Le Café littéraire luxovien / maison... |
Une maison à l'abandon que j'aperçus dans l'angle mort, comme ces ruines
qu'on découvre, ensevelies sous le lierre à l'orée d'une forêt,
probablement hantées, qui respirent l'humidité, le salpêtre et les
histoires malsaines, ces bâtisses grossièrement barricadées, qui
contiennent encore pa peur des nuits d'orage, des bûches à moitié
calcinées dans la cheminée, des bris de verre et des papiers anciens qui
jonchent le parquet. Brigitte Giraud, Vivre vite
Parler un peu de la rue du Métal, maintenant. Revoir Paula qui se présente devant le numéro 30 bis ce jour de septembre 2007 et recule sur le trottoir pour lever les yeux vers la façade ― c'est un moment important. Ce qui se tient là, dans cette rue de Bruxelles au bas du quartier Saint-Gilles, rue quelconque, rue insignifiante, rue reprisée comme un vieux bas de laine, est une maison de conte: cramoisie, vénérable, à la fois fantastique et repliée. Et déjà, pense Paula qui a mal aux cervicales à force de renverser la tête en arrière, déjà c'est une maison de peinture, une maison dont la façade semble avoir été prélevée dans le tableau d'un maître flamand: brique bourgeoise, pignons à gradins, riches ferrures aux fenêtres, porte monumentale, judas grillagé, et puis cette glycine qui ceint l'édifice telle une parure de hanches. Alors, exactement comme si elle entrait dans un conte, exactement comme si elle était elle-même un personnage de conte, Paula tire la chevillette, la cloche émet un tintement fêlé, la porte s'ouvre, et la jeune fille pénètre dans l'Institut de peinture; elle disparaît dans le décor. Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main
Mais dans cette somme de données inconnues il y avait une chose dont elle était sûre, cette maison était louée pour la première fois. Elle le sentait. Elle l'avait perçu à tout un tas de détails. À ce matelas trop neuf, un peu dur, avec son étiquette et son enveloppe de plastique, mais aussi à ces couverts dans les tiroirs, beaucoup trop vieux en revanche, de même que les verres et les assiettes, de toute évidence cette vaisselle était bien trop usée pour servir encore régulièrement. Et puis, plein de choses n'allaient pas dans cette maison, les sanitaires déjà, ces bruits bizarres que faisait la tuyauterie quand l'eau coulait, une eau avare qui plus est, et les prises de courant rondes, aussi, qui ne marchaient pas. Pas de doute que si d'autres gens avaient loué cette maison avant eux, ils s'en seraient plaints, au quotidien ce n'était pas commode d'avoir si peu de pression à l'antique pommeau de douche, sans parler de ces tâches d'étain sur le miroir de la salle de bain, il fallait se pencher pour se voir, et mille autres détails encore qui auraient certainement été corrigés au cas par cas, suite aux récriminations des locataires, et surtout aux commentaires sur Internet. Le plus incommodant, c'étaient ces vieux meubles et ces placards usés, ces tiroirs qu'il fallait forcer parce qu'ils refusaient de s'ouvrir, de même que ces armoires renfermant leurs secrets, ces menuiseries menaçant de céder, tout signifiait que cette maison n'avait pas été habitée depuis des années, qu'elle n'avait pas été fréquemment ouverte ni aérée. En découvrant l'annonce il y a trois mois Lise l'avait pressenti (...) elle avait bien compris que personne n'avait loué ces lieux avant eux, ni vécu là depuis des lustres, cet inédit l'avait attirée. Serge Joncour, Chien-Loup
Moi aussi j'ai une théorie, dit Nastia Eltsova (...) Au sujet des
maisons. Elle dit qu'il n'y a rien de tel qu'une maison. À part les
enfants, bien sûr. Mais les enfants s'en vont, pas les maisons. Javier Sebastián, Le cycliste de Tchernobyl
Les maisons de notre enfance sont des maisons qui reviennent dans nos rêves, mais subtilement modifiées, comme des approximations, ou des interprétations du souvenir, et non le souvenir lui-même. Dans ces rêves, les maisons sont généralement plus grandes que dans la réalité, elles ont davantage de pièces, des portes mystérieuses menant... où cela? Il y a toujours la promesse, alarmante mais irrésistible, de pièces encore à découvrir, derrière un mur du fond, au grenier peut-être, ou dans la cave de terre battue, des endroits encore inexplorés qui nous font signe. Joyce Carol Oates, Paysage perdu
Dans le château ruiné, aux toits crevés, de Bonnefont, le froid règne presque plus qu'à l'intérieur des chaumières des manants. Le grande demeure reste inchauffable avec ses pièces délabrées, ses passages, ses cabinets, ses multiples courants d'air. L'eau gèlerait dans les carafes et le vin dans les bouteilles si on ne les avait pas déposées sur le rebord de la cheminée où le feu souffle un bruit continu de rouet tissant le chanvre. Jean Teulé, Le Montespan
Ce petit salon, ou fumoir, conduisait également à la chambre blanche et fleurie de l'oncle et de la tante, détail qui, dans mon enfance, représentait un rébus insoluble et me faisait courir partout comme un jeune chiot surexcité, au grand dam de mes parents, à la recherche du plan qui me permettrait enfin de déchiffrer l'énigme du couloir desservant la chambre à coucher d'où l'on pouvait gagner le petit salon, contigu au living-room, lequel donnait à son tour dans le vestibule et la bibliothèque avant de rejoindre le couloir: chaque pièce, y compris le bureau et la chambre à coucher possédait deux ou trois portes, détail passionnant qui transformait la maison en labyrinthe, en dédale de ruelles ouvertes aux quatre vents, ou en forêt, de sorte que l'on pouvait se glisser de trois ou quatre manière de l'entrée jusqu'à la chambre-de-bonne-sans-bonne, derrière la cuisine, au fond de la maison. Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
Au premier étage, Melchior ne retrouva aucune trace de sa chambre ni de celles de ses frères. Toutes les portes intérieures en chêne massif avaient été enlevées, des murs abattus et remplacés par des cloisons. Adrien, en tant que fils aîné, avait eu droit à la plus jolie chambre de cette partie de la maison. Melchior se souvenait qu'elle était toute lambrissée. On en avait fait une salle de douche aux murs recouverts d'un carrelage affreux. Dans sa chambre à lui, il se souvenait d'une cheminée d'angle sur laquelle il comptait faire trôner son chandelier de San Diego. Plus de cheminée! Même plus de chambre du tout! À la place, on avait fait installer des sanitaires. Deux lavabos encadraient la fenêtre. Un water-closet à la place de son lit! Voilà ce qu'on avait fait de la chambre où Melchior avait attendu que sa mère vienne lui dire bonsoir et souffler sa bougie! Le reste de l'étage n'était plus qu'un vaste dortoir rectangulaire, terne et triste, une sorte de boîte à chaussures agrandie, un espace sans charme dont on avait détruit les cannelures et la poésie, les glyphes, les strigiles et le mystère. François Weyergans, La démence du boxeur
Je passe par le jardin, par-dessus les pointes de la grille. J'écris sur la porte de la cuisine, au charbon: «Claudine est sortie, elle rentrera pour le déjeuner...» Avant de franchir la grille, jupe relevée, je souris à ma maison, car il n'en est pas de plus mienne que cette grande case de granit gris, persiennes dépeintes et ouvertes, nuit et jour, sur des fenêtres sans défiance. L'ardoise mauve du toit se pare de petits lichens ras et blonds et, posées sur le pavillon de la girouette, deux hirondelles se rengorgent, pour faire gratter leur plastron offert et blanc, par le premier rayon aigu du soleil. Colette et Willy, Claudine en ménage
La construction d'une maison est un spectacle réconfortant: il comble
notre vanité, ce désir qui toujours nous pique de laisser un souvenir et
des traces durables de notre passage ici-bas. La maison hantée, Alberto Savinio
L'homme ― opaque et subtil ― s'il construit sa maison, se trouve par elle éclairci, expliqué, déployé dans l'espace et la lumière. Sa maison est son élucidation, et aussi son affirmation, car en même temps que transparence et structure, elle est main-mise sur un morceau de terre ― creusé par la cave et les fondations ― et sur un volume d'espace défendu par les murs et le toit. Michel Tournier, Les météores
La maison, le Gran Masten la fit construire à la fin du dix-huitième siècle quand il devint un particulier, quelqu'un qui avait sa terre à lui, des bœufs, des vaches laitières, des poules et des lapins et tant de boisseaux qu'il avait besoin d'autres bras. Il était pressé et ne se préoccupa pas trop des fondations, aussi la maison avec sa façade jaune, vit dans le temps s'ancrer à la terre, l'une après l'autre, la longue suite des pièces. Une construction à deux étages plus le grenier aux fenêtres écrasées au contact direct du toit. Le sentier de tommettes la reliait à l'allée qui en bas tournait vers la grille, tandis que le fenil et les étables se prolongeaient de côté jusqu'à arriver à la route sur laquelle s'ouvrait le grand portail de planches. Comment appelait-on cette route? À l'heure actuelle il est difficile de le savoir; la maison était la dernière du village et quand, par la suite, en fut construite une autre celle-ci eut l'obligation du mur aveugle pour la partie qui donnait sur le jardin. Rosetta Loy, Les routes de poussière
Il habitait la maison qui avait appartenu à ses parents, au milieu d'un
quartier résidentiel, avant Carabacel. On suivait l'avenue d'Albigny et
on tournait à gauche, juste après la préfecture. Quartier désert, rues
bordées d'arbres dont les feuillages formaient des voûtes. Villas de la
bourgeoisie locale aux masses et aux styles variables, selon le degré de
fortune. Celle des Meinthe au coin de l'avenue Jean-Charcot et de la rue
Marlioz, était assez modeste si on la comparait aux autres. Elle avait
une teinte bleu-gris, une petite véranda donnant sur l'avenue
Jean-Charcot, et un bow-window du côté de la rue. Deux étages, le
second mansardé. Un jardin au sol semé de graviers. Une enceinte de
haies à l'abandon. Et sur le portail de bois blanc écaillé, Meinthe
avait inscrit maladroitement à la peinture noire (c'est lui qui me l'a
confié): VILLA TRISTE. Patrick Modiano, Villa Triste
Cette maison n'avait rien de spécial, ni beauté ni étrangeté architecturale. Vraiment, à première vue on n'y trouvait rien de fascinant ou de provocant. Et pourtant elle tranchait sur les autres. Son style, si l'on pouvait parler de style, était un léger baroque 1900, aux vagues réminiscences autrichiennes, de cette prétention qui se voulait aristocratique et qui plaisait tant entre les années 1920 et 1930. Ce n'était pourtant pas cela qui faisait son charme, d'autant plus que ce même style, et ces mêmes fioritures se retrouvaient dans de nombreuses autres habitations du quartier qui, elles, ne disaient rien. Et Resera, qui avait ralenti le pas pour prolonger le spectacle, n'aurait pas su s'expliquer pourquoi le petit hôtel éveillait en lui un intérêt aussi ardent et presque physique. Dino Buzzati, Un amour trouble (nouvelle dans Le K)
Un domaine magnifique: longue allée de platanes menant au château
dix-huitième noyé dans le vignoble bordelais, longue allée de sapins
conduisant à une gentilhommière solognote, à un manoir normand. Envie
soudain de marcher seul, maître des lieux, les mains nouées dans le
dos, un peu penché en avant, en s'inventant le poids d'un vrai destin,
d'un vrai passé, d'une mélancolie pour justifier l'accablante
propriété de cette perfection de pierres et de feuillages. Juste
quelques secondes. Et puis on dit: Philippe
Delerm, La maison du gardien me suffirait
La haute maison étroite, dont les pignons avaient été surélevés jadis, semblait exsuder par son crépi une variété particulière de silence sec et brûlant; non pas le silence coutumier aux trop chauds vibrants après-midi estivaux, quand tous les sons éparpillés ne font que se reposer en attendant l'instant où ils pourront de nouveau prendre leur envol; quelque chose d'autre, en moins ou en plus, on ne le définissait pas a priori; le silence des choses et des instants finis, retombés partout alentour, gangue invisible, lourde, serrée, qui semblait non pas uniquement peser sur l'endroit mais émaner de partout pour se concentrer là, se brisa en milliers de fragments, dès que le gamin et l'homme eurent franchi le seuil en écartant le rideau de perles de bois colorées. Pierre Pelot, Ce soir, les souris sont bleues
...il avait, cet anonyme, hypothétique et cependant nécessaire architecte de Morgante, laissé les parois de son prisme hexagonal à la perfection d'un appareillage exact, et il s'était contenté d'encadrer d'un chambranle de pierre chacune des six fenêtres, trois par niveau, ouvertes dans chacune des six façades, d'accompagner d'une fine archivolte l'arc des deux portes de plain-pied qui remplaçaient les fenêtres médianes sur les deux façades centrales et opposées, de marquer par un bandeau bombé la séparation entre le rez-de-chaussée et l'unique étage, cependant que, par exception, et sans qu'il fut possible de décider si c'était là l'effet d'un remaniement de l'espace intérieur ou le résultat d'un choix d'origine opéré par l'architecte en raison précisément de la disposition des volumes qu'il avait prévue pour l'intérieur, ici et là, la pierre des chambranles encadrait une fausse fenêtre, en vérité assez difficilement repérable grâce à l'habile trompe-l'œil de volets intérieurs refermés qui l'apparentaient aux autres fenêtres lorsqu'elles étaient closes. Mais lorsqu'on avait pénétré à l'intérieur de la maison, alors on se prenait à douter que le même architecte qui avait rêvé un prisme de pierre blanches à six faces eût également conçu sa distribution interne, parce qu'il était difficilement imaginable que le même homme, si manifestement porté à la spéculation, à la contemplation et à l'immobilité qu'elle requiert, qui avait dressé son prisme hexagonal sur une aire abstraitement immaculée pour qu'on le contemple dans sa blancheur solaire sur l'écran sombre des arbres, que le même homme qui n'avait sans doute rêvé son prisme qu'en tant qu'il pourrait être la figure de l'immobilité, ait pu, en même temps, non pas bien sûr simplement concevoir mais désirer, aimer la déambulation et la déambulation ludique, désordonnée et joyeuse à laquelle on se voyait contraint sitôt qu'on était entré dans la maison. Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante
Je vois la maison telle que mon grand-père Alexis l'a peinte à
l'aquarelle autour de 1870, quand il était âgé d'une dizaine
d'années. Seule, immense au milieu de la forêt sombre, entourée de
palmiers, de lataniers, de tamariniers, d'arbres de l'Intendance déjà
immenses, de filaos bleutés, avec même cet araucaria un peu bizarre,
portant ses pompons d'émeraude, que mon arrière-grand-père avait
planté à droite de la maison, et qui existe encore. JMG Le Clézio, Voyage à Rodrigues
Les belles demeures de jadis, disait-il, étaient anormalement vides. Lorsqu'on avait besoin d'une table, de chaises, de fauteuils, voire d'une chaise percée, les domestiques accouraient avec l'objet demandé. C'est la raréfaction des gens de maison qui nous oblige à vivre dans un encombrement où les contemporains de Molière auraient vu à coup sûr un déménagement imminent ou un emménagement récent. Et il vantait la beauté large et noble des pièces chichement meublées, hautes de plafond et dont la principale et subtile richesse est l'espace même qu'elles offrent à la respiration et aux mouvements corporels. Michel Tournier, Les météores
Les maisons telles que la nôtre semblaient comme construites à dessein pour
perpétuer l'hostilité et les quiproquos. La première fois que je m'en suis
rendu compte, je ne devais pas avoir plus de cinq ou six ans. D'emblée, comme
il m'arrivait souvent à propos de sujets qui me déplaisaient ou
m'effrayaient, j'échafaudais en imagination les moyens d'y échapper. Je
n'étais pas loin de penser que tout aurait été différent si notre maison
avait été plus petite, dotée d'un seul étage, sans chambres secrètes où
il était interdit de pénétrer, pour ne pas parler des celliers, de la
citerne souterraine et du cachot. Ismail Kadaré, La Poupée
Les décors principaux de notre vaudeville familial frappaient
l'imagination de ceux pour qui l'érotisme reste un hobby hâtif, non un
fanatisme. Toutes nos maisons furent choisies et remaniées de façon
très spéciale afin d'abriter des amours dangereuses. Dans ces bâtisses
révisées, on vénérait l'autre sexe à plein régime. (...) Alexandre Jardin, Le roman des Jardins
Cette maison que je sais si bien par cœur, la taille du salon, le nombre des fenêtres, la couleur des murs, l'inclinaison du toit, le dessin du jardin, cette maison que j'ai quittée déjà vieux, à l'âge de neuf ans et demi, le 31 octobre 1943, et où je ne suis jamais revenu. Qu'en reste-t-il? A-t-elle brûlé, est-elle rasée, habitée bourgeoisement, colonie de vacances, station-service? N'est-elle immense qu'aux yeux de ma mémoire? Subsiste-t-il dans la terre qui l'entoure, dans les arbres du jardin, dans l'air qui l'environne un reflet, une odeur, un écho de ce que je viens d'écrire et de ce que je voudrais encore essayer de restituer? Cent fois j'ai eu l'envie et même l'occasion de me rendre à Vichy et d'aller voir. Cent fois, je me suis dérobé. Charmeil pour moi c'est aussi mon phare, mon désert, ma seule vraie maison. Pascal Jardin, La guerre à neuf ans
La maison de Matriona était dans le même coin, toute proche; quatre
petites fenêtres alignées donnant sur le côté frais, de derrière, une
toiture de copeaux à deux pentes, avec une lucarne de grenier aménagée
en façon de TÉRÈME. Alexandre Soljenitsyne, La maison de Matriona
Ce que les Russes ont du mal à admettre, c'est qu'une des premières choses que vont aimer les Français quand ils vont s'approcher des villes russes, ce sont leurs vieilles maisons en bois toutes brinquebalantes... Peut-être qu'ils les ont trop vues, eux, ces vieilles maisons, et que l'avenir, la modernité, à leur sens, ce sont des grands immeubles modernes, avec la propreté et le confort... Philippe B. Tristan, Carnets de Sibérie
Ils avaient déniché une misérable petite baraque dans un terrain vague, derrière Qiryat-Motskin, une seule pièce sans eau et sans toilettes, avec un toit en toile goudronnée - tu te rappelles la cabane de papa et mama? Oui? L'unique robinet était dehors, au milieu des ronces, l'eau était rouillée et les WC étaient un trou creusé dans le sol, dans un cagibi en planches que papa avait construit derrière. Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
Il y avait là un groupe de cabanes exiguës, d'une extrême simplicité de construction, paraissant bâties avec des éclats de pierres placés simplement en tas et tachées, de-ci de-là, d'un peu de mortier; seules, les cheminées étaient en briques. Dans un coin, une maisonnette avait comme prolongement une échoppe de bois; dans un autre, un appentis de lattes et de fascines servait d'étable aux porcs qu'on amenait là pour y être engraissés durant la période de pêche. Les fenêtres semblaient provenir d'épaves récoltées au hasard. Les toits étaient couverts de toutes les matières susceptibles d'absorber la pluie ou de la laisser s'écouler ― varech, herbes, mousses, terre, gazon ou tourbe. C'était là les habitations d'été, désertes à cette époque, et dont chacune contenait une vingtaine de locataires lorsque la pêche battait son plein. Alors aussi, chaque cabane devenait un débit clandestin d'eau-de-vie. August Strindberg, Au bord de la vaste mer
Quelle étrange maison! Trapue, massive, presque une citadelle. Château
de légende qui offrait, dès le porche franchi, un abri aussi paisible,
aussi sûr, aussi protégé qu'un monastère. Antoine de Saint Exupéry, Terre des hommes
Quand on séjourne longtemps dans une maison, on finit par apprendre à y lire l'histoire de ses propriétaires. Lecture kaléidoscopique au début; on glane de-ci, de-là des indices, des traces, mais en fragments et dans le désordre. Les meubles, les portraits d'ancêtres accrochés sur les murs des couloirs et du salon, les photographies exposés sur les commodes, les bibelots, tout laisse entrevoir des listes pour avancer à tâtons vers le passé récent de la famille maîtresse des lieux. (...) dans les livres, parfois, un lecteur distrait oublie une carte, ou une lettre glissée en guise de marque-page. Ou, mieux, sur un rayon frôlant le plafond, colonisé par les araignées et la poussière, on déniche un dossier cartonné contenant des coupures de presse, ou des journaux intimes bien emballés dans du papier brun solidement ficelés. On devine que la personne qui les a relégués tout là-haut et dissimulés, l'air de rien, avait de secrètes raisons d'agir de la sorte. Sylvie Germain, Chanson des mal-aimants
«Les rideaux ne
sont pas nécessaires; ils ne servent qu'à obscurcir la croissance de la
lumière et des ténèbres; ils abritent, et pourtant ils trompent: une
fois les rideaux disparus, je découvre des coins de la pièce dont
j'ignorais jusqu'à l'existence.» Janet Frame, La fille-bison
Ulysse est le marin qui circule sur les mers; le cyclope est celui qui est à l'entrée de sa caverne, par conséquent celui qui possède un domicile, et dans le récit du Petit Poucet on voit le même conflit s'instaurer dans la mesure où les enfants ont été rejetés d'une chaumière d'ailleurs fort inconfortable, qui n'était pas vraiment leur maison puisqu'on pouvait les en éloigner, somme toute, facilement. Alors que l'ogre a sa maison à lui, une maison bien installée avec les sept lits des petites filles et même sept lits pour les autres qui vont se trouver être les sept petits frères ― ce qui est quand même assez singulier, car pourquoi y aurait-il eu quatorze lits dans cette maison? Une maison avec des greniers et des caves bien pleines, enfin tout ce qui fait la beauté, la splendeur d'une demeure. Et on voit que le Petit Poucet ne retrouvera de maison, c'est-à-dire de lieu bâti pour lui dans ce monde et où il se sente bien, que dans la mesure où il aura détruit la maison de l'ogre en exterminant ses filles et ensuite en s'annexant tous ses biens. Claude
Mettra, Au delà des portes du rêve
La maison n'est pas si bien que ça... Il n'y a pas de quoi, vraiment, être si fière d'une maison. De l'extérieur, mon Dieu!... Avec les grands massifs d'arbres qui l'encadrent somptueusement et les jardins qui descendent jusqu'à la rivière en pentes molles, ornés de vastes pelouses rectangulaires, elle a l'air de quelque chose... Mais à l'intérieur... c'est triste, vieux, branlant, et cela sent le renfermé... Je ne comprends pas qu'on puisse vivre là-dedans... Rien que des nids à rats, des escaliers de bois à vous rompre le col et dont les marches gauchies tremblent et craquent sous les pieds... des couloirs bas et sombres où, en guise de tapis moelleux, ce sont des carreaux mal joints, passés au rouge et vernis, vernis, glissants, glissants... Les cloisons trop minces, faites de planches trop sèches, rendent les chambres sonores, comme des intérieurs de violons... C'est toc et province, quoi!... Octave Mirbeau, Journal d'une femme de chambre
D'ailleurs, même s'il admettait très bien que ces premières impressions pussent être démenties les jours suivants, il éprouvait à l'égard de cette maison une réticence, un retrait intime, la même répugnance à se laisser séduire que provoquait immanquablement chez lui toute manifestation exquisement discrète de bon goût, mais il ne savait pas encore si c'était bien de cela qu'il était question ici, à Morgante. Et c'est alors seulement que lui, Wilhelm, avait-il raconté, s'était souvenu qu'à aucun moment au cours des semaines passées Chaunes n'avait fixé ses rêveries sur la maison de Morgante. Mais il ne doutait pas, en revanche, que lui, Wilhelm, avait ajouté Chaunes, se sentît parfaitement bien dans cette maison qui lui paraissait tellement à sa convenance qu'elle semblait avoir été faite pour lui, ou n'avoir fait qu'attendre pendant des siècles, jusqu'à l'instant même de sa disparition, celui à qui elle serait enfin parfaitement adaptée. Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante
Où me suis-je jamais sentie chez moi? Est-ce qu'on se libère d'un lieu par l'habitude qu'on en a? Est-on chez soi dès lors que la question ne se pose pas? Anne Delaflotte Mehdevi, La relieuse du gué
Une maison est un arrangement structurel de l'espace, géométriquement agencée de façon à offrir ce qu'on appelle des pièces, lesquelles sont séparées les unes des autres par des murs, des plafonds, des planchers. La maison contient le chez-soi mais ne s'identifie pas à lui. La maison précède le chez-soi et lui survit, redevenant maison quand le chez-soi a disparu. Joyce Carol Oates, Paysage perdu
Dans la maison de Sita, tout est neutre. Je veux dire par là qu'elle ne laisse pas s'entasser ses affaires, on n'a donc pas la moindre idée de qui vit ici. Sur les tables, chez Sita, il n'y a rien, sinon un cendrier. Ce n'est pas comme chez Mary, par exemple. On entre dans son arrière-boutique et tout de suite il y a sur la table un jeu de cartes, des pelotes de laine ou un numéro du magazine Fate qui disent bien qui elle est. Louise Erdrich, Le pique-nique des orphelins
Vous habitez à la Cité de l'Émaillerie depuis 1947. À l'époque, toute la Cité et tout le terrain appartenaient aux Japy. Les maisons étaient réservées aux contremaîtres. Le bâtiment que vous occupez à été vendu à la fermeture, en 1955. À chaque porte d'entrée correspondent deux appartements: l'un est au rez-de-chaussée et l'autre à l'étage. Ils ont chacun trois pièces, ainsi qu'une cuisine ― un jardin de deux ares situé ou devant où derrière. Vous vous chauffez toujours avec la cuisinière à bois. Mais en 1974 vous avez fait des travaux: vous avez installé des W.-C. A l'intérieur pour remplacer ceux qui étaient à l'extérieur. Vous avez transformé l'escalier de la cave pour installer une salle de bains: en fait il n'y a qu'un lavabo et une douche car la place manquait pour mettre une baignoire. Vous avez un voisin qui a quatre-vingt-deux ans et qui occupe le même logement depuis l'âge de trois ans. Cependant les gens ne se fréquentent plus guère a l'Émaillerie. Et puis il y a eu des nouveaux. Jean-Paul Goux, Mémoires de l'Enclave
La caravane m'a sauvé. Derrière un verger planté de «basses-tiges» ―
tous arbres à fruits, même le cerisier qui n'a jamais donné que des
merles ― qui masquaient à ma vue la maison pleine de fureur et de
bruits, j'avais enfin trouvé un lieu à ma mesure, entre le camp volant
et la cabane dans les branches, entre départ et arrivée. Guy Goffette, Partance
Chaque maison était pourvue d'une cave et d'un grenier dont le simple nom serrait le cœur de ceux qui étaient nés dans des lieux où l'on n'avait pas de cave obscure sous les pieds, de grenier sombre au-dessus de la tête, de garde-manger, de commode, de buffet, d'horloge antique ou de puits muni d'un treuil dans la cour. Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres
Le jardin, la maison et l'homme sont un organisme vivant qu'il ne faut pas démembrer. L'homme doit être là. Les plantes ne s'épanouissent bien que sous son regard aimant. Si pour une raison quelconque, l'homme quitte sa demeure, le jardin dépérit, la maison tombe en ruine. Michel Tournier, Les météores
Il reconnaît dans l'enclos face à l'île une vaste maison de bois aux piliers courts et trapus, jadis habitée. À présent, partiellement démolie, délavée par la pluie, décapée par le vent du soir chargé d'embruns, elle a l'air complètement abandonnée. Il se souvient que les Malais n'aiment guère réparer leur maison, encore moins les démolir. Cela dérange les esprits et peut porter malheur. Il vaut mieux en construire de nouvelles selon les rites et laisser celles qui ont fait leur temps mourir de leur belle mort, retourner lentement à la terre. François-René Daillie, Élisa ou La Maison malaise
La vie n'est pas bruit ni orage, Maria Tsvetaïeva, Le ciel brûle
Ah! le merveilleux d'une maison n'est point qu'elle vous abrite ou vous réchauffe, ni qu'on en possède les murs. Mais bien qu'elle ait lentement déposé en nous ces provisions de douceur. Qu'elle forme, dans le fond du cœur, ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes... Antoine de Saint Exupéry, Terre des hommes
La maison a façonné notre vision du monde. Comment font les autres enfants, ceux qui ont grandi dans des appartements en ville, comment le monde s'est dessiné plus tard autour d'eux s'ils n'ont pas eu de maison avec cave, rez-de-chaussée, étage, grenier, cour. Fabienne Jacob, Corps
... Il y eut ainsi pour nous (...) parmi les pièces en façade, des chambres vertes, acidulées, matinales par nature, et légères comme un lendemain d'orage, des chambres jaunes, amples, glorieuses, alertes comme un départ et solennelles comme un appel de trompette, et des chambres rouges, évidemment lourdes, chauffées par les soleils de cent mille après-midi, et puis, parmi les pièces intérieures, toute sortes de chambres bleues, feutrées, douces, veloutées, tirant sur le violet parfois, austères comme une salle de conseil, glissant parfois vers le bleu pâle, fragiles alors et comme appropriées aux chuchotements des effusions tendres, toutes sortes de pièces grises enfin, argentées ou perlées ici, comme les soupiraux ouverts à l'horizon des ciels d'orage, et sombres, là, ou parfaitement blanches, mais inquiétantes de toute façon, comme un grand vide sans ombre où l'on pourrait crier à jamais inutilement. Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante
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Enzo avait accès à une autre pièce. (...) Celle à laquelle on ne pense
jamais car on ne l'appelle pas "pièce": l'entrée. Fred Vargas, Quand sort la recluse
Le couloir, un long couloir dans un appartement, pouvait être bien davantage qu'un organe fonctionnel de circulation lorsque toutes portes closes on s'y enfermait dans une parfaite obscurité et que l'on y demeurait jusqu'à temps qu'on ait envie d'ouvrir d'un coup la porte du fond comme si l'on était vraiment celui qui fait le jour et la nuit. Fabriquer un espace où l'on puisse épouser ses nécessités et inventer ses effets, rendre ainsi l'espace habitable, c'était ça pour Simon le rôle de l'architecte. Jean-Paul Goux, Sombres contrées
Je n'ai jamais aimé les couloirs, ils m'ont toujours fait peur, c'est quoi au juste la fonction des couloirs, leur inutilité peut-être. C'est normal, m'a dit mon ami (...) le mort passe toujours par les couloirs. Fabienne Jacob, Mon âge
Je ne suis que le locataire de la maison sous laquelle se creuse et s'étend la cave. Je n'ai jamais été propriétaire de quoi que ce soit, sinon de quelques châteaux en Espagne. Jean-Claude Pirotte, Expédition nocturne autour de ma cave
La porte de la cave est une porte ouverte sur l'énigme, sur le futur. De
cette force bénéfique des mondes intérieurs, de la cave, les contes
d'outre-Rhin ont gardé la trace. Claude Mettra, La maison d'ombre (ou philosophie des caves)
Nos maisons sont bâties sur d'autres maisons en marbre et bien droites,
et celles-ci le sont sur d'autres. Leurs fondations reposent sur des
têtes de statues debout et sans mains. Yannis Ritsos, Témoignages
Avec la cave comme racine, avec le nid sur son toit, la maison oniriquement complète est un des schèmes verticaux de la psychologie humaine. Ania Teillard, étudiant la symbolique des rêves, dit que le toit représente la tête du rêveur ainsi que les fonctions conscientes, tandis que la cave représente l'inconscient. Nous aurons bien des preuves de l'intellectualisation du grenier, du caractère rationnel du toit qui est un abri évident. Mais la cave est si nettement la région des symboles de l'inconscient qu'il est tout de suite évident que la vie claire croît au fur et à mesure que la maison sort de terre. Gaston
Bachelard, La maison natale et la maison onirique
Oh combien a-t-on construit dans ces années-là! Nous étions nous-même constructions en cours. On ne faisait que ça: construire; raser; reconstruire; creuser et recouvrir; modifier. Les magnats du BTP étaient maîtres du monde maîtres tout-puissants du paysage, de l'habitat, de la pensée. Si l'on compare ce qui était et ce que l'on voit maintenant, on ne reconnaît rien. Des immeubles s'élevaient partout pour loger tous ces gens qui venaient vivre là. On les construisait vite, on les finissait vite, on posait le toit au plus vite. Dans ces immeubles on ne prévoyait pas de greniers, juste des caves. Il n'y avait pas de pensée claire, aucun souvenir que l'on aurait gardé, juste des terreurs enfouies. Nous jouions dans le réseau des caves enterrées, dans les couloirs de moellons bruts, sur le sol de terre battue souple et froide comme la peau des morts, dans les couloirs éclairés d'ampoules nues protégées d'une grille, dont la lumière crue semblait ne pas aller loin, s'arrêtait vite, lumière effrayée par l'ombre, n'osant éclairer les coins, les laissant voir. Alexis Jenni, L'art français de la guerre
Je voudrais savoir décrire cette maison que j'ai tant aimée (...) Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit
J'habite
une maison coloniale sur la bordure ensoleillée du parc San Nicolás,
où j'ai passé tous les jours de ma vie sans femme ni fortune, où mes
parents ont vécu et trépassé et où j'ai l'intention de mourir dans
le lit où je suis né, seul et un jour que je voudrais lointain et
indolore. Mon père l'avait achetée dans une vente aux enchères à la
fin du XXème siècle (...) Gabriel Garcìa Márquez, Mémoire de mes putains tristes
Mais c'étaient les maisons abandonnées qui l'attiraient le plus.
(...) Joyce Carol Oates, Paysage perdu
Mais dans ces pièces elle avait été l'héroïne de son film personnel de l'existence, au milieu de ces meubles et de ces lampes elle avait été le centre de la ronde du mariage et des enfants, poursuivie par la musique sans fin des mélancolies et des bonheurs, des frayeurs, des colères. Des éclats de rire et des souffrances à mesure humaine, quand le sillon noir n'avait pas encore séparé l'«avant» de l'«après». Elle pouvait à présent en contempler les reflets dans les grands rectangles des fenêtres, ranimer les séquences parmi les objets rescapés qui flottaient dans le vide des pièces. Vivre l'illusion des voix à travers les portes. La seule idée de vendre lui était insupportable. Insupportable que d'autres entrent ici en maîtres et détruisent ce qui restait encore dans le secret des murs, dans les lumières reflétées sur une dalle de marbre. L'écho, dans le silence, des pantoufles de feutre qui glissaient légères sur le carrelage. Rosetta Loy, Noir est l'arbre des souvenirs, bleu l'air
Il détestait le grand panneau À VENDRE que Ray Eldredge avait placardé sur la façade et à l'arrière de la vaste bâtisse et le fait que Ray et cette femme qui travaillait avec lui aient déjà commencé à visiter les lieux. Marie Higgins Clark, La maison du guet
L'idée
qui le taraudait, c'était d'acheter la maison de Ruth à Sagaponack.
Toutes les années où Ted Cole y avait vécu, il avait soigneusement
évité Parsonage Lane; pas une seule fois il n'était passé en voiture
devant la maison qui avait été le haut lieu de l'été le plus excitant
de sa vie. Mais depuis la mort de Ted, au contraire, il avait déployé
des efforts pour prendre par Parsonage Lane. Et depuis que la maison Cole
était en vente et que Ruth avait inscrit Graham dans une maternelle du
Vermont, il n'avait raté aucune occasion de passer dans la rue au
ralenti. Il ne dédaignait pas d'enfourcher sa bicyclette pour jeter un
œil à la maison. John Irving, Une veuve de papier
La maison commençait à peine à m'appartenir, moins d'avoir mon nom au
bas d'un acte de propriété, moins d'être le fruit d'un héritage, que
d'y avoir sué pour la faire mienne. Anne Delaflotte Mehdevi, La relieuse du gué
Dès le mois de mai, les près pliaient déjà sous l'été. L'herbe haute, amollie de chaleur, penchait, séchait et se rompait jusqu'au sol. Au-dessus du bassin, plus loin, des buées traînantes fumaient dans le soir; et la maison elle-même, avec sa façade rose et ridée, semblait, entre ses volets du haut refermés sur quelque secret, et ses portes-fenêtres du bas écarquillées sur quelque surprise, la maison semblait une vieille dame assoupie, au bord d'une congestion faite d'incertitudes. Françoise Sagan, De guerre lasse
Parler de ce qui se passe dans une autre maison, c'est un peu comme y pénétrer. Cela ne peut se réaliser qu'au prix de grandes précautions. L'espace de la maison, avec tout ce qu'il peut contenir d'intimité, a quelque chose de sacré: il est celui de la maîtrise, de la propriété, du quant-à-soi. On reste un moment sur le seuil, on n'entre pas plus loin sans demandes réitérées, on ne s'assoit pas sans le même jeu d'invites et de refus. Pierre Jourde, La première pierre
La maison était hantée. Une imperceptible animation circulait entre les
murs creusés par l'industrie des génies qui y logeaient en abondance. La maison hantée, Alberto Savinio
On raconte que Luìs et Gavriel restés seuls ne parlèrent jamais. Ils s'asseyaient en face du feu, vieux et secs, enfermés dans un invalidant cercle de silence. Le tumulte des rats toujours plus nombreux, le bruit de la pluie et des coups de tonnerre ou le cognement d'un papillon nocturne contre les vitres, se noyaient au-delà de ce silence sans franchir jamais le seuil de leur attention. Pas même le violon du Giai, si il eût encore joué, l'aurait pu. Seulement à la fin, quand la flamme avait brûlé le dernier morceau de bois (pommiers qui ne produisaient plus de fruits, branches sèches du noyer et puis, ensuite, même le poirier devant la salle), Gavriel, l'aîné, se levait : ―Allons dormir, disait-il. ―Allons ! répondait Luìs en redressant sa jambe devenue pur cartilage. Et ces paroles, les seules possibles, résonnaient dans la maison et la parcouraient comme un vent dans l'obscurité de la pièce. Soulevaient la poussière des meubles, et la maison entière craquait comme un vaisseau en rade. Rosetta Loy, Les routes de poussière
J'ouvre les volets, rien n'a changé. Désordre, abandon, pestilence. Demain, ma grande sœur va venir; nous allons trier ce fatras: qu'est-ce qu'on garde, qu'est-ce qu'on jette? La maison a été mise en vente avant la mort de maman, elle a enfin été vendue par le notaire, il faut la libérer avant la fin du mois. Ma sœur sera donc là demain matin, avec son mari et ses deux fils. Ils ont loué un camion ainsi qu'une espèce de benne qui emmènera tout ce dont nous ne voulons pas, directement à la décharge. En une journée, en principe, on aura tout vidé, nettoyé. Guy Boley, Fils du feu
Elles font ça, les maisons vides, elles rendent un autre son, un autre silence plus exactement. Les maisons sont comme les chats, on croit qu'elles ne s'attachent pas à leur maître mais en fait elles s'attachent. Quand leurs occupants les laissent, elles ne sont plus les mêmes. Elles ne sont pourtant constituées que de murs, de cloisons, de fenêtres et de portes. Fabienne Jacob, Les séances
Le bulldozer avance sur ses chenilles. La lumière du soleil rebondit sur sa coque de métal toute et sur le cockpit de plexiglas. Avec sa puissance, il escalade les tas de cailloux et de plâtre, il marche vers les murs de la maison en ruines. Quand il arrive vers les murs, il lève un peu ses bras, et il les laisse retomber. La main crochue frappe négligemment le mur qui s'effondre. Puis le bulldozer recule, et avec sa main il tasse les morceaux de mur. On renifle la poussière acre qui vole dans l'air, on entend tous les bruits effrayants, les craquements de la pierre écrasée, les coups de la main de métal, les grincements des chenilles, les rugissements du moteur. (...) Le bulldozer ressemble à un insecte de métal, lent, capable. Il tournoie tout seul devant la maison qui s'efface peu à peu. Les murs dégringolent les uns après les autres, avec leurs lambeaux de papier peint, leurs escaliers, leurs cheminées, leurs cicatrices de planchers et de plafonds. Les bras du bulldozer fauchent les murs, sans hâte, sans passion. Ils détruisent. Quelquefois, un morceau de mur résiste. Alors le bulldozer d'arc-boute contre lui, et il pousse avec sa main fermée comme un poing. Les deux chenilles patinent dans les gravats en jetant des étincelles. Le moteur rugit si fort que l'air devient pareil à un cube de métal. Alors le mur cède progressivement. On voit les blocs de ciment qui s'écartent, les tringles cassent. Tout est mou devant le bulldozer. La poussière sort du mur comme de la neige, elle glisse en ruisseaux, elle enveloppe la carapace rouge du bulldozer. Ensuite, après de longues minutes d'effort, le mur tout à coup se brise en arrière comme une nuque, et les décombres roulent au bas de la falaise. JMG Le Clézio, Les géants
Aucune
des deux chambres de notre nouveau logement n'étant assez vaste pour
être divisée, dans la salle de séjour, qu'elles se partagent, Mina
établit une cloison vitrée, qui ménage à Armance, laquelle cède à
sa sœur la jouissance d'une vraie chambre, un espace au fond de la pièce,
en retrait de la fenêtre qui ouvre sur le jardin. En reconnaissance de
son abnégation nous lui achetons un ordinateur portable. Xavier Bazot, Fresque et Mosaïque
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