Le
Café Littéraire luxovien / Les Petites fugues 2005
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Sur le thème : Le Temps de la lecture, se mettre en décalage horaire
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Rencontre avec Denis Grozdanovitch
Marie-Françoise Godey : Ce
qui surprend chez Denis Grozdanovitch, c’est le visage, qui passe très
rapidement de la concentration la plus sérieuse au sourire large et
franc, au rire même, et vice versa. Dans
ses propos, il emploie l’expression « Faire contre mauvaise
fortune bon cœur ». C’est peut-être pour cela, que dans
ses carnets, très soignés, écrits en solitaire à la pointe rothring
pour un «Charmant Eventuel Lecteur, (car on n’écrit jamais seul,
on écrit toujours pour autrui) », sur des pages sans ratures et
sans réglure, et qu’il nous a montrées, l’écriture est
ascendante. Signe, dit-on, d’une nature optimiste, qui ne se laisse
pas enfermer dans la tristesse, dans le pessimisme, même s’il est très
lucide et sensible aux graves problèmes actuels, engendrés par la
vitesse, le stress, la violence, etc. qu’il aborde dans ses ouvrages. Il
y réagit en une sorte d’ « individualisme solidaire »
(terme repris à Loriot), et
se dit « anarchiste conservateur ». « Il
vaut mieux lutter dans son coin, plutôt que de commencer à proposer
des plans extrêmement ingénieux, comme le font les technocrates, qui
englobent le monde entier la globalisation même intellectuelle,
est une chose qui me donne le vertige », dit-il encore. Mais
cet aspect politique est loin d’être le plus important, il y a de
toute façon un aspect littéraire et poétique dans les écrits.
D’une grande culture bien qu'ayant abandonné ses études
à dix sept ans, suite à sa réussite tennistique qui lui a permis de
« vivre extrait du côté contraignant de l’époque, du
travail au sens industriel du terme », − il est grand
lecteur et fréquente assidûment le dictionnaire, emploi bien des mots
pour leur résonance, leur musicalité dans la phrase. Ne
voulant pas ennuyer les personnes présentes, dont nombre connaissaient
ses deux premiers ouvrages, il a lu de larges extraits de « Brefs
aperçus sur l’éternel féminin », à paraître en mars
2006, "commande" de l’éditeur Robert Laffont. Livre en
grande partie sur la séduction, aux textes retravaillés (avec son épouse
complice, pour correctrice en phase finale), et toujours à partir des
notes de ses carnets qu’il prend tous les matins, ceux-ci étant un véritable
vivier dans lequel il lui suffit de puiser sur n’importe quel thème,
puisqu’il aborde tous les sujets. Il
introduit ces « Brefs aperçus sur l’éternel féminin »
par un exergue du grand humoriste et moraliste anglais qu’est Gilbert
K. Chesterton : « La raison pour laquelle les hommes ont
depuis l’origine de la littérature toujours parlé des femmes comme
si elles étaient plus ou moins folles est simplement que les femmes
sont naturelles et les hommes avec leurs cérémonies et leurs théories,
très artificiels. » Ce qui donne le ton. Le
public − et l’auteur lui-même, en lisant certains textes
des plus drôles −, a ri à gorge déployée, et très souvent,
mais a eu également des moments d’émotion intense à l’écoute
d’autres, en particulier l’un de ceux dans lesquels Denis
Grozdanovitch évoque sa fille. Nous confiant en fin de compte et la
gorge serrée, que pour lui, ce livre est un moyen, en fait,
de parler d’elle, d’en exprimer la perte, à travers des
"histoires" vécues, – pas uniquement avec elle d’ailleurs
–, cocasses et drôles, mais aussi poignantes. Car s’il comporte
beaucoup de textes humoristiques, mais nullement scabreux, ce livre
comporte aussi des textes qu’il qualifie de « mélancoliques
ou plutôt graves ». Derrière
une "désinvolture", et une joyeuseté réelle, Denis
Grozdanovitch qui est aussi un excellent conteur et aime tester ses
histoires oralement (le public de Luxeuil eut la primeur de l’une
d’elles, qui entrera n’en doutons pas, dans un prochain ouvrage),
abrite donc des plaies, vit avec ses fantômes. Est-ce
l’explication de ce visage tantôt sérieux et tantôt gai ?
L'humour étant un moyen de pallier à la douleur, « Transcender
une situation atroce par le comique, ou la dérision... », de
résister, comme c’est le cas de l’humour juif, anglo-saxon,
italien... Nous
l’avions pressenti à la lecture du Petit traité de désinvolture
et de Rêveurs et nageurs, Denis Grozdanovitch est un être
sensible, profond, franc, ouvert à tous et déridant. Nous en avons
trouvé ce soir la confirmation, par ses propos, son attitude. Ce qui
nous le rend d'autant plus attachant.
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