Le
Café Littéraire luxovien divination/présages/ prophéties/astrologie/ tarots/etc. |
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Nous étions allées dire adieu au jardin et cueillir les dernières fleurs. Un vent aigre gémissait dans les branches. La vieille Irfané, une de nos esclaves un peu sorcière qui lit dans le marc de café, avait prétendu que ce jour était favorable pour des prédictions sur notre destinée. Elle vint donc nous apporter du café qu'il fallut boire; cela ce passait au fond du jardin, dans un recoin abrité par la colline, et je la vois encore, assise à nos pieds, parmi les feuilles mortes, anxieuse de ce qu'elle allait découvrir. Dans les tasses de Zeyneb et Mélek, elle ne vit qu'amusements et cadeaux; elles étaient encore si jeunes. Mais elle hocha la tête, en lisant dans la mienne: «Oh ! l'amour veille, dit-elle, mais l'amour est perfide. Tu ne reviendras plus au Bosphore de longtemps, et quand tu y reviendras, la fleur de ton bonheur sera envolée. Oh! pauvre, pauvre! Il n'y a dans ton destin que l'amour et la mort.» Je ne devais en effet revenir ici que cet été, après mon triste mariage. Cependant, est-ce bien la fleur de mon bonheur qui s'est envolée, puisque, le bonheur, je ne l'ai point connu?… Non, n'est-ce pas? Mais jamais sa prédiction finale ne m'avait frappée autant qu'aujourd'hui: «Il n'y a dans ton destin que l'amour et la mort». Pierre Loti, Les désenchantées
Katsuro
n'avait jamais interrogé les oracles pour savoir si telle ou telle nuit
serait propice à la capture des carpes: celles-ci seraient là ou n'y
seraient pas, voilà tout. La couleur et la forme de la lune avaient
peut-être une influence sur l'humeur des femmes, mais aucune sur la
présence des poissons en amont comme en aval du déversoir de Shüzenji. Didier Decoin, Le Bureau des Jardins et des Étangs
La
réflexion sur le futur n'a pas pour but de le prévoir, mais seulement
de déterminer les actions propres à l'infléchir dans le sens
désirable. Affirmer que tel type de société ne peut connaître tel
type d'évolution, c'est donner dans le prophétisme. Il arrive que les
prophètes aient raison, mais rien ne permet de présenter une
prophétie comme une certitude scientifique. Ce n'est qu'un pari, rien
de plus. François De Closets, Le bonheur en plus (1974)
Madame
Vonny était la meilleure voyante du département. Elle exerçait son
art au treizième étage d'une tour qui dominait un des quartiers les
plus bourgeois de la ville. On venait la voir de très loin. Sylvie
Monsoir, qui connaissait la lapât de cartomanciennes de la région
estimait que Mme Vonny les surpassait toutes par la qualité de ses
prédictions. Elle y était attachée comme à une drogue et ne manquait
jamais une occasion de la consulter. Franz Bartelt, Hôtel du Grand Cerf
Car elle [Minou, la mère de Gérard Philipe] a toujours flirté avec l'ésotérisme et lu dans les tarots. Des amies de son fils chéri, dont Maria Casarès et Danièle Delorme, viennent d'ailleurs régulièrement consulter celle qui croit au pouvoir des astres, des esprits, à la numérotation, et que tout est écrit. Il faut seulement donner, parfois, un petit coup de pouce à la chance et l'amadouer. Elle prétend ainsi avoir convaincu Gérard, lorsqu'il avait vingt-deux ans, d'ajouter un "e" à son patronyme, moins pour le franciser qu'afin d'obtenir, avec les lettres de son prénom et de son nom, le chiffre treize, qui lui porterait bonheur et lui assurerait d'innombrables succès. Pendant l'occupation, elle pratiquait la voyance et le spiritisme dans un salon du Parc Palace Hôtel, à Grasse, où des réfugiés célèbres, parmi lesquels Marc Allégret, qui saisit aussitôt les promesse de Gérard, et André Gide, venaient se faire tirer les cartes; aujourd'hui, la diseuse de bonne aventure voudrait bien transmettre à son fils, dont elle est certaine d'avoir déterminé le destin et qu'elle regrette de voir si peu, un fluide réparateur et régénérateur. C'est, pense-t-elle, la vertu des maladies, elles métamorphoses les adultes triomphants en enfants tremblants, dont les mamans font disparaître, avec de longues caresses sur le front chaud, la fièvre, les fourbures, et l'apeurement. Jérôme Garcin, Le dernier hiver du Cid (sur l'acteur Gérard Philipe)
Dans certaines circonstances critiques de ma vie, j'avais eu recours à une forme de télémancie, dont j'étais à ma connaissance l'inventeur. Les chevaliers du Moyen âge, plus tard les puritains de la Nouvelle Angleterre, lorsqu'ils avaient une décision difficile à prendre, ouvraient leur Bible au hasard, posaient au hasard leur doigt sur la page, et tentaient de donner une interprétation au verset pointé, de prendre leur décision dans le sens indiqué par Dieu. De même, il m'arrivait d'allumer la télévision au hasard (sans choisir la chaîne, il fallait juste appuyer sur la touche On) et d'essayer d'interpréter les images qui m'étaient transmises. Michel Houellebecq, Sérotonine
Seul Amérique n'avait rien dit. Le Spadon se tourna vers lui, attendant un mot pour conclure la rafale, mais le mot ne vint pas. Amérique se contenta d'ouvrir ses mains et de montrer ses paumes vides, dans un geste d'impuissance. Le Spadon regarda les lignes incrustées de ciment et de crasse qu'on y voyait. Il se rappela que certaines voyantes prédisaient l'avenir en les lisant. Il tenta la coup mais n'y vit que des traits, des hachures, des formes géométriques écrasées les unes contre les autres. Du chaos. De la confusion. Rien du tout en somme. Philippe Claudel, L'archipel du chien
Rien
ne lui parvenait du calme extérieur sinon le cliquetis lointain et
agité que produisait la chaîne du chien, et la senteur acide des tiges
de tomates qu'il avait cassées en déterrant des tiges de tomates le
long du mur. À cette heure tardive, d'habitude Mary faisait rentrer les
chiens et s'endormait sur un livre. Mais ce soir-là regorgeait de
signification. Ce soir- là était plein de signes cachés. Louise Erdrich, Le pique-nique des orphelins
Ils sont cruels, les corbeaux ― mais sages. Toute créature devrait être aimée pour sa sagesse si la bonté lui fait défaut. Enfant, je passais des heures à les observer, massés sur le toit de l'église d'Undirfell, pour tenter de deviner qui allait mourir. Installée sur le muret, je les scrutais dans l'espoir de voir l'un d'eux s'ébrouer: il faut alors regarder dans quelle direction l'oiseau tourne son bec. Une fois, le présage s'est réalisé. Un corbeau s'est posé sur le pignon en bois de l'église et je l'ai vu pointer son bec vers la ferme de Bakki. Un petit garçon s'est noyé là-bas quelques jours plus tard. On l'a retrouvé gris et gonflé dans la rivière. Le corbeau l'avait prédit. À la grâce des hommes, Hannah Kent
«Je vais te dire la bonne aventure, annonçai-je en me penchant vers elle et en effleurant son bras pâle. Je vais chercher les cartes.» Dire la bonne aventure était un passe-temps que Sita ne supportait pas d'adorer. Cela ne ratait jamais. Elle s'efforçait toujours de paraître écœurée, comme si prédire l'avenir était l'idée la plus vulgaire au monde, mais ensuite, envoûtée, elle se penchait vers les cartes au fur et à mesure qu'elles étaient disposées sur la table. Elle se mordait la lèvre mais ne pouvait refuser un petit aperçu du futur. Louise Erdrich, Le pique-nique des orphelins
La scène se passe dans un bistrot. Vous êtes avec une fille, une étudiante comme vous. Vous vous faites les yeux doux. Soudain elle se jette à l'eau: Fais voir ta main. D'autorité, elle vous la prend et considère la paume avec une extrême attention, comme si tout ce qu'elle avait besoin de savoir sur votre compte dépendait de vos lignes de vie, de cœur, de tête, de chance, que sais-je encore? Nombreuses, à ce jour, sont celles qui ont étudié les lignes de ma main. Et pas une dont les conclusions aient rejoint celles d'une autre. Toutes voyantes, mais elles ne voient pas la même chose. Cet engouement pour la superstition est-il un signe de ces temps abominables? Tout est perdu fors les astres? Critère de sélection définitif: choisir une fille qui se jettera dans ma main les yeux fermés. Daniel Pennac, Journal d'un corps
Elle est passée prendre des livres à la bibliothèque et a emprunté
une fois de plus celui qu'elle préfère. C'est un ouvrage écrit par un
certain Cheiro, et qui est entièrement consacré à l'art de lire les
lignes de la main. Louise Erdrich, Le pique-nique des orphelins
Il
n'oublie pas qu'en dehors de soigner des malades sa profession
principale est tout de même la divination. Celle-ci ne propose-y-elle
pas le précepte: «Faire ce que l'humain peut, laisser le Ciel
faire le reste»? En effet, une fois que l'homme a réalisé ce qui
est en son pouvoir, ce qui ne doit pas venir ne viendra pas, et ce qui
doit venir viendra. François Cheng, L'éternité n'est pas de trop
Tu as ce don, Annie, mais beaucoup plus fort que moi, un don qui apparaît dans notre famille de temps à autre. Il vient de tes crises, le don de lire dans l'avenir et peut-être, si tu le cultivais, celui de guérir. Il faudrait que tu le travailles, et ce n'est pas en t'inscrivant à l'université Northem College, que tu acquerras les connaissances nécessaires. Je te plains. Le chemin que tu suis est solitaire. Peu nombreux sont ceux qui apprécieront le don que tu as. Joseph Boyden, Les saisons de la solitude
Les jeunes filles passèrent, en rentrant, chez la comtesse pour lui
rendre compte de leur excursion, et se retirèrent ensuite dans leur
chambre. Tout en conservant leurs moustaches, elles se déshabillèrent
et bavardèrent longtemps: elles ne tarissaient pas sur leur mutuel
bonheur, sur leur avenir, sur l'amitié qui lierait leurs maris : Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix - Tome II
À
Høje Taastrup, la Comtesse s'apprêtait à faire pour la première fois
de sa vie, l'expérience d'une visite chez une voyante. La rencontre eut
lieu au troisième étage d'un complexe immobilier situé à proximité
de la gare. Elle s'était imaginé un autre contexte, peut-être une
sinistre villa avec une tour et des corbeaux sur le toit, mais elle
était loin de la réalité. Elle sonna à la porte, dont la plaque
indiquait M. et Mme Stéphan Stemme, et ce fut l'homme qui vint
lui ouvrir. C'était un vieillard frêle au visage maigre et décharné,
dont les yeux enfoncés savaient observer mais ne semblaient rien
vouloir donner en retour. Ils procédèrent au paiement dans l'entrée,
et elle régla en liquide et sans qu'il lui donne de reçu. Il mit
l'argent minutieusement dans un porte-monnaie noir et usé qu'il avait
sorti du tiroir d'un secrétaire. Puis il referma le tiroir à clé,
prit la clé avec lui et frappa à la porte qui se trouvait juste à
côté du meuble. Lotte et Søren Hammer, Le prix à payer
Les assistants organisaient les entrées et les sorties, calmaient les esprit échauffés par l'attente et l'énormité de l'affluence. (...) l'appartement du cartomancien ne désemplissait pas. C'était le devin le plus réputé de Paris et peut-être du monde. Il était venu d'Italie pour offrir ses services à la France. Offrir n'était pas exactement le terme approprié, puisqu'il n'acceptait de se prononcer sur le destin d'un visiteur qu'à partir de cent sous. Le prix fort assurait une voyance de qualité. Blaise avait pu l'apprécier déjà: «Il est des plus précis, des plus sérieux. Il a vu mon avenir, je vais vivre encore longtemps, bientôt je serai riche, mais il faudra que je parte pour cela. Loin: il a vu une mer que je dois traverser. Sa prophétie doit se réaliser dans l'année. Je me renseigne sur l'Amérique, parce que je crois que c'est là-bas que mon destin m'attend.» Christian Chavassieux, La vie volée de Martin Sourire
«Le piège des prophéties, c'est que chacun peut lire entre les lignes absconses le destin qu'il lui souhaite, miroir de ses propres ambitions. N'y prête pas trop de crédit, mais étudie leur langue, qui est magnifique. Personne n'évoque le chaos comme les prophètes. De grands textes, assurément, si on s'en tient à la seule poétique.» Christian Chavassieux, Les nefs de Pangée
Furtivement, j'avais observé ma ligne de vie au creux de la paume gauche. Courte, très courte. Pas comme celle de grand-mère Hortense mordant son poignet. Mon destin serait bref. Il fallait oser vivre, et bien vivre, tout en se plaçant du côté des vierges sages de l'Évangile. Élise Fischer, Un rire d'ailleurs
Pourquoi as-tu voulu, maître de l'Olympe, ajouter cette angoisse aux maux des mortels, qu'ils connaissent leurs malheurs futurs par de cruels présages Que ton dessein conçu les frappe à l'improviste! Que leur âme soit aveugle à leur destins futurs! Qu'ils puissent espérer au milieu de leurs craintes! [Lucain, La Pharsale II, 4,5, 6, 14 et 19] «Il n'y a aucun intérêt à connaître l'avenir. C'est en effet une misère de se tourmenter sans profit.» [Cicéron, De natura deorum, II, 65] cités par Michel Eyquem de Montaigne dans Les essais Livre I chapitre 11: Sur les prophéties (dans la traduction moderne de Guy de Pernon d'après le texte de l'édition de 1595)
Saint Germain appartient à une époque antérieure, mais il est venu là. C'est lui qui avait fait voir à Louis XV dans un miroir d'acier son petit-fils sans tête, comme Nostradamus avait fait voir à Marie de Médicis les rois de sa race, dont le quatrième était également décapité. Gérard de Nerval, Angélique dans Les filles du feu
Christian Chavassieux, La vie volée de Martin Sourire
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Lisette! appela Philippe. Lisette, où est ta sœur? Colette, Le blé en herbe
Miroirs fantastiques du destin, les cartes du jeu de tarots recouvraient le vieux coffre. Les rayons du soleil, par la fenêtre à petits carreaux, entraient à flots, illuminant les casseroles de cuivre, les nattes de couleurs vives, les cheveux noirs et luisant de la Bohémienne, les chiens de faïence qui tordaient un museau dédaigneux sur cet étalage d'images, l'air de dire: «Ce sont sans doute là armoiries de coquins.» Les cartes tremblaient entre les doigts de May. Marret, les joues aussi blanches que du lait, le regard de ses yeux gris pâle fixé, non sur les tarots, mais sur le visage de l'autre femme, restait assise, immobile, le dos tourné à la fenêtre. «Elle y croit!» se disait Larry apitoyé et surpris, car, tels tant d'autres demi-initiés d'un grand mystère, il considérait, lui, depuis longtemps, la bonne aventure avec scepticisme et indifférence. John Cowper Powys, Les sables de la mer
La Maria incline la tête sur sa réussite pour tromper l’angoisse par la superstition: voilà, si maintenant vient l’As de Denier, Gavriel reviendra dès le petit jour, si au contraire la carte qu’elle tourne est un Valet alors ce sera plus tard. Mais si c’est la Dame d’Épée alors il lui arrivera quelque chose et ses mains ne réussissent pas à retenir un tremblement, elle prie Dieu qu’il fasse disparaître cette carte du jeu, blasphème un peu comme elle a toujours fait et comme c’était dans la nature des deux sœurs de Moncalvo. Dieu et les cartes devaient maintenant avoir pitié de son fils chaque jour moins prudent comme si la guerre pouvait tout permettre, confondre le licite et l’illicite. Rosetta Loy, Les routes de poussière
...il s'assit en face de la jeune femme et se demanda à voix haute
s'ils allaient, ou pourraient, se revoir. Elle avait les yeux baissés
sur les cartes. Il regarda ses mains jouer avec. Ses cheveux bruns
étaient ramenés en arrière, noués par un ruban vert long de quelques
centimètres. Sans un mot, elle posa devant lui le jeu de tarots. Il
coupa, tira une carte et la laissa là. Il ignorait tout de la
signification du tarot. Elle arrangea les cartes autour de la sienne,
puis lui demanda d'en choisir une deuxième. Il consulta la pendule
au-dessus de son beau visage.
«Je ne voudrais pas
être impoli, mais il faut que je parte.» Elle ne répondit pas,
continua à brasser les cartes comme pour y chercher un indice
quelconque, puis elle se borna à saluer son départ d'un petit signe de
tête. Michael Ondaatje, Divisadero
L’un de nous retourne une carte et la prend, il la regarde comme s’il
se regardait dans un petit miroir. Et de fait, le Cavalier de Coupe,
on dirait tout à fait lui. Ce n’est pas seulement dans le visage,
anxieux, les yeux exorbités, et les cheveux longs qui tombent sur les
épaules, tout blanchis, qu’on note la ressemblance mais aussi dans
ces mains qu’il remue sur la table comme s’il ne savait pas où les
mettre, et qui là dans l’image tiennent, la droite une coupe trop
grosse en équilibre sur la paume, la gauche à peine du bout des doigts
les rênes. Une allure incertaine qui se communique même au cheval: il
semble qu’il ait du mal à bien poser ses sabots sur une terre toute
remuée.» Italo Calvino, Le château des destins croisés
Ne rougissez plus et choisissez une carte... Tiens, que vous disais-je?
Vous me donnez l'Hermite. Le Guerrier a pris conscience de
sa solitude. Il s'est retiré au fond d'une grotte pour y retrouver sa
source originelle. Mais en s'enfonçant ainsi au fond de la terre, en
accomplissant ce voyage au fond de lui-même, il est devenu un autre
homme. S'il sort jamais de cette retraite, il s'apercevra que son âme
monolithique a subi d'intimes fissures. Retournez, s'il vous plaît, une
autre carte. Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique
Le dîner achevé dans un mutisme que les bruits de mâchoire et les
claquements de langue des amateurs de vin n'avaient pas rendu plus aimable,
nous demeurâmes assis à nous regarder en face, gênés de ne pouvoir
échanger les expériences que chacun de nous avait à communiquer. À ce
moment-là, celui qui semblait être le châtelain posa sur la table un jeu de
cartes. C'étaient des tarots plus grands que ceux avec lesquels on joue ou
que les bohémiennes utilisent pour prédire l'avenir, mais on y pouvait
reconnaître à peu de choses près les mêmes figures, peintes dans les tons
émaillés des miniatures les plus précieuses. Rois reines cavaliers et
valets étaient tous jeunes et vêtus avec éclat comme pour une fête
princière; les vingt-deux arcanes majeurs faisaient penser aux tapisseries
d'un théâtre de cour; coupes deniers épées bâtons resplendissaient comme
des devises héraldiques décorées de frises et de cartouches. Italo Calvino, Le château des destins croisés
Je suis le
ténébreux, ― le veuf,
― l'inconsolé, Dans la nuit du
tombeau, toi qui m'as consolé, Suis-je Amour ou
Phébus?... Lusignan ou Biron? Et j'ai deux fois
vainqueur traversé l'Achéron: Gérard de Nerval, El Desdichado (Les Chimères)
―
Vous pouvez utiliser à peu près n'importe quoi.
Les tarots, les boules de cristal, aucune importance. Ces objets ne sont
que des outils, vous choisissez ceux qui vous permettent de mieux vous
concentrer.(...) Patricia Cornwell, Et il ne restera que poussière
Madame Boule-de-Cristal tenait son bureau de cartomancienne rue de la
Nuée-Bleue, dans la maison où naquit le génial Gustave Doré. Il
fallait grimper jusqu'au cinquième sous les toits, elle vous recevait
dans une chambre d'étudiant aux murs pleins d'étoiles dorées collées
sur du ciel bleu ciel, des nuages crémeux... Elle vous parlait de tout
& de rien, votre avenir & votre passé, vos amours les plus
inattendüs, les malheurs qui vous tomberont dessüs comme des
chauves-souris dans les cheveux..., mais vous rencontrerez le prince Raoul
de Lusignan, dont la famille régna sur Jérusalem autrefois &
il vous sauvera, il vous épousera, il vous installera dans son manoir de
Normandie et chaque nuit sera pour vous deux «une fontaine qui ne finisse
plus!...» Jean-Paul Klée, Rêveries d'un promeneur strasbourgeois
―
Tu dis aussi la bonne aventure? Lawrence Durrell, Le Quatuor d'Alexandrie, tome III, Mountolive
À l'aube, avant de m'en aller, j'ai dessiné les lignes de sa main sur un morceau de papier, et je les ai données à lire à la Diva Sahibí pour connaître son âme. Voici ce qu'elle a lu: Une personne qui ne dit que ce qu'elle pense. Parfaite pour les travaux manuels. En relation avec quelqu'un qui est déjà mort et dont elle attend de l'aide, mais elle se trompe: l'aide qu'elle cherche est à la portée de sa main. Elle ne s'est encore unie à personne, mais elle mourra âgée et mariée. En ce moment, il y a un homme brun qui ne sera pas celui de sa vie. Elle pourrait avoir huit enfants mais décidera de n'en avoir que trois. À trente-cinq ans, si elle fait ce que lui dicte son cœur et non sa tête, elle aura beaucoup d'argent, et à quarante elle héritera. Elle voyagera beaucoup. Elle a une double vie et le double de chance, et elle peut influencer son propre destin. Elle aime goûter à tout, par curiosité, mais si elle n'écoute pas son cœur elle le regrettera. Gabriel García Márquez, Mémoire de mes putains tristes
D'abord, il y a deux sciences de la Main. L'une ne concerne pas mon affaire.
C'est celle qui étudie la main comme le pied ou comme le visage; sa
structure, son expression élégante ou rustaude, sa forme vive ou lente, sa
légèreté ou le poids de son jeu, qui en défini le sens esthétique ou
moral, au jugé de l'œil qui la voit et de l'esprit qui la comprend. Cette
physionomie de la main compose une science très profane qui porte aussi le
nom de Chirognomonie. Charles Maurras, Le mont de Saturne
Les murs, les rideaux, la moquette, les draps et le mobilier en osier,
tout était blanc. Curieusement, sur le lit défait, près des deux
oreillers appuyés contre la tête, une feuille de papier machine vierge
était coincée sous un gros cristal. Sur la commode et la table de lit
étaient disposés d'autres cristaux, tandis que d'autres encore, de
taille plus modeste, étaient suspendus aux cadres des fenêtres.
J'imaginais les arcs-en-ciel dansant dans la pièce et la lumière se
réfléchissant sur les prismes lorsque le soleil brillait. Patricia Cornwell, Une peine d'exception
Nathalie tourne la tête et croise le regard de l'homme qui la regarde. David Foenkinos, La délicat
Sur le cadran d'une horloge, les aiguilles tournent en rond. Le Zodiaque
aussi, tel que le dessine un astrologue, a l'aspect d'un cadran.
L'horoscope c'est une horloge. Que l'on croie on non aux prédictions
astrologiques, l'horoscope est une métaphore de la vie et, en tant que
tel, il recèle une grande sagesse. Milan Kundera, L'immortalité
«...Et c'est bien naturel, ajoutait-il, puisque c'est là,
dans votre horoscope. Vous ne restez jamais sans protection, même quand
Jupiter, par instants, vous laisse tomber. D'ailleurs à la longue, la
mauvaise fortune finit toujours par tourner à votre avantage. Vous gagnez
sur tous les tableaux!» Henry Miller, Un diable au Paradis
Doublon, votre zodiaque, c'est la vie d'un homme écrite en rond, et je vais la lire d'après le livre. Allons, almanach! Pour commencer, il y a Aries ou le Bélier... chien lubrique, il nous enfante; puis Taurus ou le Taureau qui nous donne le premier coup; Gémini ou les Gémeaux, c'est-à-dire la Vertu et le Vice; nous essayons d'atteindre la Vertu, quand voici qu'arrive le Cancer-l'Écrevisse qui nous tire en arrière, et voici, sortant de la Vertu, Leo, un lion rugissant; couché sur le chemin, il donne quelques cuisantes morsures et quelques hargneux coups de patte, nous nous échappons et saluons Virgo, la Vierge! C'est notre premier amour, nous nous marions et pensons être heureux quand survient Libra ou la Balance... le bonheur pesé et trouvé léger. Et tandis que nous nous attristons là-dessus, Seigneur, quel bond soudain nous faisons tandis que Scorpio, le Scorpion nous pique le derrière; nous sommes en train de soigner la blessure, quand s'abat une grêle de flèches, c'est Sagittarius ou l'Archer qui s'amuse. Tandis que nous nous débarrassons de ces traits, attention, voici le Bélier, Capricorne ou le bouc, il arrive en courant, tête baissée, et nous piquons du nez à terre, lorsque Aquarius, le porteur d'eau déverse sur nous son déluge et nous noie, et pour finir avec Pisces, ou les Poissons nous dormons. En voilà un prône, écrit haut dans le ciel, et le soleil chaque année le traverse pourtant il en ressort toujours vivant et chaleureux. Là-haut, il traverse allègrement peines et malheurs, de même ici, en bas, fait le joyeux Stubb. Herman Melville, Moby Dick
L'astrologie a son origine dans le fait évident que maints phénomènes
terrestres dépendent des astres. Paul Couderc, L'Astrologie (Que sais-je? n°508)
...l'inspiration me venait, qui était d'abolir toutes les formes d'harmonies existantes pour créer ma cacophonie personnelle. Imaginez Uranus en aspect favorable par rapport à Mars, Mercure, la Lune, Jupiter et vénus. Ce qui est assez difficile, si on pense qu'Uranus est à l'apogée de son influence dans son aspect défavorable, quand il est en état d' «affliction» si je puis dire. Et pourtant, cette musique dont je me délestais le dimanche matin, musique de bien-être et de gras désespoir, était le fruit d'un aspect d'Uranus, aspect favorable mais illogique, la planète s'étant solidement ancrée en Septième Maison. Je n'en savais rien en ce temps-là; j'ignorais qu'Uranus existât, et c'était une chance. Aujourd'hui je sais. Cette joie-là était fausse; faux aussi, le bien être; et cette sorte de création féroce n'était que destruction. Henry Miller, Tropique du capricorne
Un beau jour, j'eus Galmot lui-même au bout du fil: il demandait rendez-vous
au patron. Blaise Cendrars, Rhum
Ce fut Anaïs Nin qui me présenta à Conrad Téricand. Un jour de
l'automne 1936, elle l'amena à mon studio de la Villa Seurat. Dans
l'ensemble, mes premières impressions ne furent pas très favorables.
L'homme semblait sombre, didactique, entier dans ses opinions, centré sur
soi. Tout son être était imprégné d'une sorte de fatalisme. (...) Henry Miller, Un diable au Paradis
La Crevette aussi lit les horoscopes, mais pour se foutre de leur
gueule. "Si tu étais né deux jours plus tôt, tu aurais été une
nature rêveuse et artistique et un hédoniste qui vit au jour le
jour", a-t-elle dit sur un ton venimeux en lisant l'horoscope du
signe avant le mien. Sous-entendu que j'aurais bien mieux été placé
dans ce cas-là. "Les éleveurs de vaches qui rêvent et qui vivent
au jour le jour font faillite ou se font écraser par leur
tracteur", ai-je murmuré. Katarina Mazetti, Le mec de la tombe d'à côté
Je ne lui parlais pas de la «prophétie» ―sur les trois anneaux. Ce n'était pas des choses à dire à Antoni, malade comme il était, avec un pied dans la tombe. Il avait une confiance si aveugle dans les prédictions de sa sainte qu'il aurait immédiatement pensé: Hum, dès que je serai mort, Nina se remariera! Alors que j'essayais de toutes mes forces, par la ruse et les mensonges, de lui sauver la vie, cette seule idée aurait suffi à l'expédier sur-le-champ au cimetière. Et puis, de toute façon, il ne me vint pas à l'esprit un seul instant que cette «prophétie» puisse se révéler vraie. Même aujourd'hui, je continue de penser qu'il s'est agi d'une simple coïncidence ou d'une formule comme celle de l'oracle de Delphes. On sait comment les choses se passent. Erasmia avait dû lui parler de moi. Quand une femme s'est mariée deux fois, que son second mari est cardiaque et paralysé et que sa femme est encore jeune, point n'est besoin d'être un Tirésias pour deviner l'avenir. Costas Taktsis, Le troisième anneau
Ces jours-là, où il se sentait si désemparé, incapable de sortir de son faré à cause de ses douleurs à la cheville, il se rappelait la prophétie de sa mère, dans le testament où elle lui léguait ses rares tableaux et ses livres. Elle te souhaitait bonne chance dans ta carrière. Mais elle ajoutait une phrase qui te remplissait encore d'amertume: «Car Paul [Gauguin] s'est comporté de façon si antipathique avec tous mes amis que ce pauvre garçon finira par rester totalement seul.» La prophétie s'était accomplie au pied de la lettre, maman. Seul comme un loup, seul comme un chien. Ta mère avait deviné le sauvage que tu portais en toi, avant même que tu n'assures ta véritable nature, Paul. Mario Vargas Llosa, Le Paradis - un peu plus loin
Jésus
connaît le temps d'avant et les choses cachées: «Que celui qui n'a
jamais péché lui jette la première pierre», dit-il, et chacun de
laisser tomber au sol son projectile. Mais il connaît aussi le temps
d'après et pratique la prédiction: «L'un de vous me trahira.» «Avant
que le coq n'ait chanté, tu m'auras renié trois fois.» Il vit le temps
des hommes, l'angoisse et la souffrance, mais il sait ce qu'il y a avant
et ce qu'il y a après. Celui qui se rend auprès de Jean Baptiste,
celui qui entre à Jérusalem, sait ce qui va être accompli. François Taillandier, Il n'y a personne dans les tombes
Cependant maintes affirmations catégoriques de l'aimable et charitable Fourier avaient fini par l'inquiéter. Assurer: «J'ai réussi, tout seul, à confondre vingt siècles d'imbécillité politique» était excessif. Le maître présentait comme vérités scientifiques des affirmations invérifiables: que le monde durerait, exactement, quatre-vingt mille ans, et que, dans ce laps de temps, chaque âme humaine transmigrerait huit cent dix fois entre la terre et les autres planètes, et vivrait mille six cent vingt-six existences différentes. Était-ce de la science ou de la sorcellerie? N'y avait-il pas là une grande extravagance? Aussi, bien que sachant que ses connaissances n'égalaient pas, et de loin, celles du fondateur de la doctrine fouriériste, elle se disait en elle-même que sa proposition d'Union ouvrière était, précisément en raison de sa modestie, plus réaliste que celle des phalanstères. Mario Vargas Llosa, Le Paradis - un peu plus loin
Le plus ancien livre de la Chine en est aussi le plus moderne. Le Yi King
offre à l'homme une clé intemporellement neuve pour pénétrer l'énigme
de son destin. Il nous entraîne, au-delà de toute théologie comme de
tout système philosophique, à un degré de profondeur limpide où l'œil
du cœur contemple l'évidence du vrai. L'unité est le fondement de
l'univers. Mais, pour être fécond, le T'ai Ki (le Grand Commencement)
doit se sacrifier en se dédoublant, car «à
partir de ce qui est parfait, rien ne devient»1
. Le monde ne nous révèle que le jeu des deux forces polaires, le mâle
et la femelle, le plus et le moins, leurs épousailles et les dix mille
êtres qui en sont les fruits. Le génial créateur des hexagrammes a su
ramener cette variété sans limites à un schème mathématique enserrant
la création comme un réseau, ou plutôt formant une trame qui la
supporte et l'anime. Les soixante-quatre hexagrammes groupant deux à deux
les huit trigrammes obtenus en combinant de toutes les manières possibles
les deux énergies primordiales constituent une image complète du monde. Le
Yi King, le livre des transformations, préface d'Étienne Perrot
Enfin seul, au calme, je sors de ma poche un exemplaire du Livre des
mutations. Je lis, je lis, et sous le tiède soleil d'automne, je sens
le sommeil m'envahir. Je m'allonge sur une dalle de pierre et pose la
tête sur mon livre en guise d'oreiller. Je repasse mentalement les traits
des hexagrammes2
que je viens de lire et leur image d'un bleu brillant flotte sur mon
visage rougi par la chaleur du soleil. Gao Xingjian, La montagne de l'âme
«Es-tu prêt à chausser tes souliers et à reprendre la route?» Folie
de jeunesse réussit. Hermann
Hesse, Le jeu des perles de verre
Philip Kindred Dick, Le Maître du haut château
Phil se grattait la tête. Il n'avait pas la ressource de nier le fait, ni
qu'il était troublant. Mais, à ce compte, il arrive beaucoup de choses
troublantes, les personnes les plus rationalistes sont régulièrement
troublées par la réalisation d'un rêve prémonitoire ou par la
clairvoyance d'une cartomancienne; Nancy et lui l'avaient été quand la
vieille Irlandaise de Santa Barbara s'était mise à décrire le
restaurateur kagébiste de Berkeley. C'est troublant, d'accord, mais ce
n'est pas assez pour chambouler toute notre conception du monde, qui
jusqu'à nouvel ordre exclut la perception extrasensorielle. Emmanuel
Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts
Ne sachant pas de quelle méthode me servir pour me faire révéler le
moment de ma liberté par la Bible, je me suis déterminé à consulter le
divin poème du Roland furieux de Messire Ludovico Ariosto, que j'avais lu
cent fois, et qui faisait encore là haut mes délices. J'idolâtrais son
génie, et je le croyais beaucoup plus propre que Virgile à me prédire
mon bonheur. Giacomo Casanova, Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise qu'on appelle les plombs
Elle souleva sa tasse de café de la soucoupe où elle l'avait retournée et en examina longuement le fond. Le marc lui parut opaque, indéchiffrable, mais cela non plus n'était point fait pour la surprendre: qu'attendre d'autre de la tasse d'une vieille femme comme elle. Ismail Kadaré, Le concert
L'étude des horoscopes ne me semblait plus aussi profitable qu'autrefois pour le choix des remèdes et la prédiction des accidents mortels; je veux bien que nous soyons de la même matière que les astres; il ne s'ensuit pas qu'ils nous déterminent ou puissent nous incliner. Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir
J'envie les esprits forts qui sont imperméables aux présages, aux superstitions, aux influences astrales et météorologiques. Moi, je suis perméable à tout ça : chaque matin, je consulte mes pythies personnelles afin de connaître les tendances de ma journée. Par exemple, si le réveil sonne alors que je viens de me rendormir; si je ne trouve pas mes chaussons en me levant; si je me coupe en me rasant; si la pâte dentifrice me gicle à la figure; si une grève des P.T.T. me prive de mon journal quotidien; si ma sœur m'a piqué mon transistor; si le café est froid; si le beurre est dur; si ma voiture est coincée entre deux autres; si elle été éraflée pendant la nuit; si je suis obligé de la garer à plus de cent mètres du bureau (je compte); si je croise un enterrement sur mon chemin; pire, si le catafalque porte l'initiale de mon nom; si j'arrive au bureau après Mme Vionnet, la journée sera détestable. Si au contraire tous ces petits désagréments me sont épargnés, la journée sera bonne. Comme cette perspective heureuse me donne confiance et énergie, en général elle l'est. Ce qui aggrave ma croyance dans l'infaillibilité de mes pythies. Françoise Dorin, Les jupes-culottes
Ainsi, le jour où Inni devait rencontrer Philip Taads, dont jusque-là il n'avait pas même soupçonné l'existence, fut le jour des trois pigeons. Le pigeon mort, le pigeon vivant et le pigeon assommé ― il s'agissait bien de trois pigeons distincts puisque le mort lui était apparu le premier ― et tous trois, songea-t-il après coup, s'étaient risqués à une espèce d'annonciation, somme toute réussie puisqu'elle avait rendu d'autant plus mystérieuse sa rencontre avec Philip Taads. Cees Nooteboom, Rituels
Le livre de Kawabata gisait à demi ouvert sur son oreiller, réseau meurtrier de mots arachnéens où des hommes étaient prisonniers, et où des bols à thé décidaient de leur sort; ces bols retenaient dans leurs flancs l'esprit de leurs anciens propriétaires: ils détruisaient ou, comme dans ce récit, étaient détruits. Cees Nooteboom, Rituels
Il viendra nous questionner sur notre gouvernement, sur notre religion, sur nos pierres Tun, sur nos pierres Kan. Il nous interrogera aussi sur l'arbre qui donne le vin de Balche. L'aurore sera la queue de Al Bococol, le Seigneur qui verse le vase, mais son visage sera masqué, la mort sera son visage. On entendra le bruit et on verra les gestes des quatre Bacab lorsqu'on dépouillera de son écorce le Premier Arbre du monde, quand on effacera la suie de son visage et qu'on l'étouffera. Jean Marie Gustave Le Clézio, Les Prophéties du Chilam Balam
Ces corps déchiquetés, cette rage de la mort qui a besoin pour s'exercer du grincement des freins, du choc du fer, du bris des glaces, du feu parfois, donnent d'elle l'image irrémissible qui la mue en destin. Mais il se joint presque toujours, dans la plupart de ces récits, une idée ou un sentiment d'injustice et aussi de responsabilité initiale, d'engrenage que peut-être on eût pu éviter: image exacte du destin qui n'est destin que parce qu'à un moment ou à un autre on déclenche le mécanisme qui y mène. Dans les tragédies grecques, les victimes sont toujours averties ― par un oracle en général ― de ce qui les attend si elles passent outre aux interdits. Nos oracles aujourd'hui s'appellent Prévention routière (et dans le cas des morts prévus chaque week-end, Prophétie routière). Aussi, cette notion de faute, de responsabilité possibles, de défi jeté aux statistiques (imprudence, inattention, inconscience des conducteurs) ouvre dans la fatalité une faille aux pourquoi de la mort sur les routes. Je n'ai jamais tant lu, tant vu sur les visages l'horreur et la grimace figée des masques antiques qu'au cours de ces récits de morts atroces. Jacques Lacarrière, Chemin faisant
L'art de la divination se compose d'une part de vérité, de dix parts de mensonge, et pour le reste d'illusion. Le lecteur de cadavres, d'Antonio Garrido
C'est un don de Dieu que la divination: voilà pourquoi ce devrait être une imposture punissable que d'en abuser. Chez les Scythes, quand les devins avaient failli dans leurs prédictions, on les couchait, les pieds et les mains chargés de fer, sur des charrettes pleines de broussailles tirées par des bœufs et que l'on faisait brûler. Ceux qui traitent des affaires dont l'issue dépend des calcites humaines sont excusables de n'y faire que ce qu'ils peuvent. Mais ceux qui trompent leur monde en se targuant de capacités extraordinaires échappant à notre entendement, ne faut-il pas les punir,de ne pas tenir leurs promesses, et de l'impudence de leur imposture. Michel de Montaigne, Les essais Livre I chapitre 30 Sur les Cannibales (dans la traduction moderne de Guy de Pernon d'après le texte de l'édition de 1595)
Ma mère protestait: «Tu ne crois pas au créateur de l'univers et tu
écoutes ceux qui te racontent une histoire.» Erri de Luca, Histoire d'Irène
Marty n'était pas précisément un sympathisant des sciences occultes. Les tables tournantes, la révolution permanente catégories astres, le sens de la vie dans le creux de la main, toutes ces salades lui hérissaient le poil rationnel. Il ne tolérait les boules de cristal que solidement vissées aux rampes des escaliers. Elles empêchaient les enfants de tomber sur le cul, un point c'est tout. Daniel Pennac, La petite marchande de prose
Près du feu, Kåre n'avait pas bougé, il fixait les flammes. Arnlög le
regarda. Puis elle prit sa main et la caressa doucement. Il la laissa
faire, sans quitter les flammes des yeux. Katarina Mazetti, Le Viking qui voulait épouser la fille de soie
La vie est ainsi faite. Nous cinglons en silence, sans songer, ou si peu, aux vagues qui bientôt nous submergeront, qui nous jetteront contre les rocs ou nous laisseront échoués pour toujours. Nous ne songeons pas au naufrage, jusqu'à ce que le flot plus puissant nous engloutisse; alors nous ployons sous sa force. Si quelque main auguste possédait le don de dérouler l'avenir devant nos yeux ou d'écarter le voile qui nous le dissimule, quelles images s'imposeraient à nos cœurs frissonnants? Mais non, il faut que les choses se passent selon la volonté du Très Sage: une sépulture close, uniquement mise au jour à mesure que les événements se produiront, car ces derniers, pourrions-nous les affronter avec la bravoure nécessaire si nous en connaissions la nature à l'avance? Nous dérobant à eux, nous dirions plutôt: «Que cette coupe s'éloigne de moi.» Ma captivité chez les Sioux, de Fanny Kelly
Le destin est une chose sur laquelle on doit se retourner, et non pas qu'on doit connaître d'avance. Haruki Murakami, Chroniques de l'oiseau à ressort
Et
moi-même d'ailleurs, dans cinq ans, dans dix ans si l'on veut, que serai-je
autre chose qu'un débris? La vie n'a pas de durée, et la mienne est
déjà en arrière de ma route, les choses de ce monde ne me regarderont
bientôt plus. Le Temps peut bien continuer sa course à donner le
vertige, emporter tout cet Orient que j'aimais, et toutes les beautés de
Circassie qui ont de grands yeux couleur de mer, emporter toutes les races
humaines et le monde entier, le cosmos immense; qu'est-ce que ça me fera,
puisque je ne le verrai pas, moi qui ai presque fini à présent, et qui
demain aurai perdu la conscience d'être… Le jeudi 30 novembre est arrivé, prompt et sans merci, comme arriveront empressées toutes les dates décisives ou fatales, non seulement pour chacun de nous celle où il faudra mourir, mais celles après qui verront tomber les derniers de notre génération, finir l'Islam et disparaître nos races au déclin, puis celles encore qui amèneront la consommation des Temps, l'anéantissement et l'oubli des tourbillons de soleils dans les souveraines Ténèbres… Pierre Loti, Les désenchantées
Chez les anciens, prophétiser le pire est souvent un stratagème de naufragé, déclarer que le monde est sur le point de se saborder leur permet de ne pas avoir à le regretter. Serge Joncour, Nature humaine |
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