Le Café Littéraire / sport en littérature |
Le gardien de but est un point de vue. Il doit prévoir et anticiper le
tir par sa position. Acculé dans une action de son côté, il doit se
lancer dans l'enchevêtrement des pieds. Il payait cher l'avantage de se
servir de ses mains. J'avais le courage secondaire de me moquer de
moi-même. On me confiait la charge de La Défense, la plus noble, et
moi je l'exécutais. Subir un but était échouer. Il n'existe pas de
tirs imparables. Ce sont des erreurs de position en vue du tir. Je
bloquais les penaltys, mais pas ceux tirés avec le pied gauche. Les
gauchers sont moins prévisibles. Ils ont une fantaisie dans le pied qui
ne dépend pas du cerveau, mais du pied même. Moi aussi je suis
gaucher. Erri De Luca, Le jour avant le bonheur
Alors ils jouent au foot. Raymond est dans les buts. Rémi tape très consciencieusement dans le ballon qui systématiquement roule à côté des poteaux. Raymond prend sur lui... Il est encore petit, Rémi. C'est pas sa faute. Et puis personne ne lui a jamais appris. Mais, quand même... il n'a pas l'air d'avoir le "sens", ce petit. Il a du mal à admettre ça, Raymond, qu'il ne l'ait pas, le "sens"... De ce côté de la famille, tous les garçons sont nés avec un ballon au pied, alors... Mais de l'autre, c'est des peigne-cul qui se prennent pour des intellos et pensent sûrement que le sport, c'est juste bon pour les prolos. J't'en foutrais, moi! À cinq ans, normalement, il devrait déjà savoir tirer juste. S'ils s'étaient correctement occupé de lui, il y arriverait... C'est ça, la vérité! Barbara Constantine, Allumer le chat
Tous les matins avant l'heure de mes cours, je fais une heure de jogging, c'est-à-dire que je mets mon survêtement olympique et que je sors courir parce que je ressens le besoin de bouger, parce que les médecins me l'ont ordonné pour lutter contre l'obésité qui m'opprime, et aussi pour défouler un peu mes nerfs. Dans cet endroit, pendant la journée, si on ne va pas sur le campus, en bibliothèque ou écouter les cours des collègues, ou à la cafétéria de l'université, on ne sait vraiment pas où aller; et donc la seule chose à faire est de se mettre à courir en long et en large sur la colline, entre les érables et les saules, comme le font beaucoup d'étudiants et aussi beaucoup de collègues. Nous nous rencontrons sur les sentiers aux buissons bruissants de feuilles et parfois nous nous disons «Hi» et parfois nous ne nous disons rien parce que nous devons économiser notre souffle. C'est un autre avantage de la course par rapport aux autres sports: chacun court pour soi et n'a de compte à rendre à personne. Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Ainsi, comme mes trois repas par jour — sans compter le sommeil, le
travail domestique et l'écriture—, courir a été intégré à mon
cycle quotidien. La course est devenue une habitude naturelle, et je me
suis senti moins gêné. Je suis allé dans un magasin de sport et me
suis procuré une tenue de coureur, des chaussures correctes. J'ai
agacement acheté un chronomètre et j'ai lu un livre destiné aux
apprentis coureurs. Voilà comment on devient un coureur. Haruki
Murakami, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond
Il n'y a que quatre bons coups au squash, croyait-elle, dogmatique. John Irving, Une veuve de papier
Elle
n'avait pas aimé jouer au squash avec lui. Il était sportif, bien entraîné
pour ce sport, mais trop grand pour le court — dangereux quand il faisait
des bonds, quand il plongeait en avant. Pourtant, jamais il n'aurait essayé
de lui faire mal ou de l'intimider. Et quoiqu'elle ait perdu deux fois contre
lui, elle ne doutait pas de pouvoir le battre au bout du compte. Il lui
suffirait d'apprendre à ne pas se trouver sur son chemin. Les deux fois
qu'elle avait perdu contre lui, elle lui avait cédé le T. La prochaine fois,
s'il devait y en avoir une, elle était bien décidée à ne pas lui
abandonner la meilleure part du court. John Irving, Une veuve de papier
Ce n'est pas que je déteste absolument la compétition, non, ce ne serait pas
juste de le dire ainsi. Simplement, depuis toujours, pour quelque raison, je
ne me soucie pas tellement de battre quelqu'un — ou d'être battu. Ce
sentiment est resté presque intact alors que j'avançais en âge. Peu importe
de quel domaine il s'agit — battre quelqu'un ne me convient pas. Cela m'intéresse
davantage s'il s'agit d'atteindre des buts que je me suis fixés. C'est
pourquoi la course de fond est exactement la discipline qui correspond le
mieux à ma nature d'esprit. Haruki
Murakami, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond Guy Boley, Quand Dieu boxait en amateur
Pendant une période de mon adolescence, je m'intéressai studieusement à la boxe, fus capable de réciter noms et poids de tous les champions et challengers, et m'abonnai même brièvement à Ring, le magazine de boxe plein de couleurs de Nat Fleischer. Lorsque nous étions petits, mon père nous avaient emmenés, mon frère et moi, à la salle de boxe locale, où nous nous étions tous, invariablement, amusés. Par mon père et ses amis, j'entendis parler des prouesses de Benny Leonard, Barney Ross, Max Baer, et du boxeur au sobriquet bouffon de Slapsie Maxie Rosenbloom. Mais les boxeurs juifs et les aficionados de la boxe demeuraient, comme la boxe elle-même, «sport», dans une acception bizarre, étrange dérivation de la norme, et intéressante pour cette raison: dans le monde dont les valeurs me formèrent tout d'abord, la violence physique non refrénée était partout ailleurs jugée méprisable. Je ne pouvais pas plus écraser un nez de mon poing que tirer sur quelqu'un une balle en plein cœur. Philip Roth, Les faits
C'est souvent vers le temps de Pâques. Parfois bien avant, un samedi un peu fou. Le soleil brille depuis midi. Ils sont là-bas sur le terrain de foot, en maillots rouges, en maillots verts. On ne s'arrête même pas pour les regarder — il n'y a que les parents, les entraîneurs, sur le bord de la touche, on aurait l'air idiot. Ce n'est pas un spectacle, le championnat poussin. Ça se joue sur un terrain annexe, très loin de la tribune de béton mortifère, de la piste d'athlétisme déserte. Mais en quelques secondes happées au vol sans descendre de voiture, on a compris. C'est juste cette façon particulière qu'ils ont de s'ébrouer dans l'herbe, d'en faire un tout petit peu trop. Philippe
Delerm, Poussin sous le soleil
Il
a horreur du sport, de toute façon. Il traiterait presque avec mépris ses frères
et ses copains qui emploient leurs loisirs à taper niaisement dans un ballon.
Quand ils l'obligent parfois à jouer, il participe à son corps défendant,
ne sait pas s'y prendre, n'entend rien aux règles, tout en feignant de s'intéresser,
il regarde ailleurs en tâchant discrètement d'éviter le ballon. Et si
celui-ci lui arrive par malheur dans les jambes, Émile [Zatopek] donne un
grand coup de pied dedans pour s'en débarrasser, dans n'importe quelle
direction, trop souvent celle des buts de sa propre équipe. (...) Jean
Echenoz, Courir
Jean
Echenoz, Courir
Le petit Volomari vint au monde à la mi-avril 1942 à Tammela, petit village
de la province du Häme [Finlande], dans la maison de Väinö Volotinen et de
sa femme Siiri. (...) Arto
Paasilinna, Le dentier du maréchal, madame Volotinen et autres curiosités
Le cross départemental: une fois par an, le temps d'une journée, l'événement
regroupait les collégiens. (...) Cécile
Coulon, Le cœur du Pélican
Les supporters euphoriques, eux, débordaient de joie, de fierté, chantaient
à pleins poumons les paroles d'hymnes olympiques. Ils avaient écrasé
l'adversaire et remporté la coupe. Anthime souriait: il s'était arraché le
cœur et le jetait à ses admirateurs, tout en pensant les gens ne se
battent pas pour qu'on soit fier d'eux, les gens ne se battent pas pour mourir
dignement. Les gens se battent pour gagner. Il avait vaincu ses
adversaires: rien n'égalait la sensation du vent contre sa peau quand il leva
la coupe vers le ciel. Il s'était battu, il avait gagné. Cécile
Coulon, Le cœur du Pélican Si l'angoisse de sa mère quant au risque qu'il ait pu devenir un adulte freluquet, voire efféminé, n'était guère fondée, elle eut un coup de génie en l'inscrivant au club de boxe. Car il sentit, dès les premières séances, qu'il aimait ça. L'ambiance, l'odeur, la sueur, le martèlement des poings, les rotations du buste et les pas de retrait. Les entraînements, bien sûr, à taper dans les pattes d'ours ou dans un punching-ball, apprendre à esquiver, donner sans recevoir, se battre contre son ombre. Guy Boley, Quand Dieu boxait en amateur
...
car les lutteurs, Jenny devait de l'apprendre par la suite, adorent
avoir chaud et ruisseler de sueur, particulièrement lorsqu'ils s'efforcent de
perdre du poids, et ils se sentent au summum de leur forme quand les
murs et le sol sont aussi chauds et moelleux que la croupe d'une jeune fille
plongée dans le sommeil. John Irving, Le monde selon Garp
« Ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est que seul l'homme a conscience
d'augmenter sa durée de vie par le sport.» Mo
Yan, Le coureur de fond
Quand Li Tie, conduisant toujours son peloton qui n'était pas vraiment le
sien, arriva à la courbe, un chronométreur se rua sur la piste avec une
ardoise sur laquelle était écrit à la craie blanche : 15
TOURS, 6000 MÈTRES.
Li Tie, les yeux exorbités, haletant, l'air d'un fou, fonça sans s'arrêter
devant le chronométreur, qui s'écarta prestement. Ce dernier se posta sur le
bord de la piste et cria à chaque concurrent: «Six mille mètres!» Certains
tournèrent la tête pour regarder le tableau, hagards. D'autres n'y jetèrent
même pas un coup d'œil, comme si le nombre sur le tableau ne les concernait
nullement. Les droitiers qui s'y connaissaient discutaient près de nous: «En
sport, quand on arrive aux limites, c'est comme l'obscurité qui précède
l'aube. C'est le moment le plus difficile, le plus dur. Si on arrive à le
passer, tout va bien. On peut alors entrevoir la lumière de la victoire.»
Mais immédiatement quelque beau parleur du village réfuta ces paroles,
disant: «Quelle limite? C'est comme quand on a faim. Le premier jour on est
nerveux, le deuxième on devient fou, le troisième on pleure en appelant sa mère,
au cinquième ou sixième on a mal au ventre. Regardez, est-ce que Zhang Jiaju
a une limite?» Il courait comme avant, le visage éteint, sans même une
goutte de sueur. Mo
Yan, Le coureur de fond Danny comprit exactement ce que voulait dire Torma [son coach], ce que les grands athlètes, les grands nageurs suggéraient en affirmant que tout était dans la tête. Il n'aurait pu y arriver sans la force, la puissance de son corps, mais cette force, cette puissance provenaient de l'intérieur. C'était [en] lui: quand le corps et l'esprit ne font qu'un, ils ne peuvent être brisés, ne peuvent faillir. Christos Tsiolkas, Barracuda
J'imagine le marathon de New York le 6 novembre prochain, et je me demande ce
que sera ma course et à quel point j'y prendrai plaisir. Haruki
Murakami, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond
Comme le jour de la gastrostomie, j'aurais droit à la technique et à ces mots qui m'éclairaient et me rassuraient à peu près autant, j'imagine, qu'un explorateur pouvant nommer, dans une jungle qu'il découvre, les plantes et les animaux qu'il voit. Assister au travail sur mon visage était une manière de me rapprocher des soignants, d'apprivoiser leur monde en me l'approprient, de mettre, en quelque sorte, un pied de l'autre côté. Mieux j'étais informé sur le travail que mon corps exigeait, plus je me sentais propre à y participer: un patient dans mon genre était un athlète, je le répète comme on me le répétait, et l'athlète doit comprendre les traitements qu'on lui propose, l'endurance qu'on lui impose, les incertitudes qui accompagnent les matchs et l'entraînement. Un maximum de volonté et un minimum de stoïcisme sont à ce prix (...) Philippe Lançon, Le lambeau
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