Le Café Littéraire luxovien /le petit endroit | ||||
Je ne sais pas si les toilettes de l'école s'étaient ou non améliorées depuis mais elles avaient représenté le pire. Chez nous pourtant ce n'était qu'une ça ne dans le jardin, mais elle était propre et avait même un sol de linoléum. Dans cette école - était-ce par mépris ― personne ne semblait se donner le mal de viser le trou. Par divers aspects ce ne fut pas facile pour moi en ville non plus, parce que tous les autres étaient ensemble depuis la première année et qu'il y avait bien des choses que je n'avais pas encore appropriées, mais ce m'était un réconfort de voir les lunettes propres de ma nouvelle école et d'entendre le bruit éminemment civilisé des chasses d'eau. Alice Munro, Rien que la vie
Les cuvettes des toilettes modernes se dressent au-dessus du sol comme
la fleur blanche du nénuphar. L'architecte fait l'impossible pour que
le corps oublie sa misère et que l'homme ignore ce que deviennent les
déjections de ses entrailles quand l'eau tirée du réservoir les
chasse en gargouillant. Les tuyaux des égouts, bien que leurs
tentacules viennent jusque dans nos appartements, sont soigneusement
dissimulés à nos regards et nous ignorons tout des invisibles Venises
de merde sur lesquelles sont bâtis nos cabinets de toilette, nos
chambres à coucher, nos salles de bal et nos parlements. Milan Kundera , L'insoutenable légèreté de l'être
... car il faut que tu saches qu'à la fin de leurs journées de travail
tous se rendaient à la salle de bains, une grande salle qui servait
aussi de toilettes. Imagine. Sur un mur une longue rangée d'urinoirs,
sur le mur d'en face des lavabos. Des urinoirs en forme de coquilles, en
céramique, tous colorés, avec des ornements en motifs de fleurs.
Chaque membre du clan de Staline avait son propre urinoir créé et
signé par un artiste différent. Seul Staline n'en avait pas. Milan Kundera, La fête de l'insignifiance
«C'est
notre petite Corinne», annonça la belle-sœur à Chantal; puis, à l'enfant:
dis bonjour à ta tante», mais l'enfant ne porta aucune attention à Chantal
et annonça qu'elle voulait faire pipi. La belle-sœur sans hésiter , comme
si elle connaissait déjà bien l'appartement, se dirigea avec Corinne vers le
couloir et disparut dans les W.-C; Milan Kundera, L'identité
«Je suis dans le four», avait soupiré le plombier en sortant de la salle de bain. Il s'était assis, accablé, délivrant son diagnostic: la fuite était identifiée; réparer la douche allait être facile. Mais il restait un problème: les toilettes (qui pourtant, se portaient comme un charme). Pour un spécialiste, elles étaient d'un format impossible, ancien, pénible; elles étaient sa bête noire, sa Némésis. Et allaient gâcher sa journée; peut-être sa vie. Je ne pensais pas qu'on pouvait haïr autant un sanitaire. L'attrait des toilettes, de Gabriel Bortzmeyer
Il se trouva sur une véranda de bois rudimentaire dominant toute la
vallée. Tout en bas, la rivière serpentait au milieu des champs, large
et paresseuse. À quelque distance, vers le sud, elle se jetait dans un
lac long et étroit bordé de montagnes. Le soleil ne s'était pas
encore levé. une brume au-dessus de l'eau masquait l'extrémité du
lac. C'était un paysage agréable. Bien sûr, se rappela Jean-Pierre,
c'était la partie la plus fertile et la plus peuplée du Nuristan:
presque tout le reste était désertique. Ken Follet, Les lions du Panshir
Au seuil du XXe siècle, le bibliophile britannique William Blades acheta les restes d'un livre précieux sauvé d'un naufrage scatologique. Blades raconte que l'été 1887, un de ses amis loua un appartement à Brighton. Dans les toilettes, il trouva des feuilles de papier destinées à être utilisées à cet endroit. Avant de s'en servir comme papier hygiénique, il les posa sur ses genoux nus et jeta un coup d'œil au texte, écrit en lettres gothiques. Il eut le pressentiment d'avoir découvert quelque chose. Ému, il régla rapidement ses affaires corporelles et le problème de l'essuyage, et sortit demander d'il y avait d'autres feuilles comme celles-là. La logeuse lui vendit les restes de livres sans reliure qu'elle avait encore et lui raconta que son père, qui adorait les antiquités, avait eu à une époque une malle pleine de livres. Après sa mort, elle les avait conservés, jusqu'au jour où elle en avait eu assez de ce fardeau. Supposant qu'ils n'avaient aucune valeur, elle les mit dans les toilettes, où les vestiges de la bibliothèque héritée étaient sur le point d'être définitivement engloutis. Le livre qu'il avait entre les mains se révéla être un des exemplaires les plus rares et précieux de l'imprimerie de Wynkyn de Worde, une œuvre intitulée Gesta Romanorum dans laquelle Shakespeare avait trouvé l'inspiration pour ses pièces de théâtre. Il ne restait plus qu'à imaginer les trésors bibliographiques qui avaient approvisionné jour après jour les latrines de cette pension anglaise. Irene Vallejo, L'infini dans un roseau
Pour prolonger la rencontre, il la conduisit ensuite dans les ruelles de la vieille ville, jusqu'à un vieux couvent qui la dominait et dont le cloître attirait une nuée de touristes. Apparemment, il avait tout bien prémédité, puisque d'un pas relativement décidé il l'emmena dans un couloir désert, sous le prétexte assez sot de lui montrer un tableau. Ils arrivèrent au bout du couloir sans rencontrer le moindre tableau, mais seulement une porte peinte en brun où étaient inscrites les lettres W.C. Sans remarquer la porte, le garçon s'arrêta. Agnès savait bien que son camarade s'intéressait médiocrement aux tableaux et ne cherchait qu'un endroit à l'écart pour lui donner un baiser. Le pauvre, il n'avait rien trouvé de mieux que ce cul-de-sac, près des cabinets! Elle s'esclaffa et, pour lui éviter de croire qu'elle se moquait de lui, montra du bout du doigt l'inscription. Il rit aussi, malgré son désespoir. Avec ces deux lettres en toile de fond, il lui était impossible de se pencher vers elle pour l'embrasser (d'autant qu'il s'agissait d'un premier baiser, par définition inoubliable) et il ne lui restait plus qu'à retourner dans les rues avec un amer sentiment de capitulation. Milan Kundera, L'immortalité
Être seul, est-ce tant demander? Tu m'étonnes si j'ai campé dans les chiottes, le seul endroit qui vous cerne de quatre murs et d'une minuscule fenêtre. Les chiottes en guise de plage à la Bora Bora. Les chiottes, cette île lointaine inaccessible au regard et à l'oreille des belligérants locaux. Les chiottes, cette galaxie bénie de toutes les divinités où le corps se détend et le reste aussi. Les chiottes, cet espace de liberté, ce bout de démocratie, cet isoloir des sens, j'arrête là. Magyd Cherfi, Ma part de Gaulois
Mon véritable espace de liberté est le temps que je passe aux toilettes. Vikkie n'a jamais accepté de m'y voir disparaître ainsi chaque jour pendant une heure. «Qu'est-ce que tu fais là-dedans que je ne peux pas faire en plus de cinq minutes? Tu te tires une peau? Tu es constipé?» Je me suis fait installer des toilettes japonaises à la maison et à mon bureau. Mon trône est un engin galactique: cuvette chauffante, réglage micrométrique des multijets. Mon luxe. J'y trouve mes idées en ne les cherchant pas. Le meilleur du design et de la technologie au service de mon cul. J'ai une bonne sono, des revues. Personne ne vient me poser de questions, personne n'ose profaner mes dix mètres cubes de paix thérapeutique. Vikkie urine en laissant ouverte la porte des toilettes. Elle ne supporte pas les portes closes. Au début de notre vie commune je protestais. Aujourd'hui, je m'éloigne. Yannick Grannek, Le bal mécanique
Pour pisser, la plage disposait en tout et pour tout de trois chiottes, des cabines en plastique bleu, et une queue de vingt-cinq mètres devant chaque. Des meufs pour l'essentiel. Constatant la file d'attente, les mecs se rabattaient dans les bois. Anthony les imita. Il voulait se trouver un coin peinard, mais même là, ça fourmillait. Il s'enfonça plus loin entre les arbres. Bientôt, l'ombre du bois se referma sur lui. Dans son dos, la fête n'était plus qu'une pulsation jaune, assourdie. Il fit encore quelques pas. Le feuillage bruissait à peine. Il ouvrit sa braguette. Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux
Notre kommunalka disposait d'une petite salle de bain, un privilège que m'enviaient bien des camarades de travail. Mais la pièce était occupée à temps plein par Marinka, qui y faisait les lessives du voisinage. Quand c'était enfin disponible, je devais me récurer à toute vitesse en évitant de frôler les paroles moisies, car mes colocataires chronométraient le temps que j'y passais. Et Mykola tambourinait à la porte des cabinets où il cachait ses bouteilles. J'étais perpétuellement constipée, l'idée d'avoir à me dépêcher et d'être écoutée me bloquait les entrailles. Yannick Grannec, Le bal mécanique
C'est tout le chagrin du monde qui me tombe dessus. Je ne suis plus au bord de pleurer, à présent: je pleure. Des larmes coulent sur mes joues, qui ne cesseront jamais, qui couleront aussi longtemps que la misère humaine. Misère des victimes, misère des humilies, misère des naufragés, misère des crétins, misère des (...) misère du type qui lutte contre ses pires pulsions et qui perd la partie et qui sait depuis le début qu'il va la perdre. Misère que nous connaissons tous quand, assis sur la cuvette des chiottes dans la lumière jaune et froide d'une nuit d'insomnie, nous pensons à l'image valeureuse que, désespérément, nous tâchons de donner aux autres et à l'horrible vérité de ce qui nous habite en réalité, dans le secret de nos cœurs et des chiottes. Emmanuel Carrère, Yoga
Sept
heures trente-cinq, pouvais-je lire sur ma montre bracelet tombée par
terre. Ma couverture et ma chemise étaient aussi mouillés que si
j'avais versé un plein seau d'eau dessus. Haruki Murakami, La course au mouton sauvage
Les Russes qui pratiquent le négoce et frayent avec eux leur apportent, entre autres marchandises, une sorte de champignon qui croit en Russie sous le nom de mulchumor (amanite tue-mouche), et qu'ils échangent contre des écureuils, des renard, des hermines, des zibelines, etc., car les riches parmi eux peuvent faire provision des champignons pour l'hiver. Quand ils veulent faire la fête et collationner, ils versent de l'eau par-dessus les champignons, les cuisent et en boivent à l'envi. Alors se massent, autour de la cahute des riches, les pauvres qui ne peuvent s'offrir pareille provision de champignons, attendent que l'un des hôtes descende se soulager, tendent une coupe en bois devant lui et boivent l'urine où subsiste encore quelque puissance des champignons qui les rend ivres eux aussi. C'est pourquoi ils ne veulent pas laisser perdre au sol ce breuvage si plein de force. Philipp
Johann von Strahlenberg
Elle a toujours été économe mais, avec l'âge, cette vertu a dégénéré en manie, et maintenant c'est sans nul doute d'avarice qu'il faut parler. Par exemple, elle n'autorise ses pensionnaires à se baigner quelle premier vendredi du mois et elle a imposé la coutume argentine ― si populaire dans les foyers de ce beau pays ― de ne tirer la chasse des cabinets qu'une fois par jour (elle le fait elle-même, avant de se coucher) à quoi la Pension Coloniale doit à cent pour cent, ce fumet constant, épais et tiède qui, surtout au début, donne la nausée aux pensionnaires (elle, imagination de femme qui a réponse à tout, soutient que c'est grâce à cela qu'ils dorment mieux). Mario Vargas Llosa, La Tante Julia et le Scribouillard
Je connais le chant des mouches par cœur. Je n'ai qu'à fermer les yeux pour les réentendre tourner autour de moi parce que, pendant des mois, je devais m'accroupir en petit bonhomme à dix centimètres au-dessus d'un bain géant rempli à ras bord d'excréments sous le soleil brûlant de Malaisie. Je devais regarder l'indescriptible couleur brune sans cligner des yeux pour éviter de glisser sur les deux planches, derrière la porte d'une des seize cabines, chaque fois que j'y mettais mes pieds. Il fallait maintenir l'équilibre, ne pas m'évanouir lorsque mes propres selles ou celles de la cabine voisine provoquaient une éclaboussure. Dans ces instants-là, je m'évadais en écoutant le vol des mouches. Une fois, j'ai perdu ma babouche entre les planches après avoir déplacé mon pied trop rapidement. Elle a plongé dans cette bouillie sans s'y enfoncer. Elle y flottait comme un bateau à la dérive. Kim Thuy, Ru
Les
cloches des laudes ont sauvé l'évêque d'un rêve étrange dans
lequel, pris d'atroces contractions, il accouchait d'une masse sanglante
à même les marches de l'autel sous les vivats de ses
paroissiens. Yannick Grannec, Les simples
Il
fallait tenir jusqu'au lendemain matin où un ravitaillement ne
manquerait pas d'arriver, mais, en attendant, transcendant les
catégories sociopolitiques et les détestations claniques, il y avait
le problème des chiottes. En rentrant de sa cigarette du soir, Fernand
surprit un détenu en train de balancer une grosse poignée de paille
par la fenêtre entrouverte, l'odeur ne laissait aucun doute sur
l'origine du geste. Il fallait trouver une solution, faute de quoi
l'atmosphère deviendrait rapidement irrespirable... Pierre Lemaitre, Miroir de nos peines
«Dmitry,
c'est ton tour de récurer les toilettes», ai-je dit au début du
service. Dmitry est nouveau. Petit et nerveux, avec des cheveux en
pointes, il a à peu près mon âge. Il est aussi ce que j'appellerai un
employé à problèmes. Susin Nielsen, La vie en rose de Wil
Les locaux étaient au deuxième étage de l'immeuble largement vitré, aux allures de Lego, dans lequel on avait envie d'entrer comme dans un lave-vaisselle ou un commissariat. Les toilettes communes étaient hors de Charlie, à quelques mètres, au milieu d'un couloir toujours désert. Plus tard, à l'hôpital, ces toilettes ont pris pour moi une importance rétrospective ― comme une porte que je ne cesserai d'ouvrir. Elles me faisaient miroiter la fuite et un autre destin, mais elles n'ouvraient que sur un mur de briques. J'imaginais que j'étais en train de pisser quand les tueurs entraient. Non,je ne l'imaginais pas: au cœur des tuyaux, je le vivais. J'étais dans ces toilettes à leur arrivée et je pissais pendant qu'ils tuaient tout le monde, sans rien savoir, rien entendre. Philippe Lançon, Le lambeau
...
la chose qui, à l'en croire, le séduisit d'emblée en Europe, fut les
WC ― les toilettes. Au cours de leur tournée des pensions, Garp
découvrit que les toilettes étaient en général un réduit minuscule
sommairement équipé d'une cuvette; ce fut la première chose à
laquelle Garp trouva du sens en Europe. Il en parla à Helen: John Irving, Le monde selon Garp
―
C'est où les W.-C. ? Nicolas Vanier, L'école buissonnière
On n'a pas eu le temps d'échanger deux mots que Rolande, la vieille cousine, une femme volontaire en robe Marcelle Griffon et gros clips d'oreille en or, pas du genre à molasser, s'est jetée sur lui de dos et un peu fort pour lui demander s'il y avait des toilettes quelque part parce qu'elle avait besoin de faire pipi et qu'elle n'allait pas pouvoir attendre vu l'état de sa vessie. Anne Pauly, Avant que j'oublie
Elle
s'éclipse dans le couloir, s'enferme aux toilettes. Elle baisse son
pantalon, sa culotte, retire sa serviette hygiénique et la roule dans
la poubelle. Elle colle une nouvelle serviette, spéciale nuit, au mur,
et s'assoit sur la cuvette, le smartphone dans la main. Elle sait qu'il
ne faut pas le faire, mais elle le fait quand même, poussée par un
irrépressible besoin de plonger dans la merde, parce que c'est toute
cette merde-làqu'elle s'est donné pour mission de nettoyer. Thomas Bronnec, La meute
Une curieuse construction ce chalet
de nécessité qui, sous ses airs
suisses, rappelait la pagode chinoise et le temple hindou avec sa
toiture retroussée, ses boiseries sculptées et sa décoration de
céramiques. Tupik (nouvelle dans Le coq de bruyère), de Michel Tournier
Allez
donc jeter un coup d'œil dans les lavabos des hommes, dit le policier,
en mettant le cap sur une femme qui poussait un landau surchargé de
couvertures. John Irving, Le monde selon Garp
Pour les waters, cela se passe carrément dehors: au pied du bâtiment, dans la rue, derrière une vieille porte en bois avec un petit cœur pour la ventilation. La nuit, la vieille dame utilise plutôt un pot de chambre, qu'elle descend vider chaque matin. Sauf si Jean vient en vacances, c'est alors lui qui s'y colle. Aurélie Valognes, Au petit bonheur la chance !
La vie dans notre petit appartement se déroulait comme dans le sous-marin que j'avais vu au cinéma Edison, où les matelots passaient d'un sas à l'autre en refermant derrière eux un nombre incalculable de cloisons: j'allumais la lumière dans les toilettes d'une main en éteignant de l'autre celle du couloir pour ne pas gaspiller le courant. J'actionnais parcimonieusement la chaîne du Niagara car on ne gaspillait pas un réservoir entier juste pour un pipi. On le réservait pour d'autres besoins (qu'on ne nommait jamais chez nous). Mais un pipi? Un plein réservoir? Alors que les pionniers du Néguev utilisaient l'eau qui leur avait servi à se rincer les dents pour arroser les plantes? Quand, dans les camps d'internement, à Chypre, un seul seau servait à toute une famille pendant trois jours? Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
Durant le siège [de Jérusalem en 1948], maman, papa et moi dormions sur un matelas, au fond du couloir, où la longue procession de ceux qui allaient aux toilettes nous enjambait toute la nuit. Les WC d'ailleurs puaient atrocement parce qu'il n'y avait pas d'eau pour tirer la chasse et que la lucarne était obstruée par des sacs de sable. À chaque explosion, la montagne tremblait, et les maisons de pierre avec elle. Parfois les cris terrifiants d'un dormeur en proie à un cauchemar me réveillait en sursaut. Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
...les femmes ont continué à porter le poids de l'histoire inaudible du Viêtnam sur leur dos. Très souvent, elles se sont éteintes ainsi sous cette lourdeur, dans le silence. Une de ces femmes, que j'ai connue, est décédée en perdant pied dans ses toilettes, juchées au-dessus d'un étang rempli de barbotes. Ses babouches en plastique ont glissé. Si quelqu'un l'avait observée à ce moment-là, il aurait vu son chapeau conique disparaître derrière les quatre panneaux qui cachaient à peine son corps accroupi et l'entouraient sans la protéger. Elle est morte dans la fosse septique familiale, sa tête plongeant dans un trou d'excréments entre deux planches de bois, derrière sa hutte, entourée de poissons-chats à la chair jaune, à la peau lisse, sans écailles, sans mémoire. Kim Thuy, Ru
Je traverse, je prends le couloir. Un lourd remugle dormant assaille les narines, un maigre jour filtre par une étroite fenêtre, je m'enfonce dans les entrailles du logis. Tout de suite à gauche, le cabinet, avec le siège en bois déteint, assorti à la poignée qui pendille au bout de la chaîne. Luxe délectable: souvent, quand on rend visite à la famille dans les coins juifs, il n'y a qu'un cabinet turc, commun à l'étage, empli des relents collectifs. À droite, la cuisine (...) Serge Doubrovsky, Le livre brisé
Tous ces petits vicieux, quand ils reviennent de l'école et qu'ils
passent là... Ils attendent et ils jettent des pierres. Même, ils
viennent taper à coups de pied dans la porte, ils tirent dessus, et si
je ne me cramponnais pas, ils l'ouvriraient, les petits fumiers. Les
petits salauds! (...) Pierre Pelot, Pauvres Z'Héros
Il n'y avait pas assez d'heures dans ses journées pour noter sur ses
carnets et sur ses petits feuillets de partitions tout ce qui
l'enchantait. Pascal Quignard, Dans ce jardin qu'on aimait
Et les latrines à tous les étages, vous croyez qu'elles sentaient bon, les latrines? Là encore, faute de temps, les maçons du père Santot n'avaient pas fait du beau travail: des fosses trop petites et des tuyaux trop étroits. Résultat? Des engorgements, qui remontaient jusqu'aux sièges d'aisance! Bon, on n'est pas médecin sans avoir le nez aguerri, il n'empêche que, certains jours, l'odeur qui refoulait de la tourelle était si dégoûtante que je craignais de m'en approcher; le méphitisme n'est pas une légende, certes non! Des hommes de science en ont apporté la preuve. Moi, j'avais peur de crever asphyxié sur place si je m'enfermais dans ce réduit! Il faut croire que je n'étais pas le seul à avoir ce genre d'idées: bien des collègues préféraient pisser dans les cheminées plutôt que d'entrer dans les commodités et d'y " rester"! D'ailleurs, je ne connais rien de meilleur pour la santé que de pisser dans le feu, il communique aux entrailles un principe sulfureux très actif ― dépuratif et astringent... La difficulté, c'est de bien viser; parce qu'on pisse dans la flamme, on pisse dans la cendre, on pisse sur le jambage, et pour finir on pisse sur le carrelage ou sur le parquet! Alors là, au bout d'un moment, pour ce qui est de l'odeur... Françoise Chandernagor, La chambre
Les toilettes étaient un vague réduit qui prenait jour par une minuscule fenêtre près du plafond. Mara ferma la porte, mais ne réussit pas à tirer le verrou. «Et maintenant?» Son besoin était trop pressant: elle s'accroupit, en espérant que personne ne viendrait. Carlo Cassola, La Ragazza
Il arriva devant les toilettes pour hommes et... Ça alors! Elles n'avaient pas du tout changé. L'insecte l'attendait. C'était un gros insecte palpitant, fantomatique et mou, qui se cognait en chuchotant contre l'antique ampoule électrique. Une phalène qui, depuis vingt ans, soupirait et se débattait dans l'air nocturne humide des douches... en attendant que je revienne, songea-t-il. Il n'avait que huit ans à l'époque, et l'insecte avait foncé sur lui tel un spectre poudreux, époussetant ses ailes répugnantes et le poursuivant de ses hurlements silencieux. Poussant des cris aigus, il s'était élancé sur le vert sombre de l'herbe d'août pour aller se réfugier dans le chalet. Par la suite, plutôt que de retourner là-bas, c'était derrière la maison qu'il était régulièrement allé se libérer à grande eau de sa douleur explosive. Il avait pris soin aussi de se rendre plusieurs fois aux toilettes au cours de la journée pour ne plus jamais y affronter de nuit l'horreur aux ailes de poudre. Ray
Bradbury, Quelqu'un sous la pluie
Anelo ne se souvenait plus s'il avait vomi ou non, comme c'était son intention quand il avait pris ses distances. En fait, il n'avait plus très envie. Il se planta pour la forme deux doigts au fond de la gorge, et tout ce qu'il réussit à provoquer furent des bruits pareils à ceux que produisent des canalisations encombrées quand on tente de les déboucher. Il essuya ses doigts sur son pantalon. Des filets de salive brillaient sur son menton, d'autres se balançaient dans ses cheveux. Comme il flageolait trop pour tenir debout, il se laissa tomber à genoux et pissa dans cette position, après avoir fourragé longuement pour se dégager des innombrables pièges d'une braguette de Lewis 501 véritable, à boutons. Il se pissa dans les doigts tout ce qu'il savait, se détrempa copieusement une jambe, arrosa un bon mètre carré de pierres, et quand il eut terminé, à demi couché sur le dos, renfournant tout son attirail et reprenant le problème des boutons de braguette à l'envers, il entendit le bruit. Pierre Pelot, Le bonheur des sardines
Les motards s'en allèrent en recoiffant leur casque. Elian se rendit aux W.-C., boitant à peine... Se tenant de la main droite, la gauche sur la hanche, il pissa ce qui lui parut être quatre fois le volume de bière et de limonade ingurgité depuis une heure, fixant à hauteur d'yeux, sur le mur, le graffiti qui proclamait depuis au moins trois ans sur un ton légèrement fané maintenant Tous ceux qui puissent debout sont enculables ― l'apophtegme ne l'impressionnait plus. Pierre Pelot, Ce soir, les souris sont bleues
J'avais beau dire que je m'étais toujours tiré des pétrins dans lesquels je m'étais fourré, de tous les bons coups comme de tous les mauvais pas. Le passé est comme un ver solitaire toujours plus long que je porte enroulé en moi et qui ne perd pas ses anneaux malgré les efforts que je fais pour vider les tripes dans tous les cabinets à l'anglaise ou à la turque, dans les chiottes des prisons, dans les vases des hôpitaux ou dans les feuilles des campements, ou tout simplement dans les buissons, en vérifiant bien auparavant qu'un serpent ne surgisse pas, comme cette fameuse fois au Venezuela. Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur Milena Agus, Mal de pierres
Au fond de la cour de l'école, quatre ou cinq cagibis accolés, fermés par des portes en bois d'un brun-vert-jaune. On les nomme les toilettes, plus vulgairement les chiottes. On n'y passe pas sa vie, certes, l'odeur d'urine et d'excrément inclinant n'importe quel anachorète à préférer, sauf cas désespéré, la compagnie de l'humain à celle de ses déjections, mais nous y sommes, hélas, malgré nous, plongés dans ces odeurs fécales, aux côtés du gosse qui, ce matin, avant de partir pour l'école, a embrassé Monsieur Lucien sur ses deux joues flasques, quitte maman et ses fourneaux, Fernande et ses mots creux, grand-mère et ses grenouilles, papa et son enclume, Jacky et son poitrail, Marguerite-des-Oiseaux et sa purée-jambon, et que l'on retrouve planqué, ici, dans une de ces latrines, derrière la porte d'un brun-vert-jaune augurant des diarrhées, porte au loquet fermé de l'intérieur; il est accroupi et songeur, vêtu d'une blouse grise et d'un short kaki qui n'est même pas baissé. Joël
Dicker, Le Livre des Baltimore
Anna
Kanner Joël Dicker, La disparition de Stéphanie Mailer
À l'intérieur, loin de la bousculade de la terrasse, je passe devant
des canapés blancs occupés par des personnalités en vue. Partout de
belles fleurs et de grandes plantes vertes dans des vases, des lumières
qui paraissent vives mais qui éclairent les gens de manière à ce
qu'ils aient l'air de luire. Merde, il faut que je trouve les toilettes.
Deux femmes débouchent d'une porte dissimulée dans le mur, et je me
rue dans cette direction. Joseph Boyden, Les saisons de la solitude
Je me suis dirigé, à l'aveuglette, vers le fond de la voiture, me
tenant, dans l'obscurité, aux parois. J'ai observé, à travers la
porte vitrée du fond, la voie, à peine distincte.(...) Jean-Bernard Pouy, Train perdu wagon mort
―
Allez ouste, tu te couches maintenant et tu nous fais un gros
dodo! Nicolas Vanier, L'école buissonnière
Ma vessie est pleine. J'ai besoin de me soulager. Je me lève en
tremblant et je cherche le pot de chambre. Je l'aperçois sous la
couchette d'un des garçons de ferme. Il est presque plein, mais je n'ai
plus le loisir d'aller le vider. Mes bas usés glissent sans peine
jusqu'à mes chevilles. Je m'accroupis au-dessus du seau. Le jet
m'éclabousse la cuisse. La sueur perle à mon front. À la grâce des hommes, Hannah Kent
Ensuite nous entrâmes dans un autre bar. Je bus du whisky, tandis que
Midori prenait trois ou quatre cocktails indéfinissables. En sortant,
elle me dit qu'elle avait envie de grimper à un arbre. Haruki Murakami, La ballade de l'impossible
Ce soir, merde lourde et collante. Deux chasses d'eau ne suffisent pas à décoller les chiures sur la céramique ni à effacer les traces brunes au fond de la cuvette. D'où balayette. Et là, révélation: dans mon enfance je ne savais pas à quoi servait la balayette des cabinets. Je la prenais pour un ornement, avec sa tête de porc-épic perpétuellement plongée dans une gamelle immaculée. Elle m'était familière et littéralement insignifiante. Parfois, je la transformais en jouet, sceptre que je brandissais assis sur le trône. Cette ignorance tenait à ce que les crottes des petits enfants ne collent pas ou peu à la cuvette. Elles glissent d'elles-mêmes et disparaissent dans la cataracte sans laisser de trace. Restes d'ange. Foin de balayette. Et puis un jour, la matière prend le dessus. Ça résiste. La matière fait cal. On n'y attache pas d'importance ― on ne regardait jamais le fond de la cuvette ― jusqu'à ce que l'adulte de service vous fasse observer la chose et exige la propreté des lieux. Daniel Pennac, Journal d'un corps
Derrière l'école, au bas d'une pente couverte de ronces et d'une
végétation exubérante coulait le crick, la Tonawanda Creek,
large, rapide, souvent boueuse, où les écoliers avaient interdiction
de s'aventurer et de jouer; de part et d'autre de l'école s'étendaient
des champs à l'abandon, envahis par la végétation; «au fond», il y
avait les cabinets, ceux des garçons à gauche et ceux des filles à
droite, de grossières constructions en bois, abominablement fétides
par temps chaud, dont les eaux usées s'évacuaient lentement dans la
rivière. (...) Joyce Carol Oates, Paysage perdu
C'est une bombe tout ce qu'il y a d'artisanal (...) Daniel Pennac, Au bonheur des ogres
Des toilettes pour le pays, le gouvernement l'avait pourtant promis. Hélas, elles ne sont pas arrivées jusqu'ici. À Badlapur comme ailleurs, on défèque à ciel ouvert. Partout le sol est souillé, les rivières, les fleuves, les champs, pollués par des tonnes de déjections. Les maladies s'y propagent comme une étincelle sur de la poudre. Les politiciens le savent: ce que réclame le peuple, avant les réformes, avant l'égalité sociale, avant même le travail, ce sont des toilettes. Le droit à déféquer dignement. Dans les villages, les femmes sont obligées d'attendre la tombée de la nuit pour aller dans les champs, s'exposant à de multiples agressions. Les plus chanceux ont aménagé un recoin dans leur cour ou au fond de leur maison, un simple trou dans le sol qu'on appelle pudiquement «toilettes sèches», des latrines que les femmes Dalits viennent vider chaque jour à main nues. Laeticia Colombani, La tresse
«
Chers parents, ..... » Randal Lemoine, Ces chers petits
Pissé dans un café de la rue Lafayette. La lumière s'éteint au milieu de mon affaire. Deux fois. Je me demande sur la base de quelle moyenne d'âge est calculé le temps d'éclairage minimum accordé à un pisseur par les installateurs de minuteries. Se peut-il que je sois si lent? Se peut-il que j'aie été si rapide? Saloperie de jeunesse qui affecte jusqu'à la production de ces moulins à temps. L'observation vaut aussi pour les minuteries d'escalier et pour les portes d'ascenseur qui se referment de plus en plus vite. Daniel Pennac, Journal d'un corps
Il n'y avait pas de fenêtre à la salle de bain, comme le plus souvent dans les hôtels, et l'aérateur n'avait pas l'air de marcher, en tout cas il ne faisait aucun bruit, alors je me suis arrangée pour passer la première à la salle de bains après le petit déjeuner. À la lumière de ce que j'ai déjà eu l'occasion de vous confier sur la question, vous ne serez pas étonné d'apprendre que... comment dire... quand je parviens à faire caca, c'est plutôt des petites crottes serrées. Vous tenez vraiment à ce que je continue? Alors voilà, il se trouve que ces toilettes de Tenerife n'étaient pas fichues de les avaler. Quand j'ai actionné la chasse d'eau, les crottes ont joyeusement sautillé dans l'eau, comme de minuscules balles en caoutchouc brun, et refusé de disparaître. Chaque fois que je recommençais à tirer la chaîne, elles rebondissaient à la surface. Vous parlez d'un retour du refoulé. Je devenais frénétique. Je ne voulais pas sortir de la salle de bain avant de m'en être débarrassée. Je veux dire, c'est pas très agréable de trouver les cacas de quelqu'un d'autre qui flottent dans la cuvette quand on veut s'en servir, et c'est un peu dégrisant pour une idylle, vous ne croyez pas? (...) J'aurais eu besoin d'un bon seau d'eau à déverser dans la cuvette, mais le seul récipient disponible dans la salle de bains était une corbeille à papiers en plastique ajouré. J'ai fini par pousser mes crottes jusqu'au fond avec la balayette et les faire partir, mais plus jamais ça. David Lodge, Thérapie
Lorsqu'il eut terminé, comme chaque matin, il sortit, contourna la maison et alla s'installer sur la planche percée, dans la guérite de rondins mal joints adossée à sa cave. La porte grande ouverte, il demeura un moment à contempler la fuite du halage et du canal qu'atteignaient les rayons du soleil. C'était un instant de la journée qu'il aimait. Il rallumait son mégot, et il demeurait sans penser. Si quelqu'un passait sur le halage et l'apercevait, pas gêné du tout, il faisait bonjour de la main. Bernard Clavel, Le tambour du Bief
... ils m'emmenèrent jusqu'à une porte qui ouvrait sur une petite
pièce, à peine plus grande qu'un placard. J'y découvris un trou
circulaire découpé dans une plate-forme en bois surélevée, et Benji,
se faufilant à côté de moi, regarda à l'intérieur de l'égout à
ciel ouvert. Jackie Copleton, La voix des vagues
Pendant tout le trajet, il avait fallu faire attention à ne pas révéler la véritable identité de Lénine [lors de sa fuite en Finlande en juillet 1917 déguisé en chauffeur de locomotive]. Ç'avait été d'autant plus difficile qu'il souffrait d'une sévère diarrhée et devait se soulager toutes les cinq minutes. Il n'était bien sûr pas question d'utiliser les toilettes des compartiments de passagers, et Matteus Lamuvaara avait procuré au chef révolutionnaire un seau sur lequel s'accroupir quand le besoin s'en faisait sentir. Ils avaient eu quelques divergences de vues sur la question de savoir lequel des deux viderait et rincerait le récipient. Ils étaient finalement arrivés à un compromis: Lénine le nettoierait, à condition que Matteus le débarrasse d'abord de son contenu. Arto Paasilinna, Le dentier du maréchal, madame Volotinen et autres curiosités
J'ignorais encore que chaque tâche ancillaire relève en Inde d'une
caste bien particulière. Mon personnel comptait un bearer,
c'est-à-dire un majordome, un cuisinier, un dhobi chargé du
linge, un sweeper préposé au ménage, un mali pour
l'entretien du jardin et, enfin, un chowkidar pour garder la
maison. Gandhi
s'était installé le 13 août [1947] dans une vieille maison à
balustres que son dernier propriétaire avait abandonnée aux rats, aux
serpents, aux cafards. On avait balayé d'urgence les immondices qui la
souillaient et réparé la commodité qui l'avait signalée à
l'attention du Mahatma: les WC, une rareté dans les quartiers
populaires de Calcutta. C'était là, dans cette demeure environnée de
puanteur, de vermine et de fange, qu'il s'était attaqué à
l'impossible mission que lui avait assignée le dernier vice-roi.
(...) Dominique Lapierre, chapitre Des hommes, des femmes et des enfants lumières du monde, dans Mille soleil
Il aimait se réfugier dans les toilettes du bas, il y avait un porte-papier avec un corps de femme africaine. Elle était habillée de papier rose. En tirant sur le rouleau, le corps montait et l'on découvrait sa nudité. Bernard Giraudeau, Les dames de nage
J'étais en train de taper le SMS pour Laurène quand j'ai changé
d'avis. La faute à Théo. La faute à Zephyr aussi. La faute à tous
ceux qui font de ma vie un Enfer. Un Enfer pour moi, pendant qu'eux ils
s'amusent sur mon dos. Sur ce qui reste de moi. Après qu'ils sont
passés. J'étais planqué dans les toilettes comme d'hab. Cet endroit
pue, c'est insupportable. Pourtant j'y passe mon temps. Je connais les
tags par cœur. La couleur jaune sale aussi. Jaune sale peut-être pour
pas qu'on remarque que c'est sale de toute façon. Je me demande
pourquoi les chiottes sont aussi crades. Et aussi puants. Mais je fais
avec. Au moins j'ai la paix. Enfermé dans la cabine. Assis sur le
couvercle des chiottes. Je peux écouter de la musique. Jouer sur mon
portable. Noter des trucs sur mon carnet. Elliot P. Lewis, The Zephyr song, du lait et des cookies
Il était chauve, fatigué et se trouvait empâté. Distraitement, il souleva le roman de Singer, Le Magicien de Lublin. Il lui vouait une véritable passion, à tel point qu'il le laissait près des toilettes depuis des années, pour le cas où l'envie le prenait d'en lire un passage dans les moments où son intention de détraquait. David Lagercrantz, Millenium 4 Ce qui ne me tue pas
J'avais étudié les habitudes de l'homme à abattre. Il offrait l'avantage de ses horaires réguliers. Mon plan au point, je me levai un matin avant l'aube. Je déjeunai, je nettoyai mon arme une fois encore et j'allai à la selle, acte nécessaire avant de plonger dans une action. Erri De Luca, Acide, Arc-en-ciel
Le seul réconfort dont Köwes avait besoin en cet instant, c'était des toilettes. Malheureusement, dix personnes patientaient déjà. Ne pouvant attendre davantage, il grimpa l'escalier. Il trouverait à l'étage d'autres WC, lui avait-on dit. Arrivé là-haut, il arpenta un labyrinthe de petites salles ayant chacune leur petit bar. Il demanda à un serveur où étaient les toilettes les plus proches. Origine, Dan Brown
― Venir
jusqu'ici lui a pris une grande partie de la journée, et lui et les
chiottes d'avion, paraît-il, ça ne fait pas bon ménage (Jack sourit).
Il a dit à Wireman qu'il avait eu l'impression d'être assis sur
quelque chose toute la journée et qu'il voulait pouvoir se libérer
tranquillement. Stephen King, Duma Key
Son ingéniosité n'était jamais à court lorsqu'il s'agissait d'instituer une redevance, une taxe, des droits, un péage. On rapporte qu'il taxa même la collecte de l'urine par les fabricants de laine, qui l'utilisaient industriellement comme dégraissant. Moyennant, donc, une redevance, l'artisan disposait devant ses ateliers une jarre ébréchée tout exprès, où les passants avaient la faculté de se soulager ou de vider commodément leurs pots de chambre s'ils habitaient au-dessus ou à côté. Comme un de ses conseillers lui faisait part de ses scrupules, Vespasien lui avait mis sous le nez l'argent ainsi récupéré, lui demandant s'il percevait une odeur. De là vient la légende tenace autant que ridicule qui a fait de Vespasien l'inventeur des pissotières. Il n'avait rien eu à inventer dans ce domaine: les cabinets publics payants existaient avant lui, où chacun pouvait, commodément mais collectivement, satisfaire toute la gamme des besoins naturels. Ces édicules, agréablement décorés et pourvus d'une circulation d'eau, offraient jusqu'à vingt places disposées en hémicycle. Le conductor foricarum en avait la gestion. Lucien
Jerphagnon, Histoire de la Rome antique,
Le côlon spastique était l'un des sujets de conversation préférés de Grand-père. J'ai le souvenir de mon grand-père, doux, distrait, tendre et surtout constipé. Il partait déféquer comme on part à la gare. Il annonçait, son journal sous le bras: «Je vais aux toilettes.» Il donnait à Grand-mère un petit baiser d'adieu sur la bouche et elle lui disait: «À tout à l'heure, mon chéri.» Joël Dicker, Le Livre des Baltimore
Plus alchimiste qu'il ne l'avait jamais été lui-même, ses boyaux opéraient la transmutation de cadavres de bêtes ou de plantes en matière vivante, séparant sans son aide l'inutile de l'utile. Ignis inferioris Naturae : ces spirales de boue brune savamment lovées, fumant encore des cuissons qu'elles avaient subies dans leur moule, ce pot d'argile plein d'un fluide ammoniaqué et nitré étaient la preuve visible et puante du travail parachevé dans des officines où nous n'intervenons pas. Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir
Il
posait la main sur la poignée de portière quand la douleur lui tordit le bas
du ventre et lui coupa le souffle ―
il n'avait jamais reçu de coup de couteau, mais cela devait y ressembler. Ce
n'était pas la première fois... c'était même presque fréquent, depuis...
depuis un certain temps. Les boyaux qui se tordent vivement, brusquement, non,
pas un coup de couteau, mais comme empoignés par une patte aux griffes de fer
plantée dans la ventraille, une torsion violente, la déchirure suivie d'une
série d'ondes douloureuses irradiant dans tout l'abdomen, une pression
terrible dans le scrotum, et puis diffusant jusqu'aux reins, la soudaine et
irrépressible envie de chier que l'on pressent forcément calmante et
libératrice, la seule issue pour un soulagement possible à la torture
fouailleuse. Une poussée de sueur qui vous inonde tout le corps, vous chauffe
le cou et les tempes, frayeur incarnée dans les pores, sur et sous la peau,
épouvante fulgurante de s'interroger et se répondre dans le même sursaut
sur l'identité de ce mal enfoui. Pierre Pelot, Braves gens du Purgatoire
Il
se redresse cahin-caha. Le niveau de la bouteille à diminué
dangereusement. Chochana Boukhobza, Le troisième jour
Revers
de la médaille: il ne peut plus atteindre les cabinets... Mais le père
Lustucru, ce lutin à bonnet bleu et rouge qui paraît sorti du journal que
Toine lisait à Marie-Jeanne, le père Lustucru a fait vider le pot de chambre
(«Y a combien de temps que c'était plein de pisse, ce godet-là?»); et il a
rajouté dans la chambre un grand baquet de bois qu'il appelle «une griache»,
«une tinette»: «Charlot, quand t'auras rempli ton pot, avec du petit ou
avec du gros, tu me ficheras le tout dans la tinette, comme à l'"Hôtel
des Haricots"! La tinette, Gourlet la portera chaque semaine jusqu'aux
" lieux" avec un homme de quart. Hein, Gourlet? Ce jour-là, par
exception d'extraordinaire, tu déverrouilleras le couloir de
commodités. Françoise Chandernagor, La chambre
(...)elle
l'a trouvée accroupie près d'un buisson, la culotte baissée, en train de
faire pipi. Aussitôt Eva a détourné la tête pour ne pas la gêner. Fabienne Jacob, Les séances
Il
entra dans la salle de bain, posa son verre sur le bord du lavabo, puis se
soulagea. C'est étrange, se dit-il, que plusieurs fois par jour, un homme
soit obligé de déboutonner son pantalon, pour libérer un jet de liquide
chargé de déchets organiques qui s'est accumulé en lui. Il faut le voir
pour le croire. Après avoir refermé sa braguette, il se lava les mains,
puis, toujours muni de son verre, quitta la pièce. Philip
K. Dick, L'homme dont toutes les dents
Messer grande me fit entrer dans une gondole où il se plaça près de moi n'ayant gardé que quatre hommes, et ayant renvoyé tout le reste. La gondole arriva chez lui: il me fit entrer dans une chambre où il me laissa seul après m'avoir offert du café que j'ai refusé. J'ai passé presque quatre heures toujours opprimé par un sommeil assez tranquille interrompu à chaque quart d'heure par la nécessité de lâcher de l'eau, phénomène fort extraordinaire; car la chaleur était excessive; je n'avais pas soupé, et je n'avais pris dans la journée précédente qu'une glace à l'entrée de la nuit; j'ai néanmoins rempli d'urine deux grands pots de chambre. La surprise causée par l'oppression était pour moi un grand narcotique, et j'en avais fait autrefois l'expérience; mais je ne l'avais pas cru diurétique: j'abandonne cela aux physiciens. Il y a cependant apparence que dans le même temps que mon esprit effrayé devait donner des marques de défaillance par l'assoupissement de la faculté pensante, mon corps aussi, comme s'il se fut trouvé dans un pressoir devait exprimer une bonne partie des fluides qui avec une circulation continuelle donnent l'action à notre faculté de penser: et voilà comment une effrayante surprise peut parvenir à causer une mort subite, car elle peut arracher l'âme au sang. Giacomo Casanova, Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise qu'on appelle les plombs
Lui que maman décrivait, avec un brin de regret, «comme tous les Frame, un austère écossais, votre père est un austère écossais, les enfants», était pourtant grand amateur de plaisanteries, montrant une prédilection pour le genre comique lorsqu'il écoutait notre nouvelle radio, lisant les blagues dans le Happy Mag et Humour avant d'en découper les feuilles en carrés qui serviraient de papier pour les cabinets... Janet Frame, Ma terre, mon île (Un ange à ma table)
Hygiène anale des Arabes. Civilisation islamo-anale. Un Arabe qui va chier n'emporte pas une poignée de papiers, mais un peu d'eau dans une vieille boîte de conserve. Il se montre justement choqué par la grossièreté et l'inefficacité des torche-culs occidentaux. Supériorité d'une civilisation [orale] sur une civilisation écrite. L'Occidental est tellement entiché de paperasserie qu'il s'en fourre jusque dans le cul. Michel Tournier, Les météores
Je repense à une plaque en faïence bleue fixée dans les toilettes de Verdelot, le fief campagnard de ma mère. Le Zubial, noctambule impénitent, avait volé cette plaque une nuit, au début des années soixante-dix, sur une pelouse de la ville de Saint-Tropez. Son libellé l'avait fait sourire: «Prière de respecter et de faire respecter les Jardins.» Moi, elle m'avait toujours fait frissonner. et si cette injonction municipale, finalement, n'était pas une plaisanterie? Comme si elle posait, sur la place publique, la question de notre honorabilité... dont le Zubial avait préféré s'amuser en affichant cette phrase dans nos toilettes; là où se vidange la merde d'une famille. Alexandre Jardin, Des gens très bien
La superbe maison de mes grands-parents ne possède pas de cabinets. Aussi,
chaque matin, les bonnes se livrent-elles à une corvée médiévale. Elles
coltinent en peinant jusqu'à la rivière, les énormes seaux d'émail à
couvercle qui renferment les excréments de toute la maisonnée. Je les
accompagne toujours. Au rythme de leurs pas, les seaux émettent des bruits
douteux. Selon la nature du bruit et la couleur du seau, les bonnes
diagnostiquent l'état intestinal de tel ou tel d'entre nous. Elles rient tout
en causant, environnées d'une odeur de pourriture et d'eau de Javel
parfumée. Pascal Jardin, La guerre à neuf ans
Lause démolit de ses propres mains une des trois cabanes annexes et
commença à se construire des tinettes avec les planches ainsi
récupérées. Ça promettait de devenir de belles tinettes avec porte et fenêtre et planche d'assise rabotée. Il en décora l'intérieur
avec des photos découpées dans les magazines illustrés qu'il avait
apportés et, quand il eut fini, il était possible, tout en restant
assis à l'intérieur le temps requis, d'étudier la vie à Londres à
l'époque de Dickens ou de lire la recette d'une salade de homard ou
encore de faire des mots croisés. Jø
― Je marche mais je vois rarement ce qui m'entoure. Je vois sans cesse les lieux perdus. Je vois le lycée. Je vois un peu la carte de géographie en couleurs mais je vois surtout les deux cabanes de bois des cabinets dans la cour de récréation, leur trou suffocant. En arrivant on mettait les manteaux près du poêle sur un perroquet en fer. Cela sentait la pluie, la laine mouillée, la craie, la poussière, l'encre fade, la transpiration très aigre des jeunes garçons. Ils sont tous morts, ceux qui étaient dans ma classe. Pascal Quignard, Villa Amalia
Il y a un, deux, trois, quatre W-C, chacun dans sa petite chambre à
l'intérieur d'une autre grande chambre avec quatre éviers et tout
plein de miroirs. C'était vrai que dans le Dehors les W-C ont un
couvercle sur leur réservoirs: je peux pas regarder dedans. Quand Maman
a fait pipi et se relève, j'entends un horrible rugissement qui me fait
pleurer. «N'aie pas peur, elle dit en m'essuyant la figure à deux
mains, c'est juste une chasse automatique. Regarde, avec ce petit œil,
les toilettes voient qu'on a fini et tirent la chasse elles-mêmes:
malin, non?» Emma Donoghue, Room
Si t'avais vu ce vieux type qu'avait dans les cinquante piges. Ce qu'il a fait, il est venu frapper à la porte de notre piaule et il a demandé si ça nous ennuyait qu'il aille aux lavabos. Les lavabos c'était au bout du couloir. Je vois pas pourquoi c'est à nous qu'il a demandé. Et tu sais ce qu'il a dit? Il a dit qu'il voulait vérifier si ses initiales étaient encore sur une des portes des chiottes. Ce qu'il avait fait, y a dans les quatre-vingt-dix ans, il avait gravé ses vieilles connasses de saletés d'initiales sur une des portes et il voulait vérifier si elles y étaient encore. Donc, mon copain de chambre et moi, on est allés avec lui aux lavabos, et on est restés là à attendre pendant qu'il cherchait ses initiales sur toutes les portes des chiottes. Et il a pas arrêté un instant de nous parler, nous racontant que ses années à Pencey c'étaient les plus heureuses de sa vie, et nous donnant un tas de conseils, pour notre avenir et tout. Ouah, il m'a flanqué un de ces cafards! J.D. Salinger, L'Attrape-cœurs
Ne vous aventurez qu'une seule fois dans les toilettes. Juste pour voir
ce qu'on y fait. Mais n'y revenez plus. D'ailleurs, les professeurs,
eux, sont protégés, ils ont des lavabos à part, ce qui leur permet de
ne pas savoir. Mais cette fille blonde ne peut tromper personne. Elle
perd peu à peu sa voix, sa mémoire s'éparpille, son dos se courbe,
ses os apparaissent. Son écriture est tremblotante, et elle revient
sereine et tranquille des toilettes, elle a trop souvent les yeux dans
le vide et vous regarde d'une drôle de façon, sans vraiment vous voir,
elle a toujours avec elle un sac en papier dont elle ne se sépare
jamais. Personne ne s'aperçoit de rien. Ils font semblant d'ignorer.
Qu'est-ce qu'ils pourraient faire d'ailleurs? ils ne savent rien faire
sauf s'occuper des absences. Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous
Accompagné du chat, d'étage en étage, de palier en palier, j'accédai à un couloir, s'enfonçant dans les profondeurs du monastère qui sentait l'encens, le moisi. Une porte céda sous ma poussée; j'entais dans un petit sanctuaire obscur décoré de boiseries et de tableaux à fond d'or représentant des dieux inconnus et des anges faiblement éclairés par une étroite meurtrière qui donnait sur la jungle. Je refermai la porte de cette chapelle intérieure. Les vieux planchers gémirent sous mes pas, et, çà et là, menacèrent de se rompre. D'autres couloirs plus obscurs encore ne menaient qu'à d'antiques latrines dont les trous ronds laissaient apercevoir de charmants jardins potagers, vingt mètres plus bas, près d'un ruisseau. François Augiéras, Un voyage au mont Athos Manuela a peaufiné au Coton-Tige des chiottes dorées à la feuille qui, en dépit de cela, sont aussi malpropres et puantes que tous les gogues du monde parce que s'il est bien une chose que les riches partagent à leur corps défendant avec les pauvres, ce sont leurs intestins nauséabonds qui finissent toujours par se débarrasser quelque part de ce qui les empuantit. Muriel Barbery, L'élégance du hérisson
Les toilettes furent son univers, la première semaine. On considérait leur entretien comme une tâche adaptée aux besoins et aux capacités des nouveaux. Quand il y arriva, ils étaient deux, et il y avait trois toilettes, une par étage: cela permettait de ne pas bâcler le travail. Comme disait le surveillant qui leur avait remis seau, serpillière et balai: «L'important, ce n'est pas ce qu'on fait, mais de le faire bien et de pouvoir en être fier.» Dick, docile, nettoya les chiottes avec la minutie d'un restaurateur de tableaux. Il réussit à s'absorber dans ce labeur et à le faire durer sans s'y perdre: au bout d'une heure ou deux consacrées à la même cuvette, il savait s'arrêter, considérant que c'était fini, et passer à autre chose. Ce comportement révélait un équilibre peu répandu à X-Kalay. Emmanuel
Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts
À soixante ans, Édouard est considéré comme retraité et à ce titre est dispensé des travaux de force, mais on ne le laisse pas pour autant écrire, lire ou méditer comme il pouvait le faire à Lefortovo et Saratov. Jusqu'au soir, il lui est défendu de regagner sa baraque, ses livres et ses cahiers, et il doit s'adonner à des tâches de nettoyage, absurdes aussi. Récurer à fond, vraiment à fond, une rangée de chiottes, cela demande au maximum une heure. On lui en donne quatre pour le faire. Très bien, il y mettra quatre heures. Quatre fois sur le métier il remettra l'ouvrage, aucune cuvette au monde ne brillera davantage, et personne ne le verra, ne serait-ce qu'une minute, bayer aux corneilles Emmanuel Carrère, Limonov
À bord de mon dernier embarquement, j'étais affecté en dehors de mes
activités de mécanicien à un poste d'entretien tout à fait
enthousiasmant, celui des chiottes équipage qu'il fallait récurer,
nettoyer à grande eau sans ménager sa peine, un endroit délicieux,
surtout le matin après le petit-déjeuner et des creux de huit mètres.
Rien de plus joyeux, l'estomac à l'envers, que de repousser la merde et
le vomi en vous accrochant désespérément à tout ce qui se
présente. Bernard Giraudeau, Les dames de nage
Le niveau sonore de cette cacophonie était aussi haut qu'était bas son niveau intellectuel. On y parla de l'origine des fontaines, du flux et du reflux de la mer, de la manière dont l'âme frappe des objets corporels, de la communication entre les organes et le cerveau, de l'émanation de la lumière et des couleurs primitives, de la transparence des corps touchés par la grâce, des propriétés de certaines études géométriques, de la philosophie de Newton, des tragédies de Métastase, «le Racine de l'Italie», et des premiers vers du Siennois Bernardino Perfetti, composés alors qu'il n'avait que sept ans! Au terme d'une bonne heure de discussions acharnées, Lucia fut nommée reine de cette journée qui ne faisait pourtant que commencer. Vêtue de satin blanc et drapée dans son manteau semé d'étoiles, elle reçut une couronne de laurier des mains du comte de Moasca sous les applaudissements de l'assistance. Le musicien joua au clavecin des pièces de Rameau, «comme Rameau lui-même», soutint un Français présent, d'autres de sa propre composition, et chanta en s'accompagnant. Puis tout le monde se leva, pour se dégourdir les jambes et assouvir derrière les buissons et sous les volées d'escalier ses besoins naturels. Gérard de Cortanze, Assam
«T'en fais pas, petit, eux aussi ils vont aux cabinets!» me disait
Grand-père, comme pour m'extraire de ma stupide contemplation et me
consoler. La phrase, à mes heures paresseuses, résonnait dans mon
petit esprit et j'essayais d'imaginer les cabinets des ingénieurs: les
nôtres, ceux du bistro, étaient dans le jardin, une cabane de bois
noir avec à l'intérieur une planche de sapin, percée d'un trou rond,
et patinée comme un cuir de selle à vélo. Au mur, il y avait
entassés sur un grand clou tordu des paquets de feuilles de journal, et
quand au cœur de l'été on s'enfermait dans la boîte, la musique
ronfleuse de grosses mouches bleutées et leur ballet vibrant donnaient
au lieu une singulière effervescence. Philippe Claudel, Le Café de l'Excelsior
Chez moi, il n'y avait pas de bureau. Je faisais mes devoirs enfermé dans les toilettes, une planche sur les genoux en guise de bureau et un casque de chantier sur la tête pour étouffer les cris des voisins. La fille de papier, Guillaume Musso
La manière dont le jeune Louis XIV vit en permanence, du lever au coucher, sous l'œil des autres, m'a toujours semblé admirable (...) J'étais un malade reconstitué et sous tuyaux, avec un os de jambe à la place du menton (...) Dans ma chambre, c'était pareil. Je devais être à la hauteur de ce qui avait lieu, depuis l'attentat jusqu'aux interventions successives en passant par les visites, et je devais l'être d'abord seul, avec tout le naturel possible, sans mensonge, sans artifice, en faisant appel au meilleur de moi-même. Je devais chier sur le trône et pisser dans le pistolet avec le maximum de dignité, d'humour, de courtoisie et d'attention, sans aucune plainte ni aucune familiarité, quand bien même l'urine envahirait le lit faute de trouver le bon angle de miction, comme c'était à peu près toujours le cas. Il ne s'agissait pas de me prendre pour un roi. La situation était assez folle pour qu'il soit inutile de m'ajouter un entonnoir ― ou une perruque ― sur la tête. Il s'agissait de prendre, dans l'exemple du roi, tout ce qui pouvait me permettre de contrôler. Philippe Lançon, Le lambeau
L'empereur Maximilien, bisaïeul du Roi Philippe qui règne à présent, était un prince doué de grandes qualités, et entre autres, d'une beauté singulière. Mais parmi ces dispositions de caractère, il en avait une bien contraire à celle des Princes qui, pour traiter les affaires les plus importantes, font de leur chaise percée un trône: il n'eut en effet jamais de valet de chambre si intime qu'il lui permit de le voir en sa garde-robe*. Il se cachait pour uriner, aussi scrupuleux qu'une demoiselle à ne découvrir, ni à un médecin, ni à qui que ce fût les parties que l'on a coutume de tenir cachées. * C'est aussi l'endroit où l'on rangeait la «chaise percée». ― et correspondait de ce fait à nos «toilettes». On remarquera que Montaigne considère comme exagéré le fait de ne pas se montrer à son valet en cette situation... Il est vrai qu'à l'époque, si l'on en croit les truculents récits de Brantôme, existait une certaine «convivialité des latrines»... Michel Eyquem de Montaigne, Les essais Livre I chapitre 3 : Nos façons d'être nous survivent (dans la traduction moderne de Guy de Pernon d'après le texte de l'édition de 1595)
La cloche de la chasse d'eau de nos toilettes, au mécanisme vieux d'un bon siècle, ayant rendu l'âme, son réservoir suspendu, bloqué dans sa rouille, impossible à changer sans démolir, au dire du plombier, descente en plomb, cuvette, à laquelle elle est entée, conduit d'évacuation; notre propriétaire ne répondant jamais à nos lettres, je bricole, au moyen de poulies et de cordes, un système qui évite que l'eau ne coule en permanence, dont le maniement nécessite d'être expliqué, démonstration à l'appui, chaque fois qu'une personne en visite nous demande si elle peut emprunter la garde-robe. Xavier Bazot, Fresque et Mosaïque
GARDE-PROYE : garde-robe, soulignant le rôle du cabinet d'aisances dans cette pièce par l'usage du mot d'argot «proye», qui désigne le cul, l'anus. Chez Trévoux (1753), «cabinet» est synonyme de «garde-robe" (ainsi orthographié) pour désigner «le lieu secret pour les nécessités de la nature», et le rédacteur illustre cet usage par le vers de Molière, dans Le Misanthrope: «Franchement il est bon à mettre au cabinet», attestant ( mais les auteurs du dictionnaire ont-ils raison?) une acception déjà ancienne du mot «cabinet» pour désigner autre chose que la pièce où l'on se retire pour travailler ou méditer, où l'on accumule éventuellement les curiosités glanées au cours des voyages. Pour certains, la réplique définitive d'Alceste signifie plutôt: «[votre poème] est bon à conserver au secret de votre cabinet d'étude». Christian
Chavassieux, La vie volée de Martin Sourire
La nette simplicité du blanc, sans marbre ni fioritures ―
faiblesses
bien souvent des nantis qui tiennent à rendre somptueux tout ce qui est
trivial ―
et la tendre douceur d'une moquette solaire sont, en matière
de W.-C., les conditions mêmes de l'adéquation. Que cherchons-nous
lorsque nous nous y rendons? De la clarté pour ne pas penser à toutes
ces profondeurs obscures qui font coalition et quelque chose sur le sol
pour accomplir notre devoir sans faire pénitence en se gelant les
pieds, spécialement lorsque l'on s'y rend de nuit. Muriel Barbery, L'élégance du hérisson
Autre problème: faire ses besoins. Au début, il n'y regardait pas de si près: ici ou là, le monde est grand, il faisait là où il se trouvait. Puis il s'avisa que ce n'était pas bien agir. Il découvrit sur les bords d'un torrent, la Merdance, au point le plus propice et le plus écarté, un aulne qui faisait saillie, avec une fourche sur laquelle on pouvait se tenir très commodément assis; La Merdance était une rivière obscure, au cours rapide, cachée sous les roseaux, et les pays voisins y faisaient déboucher leurs égouts. Le jeune Laverse du Rondeau vivait en civilisé, respectueux de lui-même comme de son prochain. Italo Calvino, Le Baron perché
Elle se dirige clopin-clopant jusqu'aux WC qui se trouvent au sud-ouest
de la cour. Elle soulève le couvercle en ciment, les remugles se
répandent sous la pluie. Mo Yan, La dure loi du karma
Dans le silence de plus en plus profond, le bruit des sapeurs occupés
à creuser s'entendait d'autant plus fort. Il n'ignorait pas que bon
nombre de ses officiers juraient entre leurs dents et espéraient que
lui-même, mort de sommeil, donnerait l'ordre de cesser d'aménager les
rigoles. Il serra les dents comme en ce jour où, en plein conseil de
guerre, il avait parlé pour la première fois des latrines. Avant
d'être une multitude en marche, des drapeaux, du sang à verser, une
victoire ou une défaite, une armée était un océan de pisse. Bouche
bée, on l'avait écouté exposer que, bien souvent, l'affaiblissement
d'une armée commençait non pas sur le champ de bataille, mais par de
menus détails dont on ne soupçonnait pas l'importance, auxquels on ne
songeait pas, comme, par exemple la puanteur et la saleté. Ismail Kadaré, Les tambours de la pluie
Parvenu au milieu de l'interminable descente vers San Sebastián, et
peut-être dérangé par ces pensées digestives, je fus pris d'une
envie irrépressible que la constipation de ces derniers jours
expliquait aisément. Chaque pas me résonnait dans le ventre de façon
atroce. J'étais parvenu à l'endroit du coteau où il est planté
d'arbres rares, parcouru d'allées et de bassins: un véritable jardin
public. Il continuait de pleuvoir et il n'y avait personne en vue. Que
faire? En d'autres circonstances, j'aurais sans doute montré de
l'héroïsme et continué la descente en me contenant. À ma grande
surprise, le pèlerin déjà présent en moi me commanda d'agir tout
autrement. Je posai mon sac sur une table de pierre destinée au
pique-nique des familles et, enjambant une haie taillée, j'allais
m'accroupir sur un parterre. Jean-Christophe
Rufin, Immortelle randonnée,
Cachés par les hautes herbes, nous nous approchons et y postons pour explorer les lieux, quand un événement inespéré vient faciliter notre entreprise. Une file de prisonniers enchaînés s'avance, chacun portant sur la tête un grand seau. Escortés par un garde de cercle armé, ils se dirigent vers un grand trou que l'on devine un peu plus loin. Le vent, qui souffle dans notre direction, amène à nos narines une odeur révélatrice qui n'a vraiment rien à voir avec le fumet de la cuisine des Blancs. Nous nous regardons ébahis: "Mais ce sont les excréments des Blancs que les prisonniers transportent là!" et effectivement, nous voyons les prisonniers vider à tour de rôle le contenu de leur seau ― comme ils le font d'ailleurs chaque jour ― dans le grand trou aménagé spécialement pour recevoir les excréments des Blancs, sans doute trop précieux pour être mélangés à ceux des Noirs. Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel, l'enfant Peul
Une complication supplémentaire surgit dans la pressante nécessité de
trouver parmi les tentes un coin pour se soulager. Tandis que, dans ce
but, il allait de-ci de-là, il se prit à évoquer les fréquentes
occasions où il avait été obligé d'agir de même. Il lui fallut tant
de temps pour découvrir ce qu'il cherchait que, lorsque, après l'avoir
découvert, il se retrouva au soleil, il se sentit de bien plus joyeuse
humeur.
―
Les toilettes se trouvent dans la cour, derrière cette porte marron. Je
vais te donner la clef de ce royaume. Tu verras comme il est vaste.
Surtout, ne te perds pas. Chochana Boukhobza, Le troisième jour
―
Tu te souviens, au milieu de l'allée, il y avait une espèce de
cabane. Dai Sijie, Le complexe de Di
Il a neigé. La route en pente devant ma porte est gelée. Quand je suis revenue de Kyoto après une unique nuit d'absence, un froid glacial m'a saisie en allant aux toilettes. J'ai dû descendre l'escalier, parcourir les trois pièces non chauffées, jamais chauffées, et j'avais oublié de remettre ma doudoune rouge. J'avais pourtant branché dès l'arrivée le petit convecteur de la cuisine qui diffuse instantanément son semblant de chaleur rougeoyante. Par bonheur, le siège des W.-C. est électrifié, ce qui réchauffe mes fesses et mon cœur lorsque je m'y installe, oubliant le froid pendant un instant. Instant fatal, qui me fait éternuer. Nicole-Lise Bernheim, Saisons japonaises
En 1933 Tanizaki publia un court texte où il disait qu'il regrettait l'ombre. (...) Ce regret était d'autant plus poignant qu'il était argumenté de façon provocante. Tanizaki y exprimait sa nostalgie pour les lieux d'aisances presque obscurs de l'ancien Japon. Lieux qui n'étaient déjà plus tolérés par l'ensemble de la société nippone soudain acquise à la volonté générale d'excréter dans la lumière puritaine, impérialiste, américaine, éblouissante des néons, dans une cuvette de porcelaine immaculée, entourée d'un carrelage blanc, hygiénique, luisant, dans l'odeur de fleur feinte. Pascal Quignard, Les ombres errantes
Je demande les toilettes, elles sont au fond de la cour. Mon instinct de chasseur m'avait demandé de prendre la caméra et je me régale à filmer l'indescriptible cuvette des chiottes, un monument de l'art conceptuel avec un trou qui semble sans fond au centre d'une cuvette qui fut peut-être en porcelaine et au-dessus de laquelle pend un tuyau d'arrosage bariolé duquel s'égoutte une eau sale. La chasse d'eau passe par la fenêtre en serpentant vers une grande lessiveuse assise sur des tréteaux. Bernard Giraudeau, Esquisses Philippines dans Cher amour
Comment
demande-t-on ceci dans le monde? Muriel Barbery, L'élégance du hérisson
Un autre grand moment de solitude pour bon nombre de caissières, c'est
celui où l'on demande l'autorisation de se précipiter au salon
d'aisance... Anna Sam, Les tribulations d'une caissière
Je montai et descendis des escaliers pendant un bon moment avant de trouver les lieux d'aisances, qui à l'instar de tout le reste n'avaient subi aucun changement depuis le début du siècle. Les cabines de bois peintes en kaki, les carreaux blancs, les lourdes faïences des urinoirs avaient certes vieilli, étaient écornés, craquelés, parcourus d'un réseau de fissures grises, mais restaient à l'identique, si l'on excepte les graffitis qui dataient tous des vingt dernières années. W.C. Sebald, Vertiges
Mon bol d'eau de café aussitôt bu, j'empoignais mon pot de chambre d'Aubagne rempli de pissat, dans un coin de la chambre, et montais à la rencontre de mon arbre. Le jour s'ouvrait peu à peu et le soleil dispersait de grandes raies de lumière à travers le ciel, semblables à des chevaux-à-trois pattes. La rosée me faisait frissonner au plus profond de mes membres. Je renversais alors le contenu du pot de chambre à la racine de l'arbre jusqu'à ce qu'elle soit submergée d'écume jaune. On aurait alors juré que l'arbre retrouvait une nouvelle vigueur, ses branches se redressaient et son écale se teintait d'un beau marron tendre. Je l'interpellais, hiératique, ma chemise de nuit ballottant sous l'emprise du vent coulis qui surgissait de l'en-bas de Rivière-Lézarde. Raphaël Confiant, Mamzelle Libellule
Il [le docteur Urbino] fut le premier homme que Fermina Daza entendit uriner. Elle l'entendit la nuit de leurs noces dans la cabine du bateau qui les emmenait en France alors qu'elle était épuisée par le mal de mer, et le bruit de ce torrent chevalin lui sembla si puissant et investi de tant d'autorité que la crainte d'un anéantissement accrut sa terreur. Ce souvenir lui revenait souvent en mémoire à mesure que les années affaiblissaient le jet, car jamais elle n'avait pu se résigner à ce qu'il laissât le bord de la cuvette mouillé toutes les fois qu'il l'utilisait. Le docteur Urbino tentait de la convaincre, avec des arguments faciles à comprendre pour qui voulait les entendre, que cet incident quotidien se reproduisait non par manque de soin de sa part mais pour des raisons organiques: son jet de jeune homme était à ce point net et direct qu'au collège il avait gagné des concours de remplissage de bouteilles à distance, mais avec l'usure de l'âge il avait décru, était devenu oblique, s'était ramifié et avait fini par n'être plus qu'une source de fantaisie, impossible à diriger en dépit de ses nombreux efforts pour le redresser. Il disait: «Les cabinets ont dû être inventés par quelqu'un qui ne connaissait rien aux hommes.» Il contribuait à la paix du ménage par un acte quotidien qui tenait plus de l'humiliation que de l'humilité: il essuyait avec du papier hygiénique les bords de la cuvette chaque fois qu'il s'en servait. Elle le savait mais ne disait jamais rien tant que les vapeurs ammoniacales n'étaient trop évidentes, ou le proclamait comme qui eût découvert un crime. «Ça pue la cage à lapins.» Au seuil de la vieillesse, ce même embarras du corps inspira au docteur Urbino la solution finale: il urinait assis, comme elle, ce qui laissait la cuvette propre et le laissait lui en état de grâce. Gabriel García Márquez, L'amour aux temps du choléra
Säbjörn ne dit pas un mot, s'assit devant la fosse à feu, ôta ses bottines mouillées et suspendit ses braies et sa cape à côté du feu pratiquement éteint. Puis il se releva et sortit pour se soulager, pied nus et vêtu de sa seule tunique. Épuisé, il se laissa aller contre un arbre tout en scrutant distraitement, dans la faible lumière du crépuscule, le chemin d'accès à la ferme alors qu'il essayait de faire sortir douloureusement les dernières gouttes. Il lui fallait de plus en plus de temps. Il commençait à se faire vieux. Katarina Mazetti, Le Viking qui voulait épouser la fille de soie
D'abord, c'est la ruée de tout le baraquement vers les toilettes, avec une pause cigarette dans la cour. Comme il est un des rares à ne pas fumer, Édouard en profite pour aller chier dans le peloton de tête. Si son transit est d'une exemplaire régularité, il a remarqué que sa merde pue davantage qu'à l'extérieur, et même qu'elle ne puait en prison. Il a remarqué aussi que si la merde des zeks pue, leurs poubelles en revanche ne sentent rien. C'est qu'hormis les mégots elles ne contiennent rien d'organique, tout ce qui est organique étant plus ou moins comestible et tout ce qui est comestible étant mangé: telle est la loi du camp. Emmanuel Carrère, Limonov
Entrée dans leur salle de bains, elle rabattit le siège laqué blanc, se
ravisa. Non, il pourrait entendre. Tiens, je songe encore à ne pas lui
déplaire. Un peignoir sur son déguisement de fillette, elle sortit dans
le couloir, poussa la porte d'une des toilettes communes, tourna le
verrou, releva le bas du peignoir, s'assit sur le siège laqué blanc,
posa à terre le flacon d'éther qu'elle avait emporté, se leva, actionna
la chasse d'eau, resta à regarder la petite cataracte dans la cuvette de
faïence, se rassit, tira une feuille de papier hygiénique, la plia en
deux, puis en quatre. Ô le jardin de Tantlérie, les petites lampes roses
du cognassier éphèbe, le mirabellier fendu, la résine acajou qui en
sortait et qu'elle pétrissait avec ses doigts, le banc près de la petite
fontaine qui coulait toujours un peu et où les mésanges venaient boire,
le vieux banc vert délavé par la pluie, c'était exquis d'enlever les
écailles vertes. (...) Albert Cohen, Belle du Seigneur
Après quelques secondes, elle se releva, légèrement étourdie, chercha ses vêtements dans la pénombre, les roula en boule et se traîna jusqu'à la salle de bains. Elle déchira une feuille de papier hygiénique et la lança dans le fond de la cuvette pour couvrir le clapotis de son urine. Elle remarqua un éclat sur la faïence avant de découvrir, dans le reflet d'un miroir curieusement placé face aux toilettes, son visage et son corps ramassé, qui lui évoqua fugace ment le penseur de Rodin. Thomas Bronnec, Les initiés
Les toilettes, elles aussi m'impressionnaient beaucoup. Près du lavabo,
il y avait un incinérateur avec un écriteau: «Prière de jeter ici les
serviettes hygiéniques». Janet Frame, Un été à Willowglen (Un ange à ma table)
C'est en ce lieu qu'il faut que s'achève et se perde Agathias
le Scolastique (fin du Ve et VIIe siècles
Un parfum mêle l'encens et la citronnelle, du Chopin en sourdine et des lavabos et des urinoirs recouverts de l'arbre de Carrare: jusque dans les toilettes, les Allemands ont du goût. Antoine Fertel s'avance lentement jusqu'à Claude Danjun, qui, les yeux rivés sur son sexe, ne l'entend pas venir. Le conseiller du président se racle la gorge et crache au fond de l'urinoir. Fertel s'installe à côté de lui et descend sa braguette. Danjun l'observe du coin de l'œil en continuant à pisser à gros bouillons. Thomas Bronnec, En pays conquis
Aux toilettes, comme toujours très fréquentées, il se trouva être le voisin de Johnson, le directeur de la section économique, qui le salua d'un cordial «bonjour». Une aimable égalité régnait dans ce lieu de délassement où les huiles, en leur station devant les eaux perpétuelles, souriaient amicalement à leurs subordonnés, soudain leurs pairs et compagnons. De cette réunion semi-circulaire de célébrants, debout et graves en leurs vespasiennes, communiant dans le recueillement et parfois mécaniquement traversés par un frisson de déperdition, se dégageait une ambiance complice d'alliance et de concorde, d'unisson d'âmes, de convent viril, de secrète fraternité. Bref, Adrien en sortit ragaillardi et décidé à en mettre un bon coup. Albert Cohen, Belle du Seigneur
Les deux compères avaient pour habitude de s'accroupir au ras du caniveau à ciel ouvert qui séparait la Levée des Terres-Sainvilles, pour y déféquer, leurs shorts kaki baissés jusqu'aux chevilles. En plein jour s'il vous plaît! La maréchaussée avait beau les verbaliser, ils recommençaient le lendemain à la grande joie d'une égaillée de petites marmailles qui traînaillaient avant d'affronter les coups de règle de leur maître d'école. Ils pariaient des billes ou des noix sur celui des deux fiers-à-bras qui lâcherait son étron le premier. Spectacle désopilant que de voir une douzaine de gamins penchés à même le sol, l'œil rivé à leurs fesses. Quand on sait que Bec-en-Or et Fils-du-Diable-en-Personne en profitaient pour se refiler les dernières bonnes affaires ou préparer quelques mauvais coups, on comprend sans peine que leur évacuation matinale durât parfois près d'une heure et qu'un inévitable attroupement se produisît à cet endroit. Raphaël Confiant, L'Allée des Soupirs
Le coup avait frappé le milieu de la porte, car les plombs entouraient le
journal sur les quatre côtés. Je ressentis une fierté triomphale, et
j'attendais que l'oncle Jules exprimât son admiration. Marcel Pagnol, La gloire de mon père
Dehors, à côté de l'immense macrocarpa qui était le rendez-vous des pies, il y avait une buanderie en ruine; dans un coin, une lessiveuse pour faire bouillir le linge lavé dans les cuveaux de bois. Le «petit coin», au bout du sentier qui venait de l'appentis, se trouvait à côté du cyprès ―«aller au cyprès» devint vite la formule consacrée; la cabane, couverte de petites roses blanches qui sentaient très bon et que nous appelions des «roses-cabinet», n'avait pas de porte; le siège, aussi vaste qu'un banc de plage, surplombait un trou profond à demi-plein de vieux «kiki» (c'était le mot que nous employions pour désigner les excréments) de diverses nuances de brun, surmontés de morceaux jaunis de l'Oamaru Mail ou de l'Otago Daily Times. Janet Frame, Un été à Willowglen (Un ange à ma table)
J'étais aux toilettes, dans la baraque en bois au fond du jardin, visant le trou creusé dans une planche de bois qui recouvrait une fosse indiscrète, lorsque j'entendis crier mon nom. Il semblait que toute l'assemblée me demandait, et je me trouvais très embarrassé par mes fonctions naturelles. Heureusement une voix d'enfant, lequel m'avait vu aller vers des latrines, s'écria en russe «Il est aux toilettes». Ce qui souleva un énorme rire dans l'assemblée. C'était cocasse et je me dépêchai de terminer mon devoir et de me reculotter. En sortant de la cabane, je découvre une cinquantaine de regards qui m'attendent amusés. Qu'est-ce qu'ils me veulent? Fiodor s'avance vers moi et m'explique qu'ils veulent m'introniser Cosaque! Il faut donc que j'apprenne en quelques secondes à dire en russe «Merci» puis «Mon père», puis «Pour ton enseignement»! Fiodor continue: «Il faut que tu t'étendes sur le banc, ici, le dos en l'air. Le grand chef des Cosaques va te donner un premier coup de fouet et tu diras: "Merci!" puis un deuxième coup de fouet et tu diras: "Mon père!" et un troisième où tu diras: "Pour ton enseignement!" Allez, vas-y, allonge-toi!» Philippe B. Tristan, Carnets de Sibérie
... je vous parle énormément de W.-C... particulièrement ceux du Löwen... c'est qu'on était sur le même palier, la porte en face, et qu'ils désemplissaient pas! tous les gens de Siegmaringen, de la brasserie, et des hôtels, venaient aboutir là, forcément... la porte en face!... tout le vestibule, tout l'escalier étaient bourrés jour et nuit de personnes à bout, injurieuses, râlantes que c'était la honte!... qu'ils en avaient assez de souffrir!... et c'était vrai: tout l'escalier dégoulinait!... et notre couloir, donc! et notre chambre! vous pouvez pas plus laxatif que le Stamgericht, raves et choux rouges... Stamgericht plus la bière aigre... à plus quitter les W.-C.!... jamais! vous pensez tout notre vestibule grondant pétant de gens qui n'en pouvaient plus!... et les odeurs!... les gogs refoulaient! il va de soi!... ils arrêtaient pas d'être bouchés!... les gens entraient à trois... à quatre!... hommes, femmes... enfants... n'importe comment!... ils se faisaient sortir par les pieds, extirper de vive force!... qu'ils accaparaient la lunette!... «ils rêvent! ils rêvent!...» si ça mugissait!... le couloir, la brasserie, et la rue!... et que tout ce monde se grattait en plus... et se passait, repassait la gale et morpions... et mes malades!... mélimélo... qu'ils y allaient forcément aussi pisser sur les autres et partout! il était vivant notre couloir!... aussi des gens pour von Raumnitz... je vous expliquerai von Raumnitz... une autre affluence, pour son bureau, un de ses bureaux, l'étage au-dessus... ceux-là allaient aussi aux gogs la porte en face... le moment le plus magique c'était tous les jours quand les gogs vraiment pouvaient plus... vers huit heures du soir... qu'ils éclataient! la bombe de merde!... du trop plein du tréfonds!... tous les soulagements de la brasserie de la veille et du jour!... alors un geyser plein le couloir!... et notre chambre! en cascade plein l'escalier!... vous parlez d'un sauve-qui-peut!... mêlée-pancrace dans la matière! tous à la rue!... c'était le moment Herr Frucht s'amenait! tenancier!... du Löwen! Herr Frucht et son jonc!... il avait vraiment tout tenté pour sauver ses gogs... mais aussi responsable lui-même!... c'était lui le tôlier, la tambouille aux raves! lui la brasserie! le restaurateur!... cinq mille Stamgericht par jour! pas être surpris que les lieux débordent! Herr Frucht montait avec son jonc! touillait! retouillait! refaisait fonctionner la tinette!... et replaçait un autre cadenas... vissait!... vissait!... que plus personne puisse ouvrir! basta! deux minutes qu'il était parti ses chiotts étaient re-re-pleins! les gens à se battre! plein le vestibule!... Herr Frucht, qu'était pas Sisyphe, avait beau jurer «Teufel! Donner! Maria! » ses clients du Stamgericht y auraient plus qu'inondé sa tôle! submergée sous des torrents de raves! s'il avait coincé sa lunette, vraiment empêché les clients! cimenté le trou!... il menaçait mais il osait pas... Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre
Et puis c'était sale, c'était sale, à l'usine! Écoutez! étant gosses, on ne pouvait même plus entrer dans les W.-C., on était obligées de mettre des paniers dessus, dans les W.-C., comme ça, avec le fond dessus. On marchait dessus pour aller aux W.-C., tellement c'était dégueulasse. Il a fallu que l'inspecteur vienne pour qu'ils commencent à faire de nouveaux W.-C. Et puis les femmes, elles étaient très sales. Ma maman, c'est elle qui nettoyait les W.-C. Eh bien! elle disait tout le temps: "J'aime autant faire les W.-C. des hommes que des femmes." Parce que, ma foi, l'homme il allait, il faisait ses besoins, mais les femmes, celles qui étaient dérangées, elles défaisaient une canette, elles se mettaient ça entre les jambes et après elles jetaient ça dans les cabinets et ça bouchait tout. Alors tout revenait au-dessus, c'était dégoûtant. Il fallait vraiment avoir besoin d'y aller. J'ai vu maman enfiler son bras jusque-là pour déboucher un trou. Après, l'inspecteur du travail est venu et ils ont fait des W.-C. Avec des chasses d'eau et du carrelage, enfin des beaux W.-C. Et ils ont voulu mettre quelqu'un d'autre à la place de maman. C'est le syndicat qui a dit: «Ah non! c'est elle qui mettait son bras dans la merde», c'est le cas de le dire, «c'est à elle de continuer». Alors à chaque fois qu'il y en avait une qui sortait des cabinets, il fallait qu'elle aille voir derrière si elle laissait pas de saletés. Jean-Paul
Goux, Mémoires de l'Enclave
On sait en y pénétrant qu'on ne se rend pas chez une fleuriste. L'urine rancie, les excréments, le Crésyl et la Javel composent des miasmes qui peuvent figurer la litanie de notre misère. On y prend un cours de morale à moindres frais. Les respirer vaut acte d'humilité et de contrition. Notre monde rêve d'être inodore, c'est-à-dire inhumain. Dans les siècles qui ont précédé le nôtre, tout sentait, le pire comme le meilleur. Nous traquons les odeurs, celles de nos corps, celles de nos villes, comme de hauts délinquants qui nous rappelleraient trop que nous produisons des humeurs et qu'elles empestent. Gamin, j'entre dans une pissotière et cela pue. Je n'en suis pas surpris, ni gêné. J'y vois un miroir d'un genre particulier, à peine déformant. J'apprends qui je suis. Parfois, un clochard y ronfle, agrémentant l'espace restreint de ses effluves de gros vin, de crasse et de tabac gris. Je me figure qu'il est un dieu tombé parmi les hommes, masquant sa vraie nature sous des hardes trouées. Philippe Claudel, Parfums
Parfois,
je voudrais ne jamais remonter des lavabos, rester assise à côté de
Lulu à dévisager les clients jeter leurs piécettes dans la soucoupe.
Certains descendent juste pour lui acheter des cigarettes, d'autres lui
font des signes indiens et elle disparaît dans son vestiaire pour leur
tendre en échange d'un billet plié en quatre le petit papier plié en
huit contenant la dose Lulu. Gilles Leroy, Alabama Song
Le soir même, ma mère m'emmena au restaurant avec un de ses bons amis que je détestais catégoriquement. C'est insupportable de voir tous ces plats si bien préparés par un cuisinier qui, depuis des années, y met toute son âme alors que devant tant d'amour vous n'éprouvez qu'une insurmontable nausée. Heureusement, les toilettes sont un refuge reconstituant, mais enfin, on ne peut tout de même pas y rester plus d'un quart d'heure sous peine de se faire traiter d'obsédée sexuelle. Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous
Lilli
s'impatienta tout à coup et descendit à son tour, à la suite de Boule,
dans les toilettes du restaurant. C'étaient des toilettes comme partout
dans ce genre d'endroit, avec les carrelages jointoyés de crasse et
fissurés, les graffiti, le plâtre rayé, à part l'inscription gravée
sur l'empattement métallique du savon mural au-dessus du lavabo qui Lilli
tenta de déchiffrer ― mais les lettres s'embrouillaient.
(...) Pierre Pelot, Le bonheur des sardines
―
Attendez-moi là. Arnaud
Friedmann, La condition du mâle blanc hétérosexuel,
En général, j'allais droit aux lavabos, et cela me remontait un peu. Il y faisait un peu plus frais, ou tout au moins le bruit de l'eau courante me le faisait croire. C'était toujours une douche froide, ces lavabos. C'était la réalité. Avant d'y parvenir, il fallait traverser une rangée de Français qui se déshabillaient. Pouah! comme ils puaient, les cochons! et ils étaient bien payés pour ça, aussi! Mais ils étaient là, tout de même à moitié nus, les uns avec des caleçons longs, les autres avec des barbes, presque tous blêmes, rats écorchés avec du plomb dans les veines. Dans les cabinets, on pouvait faire un inventaire de leurs pensées vagabondes. Les murs étaient couverts de dessins et d'épithètes, tout ça obscène et drôle à la fois, facile à comprendre et, somme toute, assez rigolo et sympathique. Il avait dû leur falloir une échelle pour arriver à certains endroits, mais je suppose que ça valait la peine, même du simple point de vue psychologique. Parfois, lorsque j'étais en train de pisser, je me demandais quelle impression ça ferait sur ces dames chics que j'avais vu entrer et sortir des magnifiques cabinets des Champs-Elysées. Henry Miller, Tropique du Cancer
Nous allions devenir de véritables citadins, avec la lumière électrique, des cabinets à chasse d'eau, au lieu du trou du «petit coin», dont le jet au début nous emplit de frayeur, et les pièces brillamment éclairées, où le mobilier hors des grands pans d'ombre qui naguère l'enveloppaient semblait soudain grossier et trop voyant. Janet Frame, Ma terre, mon île (Un ange à ma table)
Depuis son salon, la vue n'était pas très réjouissante. Sous ses yeux, la terre, les tubulures et le gravier envahissaient tout le paysage. Et de quoi s'agit-il, se demanda Runcible, sinon d'un aménagement destiné à transporter de la merde de la maison des Dombrosio vers le monde extérieur? Et nous sommes obligés d'assister à cela, nous devons contempler les tuyaux et le gravier qui vont minimiser les agressions que Sherry et Walter Dombrosio, régulièrement, font subir à l'environnement parce qu'ils ont besoin d'aller aux toilettes. Philip
K. Dick, L'homme dont toutes les dents
Je vous parle des choses qui m'apportèrent quelque soulagement au début. Il y avait l'eau des water-closets qui bouillonnait à intervalles réguliers dans les tuyaux. Ce bruit me semblait énorme. Il remplissait toute ma cellule. Il résonnait dans ma tête avec fracas, comme une chute d'eau. Je voyais des montagnes. Je respirais l'air des sapins. Je voyais une branche prise entre deux pierres qu'un remous faisait aller et venir, aller et venir, aller et venir. Mais, à la longue, je m'habituai à ce dégorgement inattendu des tuyaux. Je restais des heures sans l'entendre. Puis, soudain, je me demandais s'il avait déjà eu lieu ou s'il allait bientôt se produire. Je faisais des efforts insensés pour me rappeler combien de fois cela était arrivé dans la journée. Je comptais sur mes doigts. Je me tirais les doigts à en faire craquer les phalanges. Cela devenait une manie. Et le bruit retentissait comme je m'y attendais le moins, emportant tout mon échafaudage de comptes et de calculs. Je courais à la cuvette pour contrôler le fait. Au fond, le trou nauséabond était immobile comme un miroir. En me penchant dessus, je l'obscurcissais tout. Je m'étais trompé. La vidange s'était faite dans ma tête. Elle n'avait pas eu lieu réellement. Je perdais la notion du temps. Tout était à recommencer. Un désespoir sans borne m'envahissait. Blaise Cendrars, Moravagine
Au pied de sa cabane, il avait conservé le vase émaillé de ses pipis nocturnes qui lui venait de sa grand-mère. Il l'avait installé là en guise de souvenir, puis l'avait érigé en symbole de ces liens qu'il voulait maintenir avec les gens de sa lignée; puis il s'était mis à l'utiliser à mesure que les âges avaient rendu sa vessie lien plus autoritaire que ses besoins de sommeil. C'est là qu'il arrosait le monde à chacun de ses réveils, lentement, longuement, avec le soin considérable qu'il accordait au moindre de ses actes. Il contemplait la couleur de son urine, en appréciait l'odeur tel un fauve contrôlerait les fragrances d'un territoire vital. Patrick Chamoiseau, Biblique des derniers gestes
Un jour où je regardais mon gros tas d'excréments dans les cabinets, le
comparant avec le caca du bébé dans ses couches, je vis des petites
choses blanches qui se tortillaient dans le marron. Janet Frame, Ma terre mon île (Un ange à ma table)
« ... Peu à peu mes fluides corporels ont laissé place à de l'air, un
air pur qui circule librement et me rend plus léger.» Philippe Grimbert, La mauvaise rencontre
De tous les équipements antiques de la salle de bains du deuxième, aucun n'était plus vieux, moins "modernisé" que les toilettes, placées dans une alcôve, dissimulées à la vue; comme si le seul spectacle de ce siège, grossier, énorme, d'un blanc terne, risquait de heurter les sensibilités raffinées. Pourtant M.R. ne put faire autrement que de s'y précipiter, les mains crispées sur le bas du ventre. Une douleur terrible! Si brutalement! Le siège était aussi disproportionné que le lavabo si bien que, assise, M.R. avait les pieds qui touchaient à peine le sol; et le sol était poisseux, humide. Dans le gros réservoir taché de rouille, un ruisselis permanent, mélancolique comme un chagrin inavoué; la cuvette de porcelaine, jadis blanche, était terriblement entartrée, aucun récurage n'avait pu la débarrasser de décennies de crasse fécale. Sur ce siège, M.R. se sentit soudain paralysée; bien qu'éprouvant un urgent besoin de se libérer de la terrible diarrhée qui lui brûlait le ventre, elle ne le pouvait pas; ni uriner non plus; elle avait la vessie douloureuse, mais ne pouvait pas uriner; une terrible pression s'accumulait en elle, mais elle ne pouvait l'évacuer, car elle craignait qu'on frappe soudain à la porte (...); ou, plus abominable encore, tourne la poignée et ouvre (...) car il n'y avait pas de verrou à cette vieille porte (...) Joyce Carol Oates, Mudwoman
Je suis entrée au Brazza. J'ai commandé un chocolat et j'ai sorti mes copies à corriger, mais je n'ai pas lu une ligne. Je me disais sans arrêt que je devais aller voir les toilettes. [...] J'ai fini par me lever et demander les toilettes au barman. Il m'a montré la porte du fond de la salle. Elle donnait directement sur un cagibi avec un lavabo, une glace au-dessus, à droite une seconde porte, celle des toilettes. C'était un vécé à la turque. Je ne me suis pas rappelé si celui du café d'il y a trente-cinq ans était ainsi. À l'époque, ce n'était pas un détail qui aurait pu me frapper, presque tous les vécés publics étaient ainsi: un trou dans le ciment avec un pas de chaque côté pour poser les pieds et s'accroupir. Annie Ernaux, L'événement
Te promenant à travers Hyde Park, saisi d'une envie qui n'attendra pas notre retour chez nous je te laisse dans ta poussette à l'entrée de la pissotière, où je m'éclipse trois minutes, ma vessie vidée se noue ma gorge, je suis fou de ne pas t'avoir gardé avec moi, durant cet infini laps de temps n'importe qui a pu te prendre, s'enfuir hors de vue dans n'importe quelle direction, je me précipite dehors, tu es toujours là, tout mon corps tressaille de mon inconscience.
Paris refuse le chien sans l'admettre, la statut n'est pas clair. Parcs, jardins, commerces, transports, la consigne est à l'interdit mais la ville a du remords. Elle en avait tellement dans les années quatre-vingt qu'un maire dota la capitale d'une armada dévolue aux déjections des bêtes de compagnie rendues à la chaussée. On a oublié ces chevaliers de la crotte, disparus comme ils étaient venus, des cantonniers plutôt spécialisés, nouveaux, vêtus de combinaisons vert et blanc, enfourchant des motos de marque dont les formes disparaissaient sous une panoplie de tuyaux latéraux, de compliqués embouts aspirants, des tubages accordéonnés un peu partout, des bras articulés, des machines dévolues au seul ramassage des fientes. Espèces d'archanges de la voirie, les motards du trottoir traquaient le crottin, passant de l'un à l'autre sans jamais donner pneu à la chaussée, et lorsqu'un piqueur d'excréments avisait un étron, il stabilisait son engin contre, déployait la bonne trompe, mettait plein gaz au point mort, l'aspiration se faisant à grand potin. L'écologie d'alors ne voyait pas plus loin que le bout de ces procédés sinon que la soldatesque avait pour gentil nom très officiel «caninnette», diminutif infantile où sonnait le caniveau. De quoi dresser une part des contribuables contre les amateurs de chiens. On ne les vit plus d'un mois à l'autre, après une élection, Paris les suspendit, retoqua le parc des motos pour en appeler au civisme des maîtres et de leurs bêtes - apprendre où faire, ramasser, c'était moins idiot. Denise ne fut pas de l'époque de ces palatins du caca. Elle faisait comme les autres, relevait les relents à la promenade, humait rue Taibout, d'escale en escale, le trottoir comme un volumen, un immense agenda où aller prendre son flair, pisser là subitement comme on laisse sa carte de visite, son «profil» bien des années avant l'apparition des réseaux sociaux. Michel Jullien, Denise au Ventoux
S'habituant peu à peu à la pénombre et à l'éblouissement des fenêtres, mon père distingua la religieuse qui se tenait au chevet d'un lit où gisait un être ratatiné, quasiment de la taille d 'un enfant, les bras repliés derrière sa tête il regardait fixement le plafond, et dans ses yeux vides de toute joie, de toute espérance, le temps était presque sur le point de s'arrêter. C'était mon oncle Pepi. La bonne sœur se pencha sur lui et, le soulevant dans le dos aussi aisément qu'une fillette le ferait avec sa poupée, tellement il était léger, elle lui annonça: «Pépé, voici une visite pour vous.» Puis, pendant qu'elle lui découvrait les jambes, des jambes aussi blanches que si elles avaient trempé longtemps dans une eau de chaux, mon père s'aperçut, avec la répulsion horrifiée des bien-portants, que Pepi était langé comme un bébé, et la bonne sœur écarta toutes ces couches en disant gaiement: «On va regarder s'il n'est pas mouillé.» Puis elle ajouta: «Pépé, voulez-vous aller sur le gramophone?» Pepi ne dit rien, il fixait toujours le plafond de ses yeux bleu pâle, délavés comme du lilas fané, comme deux myosotis figés par le gel. Et la bonne sœur approcha le gramophone, une chaise percée dont elle retira le couvercle pour y asseoir mon oncle, si dodelinant qu'il serait tombé comme une statue déboulonnée si mon père ne l'avait pas retenu, mon père qui regardait les pieds bleuis de son frère, la plante des pieds complètement lessivée dont la peau s'en allait en lambeaux blanchâtres, les pieds de Pepi qui trônait là tout nu, juste avec une serviette autour des reins comme le Christ couronné d'épines. Et ce spectacle arracha soudain à mon père un gémissement, une longue plainte le libérant peu à peu de tout ce qui lui oppressait la poitrine à en faire craquer les boutons de sa veste (...). La bonne sœur soupira: «Il ne veut plus rien manger du tout», puis elle entreprit de retaper le lit et mon père laissa errer son regard d'un lit à l'autre (...). Figé par l'appréhension, mon père entendit enfin ces terribles borborygmes intestinaux qui horripilent tout être vivant en bonne santé, il était gêné à l'idée que la bonne sœur avait elle aussi perçu ce bruit, or pour elle cela n'était qu'une bagatelle parfaitement humaine, une diarrhée sénile ne saurait ternir la lumière que lui donnait sa foi (...). Bohumil Hrabal, La petite ville où le temps s'arrêta
«Que dites-vous, don Saverio, dit l'homme, enveloppé dans une
couverture militaire rescapée de deux guerres, à son père assis sur la
cuvette des cabinets, vous qui avez vu quatre-vingt-un hivers, quand donc
finira cette punition?» Pour toute réponse, le vieil homme a la
décharge d'un frisson de viscères et de froid. C'est le deuxième jour
de tramontane, toujours suivi d'un troisième. Erri de Luca, Une chose très stupide
Une cuiller à café de bouillie l'étouffait, il s'accrochait à nos mains, il cherchait l'air et retombait sur son lit. Mais il avalait. De même six à sept fois par jour il demandait à faire. On le soulevait en le prenant par-dessous les genoux et sous les bras. Il devait peser entre trente-sept et trente-huit kilos: l'os, la peau, le foie, les intestins, la cervelle, le poumon, tout compris: trente-huit kilos répartis sur un corps d'un mètre soixante-dix-huit. On le posait sur le seau hygiénique sur le rebord duquel on disposait un petit coussin: là où les articulations jouaient à nu sous la peau, la peau était à vif. (...) Une fois assis sur son seau, il faisait d'un seul coup, dans un glou-glou énorme, inattendu, démesuré. (...) Il faisait donc cette chose gluante vert sombre qui bouillonnait, merde que personne n'avait encore vue. Lorsqu'il l'avait faite on le recouchait, il était anéanti, les yeux mi-clos, longtemps. Pendant dix-sept jours, l'aspect de cette merde resta le même. Elle était inhumaine. Elle le séparait de nous plus que la fièvre, plus que la maigreur, les doigts désonglés, les traces de coups des S.S. La douleur, de Marguerite Duras
Comme il lui est arrivé déjà plus d'un malheur au lit, Poil de
Carotte a bien soin de prendre ses précautions chaque soir. En été,
c'est facile. À neuf heures, quand madame Lepic l'envoie se coucher, Poil
de Carotte fait volontiers un tour dehors; et il passe une nuit
tranquille. Jules Renard, Poil de Carotte
Le TGV jusqu'à Grenoble, la SNCF maintenait un niveau de service minimum, dans les TGV; mais les TER étaient véritablement laissés à l'abandon, celui qui rejoignait Briançon eut plusieurs pannes, et arriva finalement avec un retard d'une heure quarante; les toilettes étaient bouchées, un flot d'eau mêlée de merde avait envahi la plateforme, menaçant de se répandre dans les compartiments. Michel Houellebecq, Soumission
Vous avez loupé votre train oh d'un clin d'œil seulement,... le cul orangé du wagon qui s'en va devant vous & alors quoi faire là sur le quai durci Le prochain c'est 18h55 ça me laisse un instantané Vais-je m'asseoir sur le banc ici écrivant Ou alors le grand hall plein de gens Pour un kafé (encor un) c'est trop court & les WC sont fermés ( parfois j'y lisais avec plaisir des graffitis vulgaireux) ça changeait des banalités partout qu'on voyait... Jean-Paul Klée, Manoir des mélancolies
En équilibre instable dans le mètre carre des toilettes de l'avion, je tenais mon pantalon dégrafé à mi-jambes, évitant de le tâcher sur le sol marécageux. Je soulageai mon bas-ventre de la pression qu'exerçait depuis mon départ vingt-quatre billets de cinq cent euros: mes économies. Je n'avais pas de carte de crédit, je n'en avais jamais eu. Ma vie durant, j'avais opté pour l'anonymat. Une main tenta d'ouvrir la porte. Je n'étais pas le seul à avoir des soucis d'argent dans cet Airbus. Dominique Forma, Hollywood Zéro
Le mictorio c'est les W.-C. de la gare Blaise Cendrars, Au cœur du monde
Dans la cellule de la prison, elle s'assit sur le bord de la couchette, étonnée d'avoir pu penser qu'elle était assez forte pour retourner dans cet univers. Les barreaux de fer, l'atteinte à l'intimité que constituaient les toilettes ouvertes, l'impression d'être prise au piège, l'abattement qui s'empare à nouveau d'elle tel 'enveloppait comme un brouillard noir. Mary Higgins Clark, Le démon du passé
Les tinettes de la Bastille servent encore dans les cachots de la caserne
de Reuilly à Paris Blaise Cendrars, Au cœur du monde
Il s'était laissé dire, poursuivit Austerlitz, qu'au fil des années, à l'intérieur de ce palais de justice d'une complexité dédaléenne, dépassant effectivement tout ce qu'on pouvait imaginer, avaient pu parfois s'implanter pour un temps, dans l'une ou l'autre des salles inoccupées et des corridors à l'écart, de petits commerces tels que buvette, bureau de tabac ou tripot; on prétendait même qu'au sous-sol des lieux d'aisance pour messieurs avaient un jour été transformés en toilettes publiques accessibles depuis la rue, à l'initiative d'un dénommé Achterbos, venu s'installer là, dans le vestibule, avec une petite table et une sébile ... W.G. Sebald, Austerlitz
À ces grosses journées de folie, je préfère les petits matins calmes de milieu de semaine où les clients se succèdent avec parcimonie. Dans ces moments-là, il m'arrive de délaisser mes écrits ou les magazines pour me mettre à leur écoute. Respiration suspendue, yeux clos, je fais abstraction du grondement incessant qu'émet le centre commercial pour concentrer toute mon attention sur les bruits qui émanent des toilettes. Mon ouïe s'est affinée avec le temps et je peux à présent sans hésiter analyser chacun des sons qui me parviennent au travers des portes closes, tout feutrés soient-ils. Ma tante, nantie de cette omniscience javellisée qui la caractérise, à classé ces bruits en trois grandes catégories. Il y a tout d'abord ceux qu'elle désigne sous la jubilante appellation de bruits nobles. Le cliquetis discret d'une ceinture que l'on déboucle, le chant léger d'une fermeture éclair que l'on descend, le claquement sec d'un bouton-pression que l'on déverrouille, sans oublier tous ces bruissements d'étoffe, soieries, Nylon, cotons et autres tissus qui chantent contre les peaux en autant de frottements, froissements, froufroutements et autres friselis. Arrivent ensuite ce qu'elle nomme les bruits paravents. Toussotements gènes, sifflement faussement enjoués, activation de chasse d'eau, tous ces sons censés étouffer la troisième catégorie sonore, celle des bruits d'activité: flatulences, gargouillis, clapotis, chant de l'émail, bruits de plongeons de haut vol, dévidage du rouleau de papier, déchirement de la ouate. Enfin, j'ajouterai pour ma part une dernière catégorie, plus rare mais ô combien! intéressante, celle des bruits d'aise, tous ces vagissements et soupirs de contentement qui s'élèvent parfois vers le plafond lorsque s'ouvrent les vannes et que cascade sur l'émail le jet libérateur trop longtemps retenu ou l'avalanche bruyante d'un trop-plein intestinal. Il m'arrive de les aimer, les gens, lorsqu'ils échouent ici, tout vulnérables qu'ils sont dans leur désir de soulager leur vessie ou de vider leur ventre. Et pendant ce court temps où ils se substituent à ma vue derrière la porte des cabinets, quels que soient leur conditions ou leur situation sociale, je les sais revenir à la nuit des temps, dans cette situation du mammifère satisfaisant un besoin naturel, le fessier vissé à la lunette, le pantalon tire-bouchonné autour des mollets, le front dégoulinant de sueur tandis qu'ils ahanent sous l'effort pour ouvrir leur sphincter, tout seuls face à eux-mêmes, loin du monde d'en haut. Attention, les gens ici ne font pas que me laisser le contenu de leur ingestion ou de leur vessie. Il n'est pas rare de voir certains d'entre eux venir s'épancher auprès de moi pour se décharger de tous leurs malheurs. Je les écoute, les gens. Je les laisse vider leur fiel sur le monde, essorer leur petite vie, me baratiner avec leurs problèmes en tout genres. Ça se confie, ça geint, ça pleure, ça jalouse, ça se raconte. (...) Les WC sont des confessionnaux sans curé. Jean-Paul Didierlaurent, Le liseur du 6h27
Maintenant la salle de bains. La porte. L'interrupteur. Jimmy avait fait installer des barres en acier. Pour les handicapés, disait-il, mais il pensait évidemment à ses frères, incapables de viser droit en dépit des poignées, parce qu'ils étaient pafs et laissaient la preuve de leur soulagement d'ivrognes sur le carrelage bleu clair. Je me félicite maintenant de la présence de ces barres et des bandes antidérapantes. Je réussis à aller jusqu'à la cuvette. Louise Erdrich, Le pique-nique des orphelins
Hêtres, chênes, épicéas et pins: tous produisent continuellement de nouvelles matières et doivent se débarrasser des anciennes. Le changement le plus évident à lieu chaque année en automne: les vieilles feuilles ont fait leur temps; elles sont usées et criblées de trous d'insectes. Avant de se séparer d'elles, les arbres y injectent leurs déchets: on pourrait aussi dire qu'ils font leur grosse commission. Quand ils en ont fini, une couche d'abscission se forme à la base des feuilles, et le premier coup de vent fait doucement tomber le tout à terre. Les feuilles bruissantes, qui recouvrent alors le sol d'un épais tapis dans lequel on aime traîner les pieds, ne sont au fond rien d'autre que le papier-toilette des arbres. Peter Wohlleben, Le réseau secret de la nature
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