Rencontre avec Thomas
Sandoz
dernière mise à jour :
4 décembre 2009 |
Thomas Sandoz et Marie-Françoise Godey à Luxeuil
Photo: Philippe Soriano
|
|
Le
Café Littéraire luxovien
recevait Thomas Sandoz
le 19 novembre 2009 à 20 h.
pour une Lecture-rencontre,
à la Bibliothèque Municipale
de Luxeuil-les-Bains,
avec l'aide du CRLFC,
dans le cadre du Festival littéraire itinérant:
Les
Petites fugues |
Par
Marie-Françoise:
Grand, bouclé, souriant, ouvert et détendu, prompt à répondre et
échanger avec un public vivement intéressé par l'aspect
psychologique du personnage qu'est la jeune fille de son dernier
livre "La
Fanée" (éd. G d'encre, 2008) ―
si opposée à lui par son renfermement et son silence ―,
c'est sa vision des Franches Montagnes du Jura helvétique
qu'apportait Thomas Sandoz, en même temps que les clés de son ouvrage.
La Fanée, en effet, est née de
son désir de rendre dans un récit littéraire "la
sensation étrange que procure le paysage, à certains moments,
lorsque ce qui est beau l'est tellement qu'il en devient
désagréable. J'ai essayé de partir de cette émotion en la
mettant dans quelqu'un qui déteste ce monde, puisqu'elle, la
Fanée, voudrait être ailleurs, être une autre."
Thomas Sandoz, issu de la branche des Sandoz du Locle qui remonte au
XVIe
siècle, déclare indiquer sur
sa carte de visite (après avoir précisé qu'il n'a pas fait "chimie") trois qualités:
1) docteur en psychologie, avec un
parcours universitaire complet en ce domaine.
2) épistémologue, "Selon ma
définition, l'épistémologie est l'histoire des vérités que se
donnent les hommes. Ce qui m'intéresse c'est comment on fabrique la
vérité. Par exemple dans
Histoires parallèles de la médecine (Seuil, 2005) j'ai voulu
raconter la naissance d'une centaine de thérapeutiques
"non orthodoxes", c'est-à-dire apportées par quelqu'un
qui a eu une grande souffrance, que l'orthodoxie n'a pas réussi à
traiter et qui pense à un moment donné avoir un meilleur moyen de
venir à bout de cette souffrance et qui devient un défenseur de sa
propre théorie pour en faire bénéficier les autres."
"C'est très amusant en fait." ajoute-t-il.
3) écrivain, "Parce qu'à
l'heure actuelle je passe la plupart de mon temps à m'occuper de
mes deux enfants. Je suis père au foyer. Ce qui n'est pas très
sexy, car très vite dans le monde d'aujourd'hui on est pris pour
quelqu'un qui n'est pas intégré dans le monde du travail. Je
l'assume totalement, c'est un choix volontaire avec mon épouse.
L'autre moitié du temps j'écris."
"Je ne sais pas si je suis écrivain avant d'être psy ou psy
avant d'être écrivain.
"Lorsque je veux faire mon travail de psychologue, j'écris
un livre qui s'appelle Déprimé ou dépressif? (éd de L'Hèbe,
2001), qui est un produit utile, avec un message et des conseils."
Mais
pour La Fanée [dont Thomas Sandoz a lu un large extrait et
dont il fut longuement discuté], je voulais jouer l'écrivain."
"Il y a plein de "petites fanées" un peu partout,
mais le personnage de La Fanée n'est pas un cas, n'existe
pas, c'est
une fabrication littéraire, volontairement littéraire, j'insiste,
issue de l'imagination.
Evidemment mon travail a été de rendre ce récit le plus crédible
possible. " |
|
"D'où vient ce qu'on écrit?
C'est un joyeux
mélange. Le métier d'écrivain c'est d'être une
éponge, de prendre le maximum autour de nous.
Notre
rencontre d'aujourd'hui, je vais m'en souvenir, il y a une
odeur particulière ici, qu'il n'y a pas ailleurs, qui
pour moi sera associée à ce lieu de Luxeuil.
Il y a le vécu aussi.
Notre métier d'écrivain est de tout mélanger, de
touiller comme on dit chez nous, pour en faire quelque
chose."
|
Thomas Sandoz à Luxeuil
Photo: Philippe Soriano
|
|
Interrogé sur sa monographie Derrick-l'ordre des choses
(éd. de l'Hèbe, 1999), Thomas Sandoz en confie la genèse. Il voulait
écrire une chronique, peu amène, sur cette série policière allemande
d'ambiance glauque, dont il avait, par hasard, suivi quelques épisodes.
Ne trouvant rien dans la documentation de la bibliothèque cantonale et
universitaire de
Lausanne sur cette série au héros planétaire le plus fidèle de la
télé depuis 1974, il s'en étonne, décide d'approfondir,
visionne tous les épisodes et se rend compte que tous sont signés du
même scénariste
Herbert Reinecker. Lequel retient son intérêt, il pourra même le
rencontrer. Herbert Reinecker fut
l'un des auteurs allemands les plus populaires, pendant et après
la guerre. Cet auteur, au passé national-socialiste, s'est remis en question après
l'issue du conflit mondial. Son œuvre s'en ressent profondément et par
le biais de l'inspecteur Derrick, policier bavarois très humain et fin
psychologue, Herbert Reinecker, dans sa série à message, s'efforce
de montrer la lutte entre le bien et le mal, et que le bien peut
triompher du mal.
Enfin, Thomas Sandoz confie que, après des ouvrages durs comme Gerb
(éd. L'Âge d'homme, 2000) ou
La Fanée ―
au point que certains critiques lui ont reproché de
vouloir faire mal à ses lecteurs ―, le prochain sera plus drôle,
avec de l'action, des dialogues, afin qu'il puisse être perçu par des
jeunes auxquels il faut donner à lire des choses plus "bling-bling",
plus chouettes. Il y travaille. Même si pour l'instant il est
insatisfait de ses premières tentatives et n'a pas hésité à
détruire deux manuscrits de quatre cents pages. Ce qu'il ne regrette pas, les
considérant comme des exercices nécessaires, comme les gammes qu'effectue jour
après jour un musicien, qu'il est aussi.
Ne doutons pas qu'il y réussira, car il fait
montre d'une grande maîtrise de l'écriture, qu'il veut sobre,
éliminant par exemple dans le roman La Fanée tous les adverbes qui
enrichissent trop, s'astreignant aux phrases courtes de pas plus de
quinze mots. Ce qui donne une prose, belle, que les lecteurs aiment lire
lentement et qualifient souvent de poétique. Il est bien dommage que
ses ouvrages soient, jusqu'à présent, si mal diffusés. |
par Adéla :
Dans sa
présentation, Martine Mouhot, la responsable de la médiathèque de
Champagney, s'étonnait du parcours époustouflant de cette jeune femme
au nom peu courant de Maylis de
Kerangal.
Originaire
du Havre, d'une famille de marins au long court, Maylis de Kerangal a
fait hypokhâgne, se trouvait à Berlin lors de la chute du mur, se
trouvait en Roumanie lors des événements des Ceausescu, a publié des
artiches d'ethnologie marine, a envoyé son C.V. chez Gallimard qui l'a
embauchée dans le secteur adolescence jeunesse. Entre 2000 et 2008 elle
a publié 7 livres, dont 3 aux éditions Verticales. En plus de cela
elle fait du plongeon, de l'escrime, de la
gymnastique, du tennis, etc., a écrit pour des revues de sport et est
mère de quatre enfants.
En tenue décontractée, d'emblée au lieu de s'asseoir derrière
la table prévue pour la rencontre, elle s'installe devant, plus proche
du public, mais aussi sans garde fou. N'a-t-elle pas écrit,
"Corniche Kennedy", cette histoire d'adolescents qui défient
les lois de la gravitation et de la société en plongeant d'une
plate-forme de la côte marseillaise.
Maylis de Kerangal confie qu'elle a
besoin de se dépenser, que l'écriture est aussi un moyen de le faire.
Qu'elle ne supporte pas d'être enfermée, aime avant tout être dehors,
et s'organise pour écrire, se réservant deux fois pas semaine des
plages horaires d'une dizaine d'heures d'affilée ou presque, durant
lesquelles elle se concentre, se met au travail. Elle confie aussi que
chez elle l'inspiration ne tombe pas du ciel, mais vient au contraire du
travail. Son temps pour écrire un livre peut être très variable.
Si "Ni
fleurs ni couronnes" lui a pris deux trois ans de maturation
et d'écriture, elle a écrit en quelques mois "Corniche Kennedy".
Maylis de Kerangal aime faire des
descriptions, a un rapport très présent au lieu. Elle aime écrire au présent, couper la monotonie d'un
paragraphe par un mot rare, un mot qu'elle trouve beau, voire un gros
mot ou une expression d'adolescent comme "déchirer sa race" par exemple, qui interpelle
énormément. Elle écrit "à l'oral", se relisant à haute voix, accorde
une grande importance à la ponctuation, cette respiration. "Ecrire
c'est la captation du vivant" dit-elle. Aussi son style est-il rapide.
Elle a abandonné la forme classique et linéaire et les "motifs"
(terme qui revient souvent dans sa bouche) de son premier roman. Enfin,
elle confie accepter volontiers et
apprécier que son éditeur attentif lui fasse remarques et suggestions, la
poussant à améliorer son travail, à aller au bout de son propre
projet.
Très expressive, Maylis de Kerangal se
donne corps et âme à ce qu'elle fait et sa
gestuelle, lorsqu'elle lit l'un ou l'autre passage de ses oeuvres,
montre qu'elle est n'est plus là, mais au cœur de l'action de son livre.
|