Le Café Littéraire 
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Plusieurs fois, l'ennemi a utilisé contre nos combattants activistes, nos agents, nos indicateurs de terrain, des armes virales d'une efficacité et discrétion parfaites qui n'avaient rien à envier à la destruction massive d'un attentat à l'explosif, de quelque forme, quelque puissance, quelque précision ― toujours aléatoire ― soit-il. Le bon vieux poison, employé depuis les racines de l'Histoire, ne faisait ni mieux ni moins bien. Il s'était doté, dans la manipulation scientifique de la gamme des virus, d'une belle et très méritoire descendance.
       Un virus.
       Son nom issu du latin signifiant précisément «poison».
       Pour bien savoir de quoi il est question, j'ai toujours eu une sainte trouille de ces minuscules natural killers ― naturels et extranaturels.
       Une manière de machine tueuse parfaite. Conception redoutable. Une entité biologique parasite qui court après son hôte, en quête d'hospitalité, pour l'infester, dévorant ses constituants pour prospérer à sa guise. Se multiplier. Propager ses néfastes habitudes jusqu'à vider son hôte de sa propre substance de vie. Bravo! Une minuscule saleté principalement disponible sous une forme extracellulaire ou intracellulaire, dormeuse ou active, détournant les capacités cellulaires pour servir et alimenter sa réplication.
       Le débat sur la nature vivante ou non des virus n'est toujours pas clos. Intéressant.

Pierre Pelot, Ailleurs sous zéro

 

En bref, les épidémies de choléra sont liées au climat, et le choléra est une maladie liée au changement climatique. Dans notre étude du cas du Tambora, la sécheresse et les inondations ― deux caractéristiques climatiques jumelles de la période 1815-1818 au Bengale ― ont créé les conditions favorables à l'émergence d'un nouveau type de choléra, avec des conséquences globales dévastatrices. Les anomalies météorologiques durables dues au réveil du Tambora ont eu un impact ― suivant les lois de la physique de la téléconnexion ― sur les processus moléculaires dans une région aussi éloignée de la baie du Bengale. Quand il fut chargé de faire un rapport sur l'épidémie de choléra de 1817 pour le Comité médical de Calcutta, James Jameson, le «père de la science du choléra», si longtemps tombé dans l'oubli, avait donc raison d'observer les ciels tourmentés au-dessus du Bengale. Grâce à ses observations très précises, nous sommes capables de reconstituer les conditions dégradées de la mousson en Asie du Sud à la suite du Tambora. Et, en nous concentrant sur l'année indienne sans mousson, nous avons un premier aperçu du monde du XIXe siècle modelé par une épidémie du choléra due au climat. La météo à la Frankenstein, sauvage et étrange, provoquée par le Tambora a créé une bombe microbienne à retardement dans les eaux du delta du Bengale. Une fois qu'elle a explosé, la vie sur terre, au moins pour les êtres humains, est devenue beaucoup plus dangereuse. 

Gillen D'Arcy Wood, L'année sans été 
(Tambora, 1816 Le volcan qui a changé le cours de l'histoire)

 

Mais la plupart mouraient en bas âge; les épidémies infantiles sévissaient dans le quartier juif; elles balayaient les enfants par centaines: les Baruch en perdirent ainsi la moitié. Leur voisin, le menuisier, consentait à clouer quelques planches en manière de cercueil en échange d'un vieux pantalon ou d'une casserole bossuée. La mère pleurait un peu, deshabillait le petit corps et le couchait dans la boîte neuve qui sentait la résine de sapin; Baruch l'emportait sous son bras jusqu'au cimetière juif, triste enclos où les tombes privées de croix se pressaient les unes contre les autres, où les fleurs ne poussaient pas. Et, bientôt, un autre enfant naissait à la place de celui qui était mort, portait ses vêtements et occupait son coin sur la vieille paillasse qui servait de lit à toute la famille; puis grandissait et s'en allait à son tour. 

Irène Némirovsky, Un enfant prodige

 

Je parlais d'«épidémie». Ce mot m'est venu tout seul. (...) Il désigne un mal qui se répand parmi les hommes, va de l'un à l'autre, les contamine selon des modes que l'intelligence n'est pas totalement incapable de comprendre mais qui conservent cependant pour elle un caractère toujours imprévisible et finalement énigmatique. Le fléau est fatal à certains. Il ne l'est pas à tous. Il frappe les uns quand il épargne les autres. Ceux qui succombent, ceux qui survivent ne savent ni les uns ni les autres pourquoi. 

Philippe Forest, Crue

 

Tu vois cette niche, au-dessus de cette porte? Avec la sculpture d'un saint à l'intérieur? Danglard dirait que c'est du XVIe siècle. 
       ―
Sûr qu'il le dirait. 
       ―
Il dirait aussi que la pierre est très usée, mais tu reconnais un chien à ses côtés. C'est saint Roch, celui qui protège de la peste. 
       ―
Sûr qu'il le dirait. Et je demanderais pour lui faire plaisir: «Pourquoi saint Roch est-il représenté avec un chien?» 
       ―
Et il t'expliquerait que saint Roch ayant attrapé la peste, il se réfugia dans une forêt pour ne contaminer personne. Mais le chien du seigneur local lui apportait chaque jour quelque nourriture volée. Et il guérit. 

Fred Vargas, Un peu plus loin sur la droite

 

Vous ne savez pas ce que c'est que du savon ? Je ne perdrai pas mon temps à vous l'apprendre, puisque c'est l'histoire de la Mort Écarlate que je suis en train de vous raconter... Vous connaissez ce qu'est une maladie. Autrefois on disait une «infection». Il était admis que les maladies provenaient de germes malfaisants. J'ai dit «germe». Retenez bien ce mot. Un germe est quelque chose de tout petit. De plus petit encore que les tiques qui s'accrochent, au printemps, au poil des chiens et à leur chair, lorsqu'ils courent dans la forêt. Oui, un germe est beaucoup plus petit, si petit qu'on ne peut le voir. Hou-Hou s'esclaffa : 
Tu es drôle, grand-père, tu nous parles de choses que l'on ne peut pas voir. Mais alors comment sait-on qu'elles existent ? Ça n'a pas de bon sens. 
Bien, très bien ! Hou-Hou, excellente question que la tienne. Apprends donc que pour voir ces choses, et bien d'autres encore, nous possédions des instruments appelés «microscopes ». Microscopes, entends-tu bien ?... Microscopes et  «ultramicroscopes». Grâce à ces instruments que nous approchions de nos yeux, les objets nous apparaissaient plus grands qu'ils ne sont en réalité. Et nous percevions ainsi ceux même dont nous ignorions l'existence. Les meilleurs de ces ultramicroscopes grossissaient un germe quarante mille fois. Quarante mille, c'est-à-dire quarante coquilles de moules, qui représentent elles- mêmes mille doigts... Puis, à l'aide d'un second instrument que nous appelions le cinématographe, oui «ci-né-ma-to-gra-phe», ces germes, déjà grossis quarante mille fois, nous apparaissaient grandis des milliers et des milliers de fois encore. Prenez un grain de sable, mes enfants! Partagez-le en dix. Puis prenez un de ces dix morceaux et brisez-le encore en dix. Puis un de ces dix partagés derechef en dix. Puis de ces dix en dix toujours. Continuez ainsi toute la journée et peut-être au coucher du soleil, aurez-vous atteint à la petitesse d'un de ces germes. (...) Dans le corps d'un seul homme, il y avait, en ce temps-là, un milliard de germes. Un milliard... une carapace de crabes, s'il vous plaît ! Ces germes nous les appelions des microbes. Des «microbes». Parfaitement. Et quand un homme en avait un milliard dans le sang, on disait qu'il était «infecté», qu'il était malade, si vous préférez. Ces microbes étaient de plusieurs espèces. Celles-ci étaient innombrables comme les grains de sable de ce rivage. Nous ne les connaissions pas toutes. Nous savions très peu de choses de ce monde invisible. Nous connaissions bien le bacillus antrhacis et encore le micrococcus, le bacterium termo et le bacterium lactis. C'est celui-ci, soit dit en passant, qui continue à faire tourner le lait de chèvre, pour en faire du fromage. Tu me suis bien, Bec-de-Lièvre. Que dirai-je des schizomicètes, dont la famille n'en finit pas ? J'en passe et des meilleurs... (...) 

Aux premiers âges du monde, lorsqu'il y avait très peu d'hommes sur la terre, il n'existait que peu de ces germes et, par suite, peu de maladies. Mais, à mesure que les hommes devenaient plus nombreux et se rassemblaient dans les grandes villes, pour y vivre tous ensemble, pressés et serrés, de nouvelles espèces de germes pénétraient dans leur corps, et des maladies inconnues apparurent, qui étaient de plus en plus terribles. C'est ainsi que, bien avant mon temps, à l'époque que l'on nomme le moyen âge, il y eut la Peste Noire qui balaya l'Europe. Puis vint la Tuberculose, la Peste Bubonique. En Afrique, il y eut la Maladie du Sommeil. Les bactériologistes s'attaquaient à toutes ces maladies et les détruisaient. Comme vous, enfants, vous éloignez les loups de vos chèvres ou écrasez les moustiques qui s'abattent sur vous. (...) 

Un bac-té-rio-lo-giste est celui qui surveille les germes, les étudie et, quand il le faut, se bat avec eux et les détruit, comme tu fais des loups. Mais, pas plus que toi, ils ne réussissent toujours. C'est ainsi qu'il y avait un mal affreux, appelé la «Lèpre». Un siècle cent ans avant ma naissance, les bactériologistes ont découvert le germe de la Lèpre. Ils le connaissaient tout à fait bien. Ils l'ont dessiné, et j'ai vu ces dessins. Ils n'ont pas trouvé pourtant le moyen de le tuer. En 1894, survint la Peste Pantoblast. Elle éclata dans un pays nommé le Brésil, et fit périr des milliers de gens. Les bactériologistes en découvrirent le germe, réussirent à le tuer, et la Peste Pantoblast n'alla pas plus loin. Ils fabriquèrent ce qu'on appelait un «sérum», un liquide qu'ils introduisaient dans le corps humain et qui détruisait le germe du pantoblast, sans tuer l'homme. En 1947, ç'avait été un mal étrange, qui s'attaquait aux enfants âgés de dix mois et au- dessous, et qui les rendait incapables de mouvoir leurs mains ni leurs pieds, de manger et de faire quoique ce fût. Les bactériologistes furent onze ans avant de trouver ce germe bizarre, de le pouvoir tuer et de sauver les bébés. En dépit de ces maladies et de leurs ravages, le monde continuait à croître, et toujours davantage les hommes se massaient dans les grandes villes. Dès 1929, un illustre savant, nommé Soldervetzsky, avait annoncé qu'une grande maladie, mille fois plus mortelle que toutes celles qui l'avaient précédée, arriverait un jour, qui tuerait les hommes par milliers et par milliards. Car la fécondité des alliances, ainsi disait-il, est sans fin... 

Jack London, Le cabaret de la dernière chance 

 

"Tant de précautions furent superflues. Le lendemain matin, la Peste fit parmi nous sa première victime : une petite nurse attachée à la famille du professeur Stout. L'heure n'était point de faire du sentiment. Espérant qu'elle était la seule atteinte, nous lui intimâmes l'ordre de s'en aller et la poussâmes dehors. Elle obéit et s'éloigna à pas lents, en se tordant les mains de désespoir et en sanglotant lamentablement. Nous n'étions pas sans ressentir toute la brutalité de notre acte. Mais qu'y faire ? Pour sauver la masse il fallait sacrifier l'individu. 

Jack London, Le cabaret de la dernière chance

 

Combien de personnes ce champignon a-t-il tué au cours de l'histoire? Impossible de la dire, mais il est probable que ce chiffre soit des milliers de fois supérieur à celui du nombre des victimes de l'amanite phalloïde. Chaque fois, les catastrophes se sont produites dans des zones où la culture du seigle était venue supplanter celle du blé. Selon différentes sources, une première épidémie d'ergotisme aurait sévi dans les États allemands en l'an 857, avant de faire, en 943, jusqu'à 40 000 victimes dans toute l'Europe, touchant particulièrement durement la France et l'Espagne. Ce fléau, qui paraissait frapper et tuer aveuglément, se vit attribuer le nom d'ignis sacer feu sacré ou de «feu de Saint-Antoine». Au Moyen Âge, la population croyait encore avoir affaire à une maladie contagieuse. Dans l'Europe du XVe siècle, quelque 370 hôpitaux ont tenté de venir en aide aux milliers de malades du feu de Saint-Antoine sans pour autant disposer, naturellement, de remède efficace. On peut particulièrement retenir l'ordre de Saint-Antoine, qui se consacrait à soigner les malheureux voués à la mort. Dans certaines régions du pourtour méditerranéen, la terreur que suscitait ces épidémies a laissé des traces dans les traditions populaires; ainsi de la Sardaigne où, jusqu'à aujourd'hui, une fête baptisée Focolare di Sant' Antonio (feu de Saint-Antoine) tâche chaque année d'éloigner maladies et autres calamités grâce à divers rites à caractère religieux. 

Robert Hofrichter, La vie secrète des champignons

 

Toute une armée d'agents pathogènes a jeté son dévolu sur les sangliers, dont quantité de virus. Ces derniers sont de très étranges êtres vivants. En sont-ils vraiment, d'ailleurs? Certains scientifiques ne comptent pas les virus parmi les espèces vivantes de cette terre parce qu'ils ne possèdent pas la moindre cellule. Et, de ce fait, il n'existe pas non plus chez eux de multiplication propre, ni, en principe, de métabolisme propre. Une enveloppe pourvue d'un plan de multiplication c'est tout. Les virus sont donc morts, en principe. Du moins tant qu'ils ne s'accrochent pas à un animal ou à une plante. Ils introduisent alors clandestinement leur plan dans l'organisme étranger, qu'ils poussent à produire des copies d'eux-mêmes par millions. Ce processus comporte régulièrement des erreurs puisque les virus sont dépourvus de mécanisme de réparation, tel celui présenté par les cellules. 
       Beaucoup d'erreurs veut toutefois dire beaucoup de variantes du virus. Qu'importe si bon nombre d'entre-elles ne donnent rien car, au milieu de tout ce rebut, il reste toujours quelque chose qui vaille. C'est ainsi que les virus, qui ont tôt fait de s'adapter à de nouvelles conditions, peuvent contaminer encore plus efficacement leurs hôtes. Les nouvelles mutations, en particulier, sont potentiellement mortelles. Théoriquement il n'est pas très judicieux de tuer la créature contaminée, car alors les possibilités de se multiplier se font plus rares. Seules les jeunes mutations commettent pareille bêtise, elles qui ne se sont pas encore assez adaptées à leur hôte pour l'utiliser sans le tuer.
       L'inverse est également vrai: une relation de longue durée entre un hôte et un virus permet au premier de s'adapter et rend la maladie relativement bénigne. La varicelle en est un triste exemple: les Européens sont aujourd'hui adaptés à cette infection considérée comme une maladie infantile, tandis que le virus apporté par les colons blancs avait fait des ravages parmi les autochtones nord-américains, tuant, de concert avec la rougeole et d'autres maladies, jusqu'à 90% des membres de certaines tribus. 

Peter Wohlleben, Le réseau secret de la nature 

 

Si les Indiens furent repoussés, ils continuèrent à nous tenailler et à menacer la ville, à telle enseigne qu'il devint nécessaire de réclamer le soutien de l'armée. Des troupes furent envoyées et leur présence procura aux habitants un sentiment de sécurité. Hélas, Ellsworth était promise à un fléau plus terrible, s'il peut s'en imaginer, que l'attaque des Peaux-Rouges. Peu après l'arrivée des soldats venus du Sud, une épidémie de choléra se déclara dans leurs rangs; elle se propagea en ville et un vent de panique se mît a souffler. Le mal fit des ravages, emportant les jeunes aussi bien que les vieillards, et de toutes conditions. 
      Mon époux succomba à son tour. Le 28 juillet 1867, un violent accès l'emporta. Au cœur des périls, je me muais en veuve solitaire et éplorée. Ma santé délicate me contraignit à fuir vers l'est, et je m'arrêtais à St George où, une semaine plus tard, mon enfant dit son entrée dans ce monde de larmes. Les habitants du lieu, affolés par le choléra, craignaient de me recevoir chez eux, aussi gagnai-je une modeste cabane aux abords de la ville, dans laquelle mon fils et moi demeurâmes seuls pendant de nombreux jours. 
      Enfin une jeune femme, Mlle Baker, eut l'extrême gentillesse de me rendre visite; elle ne craignait pas le choléra, m'affirma-t-elle, et resterait avec moi jusqu'au terme de ma quarantaine. 

Ma captivité chez les Sioux, de Fanny Kelly

 

Nous marchons dans les bois; le temps reste anormalement suave, doré, liquoreux. Une arrière-saison qui n'en finit plus... (...)
       Un grand busard passe au-dessus de la sapinière. Vol lent. Sans agitation inutile. Ni à-coups ni affolement. Un vol encore plus lisse que la peau de l'étang. Apaisant. Maîtrisé. (...) Lisa a suivi mon regard, elle dit: 
       «Hier soir, à la télévision, ils parlaient d'une nouvelle pandémie, ou plutôt d'un risque de pandémie. Pas le sras ni la grippe aviaire, non: un truc qui ne passe pas par les oiseaux. Le vecteur, ce serait des mouches. 
       ―
Des mouches? Dans ce cas, on verra plus tard. Au printemps prochain... En hiver, aucun danger! 
       En principe, oui. Mais il ne fait pas froid pour l'instant. Pas assez. J'ai tué une guêpe dans la chambre...» 
       J'avais pourtant conseillé à Lisa de ne pas regarder les informations télévisées, je lui ai même recommandé de n'allume le poste qu'après le journal du soir, juste pour la météo. Pas très obéissante la petite sœur! Heureusement que je n'ai pas le Net. 

Françoise Chandernagor, La voyageuse de nuit (Gallimard 2007)

 

France Info venait d'annoncer le premier cas de «vache folle» en Bretagne, sans attendre ils avaient abattu tout le troupeau, à la moindre vache malade dans un élevage, la nouvelle consigne était de les abattre toutes pour ne pas risquer l'épidémie. 
       Tu sais, gamin, j'aimerais pas être à ta place. Quand ce chat est mort en Angleterre il y a deux ans, je t'avais dit que ça finirait mal, eh ben tu verras, un jour les humains finiront par la choper la vache folle, un peu comme on se refile un rhume, et ce jour-là je te pris de croire que ce sera la panique... 

Serge Joncour, Nature humaine

 

Ce mode de transport des «passagers clandestins» est source de désagréments majeurs lorsque les clandestins sont des vecteurs de la peste, du choléra, du paludisme, de la grippe aviaire, de la Covid-19, etc. Dans le cas de la peste, trois acteurs sont impliqués avant d'arriver à l'Homme: la bactérie pathogène Yersinia pestis; différentes espèces de puces qui sont porteurs de la bactérie sans en être victimes; des rongeurs, notamment le rat. Les puces hébergent la bactérie et, lorsqu'elles parasitent des rongeurs, elles les contaminent par piqûre. Leurs pièces buccales pouvant héberger des bactéries actives, une puce passant de rat en rat peut en infecter plusieurs. Les rats vivant à proximité des humains vont à leur tour leur transmettre des puces et, donc, la peste. Les rats meurent rapidement de la peste, mais leur fécondité très élevée fait qu'ils restent toujours nombreux. De plus, lorsqu'un rat meurt, ses puces cherchent un autre hôte: autre rat, chien, chat ou Homme. Les Hommes se la transmettent aussi entre eux via leurs puces ou par simple contact.
       Historiquement, la navigation a été à l'origine des grandes épidémies qui ont frappé l'Europe. Dans le cas de la grande peste médiévale, ce sont des bateaux venus du Moyen-Orient et de la ville de Jaffa alors assiégée par les Turcs qui ont apporté la peste qui fera environ 40% de morts en cinq ans. Impact gigantesque: imagine-t-on aujourd'hui que la France perde plus de 25 millions d'habitants sur une période aussi courte? (...) 

La grippe espagnole de 1918-1919 qui, parmi ses victimes, compte des célébrités comme Guillaume Apollinaire ou Edmond Rostand, fournit un autre exemple su rôle des transports. Cette fois le pathogène, sans doute d'origine aviaire (canard) pourrait avoir fait son apparition dans un camp militaire du Kansas. Il a fait ses premières victimes en Amérique du Nord et, de là, il a navigué vers l'Est avec les "sammies" vers une Europe affaiblie par la guerre. Ce virus fera 40 millions de victimes, c'est-à-dire plus de morts que ceux tombés sur les fronts de la première guerre mondiale. 
(...) 

Aussi traumatisante puisse-t-elle être, la pandémie de la Covid-19 n'en reste pas moins qu'un épisode de plus dans la longue histoire des zoonoses, maladies transmises aux humains par les animaux. Environ 50% des pathogènes qui nous agressent viennent des animaux, qu'ils soient des virus, des bactéries ou des parasites. (...) Ce n'est pas le fruit du hasard. Cela tient soit d'une proximité phylogénétique avec certains animaux, proches parents d'Homo sapiens, soit de la promiscuité grandissante que nous entretenons avec d'autres animaux. Cette promiscuité s'est considérablement accrue au moment de la révolution néolithique, il y a environ 10 000 ans. C'est d'ailleurs sans doute avec la domestication du bétail que les virus de la variole et de la rougeole ont franchi la barrière d'espèce, ce dernier vers 500 avant notre ère. La consommation de viande de brousse est également à l'origine de plusieurs zoonoses, dont vraisemblablement celle de la Covid-19. Tout ce qui contribue à réduire la distance entre notre espèce et les autres est un facteur aggravant. 

Bruno David, À l'aube de la sixième extinction

 

« ...et pendant que tu dors, tous ces résidus qui recouvrent ton corps se mélangent et invitent carrément les microbes, les bacilles et même les virus à venir t'investir, sans parler de ce que la science n'a pas encore découvert, ce qu'on ne peut pas distinguer, même avec un microscope très puissant, et même si on ne les voit pas, ils se promènent toute la nuit sur toi avec leurs trillions de fines pattes poilues et répugnantes, comme celles des cafards, sauf qu'elles sont si minuscules qu'elles sont invisibles et que même les savants ne voient rien, avec leurs pattes sales et pleines de poils, ils s'infiltrent à l'intérieur de nous en passant par le nez, la bouche et par tu sais quoi, d'autant que les gens ne se lavent jamais comme il faut dans ces endroits pas jolis et qu'ils s'essuient en plus, comme si s'essuyer, c'était se laver, alors que c'est juste faire pénétrer ces matières infectées dans les millions de minuscules trous qu'on a sur la peau, de sorte que tout devient là-bas de plus en plus pourri, humide et dégoûtant, surtout que la saleté produite par notre corps à l'intérieur, jour et nuit, se mélange à la saleté du dehors qu'on attrape au contact de choses pas très hygiéniques dont on ne sait pas qui les a touchées avant vous, comme l'argent, par exemple, les journaux, les rampes d'escalier, les poignées de portes ou même la nourriture qu'on achète, qui sait si quelqu'un ne vient pas juste d'éternuer sur quelque chose que tu as pris, ou si, tu m'excuseras, il ne s'est pas mouché et que quelque chose est tombé sur les papiers de bonbons que tu ramasses dans la rue et que tu mets sur ton lit où tu dors juste après, sans parler de ta collection de bouchons de bouteilles que tu déniches dans les poubelles, et le maïs que ta mère, qu'elle reste en bonne santé, t'achète chez ce type qui ne s'est peut-être pas lavé ni essuyé les mains après avoir fait tu sais quoi, excuse-moi, et comment savoir s'il n'est pas malade? S'il n'a pas par hasard la tuberculose, le choléra, la typhoïde ou la dysenterie? Ou un abcès, une infection intestinale, de l'eczéma, un psoriasis, c'est une sorte de lèpre, ou un ulcère? Et s'il n'était pas juif? Tu sais le nombre de maladies qu'il y a ici? Combien d'épidémies levantines? Et je ne parle que de celles qui sont connues, pas de celles qu'on ne connaît pas encore et que même les savants ignorent, ici, au Levant, les gens meurent tous les jours comme des mouches à cause d'un parasite, d'un bacille, d'un microbe ou de toutes sortes de minuscules vers que les docteurs ne connaissent même pas, surtout dans ce pays où il fait si chaud et qui est infesté de mouches, de moustiques, d'insectes, de fourmis, de cafards, d'acariens et de je ne sais quoi, et puis les gens ici transpirent sans arrêt et se frottent les uns aux autres avec leurs infections purulentes, leur sueur et tous les liquides qui sortent de leur corps, heureusement qu'à ton âge, tu ignores de quoi il s'agit, et chacun peut asperger quelqu'un sans que la personne s'en aperçoive tellement c'est la cohue ici, il suffit d'un simple serrement de main pour vous contaminer, et rien qu'en respirant l'air où quelqu'un d'autre vient de rejeter par les poumons des microbes et des bacilles de la teigne, tu trachome ou de la bilharziose. 

Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres

 

Une maison en pierres, dont les vitres étaient à moitié brisées, et entourée des restes d'une palissade, portait le nom d'hôpital. Quelques soldats, dont les membres étaient entourés de linge, pâles et bouffis, assis ou errants, se chauffaient au soleil. 
       À peine entré, Rostow fut saisi à la gorge par l'odeur de pharmacie et en même temps de décomposition qui y régnait. Il rencontra sur l'escalier un médecin militaire russe, un cigare à la bouche, accompagné d'un chirurgien : 
       « Je ne puis pas me fendre en deux, disait le premier, je t'attendrai ce soir chez Makar Alexéïévitch. Fais ce que tu pourras ! N'est-ce pas la même chose ? 
       Qui demandez-vous, Votre Noblesse ? dit le docteur à Rostow, pourquoi venez-vous ici chercher le typhus, quand vous avez échappé aux balles ?… C'est ici la maison des pestiférés ! 
       ―
Comment ? demanda Rostow. 
       ―
Le typhus est terrible ; qui entre ici est mort. Nous y avons résisté, Makéïew et moi, ajouta-t-il en montrant son collègue : cinq de nos confrères y ont succombé. Une semaine après l'entrée d'un nouveau…, et c'est fini. 

Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix - Tome I

 

Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Il savait que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, viendrait un jour où la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. 

Le docteur regardait toujours par la fenêtre. D'un côté de la vitre, le ciel frais du printemps, et de l'autre côté le mot qui résonnait encore dans la pièce: la peste. Le mot ne contenait pas seulement ce que la science voulait bien y mettre, mais une longue suite d'images extraordinaires qui ne s'accordaient pas avec cette ville jaune et grise, modérément animée à cette heure, bourdonnante plutôt que bruyante, heureuse en somme, s'il est possible qu'on puisse être à la fois heureux et morne. Et une tranquillité si pacifique et si indifférente niait presque sans effort les vieilles images du fléau, Athènes empestée et désertée par les oiseaux, les villes chinoises remplies d'agonisants silencieux, les bagnards de Marseille empilant dans des trous les corps dégoulinants, la construction en Provence du grand mur qui devait arrêter le vent furieux de la peste, Jaffa et ses hideux mendiants, les lits humides et pourris collés à la terre battue de l'hôpital de Constantinople, les malades tirés avec des crochets, le carnaval des médecins masqués pendant la Peste noire, les accouplements des vivants dans les cimetières de Milan, les charrettes de morts dans Londres épouvanté, et les jours et les nuits remplis, partout et toujours, du cri interminable des hommes. 

Albert Camus, La Peste

 

Bien des années avant et après l'époque où se passe cette dramatique histoire, toute l'Angleterre, mais plus particulièrement la métropole, retentissait périodiquement du cri sinistre: «La Peste!» La Cité était en grande partie dépeuplée, ― et, dans ces horribles quartiers avoisinant la Tamise, parmi ces ruelles et ces passages noirs, étroits et immondes, que le Démon de la Peste avait choisis, supposait-on alors, pour le lieu de sa nativité, on ne pouvait rencontrer, se pavanant, à l'aise, que l'Effroi, la Terreur et la Superstition.

Edgar Allan Poe, Le roi peste 
(dans Nouvelles histoires extraordinaires)

 

      Le pain ne montait plus, dans les greniers les fruits pourrissaient, les châtaignes se vérolaient, la farine grouillait de charançons, dans les basses-cours les lapins rechignaient à copuler, les poules à pondre et même les petits d'homme renonçaient à vivre. Ceux qui osaient se présenter à décembre ne survivaient pas au premier souffle, tandis qu'une fièvre retorse emportait les nourrissons de l'automne dans de grandes diarrhées. 
       À la Saint-Jean l'Apôtre, huit femmes étaient mortes en couches. L'épidémie gagnait en appétit, s'attaquant aux gamins et aux vieillards. Les fossoyeurs ne savaient plus ou donner de la pelle. (...) 
       On se méfiait des puits et des rivières, surtout celle du Loup où on avait vu un cadavre flotter. Au coin des âtres, les commères parlaient d'empoisonnement et, dans le secret des lits, certains gaillards qui tentaient en vain d'honorer régulières ou tarifées craignaient d'avoir l'aiguillette nouée par un mauvais sort. D'un bout à l'autre de la région, on finit par crier à l'envoûtement. 

Yannick Grannec, Les simples

 

Paris a effacé de sa mémoire l'histoire de sa dernière peste. Pourtant l'ultime épidémie qui frappa la capitale ne remonte qu'à 1920. Partie de Chine en 1894, la troisième pandémie pesteuse dévasta les Indes en y causant la mort de douze millions d'hommes et atteignit l'Europe occidentale dans tous les ports, à Lisbonne, à Londres, à Porto, à Hambourg, à Barcelone... et à Paris, par une péniche venue du Havre et vidant ses cales sur les berges de Levallois. Comme partout en Europe, la maladie fit heureusement long feu et déclina en quelques années. Elle toucha néanmoins quatre-vingt-seize personnes, principalement dans les banlieues nord et est de la ville, parmi les populations misérables des chiffonniers logeant dans des baraquements insalubres. La contagion se glissa même intra muros et fit une vingtaine de victimes au cœur de la ville.
      Or, durant le temps que dura cette épidémie, le gouvernement français la garda secrète. On vaccina les populations exposées sans que la presse fût informée du véritable objet de ces mesures exceptionnelles. Le Service des épidémies de la Préfecture de police, dans une série de notes internes, insista sur la nécessité de cacher le mal à la population, mal qu'elle nomma pudiquement «la maladie n°9».

Fred Vargas, Pars vite et reviens tard

 

      Il était rédigé dans le style emphatique que les édiles employaient pour parler des affaires de la ville:"...Plus inquiétante encore apparaît la situation aux écoles de filles et maternelles du 47 de la rue d'Ortignies, y lisait-on notamment. Les rongeurs délaissant leurs abris souterrains grimpent jusqu'au troisième étage et quelquefois se promènent dans la cour, semant l'effroi parmi les enfants et jetant l'alarme parmi le personnel enseignant, inquiet, à juste titre, à l'idée que l'un d'entre ces rongeurs ne véhicule la peste, le typhus, la fièvre typhoïde, la rage ou la spirochétose. 

Pierre Gascar, Gaston (dans: Les bêtes)

 

      «Vous monsieur, vous restez; vous n'avez pas peur du mal.» «Du mal?» répéta Aschenbach en le regardant. 
      (...)
      Mais tandis qu'il prenait le thé, assis à une petite table ronde du côté ombragé de la place, il flaira subitement dans l'air un arôme particulier, qu'il lui semblait maintenant avoir déjà vaguement senti depuis quelques jours sans en prendre conscience, une odeur pharmaceutique douceâtre, évoquant la misère, les plaies et une hygiène suspecte. Il l'analysa et la reconnut; tout pensif, il acheva son goûter et quitta la place par le côté opposé au temple. Dans la ruelle étroite l'odeur s'accentuait. Aux coins des rues étaient collées des affiches imprimées, où les autorités engageaient paternellement la population à s'abstenir, en raison de certaines affections du système gastrique, toujours fréquentes pas ces temps de chaleur, de consommer des huîtres et des moules, et à se méfier de l'eau des canaux. La vérité était un peu fardée dans l'avis officiel; c'était évident. Des groupes silencieux étaient rassemblés sur les ponts et les places, et l'étranger se mêlait à eux, quêtant et soucieux.

Thomas Mann, La mort à Venise

 

      Cependant cette année-là ― on était à la mi-mai ― en un seul jour les terribles vibrions furent découverts dans les cadavres décharnés et noircis d'un batelier et d'une marchande des quatre-saisons. On dissimula les deux cas. Mais la semaine suivante il y en eut dix, il y en eut vingt, trente, et cela dans différents quartiers. Un habitant des provinces autrichiennes, venu pour quelques jours à Venise en partie de plaisir, mourut en rentrant dans sa petite ville d'une mort sur laquelle il n'y avait pas à se tromper, et c'est ainsi que les premiers bruits de l'épidémie qui avait éclaté dans la cité des lagunes parvinrent aux journaux allemands. L'édilité de Venise fit répondre que les conditions sanitaires de la ville n'avaient jamais été meilleures et prit des mesures de première nécessité pour lutter contre l'épidémie. Mais sans doute les vivres, légumes, viande, lait, étaient-ils contaminés, car quoique l'on démentît ou que l'on arrangeât les nouvelles, le mal gagnait du terrain; on mourait dans les étroites ruelles, et une chaleur précoce qui attiédissait l'eau des canaux favorisait la contagion. Il semblait que l'on assistât à une recrudescence du fléau, et que les miasmes redoublassent de ténacité et de virulence. Les cas de guérison étaient rares; quatre-vingt pour cent de ceux qui étaient touchés mouraient d'une mort horrible, car le mal se montrait d'une violence extrême, et nombreuses étaient les apparitions de sa forme sèche. Dans ce cas, le corps était impuissant à évacuer les sérosités que les vaisseaux sanguins laissaient filtrer en masse. En quelques heures le malade se desséchait et son sang devenu poisseux l'étouffait. Il agonisait dans les convulsions et les râles.

Thomas Mann, La mort à Venise

 

    Un tambour funèbre se mit à rouler lentement mais violemment au fond d'une de ces rues qui débouchaient sur la place. C'était le tombereau qui roulait sur les pavés. Un homme vêtu d'une longue chemise blanche menait le cheval par la bride. Deux autres hommes blancs marchaient à côté des roues. Ils s'arrêtèrent devant une maison. Les hommes blancs en ressortirent presque tout de suite en portant un cadavre qu'ils firent passer par-dessus les ridelles. Ils rentrèrent trois fois dans cette maison-là. La troisième fois ils sortirent le cadavre d'une grosse femme qui leur donna beaucoup de mal; enfin elle passa par dessus la ridelle en découvrant d'énormes cuisses blanches.
      Sur la place, les hommes ramassèrent les morts, puis le tombereau roula son tambour dans les ruelles pendant longtemps,avec des haltes et de nouveau des roulements et des haltes. Brusquement, Angélo s'aperçut qu'on ne l'entendait plus. Il ne restait que le grondement exaspéré des mouches et le bruit de la fontaine.

Jean Giono, Le hussard sur le toit

 

      La fin de la canicule amena les premiers fiévreux à San Lazaro, et les en fit aussi sortir. Comme la marée montante, l'épidémie se propageait. Elle menaçait d'envahir tout l'établissement. La grande nef de l'église se remplit. Il n'y avait plus de lits. On coucha les malades en rang sur des couvertures de coton étendues sur le sol. Puis les couvertures manquèrent: on les aligna sur le sol. Un millier de fois, dans quelque direction qu'il se tournât, Anthony voyait se répéter la scène de l'Ariostatica. Le spectacle qu'il avait sous les yeux ne pouvait se décrire à aucune échelle. Aucune, sauf celle de la nature et de la destinée humaines.
      Une troupe de religieuses dévouées, des prêtres, des confréries d'infirmiers laïques, cachant leur dévouement sous des capuchons, firent leur apparition et essayèrent de donner tous les secours physiques et spirituels en leur pouvoir. Il les vit, eux aussi, tomber frappés par la maladie et être emportés de la prison. D'autres prirent leur place. Il partagea leur labeur nuit et jour, comme les gardiens eux-mêmes le firent. Il s'étendait et s'endormait, épuisé de fatigue pour se relever et continuer son œuvre, ses services étaient acceptés sans commentaires. Il comprenait maintenant que le docteur Lopez était un homme sublime, bien que sa science n'empêchât personne de mourir.

Hervey Allen, Anthony Adverse

 

      Le virus de la grippe qui a touché ton "paisible retraité" n'a encore jamais été décrit chez l'homme (...). Cela signifie donc, outre l'énigme concernant son origine, que nous sommes probablement devant un risque d'épidémie sans précédent!
      Mais nous ne disposons pas d'un stock de vaccins? Si tes analyses sont exactes, il n'y a qu'à en fabriquer un nombre suffisant, voilà tout.
      ― Tu n'y es pas du tout, Cécile. On dispose effectivement d'un stock de vaccins plus ou moins préfabriqués, mais uniquement pour les virus ayant déjà touché l'homme. Cela concerne donc les sous-types antigéniques H1, H2, H3 et H5. Mais en aucun cas le sous-type H4, qui n'a jamais donné lieu à une quelconque épidémie. 
      (...)
     ― Et pourtant, c'est vrai. L'un des dernier congrès internationaux sur la grippe classait d'ailleurs la Bretagne comme une région à très haut risque de survenue d'une pandémie par le passage du virus du porc à l'homme. Mais par contre, Paris ne fait absolument pas partie des zones à risque. Ce qui m'amène à formuler l'hypothèse suivante: le virus que j'ai identifié ne peut provenir que d'un laboratoire comme le nôtre. Ce qui signifie soit une fuite accidentelle, soit, comme tu disais tout à l'heure, une fuite volontaire, donc un vol. Mais il reste tout de même une dernière hypothèse.
      ― Ah oui, et laquelle?
      ― Celle de l'introduction d'une arme bactériologique d'un nouveau type en plein Paris! En clair, nous sommes peut-être devant les prémices d'une attaque bioterroriste!

Benoît Coulon, Hiver noir (février 2003)

 

      À chaque atteinte de peste, expliqua Marc, la terreur était telle qu'on cherchait, hormis Dieu, les comètes et l'infection de l'air qu'on ne pouvait pas châtier; des responsables terrestres à punir. On cherchait les semeurs de peste. On accusait des types de répandre le fléau à l'aide d'onguents, de graisses et de préparations diverses qu'ils étalaient sur les sonnettes, les serrures, les rampes, les façades. Un pauvre gars qui posait imprudemment la main sur une bâtisse risquait mille morts. On a pendu des tas de gens. On les a appelés les semeurs, les graisseurs, les engraisseurs, sans jamais se demander une seule fois dans toute l'histoire de l'homme l'intérêt qu'aurait eu un gars à faire ce genre de boulot.

Fred Vargas, Pars vite et reviens tard

 

      «Et si je lui avais porté moi-même la contagion!» Ce moi-même le glaça de terreur. Il répondait toujours aux générosités les plus minuscules par des débauches de générosité. L'idée d'avoir sans doute porté la mort à cette jeune femme si courageuse et si belle, et qui lui avait fait du thé, lui était insupportable. «J'ai fréquenté; non seulement j'ai fréquenté, mais j'ai touché, j'ai soigné des cholériques. Je suis certainement couvert de miasmes qui ne m'attaquent pas, ou peut-être ne m'attaquent pas encore, mais peuvent attaquer et faire mourir cette femme. elle se tenait fort sagement à l'abri, enfermée dans sa maison et j'ai forcé sa porte, elle m'a reçu noblement et elle mourra peut-être de cette noblesse, de ce dévouement dont j'ai eu le bénéfice.»
      Il était atterré.

Jean Giono, Le hussard sur le toit

 

      Elle saisit le marteau et frappa violemment, en même temps qu'elle donnait de toutes ses forces des coups de pied dans le bas de la porte. La porte ne bougea pas.(...) Elle s'adossa au mur et attendit.
      Il y eut des pas dans le jardin. Elle écouta le bruit croître en netteté  et en volume jusqu'à la porte. Sans même tourner la tête, elle attendit de la voir s'ouvrir; mais elle ne s'ouvrit pas.
      Qui est là? dit en français une voix de femme.
      (...) Kit rassembla toutes ses forces pour crier:
      ― Vous êtes la propriétaire?
       Il y eut un court silence; puis la femme, avec un accent corse ou italien, commença sur un ton suppliant:
     
Ah! madame, allez-vous-en, je vous en supplie!... Vous ne pouvez pas entrer ici! Je regrette! C'est inutile d'insister. Je ne peux pas vous laisser entrer! Personne n'est entré ou sorti de l'hôtel depuis une semaine. C'est désolant, mais vous ne pouvez pas entrer!
     
― Mais, madame, cria Kit qui sanglotait presque, mon mari est malade!
     
Aïe!
      La femme avait poussé un cri aigu et Kit eut l'impression qu'elle avait reculé de plusieurs pas; sa voix, plus lointaine, le confirma.
     
Ah! mon Dieu! Allez-vous-en! Je ne peux rien pour vous!
     
― Mais où? hurla kit. Où puis-je aller?
      La femme s'éloignait. Elle s'arrêta pour crier.
     
― Loin d'El Ga'a! Quittez la ville! N'espérez pas que je vous laisse entrer! Jusqu'ici, à l'hôtel, nous n'avons pas été touchés par l'épidémie.
      (...)
     
― Madame, qu'elle épidémie?
      La voix venait maintenant de très loin:
     
― Mais, la méningite. Vous ne saviez pas? Mais oui, madame! Partez! Partez!

Paul Bowles, Un thé au Sahara

 

      Seule une épidémie à bord permettait de passer outre à toute obligation. On déclarait la quarantaine, on hissait le pavillon jaune et on levait l'ancre d'urgence. Le capitaine l'avait souvent fait à cause des nombreux cas de choléra qui se présentaient aux abords du fleuve, bien que par la suite les autorités sanitaires eussent obligé les médecins à signer des certificats de dysenterie. De surcroît, on avait souvent, dans l'histoire du fleuve, hissé le pavillon jaune de la peste pour frauder des impôts, ou éviter d'embarquer un passager indésirable, ou encore pour empêcher les perquisitions gênantes. Sous la table, Florentino Ariza chercha la main de Fermina Daza.
      «Eh bien ! dit-il, faisons cela.»

Gabriel García Márquez, L'amour aux temps du choléra

 

      Cependant la batterium choli entre en Europe, elle vient d'Orient et trouve une voie facile avec les nouveaux bateaux à vapeur, les nouvelles routes ouvertes au progrès du commerce. On sait que, de Milan, deux étudiants chercheurs de renom sont partis pour vérifier le phénomène dans les provinces infectées de l'Empire des Habsbourg, mais le mot choléra n'est pas de ceux qui effraient le Sacarlott, bien plus préoccupé de la peste de ses poulets, poules et chapons qui se plient en deux comme pour se vider. Et tandis qu'il observe le Gerumin soulever une poule qui, du bec, perd une bouillie blanche, il rappelle Gioacchino parce qu'il ne veut pas qu'il touche aucune de ces bêtes malades, craignant que quelque chose puisse menacer la santé de son dernier fils.
      (...)
      Les deux fameux cliniciens partis de Milan pour étudier le choléra sont revenus depuis longtemps et ils n'ont pas conclu grand chose de leur long séjour dans la province de l'Empire Habsbourgeois. Si l'épidémie de scarlatine ou du mal de la pelade semble pire, elle n'épouvante certes pas comme la peste apportée par des rats qui se nichent dans les cales et la nuit débouchent des recoins, se laissent tomber mollement dans les dépôts de blé. Ou bien rampent le long des murs s'insinuant furtivement entre deux volets disjoints. Cette fois c'est un vibrion qui voyage dans le ventre des soldats comme dans celui de ceux qui transportent l'orge et le millet et navigue dans les ruisseaux, dans les fossés, dans les canaux. Il est aux abreuvoirs des bêtes et aux fontaines des places. Il ne craint pas la pluie ou le gel, même pas la chaleur, la plus étouffante.
      La première à mourir fut la sœur de la Gonda, elle avait soixante-dix ans et personne n'en fit cas. Puis ce fut le tour de la sœur du Prêtre, celle qui avait donné des leçons de peinture à la Bastianina. Quand moururent le premier cousin du Tambiss et la nièce du Gerumin, une fillette de douze ans, tous furent pris de panique. Il faisait déjà froid et le son de la Tribundita perforait l'air gelé et blanc, au service religieux à l'église il n'y avait presque personne, les gens avaient peur de s'agenouiller dans les bancs où le dimanche précédent se trouvait encore la fillette avec ses tresses attachées par un ruban.
      Le jour où la Louison s'alita avec la diarrhée et des vomissements, le Sacarlott tint un conseil de famille. Lui, ne pouvait pas laisser la terre, dit-il, mais au cas où il mourrait, quelqu'un devait rester sauf pour continuer à l'exploiter. Luìs était trop jeune et sur Gavriel on ne pouvait pas compter, alors il n'y avait pas d'autre choix, la Maria devait partir accompagnée de la Bastianina que les sœurs du collège avaient renvoyée à la maison; en ce qui concernait la Fantine, elle déciderait elle-même du lieu où elle préférait être. Se séparer de sa femme, ajouta-t-il, l'avertissait d'un malheur mais on ne pouvait pas faire autrement, la Maria avait déjà tenu la terre une fois et pourrait le faire à nouveau et mieux qu'autrefois. Le meilleur endroit, dit-il encore, était la maison du Mandrognin à Lu. Guère plus qu'une étable, mais Lu était en altitude et le vent balayait l'air, la pluie nettoyait les routes en pente et la maison, la dernière en hauteur, était si perchée qu'il n'y venait jamais personne.

Rosetta Loy, Les routes de poussière

 

La peste est comme un orage d'été. Elle s'abat, elle sévit, elle passe. Elle cessa à Forcalquier comme elle était venue. Elle n'avait atteint que l'espèce humaine. Sans maître et sans gouvernance, les troupeaux erraient en perdition, vite récupérés par d'honnêtes gens que les scrupules n'avaient plus besoin d'étouffer. Il était mort la même proportion de notaires et d'hommes de loi que du reste de la population. Le peu qu'il en restait surchargé de besogne ne suffisait plus au maintien des héritages, des lois et coutumes, des partages, du cadastre lui-même où des êtres véhéments qui criaient plus fort que les autres à l'injustice, ou qui portaient une épée au côté, venaient se tailler la part du lion.  

Pierre Magnan, Chronique d'un château hanté

 

Les ruelles tortueuses souvent des chemins de terre sont pleines de recoins et la lumière du jour entre peu dans les logements. Là aussi, les bousculades, la vie intense, les conflits entre marchands et les jurons, les coups, les larcins, les ordures jetées des fenêtres, l'embouteillage et les cris des cochers, les mules et les charrettes tirées à bras. Il règne ici une épidémie de variole. Pour s'en protéger, beaucoup ne respirent plus qu'à travers des éponges trempées de sauge et de genièvre mais Montespan va. Les mains dans les poches. Qu'est-ce que ça peut lui faire la variole?... Il pleut. Les rues deviennent un cloaque de boue. Une catin maigre qui s'usait en courses libertines se met à l'abri sous un porche près de la vitrine d'un cabaret-bordel. À Louis qui l'examine sous l'ondée, elle coule un drôle de regard. 
       Une curieuse idée arrive à la tête du marquis. (...) 
       ―
Donne-moi la syphilis, la vérole, j'irai ensuite violer ma femme pour qu'elle gâte le roi à son tour. 

Jean Teulé, Le Montespan

 

Par Éléonore Tournier :
       Savez-vous quel village haut-saônois abrite un cimetière de pestiférés ?
Le cimetière, composé de deux pierres tombales datant de 1637, rappelle le dernier épisode de peste bubonique qui a sévi en Franche-Comté entre 1635 et 1640.

Une croix et deux stèles cachées en pleine forêt : c’est ce qui reste du cimetière des pestiférés de Bouligney. Un des rares encore existants. Les sépultures en pierre gravée rappellent le dernier épisode de peste qui a sévi en Franche-Comté, entre 1635 et 1640, en pleine guerre de dix ans. À cette époque, le virus se répand au gré des déplacements des soldats, favorisé par l’indigence et la grande pauvreté dans laquelle vivent les habitants.

Pour éviter la propagation de l’épidémie, des petites cabanes sont construites à l’orée du bois pour accueillir les pestiférés, à environ 2 km de Bouligney. Le choix du lieu est stratégique : proche d’un point d’eau et pas trop éloigné du village pour que l’on puisse venir nourrir les malades. Sur les stèles, on devine le nom de famille Sébille et une date : 1637. Une année particulièrement meurtrière.

À Bouligney, 80 % de la population est emportée par l’épidémie. À Héricourt, la peste fait 590 morts sur 760 habitants dont 249 au cours des seuls mois de juillet et août 1635. À Morey, en 1636, 700 habitants périssent sur les 900 que compte la commune.

À cette époque, on prie les saints antipesteux : saint Sébastien, sainte Anne et tout particulièrement saint Roch, patron des pestiférés. L’imagerie populaire et la statuaire le montrent tenant son bâton de pèlerin et dévoilant le charbon pesteux de son genou. Des confréries sont fondées, à Luxeuil en particulier. Le village de Mailley, qui conserve dans son église un reliquaire de saint Roch, reçoit la visite de nombreux pèlerins.  

Avant 1635, la Haute-Saône avait déjà été touchée par des épidémies de peste noire. Trois siècles plus tôt, en 1348, le virus se propage à Vesoul ainsi que dans plusieurs villages aux alentours. La croyance se répand que la maladie est due aux fontaines contaminées. Dans toute la région, on accuse les Juifs d’avoir contaminé les puits. À Belonchamp, en 1349, on érige La Croix de la Peste, haute croix en pierre, afin de protéger le village.  

Près de 400 ans après la dernière épidémie de peste, à Bouligney, des descendants continuent toujours d’entretenir les tombes des pestiférés, classées monuments historiques depuis 2009.  

 

Une grande épidémie sévit en secret, qui explique tout, des plus grand événements jusqu'aux plus petits. Elle fait partout et toujours s'en aller la figure du monde. Elle ravit les individus les uns après les autres, les enlève à la réalité et, en leur lieu et place, fait s'étendre un grand vide qui est le dernier mot du monde où se précipite toute l'énergie aveugle et dévastatrice qu'il recèle en son sein.

Philippe Forest, Crue

 

 

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