Le Café Littéraire / le thé
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Je ne pose pas le bol, mais l'approche directement de mes lèvres. Savourer ce breuvage épais, sucré, maintenu à la température qui convient, et dense, en le gardant sur la langue, goutte à goutte, c'est un acte éminemment poétique pour tout homme de goût. Les gens ordinaires croient que le thé est à boire, mais c'est une erreur. Quand la goutte se pose sur le bout de la langue et que l'élément pur se disperse dans les quatre directions, il n'y a pratiquement plus de liquide qui puisse descendre dans la gorge. C'est seulement un délicieux parfum qui s'achemine vers l'estomac. Natsume Soseki, Oreiller d'herbes
Il
aimait la pénombre que développe le thé dans son monde chaud et
liquide. Pascal Quignard, Les ombres errantes
Kursiong est en plein pays du thé. Tous les versants des montagnes sont couverts à perte de vue par des plantations qui feraient songer aux coteaux du Rhin et de la Moselle si le misérable arbuste à thé, étriqué par les procédés industriels, pouvait rivaliser d'élégance avec les larges pampres de nos vignobles. Le thé, qu'on trouve à l'état sauvage dans la province voisine de l'Assam, prospère ici aussi bien qu'en Chine ; il y fleurit même jusqu'à 5500 pieds d'altitude, mais ce sont les plantations situées au-dessous de 3000 pieds qui passent pour donner le meilleur rapport. Ajoutons que l'abondance des pluies sur les flancs méridionaux de l'Himalaya rend toute irrigation superflue, en même temps que la pente du terrain empêche l'accumulation des eaux. Inde et Himalaya, Souvenirs de voyage, 1880, du Comte Goblet d'Alviella.
... tous les dimanches, j'allais au bord d'un étang à lotus en banlieue de Hanoï, où il y avait toujours deux ou trois femmes au dos arqué, aux mains tremblantes, qui, assises dans le fond d'une barque ronde, se déplaçaient sur l'eau à l'aide d'une perche pour placer des feuilles de thé à l'intérieur des feuilles de lotus ouvertes. Elles y retournaient le jour suivant pour les recueillir, une à une, avant que les pétales se fanent, après que les feuilles emprisonnées avaient absorbé le parfum des pistils pendant la nuit. Elles me disaient que chaque feuille de thé conservait ainsi l'âme de ces fleurs éphémères. Kim Thuy, Ru N.B : le lotus est en Asie une fleur sacrée, symbole entre autres de pureté, d'élévation spirituelle (car elle s'épanouit au-dessus des eaux boueuses, sur une tige, contrairement au nénuphar qui flotte sur l'eau). Fleur nationale du Vietnam, elle est associée au Bouddha.
«Les théiers poussent principalement dans les régions soumises à la mousson, ou à de fortes pluies suivies de périodes sèches», précisait Cornelius Overcamp-Etmüller, qui racontait aussi comment le thé était venu aux hommes. Inventeur de la médecine, l'empereur Chen Nung avait ordonné à tous ses sujets de faire bouillir l'eau avant de la boire. Un jour de grande chaleur, l'empereur qui se reposait à l'ombre d'un arbre sauvage eut soif. Il fit bouillir de l'eau, lorsqu'une brise légère détacha de l'arbre quelques feuilles qui vinrent se poser délicatement sur l'eau frémissante. Chen Nung porta le bol à ses lèvres. L'eau, devenue infusion, avait un goût étrange et merveilleux. Cela se passait en 2737 avant Jésus-Christ: l'empereur Chen Nung venait de créer le thé... Gérard de Cortanze, Assam
Je me trouvais à présent aux environs de Fokien, cette vaste région de thé noir. Je remarquais une grande quantité de plantations de thé, généralement au pied des collines et aussi dans les jardins des villageois. Vers les dix heures du matin, nous arrivâmes à Tsong-gan-hien, grande ville située au centre même du pays qui produit le thé noir, (…). La ville abonde de grands tcabongs, dans lesquels les thés noirs sont triés et empaquetés pour les marchands étrangers. Tous les coolies que j'avais croisés lors de mon voyage dans la montagne venaient se charger ici. Des marchands de thé de toutes les régions de Chine où l'on consomme ou exporte ce produit viennent ici faire leurs achats de thé et organiser son transport. La
route du thé et des fleurs, 1852, de Robert Fortune.
Car ce n'était pas mon corps qui souffrait dans les plantations de thé, sous le brouillard matinal, ou à la chaleur cuisante de midi; ce n'était pas ma main que brûlaient les plaques de fer rougies, sur lesquelles on sèche les feuilles de thé; ce n'étaient pas mes doigts qui s'écorchaient en embraquant les bras des vergues du voilier pour lui donner plus de vitesse. Les coolies affamés des plantations de thé, le matelot brisé de fatigue pendant son quart, ne surent jamais qu'ils contribuaient à l'acquisition de ce million de livres. Pour eux existaient seulement les minutes de souffrance, les doigts endoloris, les rafales de grêle qui leur fouettaient le visage et les misérables pièces de cuivre de leurs gages. L'éternelle histoire, de Karen Blixen (dans Le dîner de Babette)
Aïn Krorfa commençait à sortir de sa léthargie quotidienne. Derrière
le fort, élevé près de la mosquée sur une haute colline rocheuse en
plein centre de la ville, les rues perdaient leur caractère géométrique
et l'on y retrouvait les vestiges de l'ancien quartier indigène. Dans les
boutiques dont les mauvaises lampes crachotaient par saccades, dans les
cafés ouverts où flottait la fumée du haschisch, et même dans la
poussière des chemins bordés de palmiers, des hommes accroupis
entretenaient de petits feux, chauffaient de l'eau dans des récipients de
fer blanc, faisaient leur thé, buvaient. Un thé au Sahara, de Paul Bowles
Khadoui vient me voir tous les jours. Nous avons pris nos habitudes: nous nous installons derrière le fort, sous un acacia. Il allume le feu, prépare le thé: il lui faut deux théières, deux verres, du sucre en abondance. Il hume, mesure au creux de la main les feuilles et le sucre, joue de l'eau chaude et de l'eau froide, transvase la décoction au moins vingt-cinq fois entre les théières et les verres, enfin goûte avec de grands bruits de langue, remplit les verres de très haut, sans rien laisser échapper, et me tend le mien, plein à ras bord d'un liquide mousseux et ambré comme de l'urine. Il m'a dit: «Le thé, c'est l'absinthe des Touareg», façon de me faire savoir qu'il connaît les mœurs des Français. Fort
Saganne, de Louis Gardel
― Figurez-vous que ce thé est fabriqué depuis 976. Le Pei Yuan, du nom du plus célèbre des quarante-six jardins impériaux, vient de Fou-tcheou, port situé sur le détroit de Taïwan. Il est récolté à l'époque dite des "insectes excités", début mars. Il est cueilli tout couvert de la rosée matinale, au son des tambours et des cymbales. Les cueilleuses travaillent aux heures les plus fraîches d'avant l'aube, et utilisent leurs ongles car les doigts peuvent transmettre la transpiration et la chaleur du corps, et contaminer les feuilles. Voilà, ma Caterina, pour toi, les petits bourgeons du Pei Yuan, avec une seule feuille sur chaque tige. Gérard de Cortanze, Assam
― Lors d'un des premiers transports maritimes de thé de Chine vers l'Europe, les caisses, placées sous la ligne de flottaison, ont fermenté. Vos compatriotes ont consommé du thé pourri, persuadés qu'il n'y avait rien là de plus raffiné! Les deux hommes donnaient aussi leur avis sur les différentes phases de traitement du thé: le flétrissage, qui peut durer vingt-quatre heures; le [roulage], qui libère les "huiles et les sucs" de la feuille; la fermentation, qui peut en "brûler" ou en "frustrer" l'arôme; l'oxydation, qui donne au thé toutes les nuances du noir au fauve; la dessiccation, dans laquelle la feuille de thé doit se jouer de son humidité; le tamisage, où les feuilles prennent des chemins divers: entières, brisées ou broyées... ― Il est une règle fondamentale, soutint Percy: les feuilles de thé doivent être mises en caisse moins de trente-six heures après leur cueillette. Gérard de Cortanze, Assam
Je retournai au campement où cette fois dans la nuit nous sacrifierions au rituel des trois thés: ainsi que disent encore ceux qui sont nomades dans l'âme, le premier thé est âpre comme la vie, le second suave comme l'amour, le troisième doux comme la mort. Trois
paysages secrets, de Patrice
Llaona.
Le thé aux arachides est très à la mode. Ce soir je viens de mélanger à celles qui flottent dans le verre de Sidi une crotte de chèvre. Je le regarderai boire avec une certaine curiosité… Tiens, voilà Sidi qui ajoute des cacahuètes par-dessus la crotte de bique ; sûr maintenant qu'il va la croquer… Il commence à savourer son breuvage, sans la moindre protestation après tout, peut-être qu'il trouve le condiment à son goût… Ça y est… Lucullus a vidé son verre sans piper; tout de même, il y a des gens qui ne sont pas difficiles… Méharées, explorations au vrai Sahara, de Théodore Monod.
Lalla Aïcha (…) s'éclipsa une seconde pour aller dans sa cuisine chercher la bouilloire de cuivre et le brasero. Le plateau déjà préparé trônait au centre de la pièce. Un voile brodé d'or le recouvrait. Là-dessous, par transparence, j'apercevais la théière d'étain et les verres. (…) Elle se leva en hâte, alla chercher le sucre et la menthe. Ma mère se lança dans le récit de ses souvenirs sur les mariages auxquels elle avait assisté. Le thé fut préparé en un temps record. Lalla Aïcha servit tout le monde. Elle me tendit mon verre avec au fond deux doigts de thé. Je protestai. Je réclamai un verre bien rempli comme j'en avais chez nous. La
boîte à merveilles, de Ahmed Safrioui
Le thé était servi au-delà du second jet d'eau, sur une table chargée d'argenterie où s'étalaient les cent merveilles de la pâtisserie maugrabine, les cornes de gazelle, les feuilletés au miel, les turbans du cadi, les laits d'amande, les breuvages à l'orange, au citron et aux framboises pressées, le champagne que la religion tolère comme une innocente eau gazeuse. Devant d'énormes samovars moscovites, qui jetaient tout à coup l'idée de la neige et des frimas dans ce pays de lumière, les serviteurs faisaient le thé suivant la caïdat. Rabat
ou les Heures marocaines, de Jérôme et Jean Tharaud.
(…) sur la petite table basse, recouverte d'une nappe damassée (…), il y avait la théière d'argent bien frottée que vous saviez à demi pleine de thé froid, avec le pot à lait de faïence outremer, le sucrier de verre, les deux grandes tasses fines dont l'une avait le fond sali, avec cette petite flaque beige qui y restait piquetée d'une dizaine de points noirs, une assiette à fleurs sur laquelle s'étalaient quatre tranches de pain grillé, l'appareil nickelé à côté qui avait servi à les faire, le ravier plein de beurre, la coupelle de confiture, et, sur le métal de cette théière, un éclat de soleil fut vif, brillant comme une étoile au milieu de toute cette pénombre, car les volets étaient juste entrouverts, et seul un rayon pénétrait. La
Modification, de Michel Butor.
«Que
prenez-vous?» demanda-t-il avec résignation. L'hôtel hanté, de Wilkie Collins.
«La manière ordinaire de préparer le Thé, est de faire bouillir dans un vaisseau propre à cela autant d'eau qu'on veut en faire de prises, & quand elle boult, on la tire du feu pour y jeter ses feuilles de Thé, à proportion, c'est-à-dire un dragme, couvrant ensuite le vaisseau, & laissant ainsi votre Thé en infusion pour la troisième partie d'un quart d'heure. Pendant ce temps les feuilles s'affaissent au fond de vôtre pot à Thé, ou caffetière, & l'eau en prend la teinture ; vous la versez dans vos tasses ou chiques, y ayant mis une demie-cuillérée de Sucre en poudre, & on le prend comme le Caffée.» Nouvelles instructions pour les confitures (1692), de François Massialot.
La vaste pièce était froide. La colonelle fit attiser le feu dans la
cheminée et apporter la table à thé. Un sinistre visiteur, conte d' E.T.A. Hoffmann.
Le "thé esthétique de madame la présidente conquistorale Veehs", au cour duquel "une douzaine de dames, en grande toilette, sont assises en demi-cercle au milieu du salon" et écoutent, distraitement ou avec attention, un jeune poète tragique débiter son œuvre. L'enchaînement des choses, Hoffmann
L'autre soir, étant rentré glacé par la neige, et ne pouvant me réchauffer, comme je m'étais mis à lire dans ma chambre sous la lampe, ma vieille cuisinière me proposa de me faire une tasse de thé, dont je ne prends jamais. Et le hasard fit qu'elle apporta quelques tranches de pain grillé. Je fis tremper le pain grillé dans la tasse de thé, et au moment où je mis le pain grillé dans ma bouche et où j'eus la sensation de son amollissement pénétré d'un goût de thé contre mon palais, je ressentis un trouble, des odeurs de géraniums, d'orangers, une sensation d'extraordinaire lumière, de bonheur ; je restai immobile, craignant par un seul mouvement d'arrêter ce qui se passait en moi et que je ne comprenais pas, et m'attachant toujours à ce bout de pain trempé qui semblait produire tant de merveilles, quand soudain les cloisons ébranlées de ma mémoire cédèrent, et ce furent les étés que je passais dans la maison de campagne que j'ai dite qui firent irruption dans ma conscience, avec leurs matins, entraînant avec eux le défilé, la charge incessante des heures bienheureuses. Alors je me rappelai : tous les jours, quand j'étais habillé, je descendais dans la chambre de mon grand-père qui venait de s'éveiller et prenait son thé. Il y trempait une biscotte et me la donnait à manger. Et quand ces étés furent passés, la sensation de la biscotte ramollie dans le thé fut un des refuges où les heures mortes - mortes pour l'intelligence - allèrent se blottir, et où je ne les aurais sans doute jamais retrouvées, si ce soir d'hiver, rentré glacé par la neige, ma cuisinière ne m'avait proposé le breuvage auquel la résurrection était liée, en vertu d'un pacte magique que je ne savais pas. Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust.
Tout en parlant, il servait le thé, avec des gestes embarrassés d'homme fort. Et elle s'amusait à le voir manier, avec une vigueur inutile, la minuscule théière en porcelaine et à filtre en forme de calice. L'araigne, d'Henri Troyat.
Le thé est offert par les femmes de la maison. L'une verse le thé dans
la tasse, l'autre va offrir cette tasse, tenant de l'autre main le sucrier
muni de la pince ; une troisième la suit avec le pot à crème et
l'assiette de gâteaux. On apporte de l'eau-de-vie, du rhum ou du kirsch
à ceux qui refusent le lait. Baronne de Staffe (1894).
Pendant ce temps, milord s'occupait de se préparer un thé qui devait constituer tout son repas. Il mettait à cette opération le soin minutieux, cette importance grave que sait mettre un Anglais comme il faut ; et, bien que toute la maison fût sur pied à l'occasion de ce thé, prête à tout faire, prête à se mettre au feu pour que ce thé fût parfait, milord accueillait toute la maison avec la raideur qui, souvent aussi, caractérise l'Anglais de qualité en voyage, à l'auberge, et sur le continent. Nouvelles genevoises, R. Töpffer.
Un journal d'Angleterre nous annonce que les Anglaises ne se contentent plus de boire le thé à leur five o'clock tea, elles le fument ! C'est devenu, paraît-il, une folie à la mode de fumer le thé vert sous forme de cigarettes. Un grand nombre des adeptes de ce singulier passe-temps sont des femmes de haute condition et d'esprit distingué. À la vapeur des théières se joint la fumée bleue de la cigarette et le salon s'emplit d'un léger brouillard parfumé. On cause bien mieux, on médit de son prochain surtout avec une volupté particulière. Et les Anglaises nous reprochaient notre petite cigarette de tabac d'Orient et s'écartaient dédaigneusement du fumeur de cigare! Shocking! O tempora, amores! Les
Annales politiques et littéraires, 5 janvier 1896, De même qu'un marchand de vin reconnaît le cru dont il hume une goutte; qu'un vendeur de houblon, dès qu'il flaire un sac, détermine aussitôt sa valeur exacte ; qu'un négociant chinois peut immédiatement révéler l'origine des thés qu'il sent, dire dans quelles fermes des monts Bohées, dans quels couvents bouddhiques, il a été cultivé, l'époque où ses feuilles ont été cueillies, préciser le degré de torréfaction, l'influence qu'il a subie dans le voisinage de la fleur de prunier, de l'Aglaia, de l'Olea fragrans, de tous ces parfums qui servent à modifier sa nature, à y ajouter un rehaut inattendu, à introduire dans son fumet un peu sec un relent de fleurs lointaines et fraîches ; de même aussi des Esseintes pouvait en respirant un soupçon d'odeur, vous raconter aussitôt les doses de son mélange, expliquer la psychologie de sa mixture, presque citer le nom de l'artiste qui l'avait écrit et lui avait imprimé la marche personnelle de son style. À Rebours, de J.-K. Huysmans.
Par le thé, l'Orient pénètre dans les salons bourgeois ; par le café, il entre dans les cerveaux. Paul
Morand, XXe siècle.
Tu t'étais allongé et presque aussitôt endormi en suivant des yeux le motif compliqué du tapis caucasien cloué au mur au-dessus du divan de Xénia tandis qu'elle préparait le thé ― un thé de pelures de pommes séchées au four, sans doute, ou de quelque autre ersatz dont les Russes ont multiplié les recettes ― sur une lampe à alcool rouillée autour de laquelle couraient des flammes bleues fugitives comme des feux follets… Le Divertissement, de François-René Daillie.
À cent pas du moulin se trouvait un petit hangar ouvert aux quatre vents. On nous monta là de la paille et du foin; le garçon meunier dressa sur l'herbe de la rive un samovar, et, assis sur les talons, se mit à souffler vigoureusement dans la cheminée du réchaud... Les charbons en prenant feu éclairaient son visage juvénile. (...) La meunière nous apporta du lait, des œufs, des pommes de terre et du pain; bientôt l'eau du samovar fut en pleine ébullition, et nous prîmes le thé. De la rivière s'élevaient d'épaisses vapeurs; il n'y avait pas de vent; par intervalles, des râles de genêts poussaient, en se secouant, leur cri particulier. Les roues du moulin bruissaient faiblement: des gouttes tombaient et se faisaient jour par les fentes de la digue. Nous fîmes du feu entre des pierres. Ivan Sergeyevich Turgenev, Récits d'un chasseur
La pièce
était gaiement éclairée. Devant la cheminée, Mme de Fontanin avait
préparé la table à thé: des tartines grillées, du beurre, du miel,
et, bien au chaud sous une serviette, des châtaignes bouillies, comme
Daniel les aimait. Le samovar ronronnait; la chambre était tiède,
l'atmosphère douceâtre (...). Les Thibault, de Roger Martin Du Gard.
Le meilleur thé se boit à Pétersbourg, et en général par toute la Russie. Alexandre Dumas.
Les Russes raffinés mélangent à leur thé en boîte des fleurs de pommier, dont le parfum suave ajoute à l'excellence et à la finesse de la feuille "qui réjouit sans enivrer"*. Baronne
de Staffe, 1894
Elle apporta le samovar et, devant une tasse de thé, elle allait reprendre ses interminables propos sur la cour lorsqu'une voiture armoriée s'arrêta devant le perron. La fille du capitaine, de Pouchkine.
À peine assis, le samovar parut sur la table escorte d'un plateau portant une théière de Chine à faire envie à un mandarin, avec une dose savamment mesurée d'un thé que le chef du Céleste-Empire n'eût pas dédaigné, deux grands verres à boire et une assiette sur laquelle se trouvaient des tranches minces de citron, ainsi qu'un petit vase rempli de crème. (…) Ce breuvage chaud, lorsque l'on vient d'être exposé à un grand froid, est le tonique le plus puissant, le plus agréable que l'on puisse désirer. Un
hiver à Saint-Pétersbourg, de M. Blanchard.
Les premières tasses à thé furent faites à Cronstadt. Or il arrivait
souvent que, par économie, les cafetiers mettaient dans le théière une
quantité moindre de thé qu'il n'eut fallu. Alors, comme le fond de la
tasse représentait une vue de Cronstadt, que la transparence de la
liqueur laissait voir trop clairement, le consommateur appelait le
marchand et, lui montrant le fond de sa tasse : «On voit
Cronstadt», lui disait-il. Et comme le marchand ne pouvait nier qu'on
vît Cronstadt, et comme il fallait, si le thé était suffisamment fort,
qu'on ne vit pas Cronstadt, le marchand était pris en flagrant délit de
fraude. Le
grand dictionnaire de cuisine, d'Alexandre Dumas.
Le
thé des Kirghiz : Le
Désert et le monde sauvage, d'Arthur Mangin (1866).
Illusions
perdues, Honoré de Balzac.
Ce soir-là, comme presque tous les soirs, lorsqu'il se trouvait à Valognes et que ses prêches ne l'entraînaient pas, il allait passer la soirée chez ces demoiselles de Touffedelys. Il y apportait sa boîte à thé et sa théière, et il y faisait son thé devant elles, ces pauvres primitives, à qui l'émigration n'avait pas donné de ces goûts étonnants comme "l'amour de ces petites feuilles roulées dans de l'eau chaude", qui ne valaient pas, disaient-elles d'une bouche pleine de sagesse, "la liqueur verte de la Chartreuse contre les indigestions". Infatigables dans leur étonnement, elles retrouvaient à point nommé l'attention animale des êtres qui ne sont pas éducables, en regardant chaque soir, de leurs deux yeux faïencés, grands ouverts comme des œils-de-bœuf, cet original de Fierdrap procédant à son infusion accoutumée comme s'il s'était livré à quelque effrayante alchimie! Le
chevalier Des Touches, de Jules Barbey d'Aurevilly (1864),.
Vêtu d'une robe doublée de fourrure, assis sur un long canapé chinois recouvert de tapis, il nous offrait avec insistance du thé vert parfumé, excellent, affirmait-il, pour dissoudre le gras des aliments (…). La Montagne est jeune, d' Han Suyin
Le thé vert (jeunes feuilles) est le château-lafite du Chinois ; il ne se boit que dans les maisons aristocratiques, pour lesquelles il a été cueilli par de jeunes enfants ou des vierges aux mains gantées. Les castes inférieures doivent se contenter de thé noir ; celui-ci est abondant et on le distribue assez libéralement dans les rues. Baronne Staffe (fin du XIX e siècle)
La princesse aïeule ne manqua pas, après l'échange de politesses, de
demander bien vite une coupe de son thé fameux. La jeune nonne la servit
de ses propres mains, apportant sur un plateau de laque aux bégonias,
avec dragons, nuages et caractères zusong gravés, une exquise porcelaine
polychrome Kangxi de la plus haute époque, de pâte fine et claire et de
tons somptueux et francs. Le thé qu'elle contenant était de cette sorte,
entre toutes précieuses, qu'on dénomme les "sourcils de
Laozi". Rêve dans le Pavillon rouge XVIIIe siècle, de Cao Xuequin. Aucune autre nation n'a peut-être crée de jeu qui soit aussi intellectuel que le Go, ou que les échecs à l'orientale. On ne pourrait sans doute envisager, nulle part ailleurs au monde, un tournoi qui dure quatre-vingts heures, étalé sur trois mois. Le Go, comme la cérémonie du thé, comme le No, se serait-il enfoncé de plus en plus loin dans les replis profonds de la tradition japonaise? Le
Maître ou le tournoi de Go, de Yasunari Kawabata.
Avant de devenir un breuvage, le thé fut d'abord une médecine. Ce n'est
qu'au huitième siècle qu'il fit son entrée, en Chine, dans le royaume
de la poésie, comme une des distractions élégantes du temps. Au
quinzième siècle, le Japon l'ennoblit en fit une religion esthétique,
le théisme. ... Nous avons déjà dit que c'est au rituel institué par les moines Zen, de boire successivement le thé dans un bol, devant l'image de Bodhi-Dharma, qu'est due la fondation de la cérémonie du thé. Le Livre du thé, d'Okakura Kakuzo.
Le bol se dressait solitaire au milieu de la vitrine (…) Rituels, de Cees Nooteboom.
Le livre de Kawabata gisait à demi ouvert sur son oreiller, réseau meurtrier de mots arachnéens où des hommes étaient prisonniers, et où des bols à thé décidaient de leur sort ; ces bols retenaient dans leurs flancs l'esprit de leurs anciens propriétaires : ils détruisaient ou, comme dans ce récit, étaient détruits. Rituels, de Cees Nooteboom.
L'art du thé en général implique l'harmonie entre les Trois Pouvoirs: le ciel, la terre et l'homme. Le ciel fournit la lumière du soleil, la brume et la pluie qui sont nécessaires à la culture du thé; la terre donne le sol qui nourrit toutes sortes de plants du thé, l'argile qui sert à façonner toutes sortes de céramiques dont on use pour le thé, les sources jaillissant du rocher qui procurent l'eau pure pour l'infusion. À cela l'homme ajoute le talent qui associe les feuilles de thé, l'eau et les céramiques pour donner naissance à un art plein de séductions. Thé et Tao, de John Blofeld
C'était une petite salle de quatre tatamis et demi, donnant à l'est,
avec une fenêtre nue au nord et deux lucarnes au-dessus de la porte de
l'est. Je ne sais de quelle fenêtre elle provenait, mais une très jolie
lumière douce, qui convenait bien à cette occasion matinale, se
répandait dans la salle. C'est là que mon Maître procéda à une
cérémonie du thé à l'aide d'une étagère-buffet et de soucoupes
surélevées dont il ne se servait pas d'habitude, mais je suppose que,
ayant invité des gens du temple Daïtoku-ji, il avait adapté son style
en leur honneur. Une calligraphie d'un poème à forme fixe de Kido était
accrochée dans le tokonoma ; dans l'étagère-buffet étaient disposés : Le Maître de thé, de Yasushi Inoué.
Lorsque j'arrivais à la maison de thé Mizuki, la pluie commençait à tomber. L'entrée était si élégante, que j'osai à peine y poser le pied. Il y avait un petit rideau, dans l'embrasure de la porte. Derrière, j'aperçus des murs orangés, avec des lambris de bois sombre. Au bout d'un passage pavé de pierres lisses, un très grand vase, avec des branches d'érable tourmentées. (…) Sur la droite du bouquet, s'ouvrait un grand vestibule au sol de granit brut. Le passage que j'avais trouvé si somptueux n'était pas l'entrée de la maison de thé, mais seulement le chemin y conduisant ! Ce vestibule d'un raffinement exquis - ce qui n'avait rien d'étonnant, car je venais de pénétrer, sans le savoir, dans l'une des plus grandes maisons de thé du Japon. Or une maison de thé n'est pas un endroit où l'on vient boire du thé. Les hommes viennent s'y divertir, au milieu des geishas. Geisha, d'Arthur Golder.
―
Le
thé a-t-il vraiment changé, aujourd'hui ? Je ne suis plus en contact
avec ce monde ; je l'ai quitté après la mort de mon Maître pour faire
retraite ici. Le
Maître de thé, de Yasushi Inoué.
Il (Junichirô Tanizaki) aimait la pénombre que développe le thé dans
son monde chaud et liquide. Les
Ombres errantes, de Pascal Quignard. Chaque jour, au moment où l'aube pointait, il tournait son visage vers l'est pour se livrer à des pratiques respiratoires. Il aspirait l'air frais du matin et l'expirait longuement, le cou tendu. Le son pur de ses chants résonnait dans le vallon désert et les singes qui grimpaient sur les falaises escarpées lui répondaient en écho. Si, par hasard, une connaissance lui rendait visite, il lui offrait du thé en guise d'alcool, sortait un jeu d'échec ou bavardait avec lui sous la clarté de la lune. La
Montagne de l'âme, de Gao Xingjian. Amusant souvenir d'un thé chez le gouverneur du Shensi. L'ennemi cerne la ville. Le thé est servi par des soldats le revolver à la ceinture et le fusil pendu par la bretelle, prêts à riposter à une attaque qu peut se produire d'un instant à l'autre. Cependant, les invités causent avec calme, avec cette grâce polie et apparemment sereine, fruit de la vieille éducation chinoise. Nous discutons philosophie, un des fonctionnaires parle extrêmement bien le français et me sert d'interprète. Quels que soient les sentiments qui en ce moment agitent l'esprit du gouverneur et des hommes de son parti, rien ne s'en lit sur leur visage; leur conversation est celle de lettrés s'amusant au jeu délicat d'échanger, sans passion, des pensées subtiles. Mystiques et magiciens du Tibet, d'Alexandra David-Neel.
Un intermède vivement apprécié par tous les moines coupe le très long
office: du thé est servi. Tout bouillant, assaisonné de beurre et de
sel suivant le goût tibétain, il est apporté dans de grands baquets de
bois. Les préposés à la distribution passent plusieurs fois entre les
rangs, remplissant les bols qui leur sont tendus. Mystiques et magiciens du Tibet, d'Alexandra David-Neel.
Sönam m'apporte une tasse de jade avec un couvercle en forme de pagode, sur une curieuse soucoupe d'argent faite comme un lotus: je soulève le couvercle et le jeune homme commence à me verser, d'une théière de cuivre ouvragé, ce bouillon que les Tibétains appellent du thé. (…) Je bois quelques gorgées de mon bouillon-thé (du beurre, du soda, du sel, de l'eau bouillante et du thé émulsionnés dans un cylindre de bambou) et j'accepte quelques biscuits frits, graisseux, couverts de duvet, que j'ingère à grand-peine (…) Tibet
secret, de Fosco Maraini
L'usage du thé n'est pas moins répandu dans le Nord que dans le Sud. Entrez-vous dans une maison, aussitôt on vous offre le thé: c'est le signe de l'hospitalité. On vous en sert à profusion ; dès que votre tasse est vide, un serviteur muet la remplit, et ce n'est qu'après en avoir avalé une certaine quantité qu'il vous sera permis par votre hôte d'exposer l'objet qui vous amène. Le Tour du monde, d'A. Poussielgue (1864).
Nous restions le plus longtemps possible dans la maison de thé. Cela nous permettait de nous reposer. Mais surtout de résoudre un problème majeur: la soif. L'eau n'était nulle part potable, sauf près des sources. Le voyageur était donc toujours en quête d'eau bouillie. L'avantage dans une maison de thé est qu'il suffit de commander un thé pour pouvoir rester des heures sur une chaise dans être dérangé. Le garçon, muni d'une immense bouilloire, circule au milieu des tables et remplit votre théière dès qu'elle est vide. Avec un art consommé, par-dessus votre épaule, il verse l'eau bouillante à longs jets directement dans la théière ou à même la tasse sans jamais éclabousser ni déborder. Le Dit de Tianyi, de François Cheng.
Les
boutiques de Yunan-Fu : Lettre
aux gourmets, aux gourmands, aux gastronomes et aux goinfres
connu comme " le fou du thé ": "La
première tasse humecte mes lèvres et ma gorge.
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