Le Café Littéraire luxovien / les jumeaux... | ||
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Je
n'en avais jamais vu avant elles. Ambre et Aelis sont des jumelles. Cela
n'arrive pas souvent et les gens se méfient quand les ventres des
mères donnent la vie deux fois coup sur coup, soulagés lorsque l'un
des deux enfants meurt à la naissance. Car pour eux, il n'y a rien de
normal dans ces corps et ces visages qui se ressemblent goutte pour
goutte tout au long de la vie ces êtres dont on ne saura jamais
vraiment si c'est l'un ou l'autre si c'est humain, si au fond ce n'est
pas le diable. Rose a ri en racontant qu'il y a longtemps qu'Ambre et
Aelis ont survécu toutes les deux et cela a causé bien du souci à
leurs parents d'accueillir deux enfants d'un coup, deux filles qui plus
est, qui n'auraient pas la force des fils, qu'il faudrait marier et
presque payer pour qu'on les emmène. D'ailleurs il s'en est fallu de
peu qu'on ne les jette dans le Basilic une nuit quand tout le village
dormait. Cependant les nouvelles nées étaient d'une beauté
saisissante; sans doute leurs parents les ont-ils gardées par une sorte
de superstition confuse, mélange de fascination et de peur, n'osant
défaire ce que le ciel avait fait si seulement c'était lui. Sandrine Collette, Madelaine avant l'aube
Il tenta de lire une réponse sur le visage d'Elme, qui était son propre visage, comme s'il était reflété dans un miroir, la même denture et le même nez, les mêmes yeux, sauf que le dessin de la fatigue semblait plutôt tatoué sous ses traits que creusé dans la masse et en surface, mais le signe d'accablement, finalement comme une des principales caractéristiques de ressemblance entre les deux hommes était là. (...) (C'était Cardo en double exemplaire. Mais cependant, les gens qui connaissaient les deux jumeaux, entre Nonhigny et Montreux, même à Badonviller où ils avaient tous deux travaillé un temps, ou encore plus loin, savaient ne pas les confondre en dépit de cette spectaculaire ressemblance physique qui ne faisait que s'accentuer avec le temps, comme deux vieux troncs d'arbres ne peuvent après tout que se ressembler, les gens savaient ne pas les confondre, depuis des années, pour la simple et bonne raison qu'ils n'en rencontraient généralement qu'un, et pas les deux ensemble: c'était Cardo, celui qu'on appelait Cardo et non Alain, parce qu'à lui seul il représentait la famille active, qui travaillait à l'extérieur, et c'était l'autre, Elme (dont le véritable nom était Elmer), qui restait à la maison, malade, plus paresseux que malade sans doute (avaient décrété les gens), la plupart du temps invisible. Les gens n'ignoraient rien de la réelle distinction à faire entre les deux frères, l'un profitant de l'autre alors que celui-ci y gagnait en contrepartie un vague ascendant sur celui-là - et chacun des deux, probablement, à sa façon, ne l'ignorait pas davantage). Pierre Pelot, Elle qui ne sait pas dire je
Sa
femme, Mme Euterpe, avait eu des jumeaux, du même âge que moi, qui
s'appelaient Oreste et Pylade, comme les frères de la mythologie
grecque. Ils se ressemblaient tellement que même leurs parents ne les
distinguaient pas l'un de l'autre. Ils faisaient tout pour qu'on les
confonde, la même coupe de cheveux, le même nœud de cravate, si l'un
se blessait, l'autre aussi se mettait un sparadrap. Ils éclataient de
rire ensemble. Ils s'appliquaient soigneusement à paraître identiques,
ce qui leur permettait d'échanger leur place et leur nom. Eux-mêmes
devaient croire qu'ils étaient l'un et l'autre à la fois. Ils avaient
mis toutes leurs forces à être doubles. Erri De Luca, Le jour avant le bonheur
Seigneur!
Il doit y avoir mille manières d'évoquer ces deux femmes. Quand elles
étaient jeunes filles, dans leurs robes jaunes, pour se brosser les
cheveux, elles pouvaient se planter l'une face à l'autre. Si la vie
était un coucou suisse géant, ces deux-là seraient les plus fringants
volatiles jamais surgis simultanément de derrière leur petite porte
afin d'annoncer la même heure, à la seconde près, chacun de son
côté. Quand elles clignaient des yeux, on aurait dit qu'un grand
magicien tirait en coulisse une seule et même ficelle. Elles portaient
les mêmes souliers, penchaient la tête dans le même sens et
laissaient toutes deux flotter leurs mains dans leur sillage aérien,
tels des rubans blancs. Jamais on ne vit bouteilles de lait frappé, ou
deux sous flambant neufs, aussi identiques. Quand elles arrivaient à la
fête de l'école, les danseurs faisaient halte, comme si l'on venait
d'un coup d'aspirer tout l'air contenu dans la salle de bal; chacun
retenait son souffle. Ray
Bradbury, Le miroir
Qu'est-ce
qu'un être vivant? Un petit bloc d'hérédité déambulant à travers
un certain milieu. Et rien de plus: tout ce qui dans un être vivant ne
relève pas de l'hérédité provient du milieu. Et réciproquement. À
ces deux éléments s'en ajoute néanmoins chez les jumeaux vrais un
troisième ―
le frère pareil ―
qui est à la fois hérédité et milieu, avec quelque chose en plus. Michel Tournier, Les météores
L'éolien part du silence de la communication viscérale, et s'élève jusqu'aux confins de la parole sociale sans jamais les atteindre. C'est un dialogue absolu, parce qu'impossible à faire partager à un tiers, dialogue de silences, non de paroles. Dialogue absolu, formé de paroles lourdes, ne s'adressant qu'à un seul interlocuteur, frère-pareil de celui qui parle. Michel Tournier, Les météores
Que
nous fussions des monstres, mon frère-pareil et moi, c'est une vérité que
j'ai pu me dissimuler longtemps, mais dont j'avais secrètement conscience
dès mon plus jeune âge. Après des années d'expérience et la lecture de
recherches et d'études sur le sujet, elle flamboie sur ma vie avec un éclat
qui aurait été la honte il y a vingt ans, ma fierté il y a dix ans, et que
j'envisage froidement aujourd'hui. Michel Tournier, Les météores
Se
rappelant que dans les ténèbres humides et chauds du ventre de leur
mère, il s'était battu pour se nourrir et, plus désespérément encore,
pour ne pas être consommé par son jumeau. Car il arrive parfois,
plus souvent qu'un jumeau survivant ne souhaite le penser, que le plus
gros des fœtus suce la vie du plus petit, qu'il l'absorbe en lui-même à
la façon d'une tumeur secrète dans une région de la poitrine, du ventre
ou du crâne. Joyce Carol Oates, Sacrifice
De Jacob et d'Ésaü, les jumeaux-rivaux, l'Écriture sainte nous dit qu'ils se battaient déjà dans le sein de leur mère. Elle ajoute qu'Ésaü étant venu au monde le premier, son frère le retenait par le talon. Qu'est-ce à dire sinon qu'il voulait l'empêcher de sortir des limbes maternels où ils vivaient enlacés? Ces mouvements du fœtus double ― que j'imagine lents, rêveurs, irrésistibles, à mi-chemin du tractus viscéral et de la poussée végétale ― pourquoi les interpréter comme une lutte? Ne faut-il pas plutôt voir la vie douce et caressante du couple gémellaire? Michel Tournier, Les météores
Mais
le fratricide est de toutes les générations, de tous les siècles. Caïn
dit à Abel: "Allons aux champs. Et comme ils étaient dans les
champs, Caïn s'éleva contre Abel, son frère, et le tua." Et Yahvé
dit à Caïn: "Où est Abel, ton frère?" Il répondit "Je
ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère?" Yahvé dit: "Qu'as-tu
fait? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi!" Michel Tournier, Les météores
Il n'y a jamais eu de créature. Il n'y a jamais eu que le couple. Dieu n'a pas créé l'homme et la femme l'un après l'autre. Il a créé deux corps jumeaux, unis par des lanières de chair qu'il a tranchées depuis, le jour où il a créé la tendresse. Jean Giraudoux | ||
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