Le Café
Littéraire |
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Je suis attaché à mes arbres; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je n'aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille; je les connais tous par leurs noms, comme mes enfants: c'est ma famille, je n'en ai pas d'autre, j'espère mourir au milieu d'elle. François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe
Quand il avait vu les arbres géants pour la première fois, Robert aussi s'était émerveillé à l'idée de l'âge qu'ils avaient et de toutes les choses dont ils avaient été témoins. Aujourd'hui, pourtant, il ne les considérait plus du tout comme des témoins. Les arbres vivaient dans un univers différent de celui des hommes. Il avait beau tailler leurs branches, cueillir leurs fruits, ramasser leurs cônes, arracher leurs plants, ils ne réagissaient pas. Même son cheval lui montrait plus de réactions que les arbres. Les arbres n'étaient pas censés réagir. Ils n'étaient pas des individus. Robert trouvait agaçant que les gens leur attribuent parfois des qualités humaines quand il était absolument évident qu'ils n'étaient pas humains. C'était pour cette raison qu'il n'aimait pas qu'on donne des noms aux séquoias; le vieux Garçon était un arbre, pas un homme. N'empêche, à lui aussi, il lui arrivait encore de tomber dans ce piège. Par exemple, il avait été sottement heureux que Martha ait choisi les Deux Orphelins pour s'asseoir dessous. Tracy Chevalier, À l'orée du verger
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Comment contempler un arbre et ne pas être heureux? Contempler un
enfant. Contempler l'aube ou observer la croissance de l'herbe. Regarder
dans les yeux ce qui vous regarde à son tour et vous emplit d'amour.
(...) Yannick Grannec, Le bal mécanique
Les arbres appréhendent le monde uniquement à travers la matière. Leur vie, c'est la circulation des sucs puisés dans les profondeurs de la terre et le pivotement de feuilles offertes au soleil. L'âme de l'arbre se repose après ses pérégrinations multiformes. Pour l'arbre, un orage est un flux alterné de chaud et de froid, une onde tour à tour paresseuse et violente. Lorsque l'orage survient, c'est le monde entier qui devient orage. Pour l'arbre, il n'y a pas de monde avant et après l'orage. Au cours du quadruple changement de saison dans une année, l'arbre ignore le temps et ne sait pas que les saisons se suivent. Pour lui, les quatre saisons coexistent. L'hiver fait partie de l'été, l'automne est intégré au printemps. Le froid est une partie du chaud ; la mort, un élément de la naissance. Le feu est une partie de l'eau ; la terre, une partie de l'air. Olga Tokarczuk, Dieu, le temps, les hommes et les anges
Les arbres ne sont pas livrés sans protection aux variations climatiques, du moins pas quand ils agissent collectivement au sein d'une grande forêt. Dans certaines limites, ils peuvent ainsi non seulement réguler eux-mêmes l'humidité de l'air et la température à l'intérieur de la forêt, mais aussi influencer d'autres facteurs, à grande échelle. Peter Wohlleben, Le réseau secret de la nature
Elle raconte comment un orme a contribué à déclencher l'Indépendance américaine. Comment un énorme prosopis vieux de cinq cents ans pousse au milieu d'un des déserts les plus arides de la Terre. Comment la vue d'un châtaignier à la fenêtre a redonné l'espoir à Anne Franck, dans le désespoir de sa claustration. Comment des semences sont passées par la lune avant de bourgeonner sur toute la Terre. Comment le monde est peuplé de merveilleuses créatures inconnues de tous. Comment il faudra peut-être des siècles pour réapprendre ce que jadis on savait sur les arbres. Richard Powers, L'arbre-monde
Vous et l'arbre de votre jardin êtes issus d'un ancêtre commun. Il y a un milliard et demi d'années, vos chemins ont divergé. Mais aujourd'hui encore, après un immense voyage dans des directions séparées, vous partagez avec cet arbre le quart de vos gènes. Richard Powers, L'arbre-monde
Ce monde n'est pas notre monde avec des arbres dedans. C'est un monde d'arbres, où les humains viennent tout juste d'arriver. Richard Powers, L'arbre-monde
Avant de mourir, un sapin de Douglas vieux de cinq cents ans renvoie son stock de composés chimiques dans ses racines et, via ses partenaires fongiques, lègue en testament sa fortune au pot commun. Nous pourrions appeler ces vénérables bienfaiteurs des arbres donateurs. Richard Powers, L'arbre-monde
À deux pas de lui, sur le bord de la route, un chêne, dix fois plus
grand et plus fort que ses frères les bouleaux, un chêne géant,
étendait au loin ses vieilles branches mutilées, et de profondes
cicatrices perçaient son écorce arrachée. Ses grands bras
décharnés, crochus, écartés en tous sens, lui donnaient l'aspect
d'un monstre farouche, dédaigneux, plein de mépris, dans sa
vieillesse, pour la jeunesse qui l'entourait et qui souriait au
printemps et au soleil, dont l'influence le laissait insensible : Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix - Tome II
Le lierre avait envahi les graviers à de nombreux endroits et au-dessus du porche, il commençait même à dévorer la fenêtre des chambres. Les tilleuls avaient poussé démesurément et quelques feuilles jaunies s'accrochaient encore à leurs tiges rouges lancées vers le ciel. Quant au hêtre, pas élagué depuis des années, il avait quasiment doublé de volume et transformé la cour en sous-bois. C'était sa manie ça, de rien vouloir couper. Quiconque s'approchait d'un végétal avec une scie ou un sécateur avait invariablement droit à un «oh là là, malheureux!», se voyait gratifié d'un couplet sur nos frères les arbres qui mettent tant d'énergie à pousser, puis finissait par reculer, presque convaincu après ce laïus que couper une branche revenait à sectionner un membre humain. Anne Pauly, Avant que j'oublie
Regardez l'arbre. Ses poumons, ce sont ses feuilles. Elles ne changent d'air que si l'air veut bien se déplacer. La respiration de l'arbre, c'est le vent. Le coup de vent est le mouvement de l'arbre, mouvement de ses feuilles, tigelles, tiges, rameaux, branchettes, branches et enfin mouvement du tronc. Mais il est aussi aspiration, expiration, transpiration. Et il y faut aussi le soleil, sinon l'arbre ne vit pas. L'arbre ne fait qu'un avec le vent et le soleil.,il tête directement sa vie à ces deux mamelles du cosmos, vent et soleil. Il n'est que cette attente. Il n'est qu'un immense réseau de feuilles tendu dans l'attente du vent et du soleil. L'arbre est un piège à vent, un piège à soleil. Quand il remue en bruissant et en laissant fuit des flèches de lumière de toutes part, c'est que ces deux gros poissons, le vent et le soleil, sont venus se prendre au passage dans son filet de chlorophylle... La
fugue du petit Poucet (nouvelle
dans Le coq de bruyère),
C'est juste au virage, dans l'épingle à cheveux, au bord de la route. Il y a là un hêtre; je suis bien persuadé qu'il n'en existe pas de plus beau: c'est l'Apollon-citharède des hêtres. Il n'est pas possible qu'il y ait, dans un autre hêtre, où qu'il soit, une peau plus lisse, de couleur plus belle, une carrure plus exacte, des proportions plus justes, plus de noblesse, de grâce et d'éternelle jeunesse: Apollon exactement, c'est ce qu'on se dit dès qu'on le voit et c'est ce qu'on se redit inlassablement quand on le regarde. Le plus extraordinaire est qu'il puisse être si beau et rester si simple. Il est hors de doute qu'il se connaît et qu'il se juge. Comment tant de justice pourrait-elle être inconsciente? Quand il suffit d'un frisson de bise, d'une mauvaise utilisation de la lumière du soir, d'un porte-à-faux dans l'inclinaison des feuilles pour que la beauté, renversée, ne soit plus du tout étonnante. Jean Giono, Un roi sans divertissement
Je t'écoute à nouveau et je pense au châtaignier derrière la maison. Il est dans le champ se disputant avec la foudre. Au cours de ces nuits-là, je restais à la fenêtre pour le regarder balayer l'air de son épaisse chevelure tenant en respect les éclairs. Je connais ses souffrances plus nombreuses que les années, plus fortes que le gel. Depuis que je l'ai planté, à chaque saison j'ai remué sa terre, j'ai brûlé les feuilles tombées, je l'ai caressé, comblé que j'étais par sa vigueur. Les châtaigniers ne poussent pas dans cette région, c'est le seul, le plus haut tronc de la campagne, et je me sens honoré que ce soit arrivé juste dans mon champ. Dix jours par an les fruits lisses et brillants tombaient, s'échappant de leur bogue mure. Je ramassais des châtaignes pour moi et mes voisins, je les dégustais grillées sur des braises, avec une goutte de miel. Je fus très ému l'année où je ne parvins plus à l'enserrer, il était devenu trop large pour mon étreinte. Erri De Luca, Acide, Arc-en-ciel
L'arbre inversé est un puissant symbole qui nous enracine dans les
étoiles. Image forte, sorte de palindrome visuel que nourrit le rêve
pour établir un pont entre l'endroit et l'envers. Arbre de vie, mais
aussi arbre de la connaissance qui réconcilie le haut et le bas par une
sorte de syncrétisme universel qui fait fi de toute dualité.(...) Frank Morzuch, La quadrature de l'arbre
Les arbres ne sont pas censés se déplacer, et surtout pas se porter à
merveille quand ils le font, j'ai ajouté. Tracy Chevalier, A l'orée du verger
Le 24 février 1848, chaque village acclame l'avènement d'un
gouvernement Républicain à Paris. (...) Marieke Aucante, L'arbre de la liberté
Je ne sais plus lequel de nous quatre l'a trouvé, distingué parmi tous les autres arbres alors qu'il n'était pas le plus grand ni peut-être le plus incliné sur la rivière. Mais il était sans doute le seul, jusqu'à la mer lointaine, pour bifurquer d'abord à un mètre du sol, parallèlement à la rive, une deuxième fois un peu plus haut et une troisième à au moins trois mètres et selon un angle si ouvert qu'en se portant au bout de la branche, ou presque le bout, vu qu'un centimètre plus loin elle aurait plié sous notre poids jusqu'à l'eau ou rompu, ce soit un peu le monde à l'envers: le talus pierreux de la berge, le reste de l'arbre avec les trois autres perchés sur les premières branches, les lunules de ciel dans le feuillage, les oiseaux et le soleil qui se mettent à dériver, à fuir, tandis que l'eau coureuse, au-dessous, se figeait peu à peu, devenait immobile. Pierre Bergounioux, L'arbre sur la rivière
Son amour n'allait ni à la terre ni aux bêtes mais aux arbres. Puisqu'il
vivait dorénavant loin des forêts, tout près de la rivière, il devint
flotteur. Il retrouvait ainsi les arbres ; il les retrouvait en aval,
démembrés, sans racines ni branches ni feuillages, mais des arbres toujours.
Il fut même un temps gars de rivière, à l'époque où le flottage par
trains de Clamecy jusqu'à Paris se pratiquait encore. Il avait navigué au
fil de l'Yonne et de la Seine sur d'immenses radeaux de bûches qui doublaient
ou même triplaient au cours de leur descente. Il était entré au port de
Charenton, pieds nus sur ces radeaux géants, tenant la longue perche
d'avalant à la main comme une haute houlette de berger. C'est que pendant des
jours, du lever au coucher du soleil, il avait dû aider le compagnon de
rivière à conduire le fabuleux troupeau de bûches entre les berges, à lui
faire passer sauf les périls des courants, des pertuis et des ponts. Mais il
n'avait pas eu le temps de devenir à son tour compagnon de rivière ;
l'époque des grands trains de bois s'achevait. Seul continuait le flottage à
bûches perdues. Sylvie Germain, Jours de colère
L'ormeau, le prodigieux ormeau de la Hautière, m'inspirait comme au premier
jour le même étrange sentiment où se mêlaient l'attirance et la crainte.
Bien que tenté cent fois, je reculai cent fois. N'arrivant pas à me
départir tout à fait de mon appréhension, je finissais par passer au large,
mécontent de moi-même et pourtant soulagé. Pierre Gabriel, L'Ormeau
Voilà donc que mes hommes avaient besoin de temps, ne fût-ce que pour
comprendre un arbre. Pour s'asseoir chaque jour sur la marche du seuil en face
du même arbre aux mêmes branches. Et peu à peu voilà que l'arbre se
révèle. Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle
Le hêtre de la scierie n'avait pas encore, certes, l'ampleur que nous lui voyons. Mais, sa jeunesse (enfin, tout au moins par rapport à maintenant) ou plus exactement son adolescence était d'une carrure et d'une étoffe qui le mettaient à cent coudées au-dessus de tous les autres arbres, même de tous les autres arbres réunis. Son feuillage était d'un dru, d'une épaisseur, d'une densité de pierre, et sa charpente (dont on ne pouvait rien voir, tant elle était couverte et recouverte de rameaux plus opaques les uns que les autres) devait être d'une force et d'une beauté rares pour porter avec tant d'élégance tant de poids accumulé. Il était surtout (à cette époque) pétri d'oiseaux et de mouches; il contenait autant d'oiseaux et de mouches que de feuilles. Il était constamment charrué et bouleversé de corneilles, de corbeaux et d'essaims; il éclaboussait à chaque instant des vols de rossignols et de mésanges; il fumait de bergeronnettes et d'abeilles; il soufflait des faucons et des taons; il jonglait avec des balles multicolores de pinsons, de roitelets, de rouges-gorges, de pluviers et de guêpes. C'était autour de lui une ronde sans fin d'oiseaux , de papillons et de mouches dans lesquels le soleil avait l'air de se décomposer en arcs-en-ciel comme à travers des jaillissements d'embruns. Et, à l'automne, avec ses longs poils cramoisis, ses mille bras entrelacés de serpents verts, ses cent mille mains de feuillages d'or jouant avec des pompons de plumes, des lanières d'oiseaux, des poussières de cristal, il n'était vraiment pas un arbre. Jean Giono, Un roi sans divertissement
…Les arbres sont des êtres (…) Adorez avec moi ce grandiose porteur
de branches et de feuilles, ce grand être isolé et complet. Sa stature
et sa figure exhaussent mon regard. Il invoque, il appelle l'arbre de
vie qui est en moi. Il est axe d'un monde où il rayonne son existence,
et je le sens par moi-même qui approfondit jusqu'au granit son idée
fixe de la vie… Ne voyez-vous pas qu'il soutient dans toute sa gloire
l'exemple et la loi pure de se faire égal dans l'espace à la toute
puissance pressante du temps; comme il répond à sa durée, comme il
s'augmente et se succède dans l'étendue! Il ne subsiste qu'il ne
croisse, et le nombre de ses feuilles chante à demi-voix ce qui se
passe sur la mer. Paul Valéry, Alphabet
Emboîtant le pas au clapatte, Evariste s'approcha de l'arbre parfumé qui croissait au centre d'un bassin vide. Alors, si prémuni qu'il fût contre toutes les monstruosités dont regorgeait la jungle d'Iscambe, il ne put s'empêcher de pousser un cri d'effroi devant le visage blanc et douloureux inclus dans le tronc lui-même et qui apparaissait dans l'entrebâillement du feuillage. Un visage, un beau visage de femme aux yeux clos, où les larmes coulaient, dévalant sur le menton aux formes délicates, ruisselant sur le cou long et pur de jeune fille pensive et qui rêve aux fenêtres, humectant une poitrine vigoureuse où les seins semblaient la source de cette lumière étrange qui baignait les environs ― et se perdant sur l'écorce rude et noire qui enserrait en fourreau le reste du corps. En dépit de ses gigantesques dimensions, cette souffrante créature enracinée dans la terre n'en apparaissait pas moins comme fragile et pathétique et appelant à l'aide contre le bourreau qui la tourmente. Mais quel bourreau? Christian Charrière, La forêt d'Iscambe
…les chênes réunissaient ce qui ne se trouve jamais chez l’homme, la double beauté de la vieillesse et de la jeunesse… François-René
de Chateaubriand,
C'était dans la cour centrale, la partie la plus ancienne du cloître, que la
trace du temps se remarquait le mieux. Là, dans un murmure continu,
fantasque, pareil au rire moqueur de la nature même, coulait une fontaine
limpide dont la source originelle était inconnue ou avait été oubliée.
Au-dessus s'élevait un immense platane dont les branches dominaient les
tuiles rouges du toit et du sommet duquel le regard s'étendait sur tout le
pays jusqu'à Livourne et à la mer. Des pigeons, couleur d'ardoise, nourris
sur les champs des environs et considérés par les paysans à des lieues à
la ronde avec un certain respect superstitieux, habitaient son faîte. Ses
énormes racines noueuses, tordues comme de gigantesques serpents,
surplombaient les bords de la fontaine et, enserrant son large bassin,
disparaissaient en de puissantes convulsions sous les dalles, dans le sol
fertile de la colline. Au pied de cet arbre séculaire s'étaient dressés
pendant des siècles, se mirant dans la fontaine, les antiques statues des
jumeaux Castor et Pollux (...). Hervey Allen, Anthony Adverse
...il faudrait que nous comprenions mieux ce que peut être pour un homme un arbre qui lui est dédié, un arbre qu'un père ivre de durée, plante dans la saison même de la naissance de son fils. Mais trop rares sont les pères qui enracinent la vie des fils dans un sol ancestral. Ce que le père ne fait pas, l'enfant rêveur l'accomplit parfois dans un songe familier. Il choisit au verger ou dans la forêt un arbre, il aime son arbre. Je me revois enfant, accoté aux racines de mon noyer pour lire, monté dans un noyer pour lire... L'arbre adopté nous donne sa solitude. Avec quelle émotion aussi j'ai relu les confidences de Chateaubriand vivant de longues heures dans un arbre creux, dans le tronc d'un saule où viennent jouer toutes les bergeronnettes de la lande... Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos
Parfois, couché sur le ventre, enserrant mon ormeau des pieds et des genoux,
je me laissais aller à une torpeur bienheureuse. Et les heures brûlantes
glissaient sur moi, sur mon corps engourdi d'oisiveté et de rêvasseries. La
joue posée sur un coussin de mousse fraîche, je contemplais d'un œil
absent le monde que je surplombais, ce rond d'herbe au-dessous de moi,
l'énorme tronc qui jaillissait de terre, les racines qui affleuraient,
rampaient à découvert avant de plonger à nouveau. Pierre Gabriel, L'Ormeau
John avance parmi les broussailles et les arbres aux troncs convulsés. En se
glissant entre eux il sent sur son corps le contact d'une vie puissante:
arbres, arbres qui plongez vos racines dans le cœur
secret de la terre, de quelles mystérieuses obsessions craquez-vous sous la
brise? John se heurte soudain à une haie infranchissable, une haie si dense
qu'il ne peut même pas imaginer que quelqu'un soit capable de la franchir. Et
pourtant, pourtant à ses pieds il voit un sentier qui se dirige tout droit
vers cette barrière de végétation violente. Il voit le sentier qui se
dirige tout droit vers un arbre dont le tronc colossal, pour pénétrer dans
la terre, se partage en deux. L'arbre est creux! Le tronc est vide! John
s'agenouille et se faufile à l'intérieur. Et aussitôt... aussitôt il
éprouve un inconcevable bonheur, un bonheur tel que pendant un instant il
croit défaillir. Il renverse la tête en arrière et son regard se perd dans
la nuit haute. Alors une curieuse sensation l'envahit: il lui semble que de
tournoyants escaliers montent et montent vers un monde supérieur, vers des
immensités parallèles dont l'univers présent ne serait que la caricature et
comme la grossière contrefaçon. Il lui semble que là-haut naissent et
meurent des soleils différents... Il ferme les yeux et chasse l'hallucination
pullulante. Puis à quatre pattes il se glisse vers l'autre faille du tronc et
débouche au-dehors, de l'autre côté de la haie.
Quand j'étais enfant, j'étais un fou des arbres, je passais mes
journées à grimper dans les platanes et les poiriers, à y jouer avec ma
sœur et ses
amies, et je m'arrangeais toujours pour y monter le dernier afin de voir
leurs culottes parfois souillées. Nous y passions du temps, Denver, ses
amies et moi, abrités derrière les rideaux de feuillage, goûtant les
biscuits que nous avions chipés à la bonne, et nous riions des jeux de
lumière à travers les branchages et du vent qui sifflait parfois en
longues rafales tièdes, nous élisions chaque fois un arbre différent,
le parc était très vaste (...) nous restions jusqu'au soir à jouer à
des jeux que j'ai oubliés ou bien à chantonner en écoutant le bruit du
vent dans les arbres, et nous aurions aussi bien pu y rester jusqu'à la
nuit Christian Garcin, Du bruit dans les arbres
Pourquoi se donner tant de mal pour aller voir ce crétin d'arbre muet?
Pour rien, parce qu'il se l'était promis et qu'il en avait par-dessus la
tête de s'enliser dans cette histoire ou le sauvetage d'Alexandra
devenait chaque jour plus douteux. (...) Fred Vargas, Debout les morts
Après les arbres, je me découvrais une nouvelle famille: les livres. Mais les seconds ne prenaient-ils pas corps dans la chair des premiers, n'étaient-ils pas tout autant emplis de feuilles bruissantes, chuchotantes? Les uns et les autres puisaient dans la terre, dans l'humus et la boue des jours, leur force et leur élan, et ils s'épanouissaient dans l'espace, en plein vent. La sève, l'encre ― un même sang obscur coulant avec lenteur, roulant vers la lumière, et frémissant de la rumeur du monde. Sylvie Germain, Chanson des mal-aimants
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