
Amaterasu, sur le lent cheminement que poursuit sa pensée afin de décider
si, oui ou non, cet homme couvert de cicatrices qui s'est immiscé dans
sa vie pourrait être son petit fils Hideo. C'est
un roman intense et infiniment bouleversant, qui, au delà de l'histoire
individuelle d'une famille avec ses secrets, ses amours contrariés, ses
chagrins, ses remords, raconte les plaies d'une nation fière et nous dévoile
de multiples détails sur les coutumes et traditions japonaises. Jackie
Copleton qui a enseigné pendant plusieurs années à Nagasaki et à
Sapporo, s'est documentée sur le contexte historique et culturel pour
écrire sa fiction. À
lire pour toutes ces raisons.
Duma
Key, de Stephen King
(éd.
Albin
Michel, 2009) Peuh
! tu lis un best-seller m'a-t-il dit en regardant la couverture du livre
que je venais d'entamer. D'accord, le roman est surtout d'action et sans
pensée philosophique, mais il m'a scotchée du début à la fin.
D'autant que j'ai découvert qu'il s'alliait au prochain thème de Café
littéraire sur "Les
œuvres d'art au cœur du roman",
puis à celui sur des "Filles
de l'eau". Edgar
Freemantle, entrepreneur en bâtiment, à la suite d'un grave accident
de chantier qui aurait pu lui coûter la vie, se retrouve handicapé.
Des douleurs de hanche, une jambe folle, le bras droit en moins, des
troubles de la vue, des maux de tête et des pertes de la mémoire de
certains mots le rendent sujet à de violentes colères – il a failli
étrangler son épouse. Qui donc a demandé le divorce – et à des idées
suicidaires . Pour
y palier, son psy lui a fourni une poupée ainsi qu'un remède non médicamenteux:
penser «Je peux le faire». Il lui a conseillé en outre, puisqu’il
ne pourra plus travailler de s'adonner à un passe-temps qu’il aimait
dans sa jeunesse. Ce
sera le dessin dans l'île paradisiaque de Duma Key du golfe de Floride. Arrivé
sur l'île il se met à dessiner, puis à peindre, poussé à le faire
et inspiré étrangement lorsque son bras fantôme le démange. Seule façon
d’apaiser ses démangeaisons. Il peindra l'horizon de la mer et le
bateau qu'il y a vu, puis l'horizon de la mer et d'autres objets ramassés
sur la plage, puis une série qu'il intitule "Fille et
bateau", entre autres... Peu
à peu, grâce à ses dessins, grâce aussi à un voisin et à
Elisabeth, –vieille
dame atteinte d’Alzheimer mais ancienne mécène des arts–,
il découvrira l'histoire tragique des habitants de la partie de l'île
laissée à l'abandon et ses forces mystérieuses. Devenu peintre célèbre,
grâce à ses toiles merveilleuses et délirantes qui révèlent un
immense talent mais sont inquiétantes... il découvrira sa capacité,
par ses coups de pinceau, d'influer sur le réel... Dans
le dernier tiers du livre, l'aspect fantastique du roman s'amplifie vers
l'inquiétant, le suspens angoissant. Car la force mystérieuse de l'île
s'est échappée comme d'une boîte de Pandore, un mauvais génie, non
pas Aladin mais une mauvaise "Perse", s'est réveillé,
rendant les peintures d'Edgar maléfiques aux êtres qui les possèdent
s'ils lui sont chers. Cette "Perse", qu'il lui faudrait rendre
impuissante en l'endormant dans l'eau comme l'a conseillé énigmatiquement
dans un moment de lucidité la vieille Elisabeth. Mais d’abord savoir
ce qu’elle est, où elle est, la dénicher au milieu des inquiétantes
fantasmagories qui se promènent sur l’île. Y parviendra-t-il ? Ceci
dit, le livre est aussi prenant parce que le héros/narrateur, même au
plein de ses difficultés passées qu’il narre quelque quatre ans après
les faits, s’exprime avec humour, de sorte que le lecteur s’attend
à une fin heureuse. Mais
ce qui donne à ce roman son intérêt premier, c’est la manière dont
Edgar a mené seul et opiniâtrement sa rééducation douloureuse à la
marche et son abandon progressif des antalgiques puissants pour ne pas y
rester addict, cette belle leçon des pouvoirs de la volonté sur le
handicap: «Je peux le faire».
Les
dames de nage, de Bernard Giraudeau (éd.
Métailié 2007) "Sur une embarcation à rames, la dame de nage est un objet servant à fixer une rame. Durant le mouvement du rameur, elle joue le rôle de pivot et transfère à l'embarcation la réaction créée par le coup de rame" Voilà un beau terme emprunté au vocabulaire de la marine qui dans le livre évoque les femmes rencontrées. Celles qui marquèrent le héros-narrateur-auteur, jouèrent pour lui ce rôle de pivot et de propulseur à la fois. Lui, marin qui les recherchait d'escale en escale. Lui, cinéaste rivé derrière sa caméra qui l'empêchait de vivre vraiment l'instant filmé.... Femmes au destin le plus souvent funeste, mais qui prenaient leur vie en charge. À commencer par Amélie, amour d'enfance, dont le souvenir revient en décousu, par vagues dans les pages... "Elle
s'est dissoute un jour dans une eau claire. C'était dans un cristal
d'émeraude glacée. Elle repêchait des statuettes chinoises sur une
épave, une jonque du XIVe siècle. J'ai gardé une petite figurine de
Jade et d'ivoire. Je la caresse dans ma poche. Le récit a l'apparence de souvenirs autobiographiques racontés quelquefois en désordre par un être qui se cherche. L'auteur met en exergue au long récit cette phrase d'Alfred Hitchcock : "Il y a quelque chose de plus important que la logique, c'est l'imagination." Il y raconte maintes histoires de ses amies et amis marquants. L'on ne sait y démêler le réel vécu de l'imaginé. "J'aurais pu indéfiniment continuer à monter des images et raconter la vie des hommes comme si je tissais moi-même le monde. Je voulais m'identifier au milieu des autres, retrouver le chemin personnel, ne serait-ce que me deviner, me rejoindre, naviguer dans ma lumière. J'allais dans ma lanterne magique faire défiler en accéléré toutes ces vies amassées comme un trésor et parmi lesquelles je cherchais vainement la mienne." On y vit des moments de lecture tantôt crus, tantôt hilarants ou très émouvants, dans une écriture aux accents poétiques.
Journaliste
photographe, Kyo Philip a assisté à un viol par des soldats pendant la
guerre, sans intervenir pour l'empêcher. Il a également participé à
d'autres exactions qu'il se reproche à présent. Des
années après, taciturne, écrivain en quête d'écriture, il revient
sur l'île pour réfléchir à ce passé. C'est ce passé qu'il narre.
Pour se donner une contenance il achète un attirail de pêcheur et
s'installe sur la digue à regarder la mer. Dans
le roman, un deuxième personnage, en alternance, s'exprime. Une petite
jeune fille à peine pubère de l'île. Arrivée de la capitale à l'âge
de quatre ans avec sa mère devenue elle aussi, pour les faire vivre, pêcheuse
d'ormeaux. L'enfant s'appelle June. Elle aime la mer et s'y rend seule
après l'école. Cet étranger, qu'elle voit tout seul sur la digue,
l'intrigue. "C'est une chose que je ne fais pas d'habitude, et
pourtant ce soir-là j'ai eu envie de parler à cet inconnu. Il avait
cette drôle d'allure, un peu engoncé et maladroit dans ses habits de
la ville, et tout son attirail de pêcheur. C'était assez bizarre, et
pour tout vous dire, vraiment nouveau". Elle l'aborde, lui
parle, de la pêche d'abord, où il ne connaît rien. Puis de bien
d'autres choses. Son babillage, ses réflexions, ses questions agacent
monsieur Kyo. "Parfois j'ai envie d'être violent avec elle.
J'ai envie de lui dire, avec des mots méchants, des mots qui font mal:
«Je vais vous expliquer, petite fille. J'ai été en prison pour
complicité de viol sur une fille qui avait à peu près votre âge.(...)
Je le lui dirai pour qu'elle ait peur de moi, pour qu'elle comprenne que
je peux récidiver..." Aussi, lui répond-t-il ironiquement.
Elle ne se laisse pas décourager. Elle finit par le considérer comme le père qu'elle n'a pas eu... Et plus encore... sans qu'elle sache encore mettre un nom sur ses sentiments. "Monsieur Kyo est vieux. Il a besoin de moi. J'ai décidé qu'à partir d'aujourd'hui il serait l'homme de ma vie". C'est elle, par son lent apprivoisement, qui parviendra à le faire retourner à la vie... Dans
une écriture sobre, c'est une histoire très belle et qui émeut, à
savourer lentement. Entre Tempête de JMG Le Clézio paru en 2014, et Le peintre de batailles d'Arturo Pérez-Reverte paru en 2007, on trouve des similitudes : Les
deux héros sont d'anciens photographes de guerre. Les deux ont vu la
femme aimée, sans que ce soit pour un autre homme, les quitter. Tous
deux s'isolent près de la mer. L'un pour exprimer dans la peinture
toute les violences et douleurs qu'il a vues lors des batailles, en
sorte de catharsis, l'autre s'en laver s'il est possible dans la
contemplation de la mer, pour ensuite pouvoir écrire. À
l'issue des
deux romans, ces personnages sortent apaisés par la vertu de la parole.
Du lent et long dialogue maîtrisé et sans violence, entre le peintre
et le Croate. Des babillages et des jeux innocents et purs, au fil des
jours, avec la fillette de l'île, pour Kyo Philip. Et de riches
silences aussi. Ce qui advient dans le roman Tempête pourrait
constituer la continuation de la vie du Croate du Peintre des
batailles, qui ensuite serait allé s'isoler sur l'île de Udo... on
peut toujours rêver.
Terrasse
à Rome, de Pascal Quignard L'auteur
nous
conte l'étrange vie voyageuse d'un graveur sur cuivre: Geoffroy Meaume,
dit Meaume le Graveur. Personnage imaginaire du XVII
e siècle, peut-être
partiellement inspiré de Louis Von Siegen ou de Jacques Callot ses
contemporains. Le Meaune du roman fut défiguré par un jet d'eau forte
lancé par le promis jaloux de Nanni, la femme qu'il/ qui l'/ aimait.
Femme qui, après sa défiguration, le quitte, mais qui hante sa vie et
ses œuvres. «
L'amour consiste en des images qui obsèdent l'esprit. S'ajoute à
ces visions irrésistibles une conversation inépuisable qui s'adresse
à un seul être auquel tout ce qu'on vit est dédié. Cet être peut être
vivant ou mort. Son signalement est donné dans les rêves car dans les
rêves ni la volonté ni l'intérêt ne règnent. Or, les rêves, ce
sont des images. Même, d'une façon plus précise, les rêves sont à
la fois les pères et les maîtres des images.» Meaune
mourra d'un coup de dague au cou que lui assènera le fils de Nanni, son
propre fils, qui ne l'avait pas reconnu et le prit pour un voleur. «Moi
je pense que je suis tout près d'avoir été vivant. Les ancêtres me
visitent. J'ai gardé en moi la femme que j'ai perdue. Elle aussi me
visite. Elle est même devenue un jeune homme qui se jette sur moi dans
l'ombre d'un arbre sur le mont Aventin. » Dans ce roman d'une écriture très épurée mais d'une forte densité, il est beaucoup question des œuvres et des techniques de gravure de Meaume: taille douce, eau forte, manière noire... de rencontres ou d'avis d'autres graveurs, peintres et artistes, réels ou imaginaires, de l'époque. Grünehagen
rapporte ce propos de Meaume en 1652: «On doit regarder les
graveurs comme des traducteurs qui font passer les beautés d'une langue
riche et magnifique dans une autre qui l'est moins à la vérité, mais
qui a plus de violence. Cette violence impose aussitôt son silence à
celui qui y est confronté.» Cette affirmation de Meaume le Lorrain
semble répondre à celle de Mellan d'Abbeville qui disait qu'il avait
toujours gravé les tableaux avec plus de feu et plus de liberté que
les peintres n'en pouvaient témoigner, asservis qu'ils étaient par la
multitude de leurs couleurs et par la tentation de séduire. Mellan
disait même: «Ce sont la profusion des fards et celle des teintes
qui ont entraîné à leur perte les mortels depuis le premier fruit.» L'arrière-saison,
de Philippe Besson
(éd. Juliard
2002) Étrange,
ce roman
surgit de l'observation de la peinture d'Edward Hopper: "Les rôdeurs
de la nuit". Le
valet de peinture, de Jean-Daniel Baltassat (éd.
R. Laffont 2004) Cette fiction historique se passe au temps où la petite Jeanne, à Domrémy, entend des voix qui lui disent de placer sur le trône de France le duc d'Orléans... L'auteur
imagine une partie de la vie de Jan Van Eck, lorsque celui-ci, en 1428,
est dépêché à Lisbonne afin d'effectuer le portrait d'Isabel de
Portugal que le duc Philippe III de Bourgogne (dit plus tard Philippe le
bon), envisage d'épouser par devoir... Van Eyck a ce faisant la mission
délicate de vérifier si du fait qu'elle a déjà passé la trentaine,
elle est belle. Et si oui, de déceler si elle est encore pucelle. «Vous allez bientôt partir pour le Portugal. (...) Cette ambassade est très officielle. (...) Vous remettrez au roi Jean la lettre par laquelle je lui demande la main de sa fille, l'infante Doña Isabel. Avec l'humilité qu'il sied. La lettre et la demande, je veux dire. Vous, on doit vous traiter avec les plus grands égards, ainsi que si c'était moi-même qui me rendais en Lusitanie. (...) On doit aussi vous remettre la future duchesse afin que vous la conduisiez à Bruges où nous recevrons les sacrements. L'été prochain. Si Dieu le veut. Il y a Dieu et il y a moi, tel est le vrai. Et ce mariage, Dieu le veut plus que moi, maître Johannes. Vous savez ce qu'il en est de mon goût pour les épousailles. J'y vais parce qu'il le faut, comme on va au pot par temps de colique.» Le
ton du roman est tantôt plaisant, tantôt sérieux, empreint des mœurs
de l'époque. Il y est beaucoup question des peintures de Van Eyck, de
ses recherches d'une nouvelle huile siccative qui donnera à ses œuvres
un caractère lumineux et ce qui le détermina à peindre, ce qui ne se
faisait jamais auparavant, ses personnages de face, leurs yeux plongeant
dans ceux de celui qui les regarde... «C'est
pourquoi tu dis faux lorsque tu parles de l'image peinte comme d'une
reproduction des vérités matérielles. Le but d'une image peinte n'est
pas la copie. Mon ouvrage n'est pas un savoir de tricherie. Le savoir
d'un peintre doit permettre que naisse, dans un cadre à nos dimensions,
un instant de ce monde qui court selon les lois humaines de l'espace et
du temps. Seule la précision aussi infinie que possible de cet instant
nous mettra sur le chemin de l'invisible.» Le
portrait de l'infante que peindra le célèbre valet de peinture Van
Eyck, devra apporter la réponse à son commanditaire Philippe de
Bourgogne. Mais c'est compter sans le caractère volontaire de l'infante
qui ne veut se soumettre ni se laisser forcer par celui-ci.
Faulques,
après avoir mené une carrière de photographe de guerre sur tous les
fronts chauds de la planète, parce que la photo lui semble ne plus
convenir à restituer ce qu'il voudrait saisir de ses visions d'horreur,
est revenu à la peinture qui l'avait attiré dans sa jeunesse mais pour
laquelle il ne se sentait pas de talent. "Aujourd'hui,
pourtant, il possédait enfin les connaissances adéquates et l'expérience
vécue nécessaires pour relever le défit: un projet qu'il avait découvert
à travers le viseur d'un appareil photo et mûri tout au long de ces
derniers années. Un panorama mural qui déploierait, sous les yeux d'un
observateur attentif, les règles implacables qui sous-tendent la guerre
— le chaos apparent — comprise comme simple miroir de la vie." Retiré
du monde sur les bords de la Méditerranée, dans une ancienne tour
circulaire, il peint sur le mur concave cette immense fresque. Il
la peint pour Olvido, femme omniprésente dans toutes ses pensées. Également
photographe, elle l'avait accompagné sur les champs de bataille et y
est morte. Car les photographes de guerre sont autant exposés que les
soldats. Ils ne savent jamais si le hasard ou la géométrie qui régit
le désordre, — le chaos apparent — du monde leur laissera la vie
sauve. Une vie de risques où à tout moment il faut être prêt à
payer son passage à Chiron... L'histoire
d'amour de Faulques et Olvido, Arturo Pérez-Reverte le narrateur, qui
fut lui-même correspondant de guerre, nous la peint par écrit en une
fresque grandiose, et terrible, avec des arrêts, des retours sur
image... Elle nous est révélée par les incessantes échappées de
pensée de Faulques qui surviennent lorsqu'il met en couleur telle ou
telle partie déjà esquissée de sa fresque aussi bien que lorsqu'ils répond
aux questions d'Ivo Markovic, un Croate qui a survécu à la guerre en
Bosnie et dont la photo prise par Faulques a fait le tour du monde, a détruit
la vie et qui vient lui réclamer une dette mortelle. Le
roman fait réfléchir au droit à l'image. Pose la problématique de la
photographie par rapport à la peinture. Il est riche en couleurs, en évocations
d'œuvres de peintres tels Gerardo Murillo (Dr Alt), Goya, Brueghel,
Ucello, Chirico, Pietro delà Francesco, etc. etc... qui aident le
peintre de batailles à restituer ses visions et que le lecteur curieux
peut rechercher sur le net s'il veut approfondir et avoir un meilleur
aperçu du travail pictural et des réflexions de Faulques. Un
Faulques qui se maîtrise, semble presque toujours impassible. Il faut
de la maîtrise en effet pour régler un objectif selon la distance, le
mouvement, la lumière, en plein champ de bataille... de la technique
aussi pour préparer les couleurs, les appliquer afin d'obtenir ce qu'il
a en tête. On pense parfois à une partie d'échec qui se jouerait sur
la fresque de la tour lorsqu'il peint les cavaliers, les femmes, les
soldats, les lignes de déplacement... dont les rois, peut-être,
seraient Faulques et Markovic... Enfin,
Le peintre de batailles pose la question de la responsabilité, du mal,
et montre qu'au fond dans cette partie d'échec qu'est la vie, nul n'est
totalement innocent...
Check-point,
de Jean-Christophe Rufin (éd.
Gallimard 2015) Après avoir lu Le peintre des batailles, — roman de réflexion plus que d'action, de construction et d'écriture riche, admirablement bien traduit de l'espagnol par François Maspero—, j'ai voulu lire Check-point de Jean-Christophe Rufin parce que lui se déroulait au jour le jour sur le terrain réel de la guerre, en Bosnie, mettant en scène non plus un observateur photographe, mais des engagés dans une ONG qui se retrouvent dans un convoi humanitaire. J'y ai été confrontée à une écriture plus sobre (plus plate?), aux phrases courtes, à laquelle je ne me suis habituée que lorsque le récit, au bout de quelques pages heureusement, m'a happée. J'y ai retrouvé l'idée que nul n'est au fond innocent et que la violence peut se déchaîner en chacun de nous, tout est affaire de circonstances... Ce roman, un vrai thriller plein de rebondissements, où il y a rencontre amoureuse, où certaines péripéties sont dignes du Salaire de la peur... m'a semblé tout même un peu artificiel: Maud, passée sous un camion ou Alex écrasé par une voûte rocheuse effondrée, apparemment grièvement blessés et mis hors jeu, se retrouvent quelques heures après en pleine forme, allègrement s'occupent d'enfants, mettent une maison en ordre ou conduisent un camion, gravissent un sentier de montagne dans la neige... ce qui fait penser aux personnages de jeux vidéos qui pour que l'aventure se poursuive, rachètent des points de force, de vie... Cela
étant, le roman, qui finit bien, où celui qui se révèle
"le" véritable méchant est puni, dont l'auteur fut un des
pionniers du mouvement humanitaire des "French doctors",
a le mérite de nous montrer ce à quoi s'exposent les humanitaires, les
dessous possibles de certaines de ces opérations et les motivations des
personnes qui s'engagent dans les ONG, qui ne sont pas forcément de
paix ou purement humanitaires... Et qu'une neutralité bienveillante
n'est pas toujours de mise.
Ce
roman narre l'histoire de Térii, et avec elle celle de Tahiti dont ce héros
est natif. Y sont présentées les anciennes croyances, traditions
orales et vie haute en couleurs des maoris. Si Victor Segalen (1878 -
1919), médecin de la marine, a effectivement visité les îles d'Océanie,
il s'est de plus énormément documenté pour écrire. Une ironie douce
amère sous-jacente met le doigt sur les apports néfastes des européens —
les étrangers à peau
blême— dans ces îles, leur évangélisation au
début du XIXème
siècle, et sur les religions quelles qu'elles soient dont les
dignitaires savent tirer parti à leur avantage des simples croyants crédules
pour vivre d'offrandes en en faisant le moins possible. Elle fleure
surtout dans la dernière partie (le roman en comporte trois), peut-être
la plus savoureuse aux épisodes parfois cocasses, qui conte le retour
de Térii, toujours égal à lui-même après les vingt ans qu'a duré
son absence, mais confronté aux changements profonds survenus sur son
île. En
voici ci-dessous l'histoire détaillée : Première
partie : Térii,
adolescent "désireux des faveurs réservées aux familiers des
dieux", devient disciple de Paofaï, chef des récitants de Tahiti.
Malheureusement il lui arrive d'avoir des lacunes de mémoire lorsqu'il
récite les longues généalogies des ancêtres et des dieux maoris (lire
le passage),
et lors d'une fête importante avec danses et sacrifices suivie de
ripailles, il confond des noms. Il est alors accusé d'être à
l'origine des calamités qui s'abattent sur l'île. Elles sont dues,
dit-on, plus à ses erreurs qu'à la présence des étrangers à peau blême.
Ceux-là qui refusent les femmes à eux offertes, apportent l'alcool qui
rend malade, et veulent leur enseigner leur Dieu: Iésu-Kérito. Deuxième
partie : Térii
est donc parti. Est alors narré alors le récit de son voyage sur mer,
dans les îles, vers Hawaï. Il a fui avec Paofaï. Au cours de leurs pérégrinations,
ils essuient une tempête, voient une île volcanique disparaître dans
un jet de pierres brûlantes et de fumées alors que le jour devient
nuit et la nuit jour. Ainsi, durant vingt ans, Terii sera matelot sur
différents bateaux, ceux des étrangers à peau blême. Ce périple,
s'il n'est pas raconté, il est possible de le suivre sur un plan que
l'auteur a pris soin de tracer, jusqu'à ce qu'il finisse par le ramener
sur son île chérie de Paré. Troisième
partie : Durant
ces vingt ans, si Térii a appris deux ou trois langues il a gardé ses
anciennes meurs et croyances. Mais sur son île, l'influence
grandissante des missionnaires britanniques à amené à la conversion
le roi Pomaré en 1819. Celui-ci, après avoir battu une coalition de
chefs locaux a converti l'ensemble de l'île au christianisme. La
famille et les anciens compagnons de Térii ont donc été évangélisés
par des missionnaires méthodistes anglicans dont ils ont pris les
coutumes et pratiquent la religion. Celle de Iésu-Kérito. Ils sont
baptisés, ne portent plus leurs noms païens, mais de nouveaux noms tirés
des Écritures. Ils sont à présent tristes, n'ont rien gardé de leurs
usages les plus familiers, sont vêtus de sombre, restent silencieux les
jours de fête qui consistent en une morne assemblée, sans festin, sans
sacrifice au Dieu, avec
lecture des signes dans les livres. Sont apparus plein d'interdits, exit
les plaisirs —avant innocents— de la vie et honte aux femmes si elles
sont dévêtues. Est instauré le mariage et la monogamie. De sorte que
Térii se voit devoir épouser son ancienne épouse (lire
le passage)... Ce
roman est suivi d'une grande annexe: les références et renseignements
issus de l'importante documentation dont s'était servi Victor Segalen
pour écrire ce bel ouvrage sur Tahiti, dont il avait largement annoté son manuscrit.
Servitude
humaine, de William Somerset Maugham En
préparation d'un Café littéraire sur les "médecins
écrivains",
et d'un autre sur "Peinture
et œuvres d'art au cœur de romans",
j'ai découvert le chef-d'œuvre de William Somerset Maugham : Servitude
humaine. On
y trouve le même acharnement du destin contre Philip, —personnage généreux,
qu'un premier amour pour Mildred qu'il méprise, mais dont il a du mal
à se séparer, qui reviendra lorsqu'elle sera dans la gêne profonde et
qui le mènera à la ruine—, que contre le
Jude
l'obscur,
de Thomas
Hardy. Le
roman est prétexte pour l'auteur à philosopher sur les questionnements
de l'existence, ses incohérences, le sens que chacun voudrait donner à
sa vie. Les uns à travers leurs peintures: "L'unique raison
qu'on a de peindre est qu'on ne peut pas s'en empêcher. On peint pour
soi-même; autrement on se donnerait la mort.", d'autres le
cherchent dans leurs lectures: "Quand je lis, on dirait que
seuls mes yeux suivent les lignes, mais de temps à autre, je tombe sur
un passage, quelquefois une simple phrase, qui m'offre une signification
précise et qui devient partie intégrante de moi-même. (...) Nous
sommes comme un bouton de fleur; la plus grande partie de nos lectures
glisse sur nous, mais certaines choses, au sens plus profond, ouvrent un
pétale. Un à un, les pétales s'épanouissent, et, enfin, la fleur se
forme."... Bref,
Servitude humaine est un beau roman d'apprentissage, précis,
long mais sans longueurs, et prenant de par son intrigue à
rebondissements et par les idées exprimées.
Lettre
à Laurence
(éd. Folio
Gallimard 1987) Une part essentielle de la vie comme de l'oeuvre de Bourbon-Busset a eu un nom: Laurence Ballande. Cette femme épousée en 1944 et lui, ont éprouvé l'un pour l'autre pendant quarante ans, un "amour fou durable" jusqu'à ce que Laurence décède, à 75 ans, d'un cancer. C'était en 1984. Après sa mort, l'écrivain, qui fut aussi diplomate, a continué d'écrire ces "Mémoires d'un amour" en disant : "Je prends appui sur ton absence." Lui-même mourut en 2001, avant la parution de son dernier livre : "L'absolu vécu à deux". L'expérience
de ce grand amour pendant toute la durée du mariage peut nous paraître
exceptionnelle. L'auteur affirme que non, qu'elle est à la portée de
tous.J'ai des doutes pourtant quant à cela car on ne peut trouver en
tous les couples, ni les qualités de coeur, ni la complicité
intellectuelle, qui sont ici décrites. Ni même ce que l'auteur
présente comme une condition indispensable à la réussite du mariage :
que chacun soit intensément amoureux de l'autre. Il ne faut pas chercher, dans ces livres, tout ce qui concerne l'organisation quotidienne de la vie à deux ou l'éducation des enfants. C'est du cheminement des êtres l'un vers l'autre dont il est question, pour concilier les natures différentes jusqu'à une union profonde, qui, plutôt que d'enfermer, ouvre au contraire une porte d'accès au monde et à Dieu. "Le difficile est de faire communiquer deux vies intérieures d'une manière qui ne soit pas superficielle, de les faire communiquer par leurs profondeurs. La pudeur de chacun y répugne et aussi la crainte, en exprimant certaines nuances, de les faire disparaître. Nous avions surmonté pudeur et crainte mais tout n'était pas acquis pour autant. Il a fallu désarmer nos amours-propres. Ce fut long et difficile. Nous étions aidés dans cette tâche par la conviction que rien ne tue plus sûrement l'amour que l'amour-propre." (Lettre à Laurence) "Nous étions dévoués l'un à l'autre autant qu'on peut l'être. Nous n'avions pas à nous interroger, nous obéissions joyeusement à la logique du dévouement qui nous épargnait toute hésitation et tout regret. La volupté du dévouement est la volupté la plus forte. Elle ne connaît pas la satiété. Tout fleurit et brille dans la lumière du dévouement. L'absolu d'un dévouement est l'autre nom de l'esprit. L'esprit se dévoue ou meurt. L'esprit, c'est la puissance du dévouement. Le tu donne un sens au je. Devenir soi par l'autre n'est pas un programme mais une réalité." (L'absolu vécu à deux) L'idéal
serait de lire ―
peut-être
pas dans la foulée cela pourrait lasser (encore que la lettre soit
courte) ―
les deux témoignages qui forment un couple eux aussi, en commençant
par cet hymne à l'amour, à Laurence qu'est la lettre, au style
déjà philosophique, mais lyrique aussi. On reconnaît, dans l'écriture de Bourbon-Busset comme dans sa façon de réfléchir, de poser les problèmes, l'empreinte de Louis Lavelle, ce philosophe métaphysicien qui m'avait tant chavirée lorsque je le découvris, et dont une part de l'oeuvre est très accessible. C'est pourtant seul, et avant même de rencontrer sa future épouse, qu'en raison de circonstances vécues dans sa jeunesse, l'auteur s'est choisi une devise qu'il observera toujours, tant pour Laurence malade que pour d'autres personnes : Vivre, c'est aider quelqu'un à vivre.
Métamorphoses
d'un mariage, de Sándor Márai
(éd.Albin
Michel 2006, puis Le Livre de Poche) Nous est présentée ici la version finale d'un roman d'abord paru en 1941 sous le titre: "Az igazi"(la vraie personne), non traduit en français à l'époque, auquel Máraï, quarante ans plus tard, a ajouté une partie: "Judit", ainsi qu' un épilogue. C'est vous dire déjà l'importance de l'extrême recul, du temps écoulé, chez cet auteur hongrois, analyste des sentiments et de la société qui n'est pas sans rappeler Stefan Zweig. Il s'agit à la fois d'un roman d'amour, d'un tableau de la bourgeoisie hongroise et de son déclin à partir des années 20, d'un témoignage politique et économique jusqu'à la fin des années quarante. L'auteur
a choisi, pour nous raconter cette histoire, une structure polyphonique
à quatre voix, auxquelles s'ajoute une voix off qui aura son rôle à
jouer pour chaque personnage. Les cinq personnages, pour la plupart ne se comprennent pas, ou bien ils croyaient se connaître et ne se connaissaient pas. Demeure presque sans cesse entre eux une distance impossible à combler. Máraï insiste sur l'inaccessibilité des êtres, sur la solitude, dans ou hors mariage, de chacun d'entre nous. Et sur tant d'autres choses, car il multiplie les thèmes, s'éloignant de plus en plus du mariage pour s'attacher aux épreuves subies par son pays (2de guerre, communisme) et aux transformations de la société en général, pas seulement en Hongrie. Pessimiste, inégal, touffu, ce roman n'en demeure pas moins enrichissant et compte dans le paysage littéraire. La passion, l'influence du milieu social sur les comportements, les différentes sortes de solitude, l'opposition nature/culture sont particulièrement mises en lumière. "La culture, ma chère, est une expérience vécue... une expérience vécue en continu, comme le soleil qui brille. Les connaissances, elles, ne sont qu'accessoires." "Et le grand projet que deux êtres avaient conçu échoue ou ne réussit pas comme ils l'auraient voulu. Alors, ils se séparent, furieux ou indifférents, et recommencent ou cherchent d'autres partenaires. Ou, de guerre lasse, ils restent ensemble, à s'user mutuellement, à pomper l'énergie vitale de l'autre, tombent malades, s'entre-tuent à petit feu et s'éteignent. Comprennent-ils seulement... au dernier moment, avant de fermer les yeux pour toujours, ce qu'ils ont voulu l'un de l'autre? Non, ils n'ont fait qu'obéir à une grande loi aveugle, celle de l'amour qui renouvelle le monde, de l'amour qui a besoin d'hommes et de femmes s'accouplant pour assurer la continuité de l'espèce... Est-ce vraiment tout? (...) Le sentiment qu'éprouve un homme pour une femme est-il une chose individuelle ou l'expression d'un désir général, éternel, qui, parfois, pour quelque temps, touche un seul corps? L'excitation artificielle que ce désir nous communique ne peut être l'objectif de la nature. Une nature qui a créé l'homme et lui a donné une femme parce qu'elle sait à quel point la solitude est dangereuse." Écrivain plutôt misogyne, non?
Pour
avoir, par un ambitieux projet fondé sur la théorie des cordes, réussi
à ouvrir les couloirs du temps et contemplé le passé de l'humanité,
un panel des meilleurs scientifiques mondiaux, isolé secrètement sur
une île en 2005, se retrouve comme l'apprenti sorcier avoir déclenché
une puissance venue du passé. Elle les hante et commence à les détruire
les uns après les autres. De plus, financé par de mystérieux fonds
privés leur programme de recherche pourrait avoir des applications
militaires moins angéliques que leur seul ravissement de scientifiques. Après
un premier drame, ils sont rapatriés de l'île et vivront dix années
sans avoir le droit de communiquer entre eux et surveillés par
l'organisme financeur du projet, mais ils resteront hantés par l'Impact
du drame qui changera leur vie. C'est dix ans plus tard, en 2015,
lorsque l'un des personnage se sent à nouveau en danger que commence le
roman narré adans des chapitres flash-back qui expliquent ce qui s'est
passé autrefois. Ils se retrouveront, retourneront sur l'île pour
tenter d'expliquer, de découvrir et d'éliminer cela ?, celui
?, celle?, qui leur est nuisible et maléfique, et pourrait
l'être pour le reste des humains. Ce
roman, thriller captivant, se lit d'une traite dans l'attente de
l'explication finale, du moins par les lecteurs amateurs de
science-fiction qui s'intéressent quelque peu aux sciences physiques.
Publié en Espagne en 2006, on peut le qualifier de hard
science-fiction : l'intrigue développée n'entre pas en
contradiction avec l'état des connaissances scientifiques au moment de
son écriture puisque l'auteur a pris soin de s'entretenir avec
plusieurs représentants scientifiques afin de s'assurer de la cohérence
des hypothèses physiciennes qu'il y expose et la leur a soumise avant
publication. José
Carlos Somoza qui a fait des études de médecine et est diplômé de
psychiatrie et de psychanalyse qu'il a exercée un temps avant de se
consacrer entièrement à l'écriture, ne néglige pas la dimension
humaine des personnages et ouvre la psychologie aux conjectures
scientifiques. Et si certains passages y relèvent d'un style horrifique,
l'auteur ne se complaît pas à narrer les moindres détails des
violences, il reste dans le domaine de la suggestion, au lecteur
d'imaginer le pire. L'un des
personnages, un professeur physicien, exprime en une phrase la
quintessence du livre: L'inquiétude
grandissante et panique du groupe de scientifiques devant cette force dénommée
"Zigzag" (Zigzag étant le titre original du livre en
espagnol) qui les traque, qui interfère avec la réalité et le temps
jusqu'alors connus, fait penser aux œuvres de Philip
K. Dick., notamment à Ubik.
Origine,
de Dan Brown
(éd. JC
Lattès 2017) Depuis Anges et Démons, Da Vinci code, Le symbole perdu, Inferno, la publicité pour les romans de Dan Brown n'est plus à faire. Dans ces thrillers prenants, on retrouve un personnage récurrent, le professeur symbologue Robert Langdon, des œuvres d'art à fond ésotérique, des questions sur des fondements de la religion, de la science. Dans Origine, à l'intérêt que le lecteur porte à l'intrigue qui tourne autour de l'origine de l'humanité, de son évolution et de son devenir face aux avancées technologiques qui de plus en plus envahissent notre vie, dont celle, futuriste, de l'IA (intelligence artificielle), s'ajoute le plaisir de la découverte des surprenantes merveilles architecturales profanes ou religieuses espagnoles que recèle Barcelone: le musée Guggenheim d'art contemporain de Bilbao et le pont de la Salve, Montserrat, le Parc Güell, la Sagrada Familia et la Casa Milà (La Pedrera) de l'architecte Gaudi, la fontaine magique de Montju, San Lorenzo de El Escorial dans la Valle de los Caídos, etc. Pour peu que le lecteur ait à portée de main les moyens de connaissance qu'offre Internet et prenne le temps d'entrer dans sa tablette ou son smartphone les noms des lieux où évoluent les personnages, il bénéficiera d'une lecture augmentée puisqu'il pourra visualiser ces lieux étonnants et somptueux ― voire de tous les dangers comme l'escalier de la mort de la Sagrada Familial ―, dans leur vives couleurs, dans leurs ors et leurs fastes, ainsi que les œuvres d'art, telle D'où venons nous? Que sommes nous? Où allons nous? de Gauguin, décrites par l'auteur à travers la pensée de son héros qui les parcourt, les observe et en cherche les clés. Ensuite, s'accroît l'intérêt pour la découverte sur le devenir de l'humanité par le futurologue spécialiste des nouvelles technologies, Edmond Kirsch, personnage assassiné à l'orée de son discours en début de roman. Kirsch, qui évoque l'ivresse apportée par l'alcool de cerise, mais dont le nom proche de l'allemand Kirche signifie église, n'a probablement pas été choisi par hasard… Sa découverte, stupéfiante, si elle est dévoilée au monde entier, en bouleversera l'ordre. C'est à chercher le mot de passe qui permettra de la rendre publique que s'attachent ses amis Robert Langdon et Ambra Vidal tout au long du roman… À lire donc, de préférence avec sa tablette sous le coude, ce roman, vibrant hommage au célèbre architecte Gaudi, mais aussi à William Blake poète et à Winston Churchill penseur.
La
dure loi du karma, de Mo Yan
(éd. Seuil 2009 -760p / poche
900p) C'est une drôle d'histoire, mais pas une histoire drôle, même si toute une partie conte des facéties. C'est un très long récit qui au bout du compte vous remue jusqu'au tréfonds. Qui dit "karma" dit réincarnation. L'histoire se passe en Chine. Elle est narrée à la première personne et au présent par Grosse Tête, qui est la réincarnation, enfin humaine, du personnage principal Ximen Nao (propriétaire terrien fusillé en 1950 par la populace fraîchement convertie aux doctrines communistes). Et en alternance, par Lan Jiefang le fils de Lan Lian (lequel Lan Lian est le fils adoptif de Ximen Nao et le seul paysan de toute la Chine resté indépendant envers et contre tout, même de sa famille, au grand dam des autorités qui auraient voulu qu'il adhère à la commune populaire). Nous
est contée la mort de Ximen
Nao, puis sa vie d'âne, sa mort d'âne, sa vie de bœuf, sa mort
de bœuf, sa vie de porc, sa mort de porc, sa vie de chien, sa mort de
chien, puis de singe... toujours en relation avec la vie des siens,
épouse, concubines, enfants, petits enfants... puisqu'il renaît chaque
fois dans le même village ou revient sur ses traces en ayant gardé ses
souvenirs d'humain, lesquels au fil des cinquante années que couvre le
récit s'atténuent bien sûr, comme certains des nôtres s'atténuent
aussi au fil de notre vie d'humain. La narration des vies successives de Ximen Nao et de ses rapports avec les membres de sa famille et descendance sont la trame romanesque foisonnante qui permet la relation, souvent ironique, par l'auteur de l'Histoire des villages de campagne depuis la "libération" maoïste en passant par la Révolution culturelle et l'installation de la commune populaire par Mao Zedong, jusqu'au retour à la propriété individuelle après la mort de ce dernier et aux luxe et plaisirs que procure la société épicurienne et marchande des débuts de notre nouveau millénaire, passant par bien des bouleversements. Saga familiale en milieu paysan et dans le contexte d'une époque particulière donc, relatée sur un ton qui fait souvent penser aux récits de William Faulkner. Bref, ce sont 760 pages d'une lecture de plus en plus prenante et qu'on ne regrette pas. Certaines graves et d'une violence presque insoutenable qu'on lit dans la tension, d'autres légères et facétieuses, d'autres très émouvantes. Au cours de ces pages, les deux narrateurs évoquent et dénigrent souvent un certain "petit drôle" du village : Mo Yan, ou relatent ses propos et ses écrits. C'est pourtant lui, l'auteur, qui tiendra la plume dans la courte dernière partie du livre (il en compte cinq), pour achever cette histoire afin que nous connaissions le devenir des divers membres de la famille de Ximen Nao et quelle fut sa dernière réincarnation, reliant ainsi fin et commencement.
Gaspard,
Melchior et Balthazar*, de Michel Tournier
(1980 coll.
folio / *Il existe en folio junior une version intitulée "Les
rois mages" ) Voici
en ce jour d'Épiphanie un livre de circonstance qui a le mérite
d'être l'unique roman écrit sur l'épisode des rois mages. Face au mystère qui les entoure, il a donc fallu que le romancier leur invente un caractère et une histoire, qu'il trouve un motif pour chacun de quitter son pays ― motif souvent naïf, "tiré par les cheveux" pense-t-on parfois. Ce parti pris de naïveté ou de futilité, il faut l'accepter, d'autant que les personnages vont évoluer. Chaque roi mage a une chose à apprendre qui lui sera révélée. C'est le sens même du mot "épiphanie" avec un "e" minuscule : compréhension soudaine et lumineuse qui fait suite à de nouvelles informations ou expériences. Il
n'est pas nécessaire d'être croyant pour apprécier ce roman aux
allures de conte, qui intéresse aussi par ses réflexions
philosophiques sur différents sujets, ceux-là même qui font prétexte
au départ de chaque roi. On y perçoit un rêve de société idéale où, sans plus de racisme, les peuples s'uniraient, où les animaux ne seraient plus maltraités ni tués ― et surtout pas au nom d'une religion, où l'alimentation redeviendrait plus saine. Ce roman, s'il n'atteint pas le niveau des trois grands livres de Tournier que sont Vendredi ou les limbes du Pacifique, Le roi des Aulnes et Les météores, et s'il ne correspond pas à ce qu'on s'attendait à découvrir à propos des rois mages, se lit agréablement, offrant pour qui veut l'approfondir, différents niveaux de lecture. PS.
À ceux qui le
liront, je recommande l'excellent article de Mathilde Bataillé, Roman
mythologique et initiation au temps dans l'oeuvre de Michel Tournier,
sur fabula.org. Ne le consultez pas avant lecture, sous peine d'y
découvrir l'histoire.
Jude
l'Obscur, de Thomas Hardy (Albin
Michel 1950 & Livre de Poche) Ce roman poignant, fit scandale à l'époque de sa parution en 1896. C'est une amère critique de l'institution du mariage, des conventions sociales qui y sont liées. Des obligations qu'il implique et des effets de l'opinion lorsqu'on ne les respecte pas ou veut s'en dégager. Mariage = piège pour les hommes qui s'y laissent prendre et qui, à cause/ou pour l'amour d'une femme, abandonnent leurs projets, leurs ambitions. Mariage = piège pour les femmes puisqu'au regard de la religion ― laquelle religion, le roman critique également ―, elles sont obligées de se soumettre aux désirs de leur époux jusqu'à la fin de leur jours, même si le mariage peut être pour elles un moyen de s'assurer une certaine protection. Jude rêvait depuis l'enfance d'aller étudier dans la lumineuse ville ecclésiastique et universitaire de Christminster qu'il pouvait, depuis son village, apercevoir au loin par beau temps. Le roman se déroule en partie dans cette ville de Christminster imaginée par l'auteur. Bien qu'orphelin et pauvre, Jude, tout en apprenant le métier de sculpteur de pierres, se cultive par lui-même, s'astreint à étudier seul les livres anciens, le latin et le grec, afin de pouvoir entrer à l'Université. À cause de ses origines modestes, il n'entrera jamais dans les collèges, restera un travailleur manuel dans l'ombre, à l'extérieur de leurs murs, ne fera qu'en tailler et sculpter des pierres pour rénover leurs édifices. "Obscur", donc, parce qu'il n'a pu s'élever, mais aussi parce que malchanceux toute sa vie. Car
c'est aussi un roman sur la prédisposition, la prédestination, que
semblent avoir certains êtres au malheur. Qui regrettent d'être nés :
"Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée à ceux qui sont
misérables et la vie à ceux qui ont l'amertume dans le cœur?" Bref, ce roman, d'une autre époque puisque les choses ont bien changé, est bon à lire pour se rendre compte de ce à quoi étaient assujettis nos aïeux il n'y a pas si longtemps, de la lutte âpre qu'ils ont menée pour accéder à la liberté en matière d'union libre, laquelle aujourd'hui ne choque plus personne, même si cette liberté peut être source d'autres tourments...
Les
désastreuses aventures des orphelins Baudelaire, de Lemony Snicket (hétéronyme
de Daniel Handler) (HarperCollins
Publisher Inc. 1999 ―
éd. Nathan 2002 pour la traduction française) Lu à l'occasion d'une préparation d'un café littéraire sur "les enfances orphelines" et parce que souvent référencé dans les listes d'ouvrages sur ce thème, ce roman, plein de rebondissements et de suspens, tout sauf lassant, où l'on s'éclaire à la bougie mais possède frigidaire et talkie-walkie, dont l'auteur dissuade d'en poursuivre la lecture si l'on n'aime pas les romans qui se terminent mal, est classé dans la littérature jeunesse. Pourtant, ces aventures s'avèrent n'être pas dénuées d'intérêt pour le lecteur adulte. Celui-ci y décèle dès l'introduction du nom de Mr Poe, si le titre ne lui avait pas déjà mis la puce à l'oreille, que les noms donnés aux personnages sont des clins d'œil, plus ou moins faciles à repérer, à des personnages célèbres. À des auteurs, tels Charles Baudelaire, ― poète maudit comme semblent l'être les trois orphelins à qui arrivent ces aventures qualifiées de désastreuses ― et Edgar Allan Poe que Baudelaire avait traduit. Mais aussi, à cause du vilain personnage qu'y est le comte Olaf, à Théophile Gautier qui, dans L'Avatar (sa réécriture de Faust), a dressé un personnage du même nom porteur du même désir de pouvoir. Théophile Gautier à qui Baudelaire a dédié ses Fleurs du mal... On se demande alors si la juge Abbott aux bons sentiments et qui aime cultiver les "fleurs" dans son jardin, ne fait pas écho précisément à ces "Fleurs" du mal? Et l'on poursuit ses investigations pour découvrir que peut-être ce nom pourrait aussi bien renvoyer à l'entreprise pharmaceutique américaine fondée à Chicago en 1888? Ainsi pour chaque personnage on est amené à se poser la question de l'origine du nom. Édouard, est-ce à cause d'Édouard Branly, le physicien et médecin (la jeune orpheline Violette étant passionnée par les inventions)?, ou d'Édouard Bled, puisque que, mine de rien et de façon très pédagogique, le roman explique de nombreux termes un peu ardus aux jeunes lecteurs dont il enrichit le vocabulaire... et la gouverne. Je n'ai lu que le premier tome de cette série qui en compte treize. Gageons que dans les suivants bien d'autres allusions sont ainsi faites à de fameux personnages, pas forcément reluisants, et souvent criminels ― même si le récit en lui même, destiné à la jeunesse est très moral. Seul le lecteur adulte averti les repérera peut-être ou se piquera de les déchiffrer. Mais d'autres l'ont fait avant lui qui, sur Wikipédia en donnent bien des clefs. Ainsi, les prénoms des deux autres orphelins, Klaus et Prunille (Prunille étant la traduction française du prénom Sunny donné au bébé dans la langue anglaise d'écriture du texte original), font référence au fameux Klaus Von Bülow qui a défrayé la chronique dans les années 1930... Bref, l'auteur a dû bien s'amuser en concevant cette série de romans d'aventure. De quoi donner du fil à retordre à tout parent lecteur curieux, au delà du simple récit basique que lit son rejeton, de découvrir ce que furent réellement les personnages à qui les noms sont empruntés et si dans sa fiction l'auteur leur conserve leurs traits de caractères, les place dans des situations quelque peu analogues, ou évoque l'un ou l'autre élément qui les ont faits connaître.
La
porte, de Magda Szabó
(éd. Viviane
Hamy 2003) J'ai lu moult et moult romans de plus ou de moins grand intérêt qui traitent de domestiques. Mais La porte, roman autobiographique de Magda Szabó, est, à mon avis, l'un des plus marquant de part le secret qui court tout au long du livre, celui d'Emerence, sa domestique au caractère autoritaire, revêche, qui ne se laisse rien dicter et ne laisse personne pénétrer dans son logement. Pas même les proches de sa famille. Hongroise, Magda Szabó relate dans ce roman la période de sa vie où elle réapparaît sur la scène littéraire après une éclipse pour raison politique de l'année 1948 à la fin des années 50. L'écrivaine qui commence à être célèbre, mène une vie publique alors que la vieille femme, Emerence, est humble et préserve son intimité à tout prix. Elle voile en partie son visage et son plus grand souci est que reste secret ce qui se cache derrière sa porte et dont tous sont curieux, à commencer par Magda Szabó et nous autres lecteurs. Seul le chien, Viola, qui tient une grande place dans le récit, recueilli par l'écrivaine mais qui considère Emerence comme sa véritable maîtresse, a le droit d'entrer chez elle, y a ses aises. Emerence est tout le contraire d'une intellectuelle que d'ailleurs elle méprise, elle sait à peine lire même si elle est intelligente, est concierge d'immeubles et, d'une robuste constitution, effectue infatigablement et à la perfection les travaux domestiques rendant service à tout le quartier, dont à l'écrivaine dont elle sera femme de ménage une vingtaine d'années durant. Les deux femmes au fil du temps s'apprivoisant, éprouvant de plus en plus d'affection l'une pour l'autre, même si elles ne le montrent pas, on apprendra au fur et à mesure de l'évolution de leur relation, des éléments de la vie d'Emerence. Les scènes marquantes de son enfance, son amour d'autrefois non partagé, à cause duquel elle décida de ne plus jamais s'attacher, et ne plus dépendre des autres, mais que les autres dépendent d'elle... masquant la générosité dont elle sait faire preuve, elle qui s'attache à aider les vagabonds, les solitaires comme elle.
Les
Nefs de Pangée, de Christophe Chavassieux (éd.
Mnénos 2015) Récit de guerre, de légende, chronique d'un peuple imaginaire... pour le lecteur qui n'est pas friand de fantasy l'entrée dans Les Nefs de Pangée, roman volumineux (492 pages) de Christian Chavassieux, est assez fastidieuse. Rien moins que 80 pages de persévérance peuvent être nécessaires pour commencer à s'y intéresser un tantinet. Le temps de s'acclimater au continent de Pangée, immense au milieu d'un océan unique où vit un monstre marin, à sa géographie, ses lieux, sa faune, sa flore, ses différentes nations, ses personnages, nombreux, leurs noms étranges, leur façon de procréer, leur mode de vie et leurs légendes. Ce n'est que la centaine de pages largement dépassée, que le lecteur se sent vraiment happé par le récit. Sur Pangée vit le peuple de Ghiom. Les Nefs évoquées dans le titre sont des navires construits par eux pour aller naviguer sur l'Unique, y chasser périodiquement l'Odalim. Monstre marin, maître des eaux, qui tient un peu de Moby Dick... L'un des héros, celui qui le poursuivra jusqu'au bout, s'appelle Bhaca, anagramme de Achab. Mais la chasse à l'Odalim et sa très longue préparation durant deux décennies, son pourquoi, sont accompagnés d'autres motifs dans le récit : lutte fratricide, génocide, croyance aux oracles, obscurantisme entretenu, système économique, Promis annoncé par les Prophètes, espoir d'une ère faste à venir, d'un changement profond, d'un renouveau. Mais aussi, retour d'une espèce à son berceau, comme à une Terre promise : "«Moi, on me mettra en terre» disait quiconque espérait toucher le continent un jour. Et voici que les premiers Humains depuis peut-être mille ans étaient enterrés dans le lieu le plus sacré de leur espèce. Ils étaient désormais chez eux. Ce sont les morts qui enracinent un peuple." L'on passe insensiblement de la fantasy, domaine des légendes et de leurs chroniques, à la science-fiction, à l'anticipation, lorsque cette "Pangée", se révèle être les divers continents à nouveau rassemblés de la Terre. Le récit, qui aborde aussi les questions de l'origine de l'humanité, son devenir, la mort des espèces ou des civilisations, la place de l'homme dans la nature, sur la planète qui l'accueille et dont il se croit maître, amène le lecteur à se demander : Que serait-il advenu de nous, les homos sapiens, si les branches australopithèques, homo erectus ou autres néandertaliens n'avaient pas disparu? Qu'adviendra-t-il de nous dans les ères à venir? Et qu'en est-il du destin "individuel" au milieu des mouvements vastes et collectifs? Mais chut ! il ne faut rien dévoiler de ce récit que l'on découvre finalement riche, grandiose, lyrique et fascinant, et qui explore tous les aspects de l'humain, puisque l'on passe de la sécheresse de sentiments qui nous rebutait au début, à l'émotion de la fin.
Le
livre des nuits, de Sylvie Germain
(éd. Gallimard 1985)
Tragique et magnifique, pour peu qu'on accepte de se laisser emporter
par une bonne dose de fantastique. C'est l'histoire de la famille
Péniel. Du père, batelier sur l'Escaut, aux arrières petits enfants,
devenus fermiers depuis que le personnage principal, Victor-Flandrin,
son fils, ait quitté la vie sur l'eau pour s'installer à l'écart dans
une ferme de la région frontalière de Terre Noire.
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