Le Café Littéraire luxovien / Plaisir de lire... |
Miss Frost avait bien choisi. J'allais lire Tom Jones, Les Hauts de Hurlevent et Jane Eyre — dans cet ordre — et devenir ainsi, à la grande surprise de ma mère, un fervent lecteur. Et ce que m'apprirent ces romans, c'est qu'il y avait d'autres aventures que d'écumer les mers, avec ou sans pirates à l'horizon, que l'on pouvait se passionner pour une histoire qui n'appartienne pas à la science-fiction ou à l'anticipation; qu'il n'était pas nécessaire de sa plonger dans des épopées de cow-boys et d'Indiens ou dans des romans à l'eau de rose pour être "transporté". Dans la lecture, comme dans l'écriture, pour faire un voyage captivant, il suffisait d'une histoire d'amour à la fois crédible et terrible. Or n'était-ce pas précisément ce à quoi menaient les béguins — et tout spécialement les béguins malencontreux? John Irving, À moi seul bien des personnages
À l'époque, lire n'était pas l'absurde prouesse d'aujourd'hui. Considérée
comme une perte de temps, réputée nuisible au travail scolaire, la lecture
des romans nous était interdite pendant les heures d'étude. D'où ma
vocation de lecteur clandestin: romans recouverts comme des livres de classe,
cachés partout où cela se pouvait, lectures nocturnes à la lampe de poche,
dispenses de gymnastique, tout était bon pour me retrouver seul avec un
livre. C'est la pension qui m'a donné ce goût-là. Il m'y fallait un monde
à moi, ce fut celui des livres. Dans ma famille, j'avais surtout regardé les
autres lire: mon père fumant sa pipe dans son fauteuil, sous le cône d'une
lampe, passant distraitement son annulaire dans la raie impeccable de ses
cheveux, un livre ouvert sur ses genoux croisés; Bernard, dans notre chambre,
allongé sur le côté, genoux repliés, sa main droite soutenant sa tête...
Il y avait du bien-être dans ces attitudes. Au fond, c'est la physiologie du
lecteur qui m'a poussé à lire. Peut-être n'ai-je lu, au début, que pour
reproduire ces postures et en explorer d'autres. En lisant je me suis
physiquement installé dans un bonheur qui dure toujours. Daniel Pennac, Chagrin d'école
Dans Une histoire de la lecture, Alberto Manguel écrit: «Dans tout le sud des États-Unis, il était fréquent que les propriétaires de plantations pendent un esclave qui essayait d'apprendre aux autres à déchiffrer. Les patrons des esclaves (comme les dictateurs, les tyrans, les monarques absolus et autres détenteurs illicites du pouvoir) croyaient fermement à la puissance de la parole écrite. Ils savaient que la lecture est une force qui nécessite à peine quelques mots pour se révéler écrasante. Si on peut lire une phrase, on peut tout lire; une foule analphabète est plus facile à gouverner. Étant donné que l'art de lire ne se désapprend pas une fois qu'il est acquis, le meilleur moyen est de le limiter. Pour toutes ces raisons, il fallait interdire la lecture.» En revanche, les habitants de la civilisation gréco-latine considéraient normal que leurs esclaves se chargent des travaux de copie, d'écriture et de documentation, pour des raisons qui s'avèrent aujourd'hui, c'est le moins qu'on puisse dire, étonnantes. Irene Vallejo, L'infini dans un roseau
Éliette aime les romans par-dessus tout. Passionnément. C'est dans leurs pages qu'elle a pu vivre tout ce qu'elle n'a pas vécu, traverser toutes les expériences qu'elle n'a pas osées, rencontrer ceux et celles qu'elle n'a jamais croisés. Dans leurs pages aussi qu'elle a retrouvées, tricotées avec tant de grâce par les mots des autres, toutes les choses de la vie qui l'ont tissée, elle. Christelle Ravey, Les choses à faire avant
Elle
nous dirait plus tard, dans son lit d'hôpital, qu'ils s'étaient rués sur
elle pour la simple raison qu'elle lisait un livre. Père et frère d'une
seule main l'avaient déchiquetée pour un bouquin. Ils l'avaient avertie
maintes fois qu'ils ne voulaient plus la voir lire, ils avaient même jeté le
moindre objet qui s'apparentait à des feuillets reliés. Magyd Cherfi, Ma part de Gaulois
Il se peut que nous écrivions et que nous lisions certains livres pour devenir justement ce que nous sommes. Pierre Perrin, Une mère - le cri retenu
... c'est qu'on a trouvé, même sans le savoir, dans la forme, la couleur de l'objet, le rythme ou le ton d'un passage littéraire ou musical, l'expression d'une vérité personnelle dont on n'avait nullement conscience, que l'on découvre seulement à son contact. François-René Daillie, Le divertissement
À ceux qui ont lu mes romans, je suis reconnaissant de leur émotion parce que je crois qu'elle ne va pas à mes livres mais à l'enfant qui en fut l'héroïne. Il y a une beauté et une douceur, certainement, à se dire qu'avec vous, après vous, des dizaines de milliers de lecteurs pleurent à travers le monde l'agonie d'une enfant. Car que vaudrait un livre sec et sans larmes? Philippe Forest, Tous les enfants sauf un
Nos lectures d'enfance viennent longtemps après comme un filtre, même comme un philtre, voiler la réalité, et L'île au trésor (de Stevenson, 1883), Les aventures d'Arthur Gordon Pym (de Poe, 1838) ont imprimé en nous pour toujours leur décor de buissons et rocailles hostiles, capitaines à la jambe de bois, héros en haillons, vieux parchemins remplis d'inscriptions abrégées, cryptées, à déchiffrer comme les hiéroglyphes et pictogrammes égyptiens... Jean-Jacques Schuhl, Les apparitions
«Je
me suis souvenue, dit Cécile, que dans le temps tu recopiais des
phrases sur un cahier, des phrases d'écrivains, celles que tu trouvais
les plus belles, et de temps en temps tu m'en lisais.» Michel Houellebecq, Anéantir
Il retrouva facilement dans sa bibliothèque l'intégrale des Sherlock Holmes, publiée en deux volumes dans la collection Bouquins, mais fut quand même surpris, dès l'après-midi du lendemain, de parvenir aussi vite à se détacher de sa propre existence, à se passionner pour les interférences du génial détective et les sombres menées du professeur Moriarty; quoi d'autre qu'un livre aurait pu produire un tel effet? Pas un film, et un morceau de musique encore bien moins, la musique était faite pour les bien-portants. Mais même la philosophie n'aurait pas convenu, et la poésie pas davantage, la poésie non plus n'était pas faite pour les mourants; il fallait impérativement une œuvre de fiction; il fallait que soient relatées d'autres vies que la sienne. Et au fond, se dit-il, ces autres vies n'avaient pas besoin d'être captivantes, l'imagination et le talent du conteur exceptionnels d'Arthur Conan Doyle n'étaient pas même requis, les vies relatées auraient pu sans inconvénient être aussi mornes, aussi inintéressantes que la sienne; il fallait juste qu'elles soient autres. Elles devaient par ailleurs, pour des raisons plus mystérieuses, être inventées; ni une biographie, ni une autobiographie n'auraient fait l'affaire. Michel Houellebecq, Anéantir
Un jour, j'ai entendu un habitué de la librairie de mon père dire que rien ne marque autant un lecteur que le premier livre qui s'ouvre vraiment un chemin jusqu'à son cœur. Ces premières images, l'écho de ces premiers mots que nous croyons avoir laissés derrière nous, nous accompagnent toute notre vie et sculptent dans notre mémoire un palais auquel, tôt ou tard — et peu importe le nombre de livres que nous lisons, combien d'univers nous découvrons — nous reviendrons un jour. Pour moi, ces pages ensorcelées seront toujours celles que j'ai rencontrées dans les galeries du Cimetière des Livres oubliés. Carlos Ruiz Zafón, L'ombre du vent
Jamais je ne m'étais sentie prise, séduite et emportée par une histoire comme celle que racontait ce livre, expliqua Clara. Pour moi, la lecture était une obligation, une sorte de tribut à payer aux professeurs et aux précepteurs sans bien savoir pourquoi. Je ne connaissais pas encore le plaisir de lire, d'ouvrir des portes et d'explorer son âme, de s'abandonner à l'imagination, à la beauté et au mystère de la fiction et du langage. Carlos Ruiz Zafón, L'ombre du vent Les livres sont des miroirs, et l'on n'y voit que ce qu'on porte en soi-même, répliqua Julián. (...) Bea prétend que l'art de la lecture meurt de mort lente, que c'est un rituel intime, qu'un livre est un miroir où nous trouvons seulement ce que nous portons déjà en nous, que lire est engager son esprit et son âme, des biens qui se font de plus en plus rares. Tous les mois nous recevons des offres d'achat de la librairie pour la transformer en magasin de téléviseurs, de fringues ou d'espadrilles. Carlos Ruiz Zafón, L'ombre du vent
Peu m'importe que ce que je lis soit sincère ou mystifié, lissé par l'écriture ou le souvenir. Cette conscience soudaine d'une parcelle d'humanité commune me touche. C'est sans doute pour cela que j'aime tant les textes écrits à la première personne. Je ne peux m'empêcher de croire que l'auteur me fait des confidences, qu'il ne sourit qu'à moi. Tout m'intéresse. Ses histoires de famille, ses souvenirs. Des détails les plus dérisoires. Ses manies, ses habitudes, ses envies, ses espoirs et ses craintes. Tout me plaît, tout me parle. Le contenu des placards de Marguerite Duras dans La vie matérielle, les lubies de la mère de Romain Gary dans La promesse de l'aube. La vie tout entière d'Édouard Levé dans son Autoportrait. Les chambres dans lesquelles Perec a dormi, ce qu'il a vu et mangé. Les névroses de Philip Roth, le chien acariâtre de la mère d'Henri Cueno, le quotidien de Carole Fives, l'enfance de Joël Baqué, les maladies imaginaires d'Emmanuel Venet, les doutes de Victor Bouchet... Clémentine Mélois, Dehors la tempête
À la fin du roman, il était bouleversé, persuadé qu'il n'était plus
la même personne que lorsqu'il avait commencé sa lecture et qu'il ne
le serait jamais plus. Cette fois, quand il rapporta le livre à la
bibliothèque, le Français lui demanda ce qu'il en avait pensé. Encore
secoué par sa lecture, Melchor lâcha ex abrupto ce qui lui
sortait des entrailles: Javier Cercas, Terra Alta
Les lecteurs se retrouvent toujours d'une manière ou d'une autre dans un livre. Lire est une excitation totalement égotique. On cherche inconsciemment ce qui nous parle. Les auteurs peuvent écrire les histoires les plus farfelues ou les plus improbables, il se trouvera toujours des lecteurs pour leur dire: «C'est incroyable, vous avez écrit ma vie!» David Foenkinos, Le mystère Henri Pick
L'enthousiasme et la passion de Gourvec pour sa bibliothèque n'ont jamais faibli. Il recevait avec une attention particulière chaque lecteur, s'efforçant d'être à l'écoute pour créer un chemin personnel à travers les livres proposés. Selon lui, la question n'était pas d'aimer ou de ne pas aimer lire, mais plutôt de savoir comment trouver le livre qui vous correspond. Chacun peut adorer la lecture, à condition d'avoir en main le bon roman, celui qui vous plaira, qui vous parlera, et dont on ne pourra se défaire. Denis Foenkinos, Le mystère Henri Pick
Avant de
connaître Charlotte, j'ai été passionné par Aby Warburg. Quelque chose
m'attirait dans ce nom, Aby Warburg. David Foenkinos, Charlotte
Chaque fois que j'étais invité chez quelqu'un, je regardais la bibliothèque. J'ai l'impression qu'on peut tout savoir d'une personne en observant les livres qu'elle possède. David Foenkinos, La famille Martin
Je n'ai pas reçu beaucoup d'instruction, sinon celle que l'on m'a donnée dans une de ces écoles «indiennes» où l'on nous a envoyés en grand nombre — où le prêtre me maltraitait dans une cave obscure. Disons que l'expérience m'aura brouillée avec les études, à plus forte raison avec l'église. J'y ai pourtant été une lectrice compulsive, et les livres, échappatoire bienvenue, m'ont servi de professeurs. J'ai lu tout ce qui m'est tombé sous la main, peu de choses, en fait, dans un pensionnat catholique, le plus accessible étant évidemment la bible. Dans les deux testaments, j'ai appris le sens de bien des termes: fratricide, matricide, parricide, infanticide, génocide, épuration ethnique, esclavage, soumission sexuelle... À peu près tout ce qu'on a besoin de savoir sur le mal, la violence, l'avilissement. Malgré cela, certaines parties sont enrichissantes, et j'ai tenté d'y trouver du réconfort. Jim Fergus, Les Amazones
Lorsque
j'eus dix ans, ma famille abandonna la campagne pour la ville. Là, je
débutais dans la vie comme crieur de journaux. Une des raisons, c'est
que nous avions besoin d'argent. Une autre, c'est que je voulais faire
de l'exercice. Jack London, Le cabaret de la dernière chance
Que
la librairie fût éclairée l'étonna; il s'arrêta devant des titres
dont il avait entendu parler lors de la dernière saison, des policiers
à la couverture aguicheuse et des bouquins d'inconnus. C'est alors
qu'il surprit le libraire dans sa boutique en train de l'observer. Pierre Lemaitre, Miroir de nos peines
La lecture ne l'avait jamais bien passionné. Sa caravane ne renfermait qu'un seul livre, la bible reliée de cuir que Winnie lui avait offerte quand il l'avait épousée. Jadis, il lui arrivait de se plonger avec délectation dans certains des récits de l'Ancien Testament. Le Livre de Job, par exemple. L'histoire de ce pauvre Daniel jeté en pâture aux lions. Ou celle de Samson aveugle faisant choir le temple de Dagon sur les Philistins. Mais à présent, quand il essayait de les lire, son esprit se mettait à vagabonder au bout de quelques lignes, et il finissait par s'apercevoir qu'il venait de lire dix fois de suite le même paragraphe. Nicholas Evans, Le cercle des loups
Plus tard, beaucoup plus tard dans la vie, elle dirait, lors
d'interviews, en réponse à une éternelle (et fastidieuse) question:
«Oh, les livres pour garçons, les livres d'aventures, voilà ce que
j'aimais. Qui a envie de lire ces histoires à l'eau de rose pour
filles?» Graham Swift, Le dimanche des mères La nuit qui suivit le dimanche des mères 1924, incapable de dormir ou de se reposer, elle avait repris la lecture de Jeunesse. Que pouvait-elle faire d'autre? Pleurer? Et se remettre à pleurer? Sur la planche qui lui tenait lieu de lit? Les gens lisent des livres pour échapper à eux-mêmes, pour oublier leurs problèmes, n'est-ce pas? Graham Swift, Le dimanche des mères
Je
me risque à demander à Cyrille s'il a fini par lire Belle du
Seigneur que je lui ai offert et recommandé à diverses reprises de
commencer... pour le moins. Avec son grand sourire désarmant, il
m'explique que non. Janine Mossuz-Lavau, L'amour en double
Depuis quelques semaines je m'étais remis à lire, enfin si l'on peut dire, ma curiosité de lecteur n'était pas très étendue, je lisais en fait uniquement «Les âmes mortes», de Gogol, et je ne lisais pas beaucoup, une ou deux pages par jour pas davantage, et je relisais souvent, plusieurs jours de suite, les mêmes. Cette lecture me procurait des plaisirs infinis, jamais peut-être je ne m'étais senti aussi proche d'un autre homme que de cet auteur russe un peu oublié, pourtant je n'aurais su dire, contrairement à Gogol, que Dieu m'avait donné une nature très complexe. Michel Houellebecq, Sérotonine
Garp but sa bière en se demandant si tout était toujours aussi décevant; il se rassura en pensant aux quelques bons livres qu'il lui avait été donné de lire, mais bien qu'ayant été éduqué à Steering, il n'était pas un grand lecteur — en comparaison d'Helen, ou de Jenny, par exemple. En matière de lecture, Garp s'y prenait toujours de la même façon, lorsqu'il mettait la main sur un livre qui lui plaisait, il le relisait inlassablement; et, pendant longtemps, il n'avait pas la moindre envie de lire autre chose. Au cours de ses années Steering, il lut trente-quatre fois The Secret Sharer de Joseph Conrad. Il lut également The Man Who Loved Islands, de D.H. Lawrence, vingt et une fois; et il se sentait à présent tout disposé à le relire. John Irving, Le monde selon Garp
... j'avais envie de réapprendre. De savoir ce que signifiait vraiment
avoir l'eau à la bouche. Pas à travers quelqu'un, mais à travers les
mots. Ceux qui sont dans les livres et que j'avais fuis parce qu'ils me
faisaient peur. Valérie Perrin, Changer l'eau des fleurs
Mais une fois la maison parfaitement en ordre, la vaisselle faite, le linge soigneusement plié et placé dans l'armoire, maman se blottissait pour lire dans un coin. Détendue, la respiration douce et égale, elle s'installait pour lire sur le canapé. Les pieds ramenés sous elle, elle lisait. Le dos rond, le cou fléchi, les épaules relâchées, le corps pareil à une demi-lune, elle lisait. Le visage à moitié dissimulé derrière l'écran de ses cheveux noirs répandus sur la page, elle lisait. (...) Elle n'arrêtait pas de lire Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
J'avais
découvert un entrepôt. (...) Dans un coin se trouvaient un lit de
camp, un matelas, des livres, une bible. (...) Erri De Luca, Le jour avant le bonheur
— Pour moi aussi tous les livres que je lis conduisent à un seul livre, dit un cinquième lecteur qui émerge d'une pile de volumes reliés, mais il s'agit d'un livre en arrière dans le temps, qui affleure à peine de mes souvenirs. Il y a pour moi une histoire qui vient avant toutes les autres histoires et dont toutes les histoires que je lis me semblent porter un écho qui se perd aussitôt. Au cours de mes lectures je ne fais que rechercher ce livre lu dans mon enfance, mais ce dont je me souviens ne suffit pas pour le retrouver. Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Il me faisait asseoir dans son arrière-boutique où il me révélait des trésors qui m'enthousiasmaient moins que lui. Il sortait souvent, comme de derrière son enfance, un livre des Fables illustrées d'images d'Épinal dont il caressait presque chaque page, à n'en pas finir. Tous deux, qui nous entendions sans nous écouter qu'à peine, parlions cependant littérature à voix basse et passionnée. Je soutenais déjà, pensant peut-être à toi, maman, au creux que ton absence presque immémoriale imprimait en moi, que les mots formaient des tabernacles, qu'il fallait les déguster, les yeux fermés, se nourrir à Dieu vat des secrets qu'ils recelaient peut-être; ils formaient le seul viatique, à renouveler la vie. Je savais peu de choses pourtant. À seize ans, j'avais lu Gide et Bernanos et, pendant les vacances de Pâques cette année-là pluvieuses, la Recherche. Je ne sais guère ce que j'ai pu comprendre. Cela m'enivrait. Ce travers m'est resté; la lecture m'est un encens. Pierre Perrin, Une mère - le cri retenu
L'odeur de l'immense bibliothèque de l'oncle ne m'a jamais quitté: le parfum poussiéreux et excitant des sept sciences ésotériques, d'une vie d'étude, taciturne et confinée, l'existence d'un ermite détenteur de secrets, un silence d'outre-tombe qui montait des profondeurs des puits de la réflexion et de la sagesse, les murmures des penseurs trépassés, l'épanchement des pensées secrètes des écrivains défunts, la caresse des désirs des générations antérieures. Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
Je referme le journal d'Irène le cœur lourd. Comme on referme un roman dont on est tombé amoureux. Un roman ami dont on a du mal à se séparer, parce qu'on veut qu'il reste près de soi, à portée de main. Valérie Perrin, Changer l'eau des fleurs
«Un bon livre, Marcus, ne se mesure pas à ses derniers mots uniquement, mais à l'effet collectif de tous les mots qui les ont précédés. Environ une demi-seconde après avoir terminé votre livre, après en avoir lu le dernier mot, le lecteur doit se senti envahi d'un sentiment puissant; pendant un instant, il ne doit plus penser qu'à tout ce qu'il vient de lire, regarder la couverture et sourire avec une pointe de tristesse parce que tous les personnages vont lui manquer. Un bon livre, Marcus, est un livre que l'on regrette d'avoir terminé.» Joël Dicker, La vérité sur l'Affaire Harry Quebert
Je me tenais toujours un peu à l'écart. Je préférais lire plutôt
que discuter... (...) À la grâce des hommes, Hannah Kent
... je pris l'habitude de lire seul en silence. Je lisais et relisais
mes livres, et, fermant les yeux de temps en temps, j'aspirais
profondément leur odeur. D'ailleurs, le seul fait de respirer l'odeur
d'un livre et d'en feuilleter les pages me rendait heureux. Haruki Murakami, La ballade de l'impossible
Florentin ne prêtait pas ses livres aux fils Marmont, il les leur donnait. Les livres, disait-il, appartiennent à ceux qui leur donnent vie en les lisant. Lui, il les avait déjà lu et assurait qu'il n'aurait plus le temps de les relire. François Weyergans, La démence du boxeur
À la clameur des discothèques, Giulia préfère le silence feutré de la biblioteca comunale. Elle s'y rend chaque jour à l'heure du déjeuner. Insatiable lectrice, elle aime l'ambiance des grandes salles tapissées de livres, que seul le bruissement des pages vient troubler. Il lui semble qu'il y a là quelque chose de religieux, un recueillement quasi mystique qui lui plait. Lorsqu'elle lit, Giulia ne voit pas le temps passer. (...) Elle dit qu'elle pourrait passer sa vie en cette seule compagnie. Elle en oublie même de manger. Il n'est pas rare de la voir rentrer le ventre vide de sa pause déjeuner. C'est ainsi: Giulia dévore les livres comme d'autres les cannoli. Laeticia Colombani, La tresse
Ma logique enfantine, qu'aucun adulte ne corrigeait parce qu'il ne me
serait pas venu à l'idée d'évoquer le sujet avec eux, me faisait
diviser le monde mystérieux des livres en deux catégories: ceux pour
enfants et ceux pour adultes. Les lectures pour enfants de nos manuels
d'école primaire était simplettes dans leur vocabulaire, leur
grammaire et leur contenu; les situations étaient irréelles,
invraisemblables ou résolument fantastiques, comme dans les contes de
fées, les bandes dessinées ou les films de Disney. Cela pouvait être
amusant, voire instructif, mais ce n'était pas réel. La
réalité était le domaine des adultes, et bien que, enfant unique
pendant cinq ans, je fusse entourée d'adultes, c'était un domaine que
je ne pouvais pénétrer, ni même imaginer, de l'extérieur. Pour avoir
accès à cette réalité, pour trouver une porte d'entrée, je
lisais des livres. Joyce Carol Oates, Paysage perdu
Il lit beaucoup, mon père. Quel âge peut-il avoir? Entre quatorze et quinze. Disons quatorze et demi, et elle n'aime pas ça, sa mère, les livres; elle dit que ça vous zigouille les méninges et que ça abîme les yeux; les histoires inventées, elle les nomme des romances de gonzesses. Guy Boley, Quand Dieu boxait en amateur
Elle lisait des livres au lit avant de s'endormir. Sa mère lui disait de faire attention, elle allait se retrouver avec des lunettes. Cela aurait été une honte, une belle fille comme elle. Mais Sigrid a continué à lire, et elle se disait qu'il devait y avoir autre chose dans la vie. Elle ignorait quoi, mais peut-être que c'était mieux ainsi. Elle ne souhaitait pas savoir ce que l'avenir lui réservait, mais elle savait au moins qu'il devait y avoir un ailleurs loin de Stege. Jens Christian Grøndahl, Quelle n'est pas ma joie
Il éprouvait pour les livres une immense curiosité et les aimait tout autant pour leur poids dans ses mains, pour l'odeur doucereuse et le grain du papier, pour l'écriture imprimée noir sur blanc, que pour les illustrations qui venaient renforcer les mots. Et très vite il se prit à rêver à travers les livres et les images; un livre particulièrement et deux images exaltèrent son imagination. C'était Le Tour de France par deux enfants de Bruno et les deux grandes cartes géographiques qui encadraient le tableau noir. Sylvie Germain, Le livre des nuits
C'est un quartier populaire, d'ouvriers et de cheminots, on y aime la boxe, l'opérette, le musette accordéon, on n'y lit quasiment pas, la culture est une affaire d'élégants, d'oiseux, d'aristocrates. Car lire est dangereux, ça instille dans les cœurs des mondes inaccessibles qui ne portent au fond d'eux qu'envies et frustrations; ça rend très malheureux, quand on est gens de peu, de savoir qu'il existe, dans un ailleurs fictif, des vies sans rides, ni balafres, où les rires, l'argent, la paix, l'amour poussent aussi joliment que du gazon anglais. Guy Boley, Quand Dieu boxait en amateur
Or, presque au même instant, je découvris les livres, un livre, auquel je sacrifiai aussitôt l'infrangible, la terrible fermeté du fer qui allait prendre la relève des arbres. J'entrevis, dans son entrebâillement, l'éventualité lointaine, précaire d'un état satisfaisant. Je le supposai gros de la réponse aux questions irrésolues qui me tourmentaient, m'avaient fait préférer les friches aux lieux civilisés, le commerce des aulnes à celui des hommes, la destruction à la conservation, le séjour du bois puis du fer à celui de la gousse de chair. Pierre Bergounioux, L'orphelin
dans
le froid, courbé sous le hayon du véhicule, sans mettre ses lunettes,
ému à l'idée de retrouver intacts des livres qu'il avait aimés et
oubliés, témoins des heures où il avait eu l'énergie de les lire, il
empoigna la première boîte de carton (...) Il fit glisser le canif
sous une épaisse corde à linge qu'avait sans doute utilisé sa mère,
et trancha les nœuds gordiens qui protégeaient le savoir de sa
jeunesse. Ayant soulevé les rabats, il aperçut les premières
reliures, aux charnières fendues, aux coiffes arrachées, aux coins
usés. (...) François Weyergans, La démence du boxeur
—
Pourquoi relire toujours la même chose? dit Philip. C'est une forme pénible
du désœuvrement. Somerset Maugham, Servitude humaine
Oh, il n'y a pas de limite à la grâce qu'un jeune homme peut recevoir d'un livre. Cette nuit-là, Freud alluma littéralement une flambée de bonheur dans l'esprit de son futur disciple qui jeta par terre sa pauvre couverture, alluma une lampe au-dessus de sa tête en dépit des protestations de ses condisciples et, dans la béatitude produite par son contact avec un dieu vivant, lut a voix haute, lut et relut, se laissa emporter jusqu'à ce que le gardien du dortoir, un borgne au corps replet, surgît sur le seuil, l'injuriât, le menaçât et finît par lui confisquer le livre. Dai Sijie, Le complexe de Di
À le voir plongé dans sa lecture, on avait fini par lui demander: «Il dit quoi, ton imprimé?» et, plutôt que de résumer, ce qui l'aurait forcé à expliquer, Martin avait préféré lire les mots des autres. C'est un rituel installé, maintenant. Alors, il écoute sa propre voix, étrange, ronde, son élocution saccadée d'abord puis assouplie et vive, relayer sa parole infirme en s'aidant de celle qui surgit du papier. C'est un procédé magique. Il lit des mots et c'est comme si sa pensée avait fourni l'effort de les produire. Il lit, et ressent le silence attentif autour de lui. Christian Chavassieux, La vie volée de Martin Sourire
Ce livre [La laisse] est idéal pour prendre le train ― formule que l'on trouve généralement insultante pour un auteur si on ne considère pas, comme moi, que le train, les banquettes, la solitude rythmée des roues sur les rails sont autant d'atouts pour découvrir un livre et s'y abandonner. Françoise Sagan, Derrière l'épaule
J'emportais trente kilos de livres, quinze à chaque bras, chaque fois que j'avais à me déplacer. Je glissais, à l'instant de partir, un ou deux volumes dans les poches de mon blouson. Mon premier soin, lorsque j'avais atteint la gare, le soir, l'hiver, était de me piéter dans une flaque de clarté. Ensuite, je tirais mon livre en faisant droit le moins possible à l'importunité que nous vaut la chose étendue à laquelle nous sommes rivés et qui, de part sa nature même, ne cesse de nous renseigner sur ses plus infimes démêlés avec les autres choses, le bruit, le froid alors qu'on ne pense qu'à connaître. Pierre Bergounioux, L'orphelin
Sur une radio montréalaise, on demande à des lecteurs ce qui les décide à choisir un livre plutôt qu'un autre. Un jeune homme, avec cette incroyable spontanéité ― mélange de naïveté, de franchise et de sans-gêne ― qui fait le charme de nos amis québécois, répond: «Quelquefois, c'est après avoir entendu à la radio ou à la télévision un entretien avec l'auteur. Si ce que dit ce gars-là me touche, j'ai envie d'acheter son livre, de le prendre dans mes bras comme un bébé.» Je n'ai pas compris s'il parlait du livre ou de l'auteur ― ou, comme je l'espère, des deux ―, mais je crois qu'il atteignait là quelque chose de profond. Écrire, c'est vouloir être changé en bébé de papier qu'on dorlote. Dominique Noguez, Le grantécrivain et autres textes
Les livres partagent avec les tout petits enfants et les chats le privilège d'être tenus, des heures durant, sur les genoux des adultes. Et de façon extraordinaire, plus encore que les enfants, plus encore que les chats, ils ont le pouvoir de captiver jusqu'au silence le regard de ceux qui les regardent, de pétrifier les membres de leur corps, de subjuguer les traits de leur visage jusqu'à leur donner l'apparence de l'imploration muette, l'apparence d'une bête qui est aux aguets, l'apparence d'une prière incompréhensible et peut-être éperdue. Pascal Quignard, Le salon du Würtemberg
C'est ce que j'aime dans la lecture. Un détail minuscule attire votre attention et vous mène à un autre livre, dans lequel vous trouverez un petit passage qui vous pousse vers un troisième livre. Cela fonctionne de manière géométrique, à l'infini, et c'est du plaisir pur. Mary
Ann Shaffer & Annie Barrows,
Si les meilleurs livres sont ceux que leur auteur ont pris grand plaisir à écrire, ceux dont on dénote l'excitation d'un plaisir délicieux, alors sans nul doute c'est Candide qui de loin remporte la palme. On aurait aimé observer l'expression de Voltaire quand il l'écrivait. La superbe audace de cet homme, son courage, son aplomb, sa céleste impudence, éclatent dans chaque phrase. John Cowper Powys, Jugements réservés (sur Voltaire)
Quand je rencontre un fervent amateurs de livres ― de nombreux livres et de nombreux auteurs ― il y a deux choses que je sais à son sujet. Je sais qu'il est l'opposé du moraliste et je sais que il est exempt de démente dépravation. De plus, ajouterai-je, je suis convaincu qu'il nourrit une haine profondément enracinée pour les moralistes et éprouve une curiosité indulgente envers toute forme d'aberration humaine. John Cowper Powys, Jugements réservés (sur Rousseau)
Dans l'amplitude de haute mer d'un grand roman, il nous est loisible d'oublier
tous nos soucis. Nous pouvons vivre la vie de gens qui nous ressemblent et
qui, pourtant, ne sont pas nous. Nous pouvons mettre notre existence
fourvoyée à bonne distance et la voir ―
elle aussi ―
comme s'il s'agissait d'une histoire inventée; une histoire qui aura
peut-être une fin heureuse! John Cowper Powys, Jugements réservés (sur Balzac)
La lecture des grands auteurs n'aura été qu'un pur passe-temps épicurien si elle ne nous a pas fait reconnaître que l'important dans notre vie est quelque chose qui nous appartient plus étroitement que toute opinion dont nous avons héritée, toute théorie que nous avons établie, tout principe pour lequel nous nous sommes battus. Elle aura été vaine si elle ne nous a pas fait reconnaître que lorsque ces choses extérieures s'écroulent, et que le véritable moi, au-delà du pouvoir de ces choses extérieures, jette un regard hardi, tendre et plein de pitié sur ce monde immense et étrange, il y a des indices et des chuchotements de quelque chose qui dépasse tout ce dont les philosophes ont jamais rêvé, caché dans les réservoirs de l'être et prêt à nous effleurer de son souffle. Notre lecture des nobles écrits n'aura rien été d'autre qu'un agréable divertissement si nous n'avons pas vu que les importantes différences existant dans leurs verdicts prouvent à l'évidence qu'aucune théorie, aucun unique principe, ne peut couvrir tout ce champ abyssal. Mais cette lecture n'aura eu que peu d'effet si, en raison de cette opposition radicale dans les voix qui nous parviennent, nous renonçons à la grande quête. Car c'est du maintien de notre intérêt que notre humanité trouve sa légitimité. John Cowper Powys, Jugements réservés (sur Emily Brontë )
Écrire avec tant de délicatesse, de labeur et de félicité sur les sujets
austères, durs, primitifs, du meurtre, du suicide, de la folie, de l'avarice,
de la terreur et du désespoir; écrire d'une façon aussi recherchée et
riche, quand on aborde les délirants secrets des marins ivres et les folles
vengeances de barbares à demi sauvages, c'est du grand art. Et c'est bien
davantage. C'est un triomphe spirituel. C'est la preuve que l'âme humaine,
confrontée aux pires terreurs qui peuvent l'assaillir, est cependant à même
d'en faire son profit. John Cowper Powys, Jugements réservés (sur Joseph Conrad)
Il arrive parfois, trop rarement hélas, que l'on rencontre quelqu'un qui a littéralement «collectionné» tout Henry James depuis le tout début. On ne peut qu'envier ces gens. Je pense qu'ils sont peut-être les seuls bibliophiles pour lesquels j'éprouve de la tendresse; car ils se révèlent tellement plus que des bibliophiles; ils ont anticipé avec sagesse et prudence le verdict de la postérité. John Cowper Powys, Jugements réservés (sur Henry James)
―
J'aimerais te raconter une histoire. Quand j'étais enfant, mon grand-père
m'a révélé une chose qui m'a accompagné toute la vie. Veux-tu la savoir à
ton tour ? Nicolas Vanier, L'école buissonnière
J'attends de mes lecteurs qu'ils lisent dans mes livres quelque chose que je ne savais pas, mais je ne peux m'y attendre que de la part des lecteurs qui s'attendent à lire quelque chose qu'ils ignoraient eux-mêmes. Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Un lecteur intelligent découvre souvent dans les écrits des autres, des perfections autres que celle que l'auteur pensait y avoir mises, et leur prête des formes et des significations plus riches. Michel Eyquem de Montaigne, Les essais Livre I chapitre 23 Résultats différents d'un même projet (dans la traduction moderne de Guy de Pernon d'après le texte de l'édition de 1595)
Annie Wilkes était typique de ses lectrices: une femme qui adorait les histoires mais n'éprouvait pas la moindre curiosité pour les mécanismes qui permettaient de les écrire. Elle était l'incarnation de ce type victorien, le Fidèle Lecteur. Elle ne voulait pas entendre parler de ces recettes de cuisine, concordance, indices, parce que pour elle, Misery et les personnages qui l'entouraient étaient parfaitement réels. Ces détails ne signifiaient rien pour elle. Misery, Stephen King
La lecture est le fléau de l'enfance et presque la seule occupation qu'on sait lui donner. (...) Un enfant n'est pas fort curieux de perfectionner l'instrument avec lequel on le tourmente; mais faites que cet instrument serve à des plaisirs et bientôt il s'y appliquera malgré vous. Jean-Jacques Rousseau, Émile
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Lis-lui des histoires, uniquement celles que tu aimes. Qu'est-ce que tu
préférais quand tu étais en vacances? Quelles histoires te faisaient
voyager le plus loin? Quels livres te donnaient envie de les dévorer en
cachette le soir? Souviens-toi de ça. Lis-lui tes histoires préférées à
haute voix. Quelques pages à chaque visite. Donne-lui envie de découvrir la
suite, comme si c'était un feuilleton. Il s'y mettra. Gilles Legardinier, Complètement cramé !
C'est avec monsieur Gros-Joseph lui-même que j'apprendrai le goût des livres-à-lire, dénués de toute image, où l'écriture devient sorcière du monde. Patrick Chamoiseau, Texaco
Chez nous, quand on a aimé un livre, on a l'habitude de dire qu'on l'a lu sans reprendre haleine. Erri de Luca, Histoire d'Irène
Comme ta maison est le lieu où tu lis, elle peut nous dire la place que les livres occupent dans ta vie, s'il s'agit d'une défense que tu mets en avant pour tenir le monde à distance, d'un rêve dans lequel tu t'enfonces comme dans une drogue, ou si au contraire, il s'agit de ponts que tu jettes vers l'extérieur, vers le monde qui t'intéresse tant, que tu voudrais en dilater et en multiplier les dimensions à travers les livres. Pour le comprendre, (...) la première chose à faire est de visiter la cuisine. Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
―
Lire, dit-il, c'est toujours cela: il y a une chose qui est là, une chose
faite d'écriture, un objet solide, matériel, qu'on ne peut pas changer, et
à travers cette chose on affronte une autre chose qui n'est pas présente,
une autre chose qui appartient au monde immatériel, invisible, parce qu'elle
est seulement pensable, imaginable, ou parce qu'elle a existé et qu'elle
n'existe plus, passée, perdue, il atteignable, dans le pays des
morts... Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Il est merveilleux de penser aux plaisirs excitants que la littérature nous réserve dès lors que nous nous sommes détachés d'une opinion superfétatoire sur la culture et que nous nous sommes accordé toute liberté d'aimer ce que nous voulons, de haïr ce que nous voulons, d'être indifférents à ce que nous voulons, tandis que la terre continue de tourner! John Cowper Powys, Jugements réservés
Ce n'est pas seulement une voix qui chante Jacques Prévert, Histoires
Le temps de lire est toujours du temps volé. (Tout comme le temps d'écrire
d'ailleurs, ou le temps d'aimer.) Daniel Pennac, Comme un roman
― Vous est-il arrivé parfois, reprit Léon, de rencontrer dans un livre une idée vague que l'on a eue, quelque image obscurcie qui revient de loin, et comme l'exposition entière de votre sentiment le plus délié? Gustave Flaubert, Madame Bovary
Je lis ce matin comme l'évidence des lignes d'un livre accompli, serein, des lignes miraculeuses qui s'évanouissent entre les doigts de lumière. Il est des phrases d'un ouvrage que l'on voudrait recopier, retenir comme l'essentiel du sens, du moment, de cet instant de vie, lignes que l'on avale, avide, avec une joie intense et qui vous déposent au-dessus des hommes. Bernard Giraudeau, Les dames de nage
Cela fait trente ans que je sais lire; je n'ai peut-être pas lu beaucoup, mais j'ai tout de même lu un certain nombre de choses, et tout ce qui m'en reste, c'est le souvenir très approximatif qu'au deuxième volume d'un roman de mille pages, il y a quelqu'un qui se tue d'un coup de pistolet. Trente ans que je lis pour rien! Des milliers d'heures, de mon enfance, de ma jeunesse et de mon âge adulte, passées à lire et à n'en retenir rien qu'un immense oubli. Patrick
Süskind, Amnésie littéraire
―
Vous imaginez un grand critique littéraire qui s'abaisserait à écrire un
roman policier? Vous imaginez ce que diraient les gens? Joël Dicker, La disparition de Stéphanie Mailer
Ce soir-là, en feuilletant un livre d'Holbrook Jackson, je tombais sur le
classement en quatre catégories qu'établit Coleridge parmi les gens qui
lisent. Qu'on me permette de le citer: Henry Miller, Les livres de ma vie
il
était content d'avoir une petite amie qui lût autant que lui, même si ce
n'était pas les livres qu'il fallait. Elle lisait en effet des essais visant
à changer le monde ―
des tracts, au fond. C'étaient surtout des livres à tendance gauchisante et
utopiste―
quant à lui, il doutait fort qu'on puisse changer le monde, et la nature
humaine. Il faisait métier de comprendre et d'accepter le monde tel qu'il
était; et il se plaidait à penser qu'il contribuait un peu à en accroître
la sécurité. John Irving, Une veuve de papier
Il disait encore que vivre avec quelqu'un qui lisait autant qu'Helen avait quelque chose d'à la fois exaspérant et inspirant; il voulait lui donner quelque chose à lire qui l'obligerait à fermer tous ses autres livres. John Irving, Le monde selon Garp
Une
fois de plus, il se trouva idiot. Il avait essayé de s'emparer d'un livre que
Doris Clausen avait aimé, et d'un film qui, du moins pour elle, était lié
à des souvenirs douloureux. Or les livres, et parfois les films, sont des
objets trop personnels; on peut les apprécier à deux, mais les raisons
particulières de les aimer ne se partagent pas de façon satisfaisante. John Irving, La quatrième main
Quand on offre un roman ou un recueil de poèmes à quelqu'un qui compte pour nous, on sait que son opinion sur le texte rejaillira sur nous. Si un ami, une petite amie ou un amant place entre nos mains un livre, nous cherchons ses goûts et ses idées dans le texte, nous nous sentons intrigués ou concernées par les lignes soulignées, nous commençons une conversation personnelle avec les paroles écrites, nous nous ouvrons avec plus d'intensité à son mystère. Nous cherchons, dans son océan de lettres, un message dans une bouteille pour nous. Irene Vallejo, L'infini dans un roseau
Quand un être cher nous donne un livre à lire, c'est lui que nous cherchons d'abord dans les lignes, ses goûts, les raisons qui l'ont poussé à nous flanquer ce bouquin entre les mains, les signes d'une fraternité. Puis le texte nous emporte et nous oublions celui qui nous y a plongé, c'est toute la puissance d'une œuvre, justement, que de balayer aussi cette contingence-là! Daniel Pennac, comme un roman
Un homme ne devrait pas avoir peur de lire trop ou trop peu. Il devrait lire comme il mange ou comme il prend de l'exercice. Le bon lecteur ne tardera pas à graviter autour des bons livres. Il découvrira, grâce à ses contemporains, ce qu'il y a dans la lecture du passé ce qui apporte un exemple, une inspiration ou simplement un délassement. Il devrait avoir le plaisir de faire ces découvertes tout seul, à sa guise. Tout ce qui a de la valeur, du charme, de la beauté, tout ce qui est lourd de sagesse ne saurait être perdu ni oublié. Mais les choses peuvent perdre toute valeur, tout charme, toute séduction, si l'on vous traîne par les cheveux pour les admirer. N'avez-vous jamais remarqué, après bien des expériences décevantes, que quand on recommande un livre à un ami, moins on en dit, mieux cela vaut? Henry Miller, Les livres de ma vie
Pour moi, je n'aime que les livres plaisants ou faciles, qui me chatouillent agréablement, ou ceux qui me consolent et m'aident à régler ma vie ou ma mort. Michel de Montaigne, Sur la solitude (dans: Les essais Livre I chap. 38 de la traduction moderne de Guy de Pernon d'après le texte de l'édition de 1595)
Le lecteur peut être considéré comme le personnage principal du roman, à égalité avec l'auteur, sans lui, rien ne se fait. Elsa Triolet
Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié. Voltaire
―
Dans la plupart des livres, on sait tout de suite qu'y se passera rien,
expliqua Jillsy [femme de ménage]. Seigneur! Vous le savez bien, non?
Dans d'autres livres, y se passe quelque chose et on sait tout de suite quoi,
ce qui fait que c'est pas la peine de les lire. Mais ce livre, il est si
tordu qu'on sait qu'y va s'y passer quelque chose, mais on n'arrive pas à
imaginer quoi. Faudrait être tordu soi-même pour imaginer ce qui se
passe dans ce livre. John Irving, Le monde selon Garp
Bien lire, c'est-à-dire lire des livres vrais, dans un esprit vrai, est une activité noble, susceptible de mettre le lecteur davantage à l'épreuve que n'importe quelle autre activité communément estimée de nos jours. Elle requiert un entraînement comparable à celui des athlètes, et nécessite que l'on en fasse le point focal du dévouement de presque toute une vie. Les livres doivent être lus avec les mêmes concentration et circonspection que celles avec lesquelles ils furent écrits. Henry-David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois
J'avais toujours pensé qu'un ouvrage n'existait vraiment qu'à travers sa relation avec le lecteur. Moi-même, depuis que j'étais en âge de lire, j'avais toujours cherché à m'enfoncer le plus loin possible dans l'imaginaire des romans qui me plaisaient, anticipant, échafaudant mille hypothèses, cherchant toujours à avoir un coup d'avance sur l'auteur et prolongeant même dans ma tête l'histoire des personnages bien après avoir tourné la dernière page. Au-delà des mots imprimés, c'est l'imagination du lecteur qui transcendait le texte et permettait à l'histoire d'exister pleinement. Guillaume Musso, La fille de papier
Il n'y a pas de vrai sens d'un texte. Pas d'autoroute de l'auteur. Quoi qu'il ait voulu dire, il a écrit ce qu'il a écrit. Une fois publié un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise, et selon ses moyens, et il n'est pas sûr que le constructeur en use mieux qu'un autre. Paul Valéry, Variétés
Tout écrivain est utile ou nuisible, l'un des deux. Il est nuisible s'il écrit du fatras, s'il déforme ou falsifie pour obtenir un effet ou un scandale, s'il se conforme sans conviction à des opinions auxquelles il ne croit pas. Il est utile s'il ajoute à la lucidité du lecteur, le débarrasse de timidités ou de préjugés, lui fait voir et sentir ce que le lecteur n'aurait ni vu ni senti sans lui. Si mes livres sont lus et s'ils atteignent une personne, une seule et lui apportent une aide quelconque, ne fût-ce que pour un moment, je me considère comme utile. Marguerite Yourcenar, Les yeux ouverts
Un jour, il eut la bonne fortune de tomber sur les Mille et Une Nuits. D'abord les illustrations le captivèrent, puis il lut les histoires de magie et enfin les autres. Sans cesse, il relisait ses préférées. Il ne pouvait en détourner sa pensée. Il en oubliait tout ce qui l'entourait. Il fallait l'appeler deux ou trois fois pour le décider à venir à table. Peu à peu, il prenait l'habitude la plus exquise du monde, celle de la lecture. Sans le savoir, il se ménageait un refuge contre les tristesses de l'existence; mais il se créait aussi un monde irréel qui ferait pour lui de la réalité quotidienne une source d'amères désillusions. Somerset Maugham, Servitude humaine
Il referme toujours les pages d'un livre, de peur que la nuit non seulement les mots s'en aillent, mais aussi ce qu'ils ont à dire aux humains. Parfois il pense: le livre, c'est la maison des mots. Gérard de Cortanze, Assam
La vie d'une personne consiste en un ensemble d'événements dont le dernier pourrait encore changer le sens de tout l'ensemble, non parce qu'il compterait plus que les précédents, mais parce qu'une fois inclus dans une vie les événements se disposent en un ordre qui n'est pas chronologique mais répond à une architecture intérieure. Quelqu'un par exemple, qui lit à l'âge mûr un livre important pour lui, au point de dire: «Comment pouvais-je vivre sans l'avoir lu!» et encore: «Quel dommage que je ne l'aie pas lu quand j'étais jeune!» eh bien, ces affirmations, et surtout la seconde, n'ont pas beaucoup de sens, puisque, du moment où il a lu ce livre, sa vie devient celle de quelqu'un qui l'a lu, et peu importe qu'il l'ait lu tôt ou tard, car même la vie qui a précédé cette lecture prend maintenant dans sa forme la marque de cette lecture. Italo
Calvino, Palomar
Je me consolais avec les livres de don Raimondo, ce papier jauni qu'il
récupérait quand on voulait se débarrasser des livres. «Les gens
mettent toute une vie à remplir des étagères et les fils s'empressent
de les vider et de tout jeter. Que mettent-ils sur les étagères, des
fromages, du caciocavallo? Il suffit que vous m'enleviez ça de
là, me disent-ils. Et là se trouve la vie d'une personne, ses envies,
ses achats, ses privations, la satisfaction de voir grandir sa propre
culture centimètre par centimètre comme une plante. Erri De Luca, Le jour avant le bonheur
Elle m'a expliqué qu'un élaborateur électronique dûment programmé peut lire en quelques minutes un roman et enregistrer la liste de tous les vocables contenus dans le texte par ordre de fréquence. ― Je peux ainsi disposer d'une lecture déjà achevée, a dit Lotaria, avec une économie de temps inestimable. Qu'est-ce donc que la lecture d'un texte sinon l'enregistrement d'un certain nombre de thématiques, de certaines insistances de formes et de significations? La lecture électronique me fournit une liste des fréquences, qu'il me suffit de parcourir pour me faire une idée des problèmes que le livre propose à mon étude critique. Naturellement les fréquences les plus hautes sont associées à des listes d'articles, de pronoms, de particules, mais ce n'est pas là que j'arrête mon attention. Je vise tout de suite les mots les plus riches de signification, qui peuvent me donner une image du livre assez précise. Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Sur les rayonnages de la bibliothèque, des livres qu'il est de bon ton d'avoir chez soi, mais qu'il n'a pour la plupart, pas lus. Il y a longtemps qu'il a perdu l'amour des mots, des récits, des poèmes; la lecture d'articles, de flashs d'information et à l'occasion de quelque roman médiocre ne nécessitant aucun travail d'attention et de réflexion lui suffit. Sylvie Germain, Le vent reprend ses tours
À l'époque, il m'avait fallu quelques mois pour réaliser quel étrange phénomène s'était produit à mon insu dans mon esprit, me détournant subitement des livres, de tous les livres. Cela ressemblait à un envoûtement. Ou plutôt: à un désenvoûtement. D'un seul coup, et sans que je puisse dire ni comment ni pourquoi, avait cessé d'opérer sur moi le charme qui en général agit si puissamment sur les cerveaux et leur rend indispensable leur dose quotidienne de pensée, de fiction. Un matin, je m'étais planté devant ma bibliothèque, y cherchant mécaniquement quelque chose à lire, et m'étais demandé à quoi rimait toute cette masse de papier sur laquelle depuis, sans plus y toucher, j'avais laissé pleuvoir la poussière. Tous les livres m'avaient paru vains. Je ne voyais plus ce qu'ils auraient eu à me dire. Philippe Forest, Crue
Dans vingt ans les gens ne liront plus. C'est comme ça. Ils seront trop occupés à faire les zozos sur leurs téléphones portables. Vous savez, Goldman, l'édition c'est fini. Les enfants de vos enfants regarderont les livres avec la même curiosité que nous regardons les hiéroglyphes des pharaons. Ils vous diront: «Grand-père, à quoi servaient les livres?» et vous leur répondrez: «À rêver. Ou à couper des arbres, je ne sais plus.» Joël Dicker, Le Livre des Baltimore
Parfois elle pense que si un jour elle a des enfants, elle les appellera par les prénoms des écrivains qu'elle aime, parce qu'ils lui ont si souvent donné la force de tenir quand la méchanceté autour d'elle se faisait trop violente, quand elle sentait qu'elle allait s'effondrer, qu'elle leur doit bien ça. Laurent Mauvignier, Continuer
Un auteur qu'on aime fait autant partie d'une vie qu'un ami, qu'une femme aimés. Les rapports qu'on tisse avec lui, au fil des ans, font partie du tissu intime. Tendres, passionnés, orageux, ils varient. Invariablement, un texte de Sartre me fascine. Souvent m'irrite. Toujours m'intrigue. J'ai besoin, de temps à autre, de m'y retremper. Dans son flux intarissable de mots, dans sa jaillissante coulée. J'y puise des forces, une vertu baptismale, il me ranime. Serge Doubrovsky, Le livre brisé
Depuis l'apocalypse du 16 juin, j'ai lu deux comédies de Shakespeare, le Manuel d'Épictète et les Pensées de Marc Aurèle, Les Aventuriers de Giovanni et un polar de Chase, Eva. L'auteur décrit un sale mec dont le caractère assèche tout et crée le désert autour de lui. Ce type, c'est moi. Ma main guidée par des mouvements mystérieux, après la désintégration de mon cœur, est allée chercher dans le rayonnage les livres qu'il me fallait lire. Marc Aurèle m'a aidé. Giovanni m'a montré ce que j'aurais dû être. Chase me figure ce que je suis. Les livres sont plus secourables que la psychanalyse. Ils disent tout, mieux que la vie. Dans une cabane, mêlés à la solitude, ils forment un cocktail lytique parfait. Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie
« Qu'importe le nom de l'auteur sur la couverture? Transportons-nous en pensée d'ici à trois mille ans. Dieu sait quels livres écrits à notre époque se seront sauvés, et de quels auteurs on aura conservé le nom. Certains livres seront restés célèbres mais seront considérés comme des œuvres anonymes comme c'est le cas pour nous de L'Épopée de Gilgamesh; il y aura des auteurs dont le nom sera toujours célèbre mais dont il ne restera aucune œuvre, comme c'est arrivé à Socrate; ou ces livres seront peut-être tous attribués à un seul auteur mystérieux, comme Homère.» Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Des livres, en revanche, on en avait à profusion, les murs en étaient
tapissés, dans le couloir, la cuisine, l'entrée, sur les rebords des
fenêtres, que sais-je encore? Il y en avait des milliers, dans tous les
coins de la maison. On aurait dit que les gens allaient et venaient,
naissaient et mouraient, mais que les livres étaient éternels. Enfant,
j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un
livre: les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi.
Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en
subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur
une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue,
à Reykjavik, Valladolid ou Vancouver. Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
«J'ai compris mes limites, m'a-t-il dit. Dans la lecture, il se passe quelque chose qui échappe à mon pouvoir.» J'aurais pu lui dire qu'il s'agit là d'une limite que même la police la plus omniprésente ne peut pas dépasser. Nous pouvons empêcher de lire: mais dans le décret même qui interdit la lecture, on pourra lire quelque chose de cette vérité que nous voudrions ne jamais pouvoir être lue... Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Aujourd'hui, je délaisse les livres. La mise en garde de Nietzsche dans Ecce Homo m'a frappé: «Je l'ai vu de mes yeux: des natures douées, riches et "portées à la liberté", "crevées par la lecture" dès trente ans, devenues de simples allumettes, qu'il faut frotter pour qu'elles donnent des étincelles, des "pensées".» Lire compulsivement affranchit du souci de cheminer dans la forêt de la méditation à la recherche des clairières. Volume après volume, on se contente de reconnaître la formulation de pensées dont on mûrissait l'intuition. La lecture se réduit à la découverte de l'expression d'idées qui flottaient en soi ou bien se cantonne à la confection d'un tricot de correspondances entre les œuvres de centaines d'auteurs. Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie
...j'étais de plus en plus triste: si le lecteur saute une seule phrase de mon roman, il ne pourra rien y comprendre, et pourtant, quel est le lecteur qui ne saute pas de lignes? Ne suis-je pas moi-même le plus grand sauteur de lignes et de pages? Milan Kundera, L'immortalité
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