Le Café Littéraire / Saisir le temps des Conquistadors, avec Éric Vuillard Terres
cuites d'inspiration précolombienne |
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C'est alors que Francisco Pizarre, Hernando de Soto et Sebastián de Benalcazar se décidèrent à gravir les pentes abruptes où notre récit commence, et qu'un long ruban de porteurs, de fantassins et de cavaliers se déroula en zigzags verticaux sur la Cordillère. (p.39)
L'attente possède une profondeur simple qu'on ne sait pas dire. C'est là pourtant que nous sommes vraiment nous-mêmes, désœuvrés, offerts à nos petites pensées. (p.100)
Il avait pris l'unique rue et avait marché jusqu'au bout du chemin, jusqu'à la croix plantée devant le vide. Que cela était beau, les montagnes rases en forme de faucilles, le ciel bleu, les bords déchirés du torrent ! Pourquoi aller ailleurs ? Qu'y a-t-il au-delà ? Qu'y a-t-il qui tienne davantage les yeux ouverts ? Il aimait ce paysage, mais ne le savait pas ? Il y avait là assez de richesses pour toute une vie. Mais cette richesse il ne pouvait la voir. (p.104)
La colline étincelante était sans contour, sans forme. Elle se mesurait au ciel. Vision du roi. Quelques-uns se prosternèrent. La nature est un livre pour les illettrés. La colline brûlait. Ce feu les jeta dans une béatitude indicible. La béatitude des soldats n'est pas moindre que celle des autres. Celui qui cherche Dieu verra une écaille de soleil. Et les assassins, les fusiliers, les conquistadors ? (p.163)
Son visage était plein d'ombre, de chagrin. Il avait trouvé le rameau d'or, l'Argicide, mais qu'en avait-il fait ? " Je passerai ma vie à mourir, se dit-il, je passerai vingt ans, trente ans à mourir. " (p.197)
Et que se passe-t-il donc lorsqu'il se passe vraiment quelque chose? Que se passe-t-il quand tout bascule? On n'en sait rien. (p.256)
Je ne verrai jamais un monde qui s'écroule, pense chacun de nous. Mais au fond, c'est notre grand désir : la pieuse et brutale fin des temps. Et voilà qu'un peuple l'a vue. Il faisait beau. Le ciel était clair et l'air frais, lorsque défilèrent les armes rutilantes. (p.257)
Une ville est rarement abandonnée. D'âge en âge, elle s'accroît, se stabilise, reprend son chemin d'opulence et de misère. Ses cimetières s'éloignent. Les pierres tombales s'effacent et se transforment en pas de porte. Et la ville s'étend, bruyante, infertile. (p.290)
Seulement,
ici, la dernière défense est sans arrière, sans alliés, seule et
destinée à périr. Ce sera tout le charme de cette curiosité pour
archéologue amateur : "la fabuleuse cité perdue".
La guerre est une série de maladresses, d'hésitations. La victoire n'est souvent rien d'autre que le résultat du nombre, une suite d'erreurs bêtes, de petits décalages que l'on n'a pas vus, d'informations mal comprises et de minuscules décisions qui ajoutées les unes aux autres font de grands trous dans la poitrine des hommes. (p.346)
Pizarre semblait vouloir mettre sous le nez d'Almagro une idée simple mais terrible : bien sûr, il fait froid d'où l'on part, mais seul compte le chemin ; car, là où l'on arrive, il fait encore plus froid. (p.363)
Oui, dit-il, la douleur fait de l'homme un enfant. On croit tout avoir, mais au moindre mal, on laisserait tout pour ne plus souffrir. (p.366)
Et peut-être qu'à l'issue de leurs forfaits, c'est sur eux-mêmes qu'ils pleurent, comme chacun de nous, au fond. Ils pleurent sur eux, et nous aussi, chaque fois que nous pleurons, ce n'est pas pour la terre qui brûle, ce n'est pas pour le foin qui gèle, mais c'est au nom de ce qui défaille, de cette torche qui nous montre un instant la fausse vie, ce chaos frémissant de soi, apparence de miséricorde, vraie peine pourtant. (p.387)
On devrait parfois revivre sa vie à l'envers, être vieux d'abord et en avoir fini d'avance avec ses ambitions ; ce serait curieux cette expérience qui se viderait, qui s'effacerait, qui peut-être ne servirait pas plus que l'inexpérience d'antan et n'aurait pour conséquence pas plus de paix et de pardon que la jeunesse n'en a. (p.406)
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