|
||
J'aime le péril... les précipices..., les dés qu'on jette étourdiment en pariant sa vie entière, et je n'attends même pas qu'ils aient fini de rouler pour décider de la ruine. Me perdre, j'aime aussi, à l'occasion. C'est moi. Rien ne m'en guérira. Gilles Leroy, Alabama Song
Il avait entamé sa carrière au Mayenberg comme joueur de bonneteau. Il n'avait besoin que d'une caisse retournée et de deux gobelets pour faire apparaître et disparaître une noix, une bille, un caillou, tout lui allait. Il avait un tel talent pour déclencher chez vous une certitude qu'il était très difficile de résister à l'envie de désigner la carte ou le verre gagnant. L'ennui et l'inaction avaient attiré à lui une quantité toujours plus grande d'amateurs. Sa réputation s'était même étendue aux unités extérieures, qui pourtant détestaient les soldats du Mayenberg qu'ils considéraient comme des privilégiés. Tous faisaient un accueil enthousiaste au caporal-chef dont la prestation étincelante fascinait du haut au bas de la hiérarchie. Son habileté au bonneteau se doublait d'une autre, extrêmement convaincante: il ne faisait jouer que des sommes dérisoires. On risquait un franc ou deux, on perdait avec le sourire et, à ce rythme, il n'était pas rare que Raoul gagne trois cents francs dans la journée. Pierre Lemaitre, Miroir de nos peines
Comme Bourke m'en avait avertie, les Indiens sont des joueurs acharnés et les paris vont bon train à tout moment. Avant de rejoindre le campement, nos cousins du Sud sont passés au comptoir des ventes de la région d'où ils ont ramené toutes sortes d'articles du monde civilisé ― couvertures, ustensiles, couteaux, perles et bibelots ― qui leur servent de mise aux jeux de hasard et lors de leurs innombrables concours. Je ne m'étonnais pas de retrouver ces fripouilles de jumelles Kelly au beau milieu, pour ainsi dire, de la mêlée. (...) Il semblerait qu'elles se soient improvisées bookmakers professionnelles et qu'elles aient amassé une petite fortune en marchandises et en chevaux, en organisant différents jeux et en prenant part elles-mêmes aux paris. Jim Fergus, Mille femmes blanches
(...)
elle ne se risquait jamais dans les salons où se jouaient les grosses
parties, mais se contentait de courir sa chance aux tables plus modestes
où les croupiers encaissaient les mises de la foule venue des pensions
de famille. Fanny Hurst, Back street
Te
rappelles-tu ce que nous disions un jour à propos du jeu : «Il n'y a
qu'un imbécile pour se confier à la chance ; il faut jouer à coup
sûr…» et pourtant je veux l'essayer !… Et faisant craquer son jeu
de cartes, il dit au même moment : « La banque, Messieurs ! » Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix - Tome I
À
l'école, j'étais en dernière année et don Gaetano me faisait
confiance maintenant. L'après-midi, il m'apprenait à jouer à la scopa,
en faisant tout un calcul pour deviner les cartes restées dans le tas.
C'est lui qui gagnait. Il ne tapait pas les cartes sur la table, il
jouait vite, ralenti par moi qui essayais de me rappeler les cartes
déjà sorties. Erri De Luca, Le jour avant le bonheur
―
Dans ce
salon, à l'époque, il y avait des tables de jeu, raconte Doña Jazmina.
Les parties commençaient à cette heure et duraient parfois toute la
nuit. Certains ont perdu ici des estancias entières. Don
Anastasio Zamora s'était installé là pour le jeu et pour rien
d'autre. Il gagnait toujours, et parmi nous s'était répandue la rumeur
que c'était un tricheur. Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur
Elle s'était d'abord mise au jeu pour l'excitation de la victoire, puis, comme tous les accrocs, elle avait commencé à jouer pour perdre. Cette seconde où une vie entière se décide, ce tour de roulette qui engloutit l'épargne, creuse les dettes et sépare les familles. L'appel du vide. On a rarement l'occasion de regarder le hasard en face et de le voir hésiter. Sophie Hénaff, Poulets grillés
Assises devant les machines à sous, elles ont le regard dur, absent.
D'un geste d'automates, elles puisent une à une les pièces dans le
seau en plastique ―
c'est
drôle, ce petit seau pour faire joujou au sable qui devient joujou à
être vieux devant les gargouillis des machines. (...) Philippe
Delerm, Les petites vieilles du jackpot
Autrefois, je venais régulièrement à Las Vegas. J'aimais l'excitation que procure le jeu, la montée d'adrénaline quand la bille noire tourne à l'intérieur de la roulette, cette impression de défier le destin! L'atmosphère était électrique, frénétique, propice au défoulement. Une sorte de Disney World pour adultes... Loïc le Pallec, Fréquence Oregon
Il n'est pas rare que les joueurs les plus acharnés passent huit, voire
douze heures d'affilée devant leur machine, au point de développer des
thromboses ou autres problèmes de santé. Les ambulanciers de Las Vegas
redoutent les appels d'urgence provenant des casinos, qui concernent
généralement des crises cardiaques. Quand un joueur s'effondre devant
sa machine à sous, il n'est pas question pour les autres clients de
laisser les ambulanciers faire leur travail; ils resteront rivés à
leurs machines. Aucune alarme d'incendie, aussi assourdissante
soit-elle, ne saurait les déloger, et on cite des cas de forcenés qui
ont continué à jouer les pieds dans l'eau pendant une inondation. Ils
sont tellement absorbés qu'ils deviennent totalement insensibles à
leur environnement. Matthew B. Crawford, Contact - pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver (chapitre 5)
Le capitaine en cale sèche était à sec d'enjeux, mais certain de sa
victoire. Il offrit à Uula de se sacrifier en personne, son âme valait
bien toutes les relances, non? L'éleveur de rennes accepta la
proposition, l'âme du joueur lui-même était bien sûr ce qu'il y
avait de plus précieux, aucun jeu ne la valait. Ils abattirent leurs
dernières cartes. Arto Paasilinna, Petits suicides entre amis
Avec Monsieur Kyo, nous avons inventé un drôle de jeu. Je ne sais plus si c'est lui ou moi qui ai commencé. C'est un jeu que nous jouons quand il y a cette ombre sur son visage. Au début, nous touchions des choses sur la plage, des morceaux de rien du tout, des bouts de bois, des feuilles d'algues. Puis nous avons décidé de faire cela à tour de rôle, en prétextant que nous déplacions des pions, ou des dominos. Ce sont juste des petits riens qu'on trouve dans le sable, ou dans les creux des rochers, des brindilles, des plumes d'oiseau, des coquilles vides. Nous les posons devant nous, dans le sable nettoyé et bien plat. «À vous», dit Monsieur Kyo. Je mets un bout de ficelle. «À moi», dit Monsieur Kyo. Il place un brin d'algue séché, torsadé. «À vous.» Un morceau de verre dépoli. «À moi.» Il met un caillou plat. «À vous.» Je mets un autre caillou, plus petit, mais veiné de rouge. Il est perplexe, il cherche autour de lui, visiblement il n'y a rien de mieux. «C'est vous qui gagnez», dit Monsieur Kyo. Ça peut sembler idiot, mais quand nous jouons, ça veut vraiment dire quelque chose. Ce caillou veiné de rouge est vraiment gagnant. Surtout, quand nous jouons à ce jeu, Monsieur Kyo oublie ce qui le préoccupe. La tâche sombre s'efface de ses yeux, ils redeviennent clairs et rieurs. Ils reflètent l'éclat du soleil dans la mer. C'est notre jeu. Je l'ai appelé "À vous, à moi" tout simplement. JMG Le Clézio, Tempête
J'ai toujours voulu, dans mon enfance, marcher droit sur les grands chemins, et toujours répugné à la tricherie ou à la ruse dans mes jeux. Et comme il ne faut pas considérer les jeux des enfants comme des jeux, mais comme leurs actions les plus sérieuses, il n'est de distraction si légère à laquelle je n'apporte aujourd'hui, intérieurement, par une propension naturelle et sans avoir à m'y appliquer, une très grande répugnance à tricher. Je joue aux cartes contre ma femme et ma fille pour quelques sous, et qu'il me soit indifférent de gagner ou de perdre, ou qu'au contraire je me prenne au jeu, j'en tiens le compte comme si c'étaient des écus. Et tout et partout, mes yeux suffisent à me maintenir dans mon devoir: il n'y a rien qui me surveille d'aussi près, et que je respecte plus. Michel Eyquem de Montaigne, Les essais Livre I chapitre 22 Sur les habitudes et le fait qu'on ne change pas facilement une idée reçue (dans la traduction moderne de Guy de Pernon d'après le texte de l'édition de 1595)
Il avait commencé sa carrière en observant, puis en jouant au billard dans les bars et les salles des villes côtières. Il avait étudié la manière dont les joueurs qui vieillissaient vite rôdaient autour des tables, la manière dont ils se pardonnaient trop facilement avec une grimace, la manière dont quelques-uns aimaient trop leur jeu. Il identifiait les désenchantés ou les ambitieux, de même que ceux capables de dissimuler l'étendue de leurs talents. Avant, Cooper connaissait peu les gens. Or le billard était par essence un jeu de masques où l'on jonglait avec le score. Ensuite, quand il avait commencé à toucher aux cartes, et à se découvrir un certain savoir-faire, il s'était aperçu qu'au poker on n'avait pas besoin de cacher ses dons. Personne ne vous refusait une partie sous prétexte que vous étiez meilleur joueur qu'il n'y paraissait. C'étaient des mathématiques acharnées, un cœur de pierre, la chance, le hasard de la cinquième carte ― la Rivière ― qui avait le visage du destin. Il se trouva à l'aise au sein du chaos et du risque. Michael Ondaatje, Divisadero
Je n'avais encore jamais eu l'occasion de connaître personnellement un champion d'échecs, et plus je m'efforçais de m'en représenter un, moins j'y parvenais. Comment se figurer l'activité d'un cerveau exclusivement occupé, sa vie durant, d'une surface composée de soixante-quatre cases noires et blanches? Assurément je connaissais par expérience le mystérieux attrait de ce "jeu royal", le seul entre tous les jeux inventés par les hommes, qui échappe souverainement à la tyrannie du hasard, le seul où l'on ne doive sa victoire qu'à son intelligence ou plutôt à une certaine forme d'intelligence. Mais n'est-ce pas déjà le limiter injurieusement que d'appeler les échecs un jeu? N'est-ce pas aussi une science, un art, ou quelque chose qui, comme le cercueil de Mahomet entre ciel et terre, est suspendu entre l'un et l'autre, et qui réunit un nombre incroyable de contraires? L'origine s'en perd dans la nuit des temps, et cependant il est toujours nouveau; sa marche est mécanique, mais elle n'a de résultat que grâce à l'imagination; il est étroitement limité dans un espace géométrique fixe, et pourtant ses combinaisons sont illimitées. Il poursuit un développement continuel, mais il reste stérile; c'est une pensée qui ne mène à rien, un art qui ne laisse pas d'œuvre, une architecture sans matière; et il a prouvé néanmoins qu'il était plus durable, à sa manière, que les livres ou que tout autre monument, ce jeu unique qui appartient à tous les peuples et à tous les temps, et dont personne ne sait quel dieu en fit don à la terre pour tuer l'ennui, pour aiguiser l'esprit et stimuler l'âme. Où commence-t-il, où finit-il? Stefan Zweig, Le joueur d'échecs
Dans la maison du peintre nous jouions aux échecs. Nos parties
duraient. Quand nous étions en famille, notre mère s'étonnait de nous
voir penchés pendant plusieurs jours sur la même partie. C'est qu'à
chaque coup ou presque nous prévenions l'autre des dangers dont nous le
menacions. Daniel Pennac, Mon frère
C'est exactement ce que Stojil est en train de me faire. Il a repoussé mes forces autour de mon roi et attaque de tous les côtés à la fois. Cette capacité qu'il a de jouer simultanément des diagonales et des perpendiculaires indique le Stojil des grands soirs. Tant mieux, d'ailleurs, car quand il ne voit pas, Stojil, il triche! Le seul type au monde capable de tricher aux échecs! Toutes ses pièces chevauchent deux ou quatre cases, la vue de l'adversaire se brouille, le monde chavire, le moral tombe à zéro, car la vraie mort des valeurs, c'est un échiquier flou. Daniel Pennac, Au bonheur des ogres
Cadeau posthume à ses lecteurs, ce n'est pas un roman inachevé, mais une nouvelle, admirablement ciselée, chef-d'œuvre de concision dramatique auquel on serait bien en peine de changer un accent ou une virgule. Intitulée Die Schachnovelle ( Le joueur d'échecs), Zweig l'a écrite à Petrópolis dès septembre 1941, et il a pris le temps de la relire et de la corriger. À Rio, il avait acheté un manuel pour se perfectionner lui-même dans ce jeu diabolique où il est loin d'exceller, mais qui le fascine depuis l'adolescence et qui réussit à l'arracher à la morosité, en le forçant à se concentrer hors du temps, sur des manœuvres et des probabilités. Dominique Bona, Stefan Zweig, l'ami blessé
Je lisais le nom de ces lieux dans les pages sportives du Newark Evening News et du Newark Sunday Call, et je les lisais sur les cartes de pronostics des matchs de football que l'on pouvait acheter chez le confiseur au coin de la rue pour aussi peu que vingt-cinq cents. Les paris sur les matchs étaient interdits - organisés, m'avait dit mon père, par Longy Zwillman et le pègre de Newark - mais j'avais commencé d'acheter les cartes de pronostics à l'âge de onze ans, de les vendre sur le stade de l'école pour le compte du confiseur quand j'avais eu treize ans, ce qui a représenté ma seule affiliation avec le crime organisé. Philip Roth, Les faits
―
En France, ce sont les blancs qui commencent, c'est la même chose chez
vous? Gilles Legardinier, Complètement cramé !
En ce début d'après-midi, assis sur un banc du parc Monceau, Évrard
et Merlot étaient occupés à surveiller un junkie. En réalité,
Merlot se piquait d'initier Évrard aux subtilités du jeu d'échecs.
Celle-ci l'écoutait patiemment en se disant que ce type n'était pas
foutu de distinguer le trois du cinq aux dominos. Mais l'air était doux
et le parc joli, alors Évrard se bricolait une martingale en étudiant
l'alternance de poussettes et de survêtements. De jupes et de
pantalons. Rien de sociétal dans ses observations, juste des chiffres
et la voix de Merlot en fond pour jouer le croupier. (...) Sophie Hénaff, Poulets grillés
Elle tenta une manœuvre osée, avançant son cavalier en D4 pour
espérer prendre le fou de son adversaire. (...) La fille de papier, Guillaume Musso
Il y a quarante ans que je n'ai plus ouvert un échiquier. J'ai abandonné quand j'ai vu que ça devenait obsessionnel. Tu ne peux pas aller loin, aux échecs, si ça ne devient pas obsessionnel... Je me suis trouvé un jour, à vingt ans, couché dans la nuit à refaire une partie entre les grands maîtres Alekhine et Capablanka... Alors j'ai dit, basta. Romain Gary, La nuit sera calme.
―
Je ne
crois pas appartenir à une école particulière, répondit-il à voix
basse comme si parler de lui-même violentait insupportablement son sens
de la pudeur. Je suppose que je suis de ceux qui considèrent les échecs
comme une forme de thérapie... Parfois, je me demande comment font les
autres, ceux qui ne jouent pas, pour échapper à la folie ou à la
mélancolie... Comme je vous l'ai déjà dit, il y a les gens qui jouent
pour gagner: Alekhine, Lasker, Kasparov... Comme presque tous les grands
maîtres. (...) D'autres, Steinitz, Przepiorka, préfèrent démontrer
leurs théories ou exécuter de brillantes manœuvres... ―
il hésita avant de continuer, manifestement incapable de parler de
lui-même. ―
Moi, je ne suis pas agressif et je ne prends pas de risques. Arturo Pérez Reverte, Le tableau du maître flamand
Dieu déplace le joueur, et celui-ci la pièce. Quel Dieu derrière Dieu commence donc la trame? J.L. Borges Les pièces blanches et noires semblaient représenter des oppositions manichéennes entre la lumière et l'obscurité, le bien et le mal, dans l'esprit même de l'homme. G. Kasparov Les pièces de l'échiquier étaient impitoyables. Elles le retenaient, elles l'absorbaient. Il y avait de l'horreur en cela, mais aussi une harmonie unique. Car, qu'y a-t-il dans le monde, à part les échecs? V. Nabokov
Quelle histoire inimaginable qu'une schizophrénie aussi artificielle,
quel inconcevable dédoublement de la personnalité! Mais n'oubliez pas
que j'avais été violemment arraché à mon cadre habituel, que j'étais
un captif innocent, tourmenté avec raffinement depuis des mois par la
solitude, un homme en qui la colère s'était accumulée sans qu'il pût
la décharger sur rien ni sur personne. Aucune diversion ne s'offrant,
excepté ce jeu absurde contre moi-même, ma rage et mon désir de
vengeance s'y déversèrent furieusement. Il y avait un homme en moi qui
voulait à tout prix avoir raison, mais il ne pouvait s'en prendre qu'à
cet autre moi contre qui je jouais; aussi ces parties d'échecs me
causaient-elles une excitation presque maniaque. Au début, j'étais
encore capable de jouer avec calme et réflexion, je faisais une pause
entre les parties pour me détendre un peu. Mais bientôt, mes nerfs
irrités ne me laissèrent plus de répit. À peine avais-je joué avec
les blancs que les noirs se dressaient devant moi, frémissants. À peine
une partie était-elle finie qu'une moitié de moi-même recommençait à
défier l'autre, car je portais toujours en moi un vaincu qui réclamait
sa revanche. Jamais je ne pourrai dire, même à peu près combien de
parties j'ai jouées ainsi pendant les derniers mois dans ma cellule,
poussé par mon insatiable égarement - peut-être mille ―
peut-être
davantage. J'étais possédé, et je ne pouvais m'en défendre; du matin
au soir, je ne voyais que pions, tours, rois et fous, je n'avais en tête
que a, b et c, que mat et roque. Tout mon être, toute ma sensibilité se
concentraient sur les cases d'un échiquier imaginaire. La joie que
j'avais à jouer était devenue un désir violent, le désir une
contrainte, une manie, une fureur frénétique qui envahissait mes jours
et mes nuits. Je ne pensais plus qu'échecs, problèmes d'échecs,
déplacement des pièces. Souvent, m'éveillant en sueur, je m'apercevais
que j'avais continué à jouer en dormant. Stefan Zweig, Le joueur d'échecs
Joueur, j'étais un joueur. Le jeu ne m'était pas un divertissement, mais
une occupation quasi professionnelle, rémunératrice, accaparant mon
esprit et mon temps. Si jouer distrait de vivre, c'est vivre qui me
distrayait de jouer, me faisait retomber dans l'ennui, cet ennui qui
m'avait toujours affecté, que rien ne savait satisfaire, ce sentiment
d'inexistence, de n'être rien, en dehors du jeu, qu'un informaticien
besogneux et un mari consciencieux, ou l'inverse, je ne savais. Je
n'ignorais plus, au reste, ce que la passion du jeu comblait en moi, de
quels regrets et de quelles déceptions, de quelle solitude et de quel
ennui, de quelle angoisse et de quelle vanité sans doute, cette passion
était née, ni que cette passion dérivait du regret de ne pas avoir
vécu la vie que j'aurais souhaité vivre, d'être passé à côté de
quelque chose, de ne pas avoir eu d'enfant, du renoncement précoce à des
ambitions professionnelles, du sentiment, trompeur, de n'être pour rien
dans ce que j'étais devenu, ou, pour le dire autrement, que mon existence
s'était jouée sans moi. Philippe Vilain, Une idée de l'enfer
Le jeu durait la plupart du temps une heure et demie, parfois deux. Ce temps dans la pénombre près des stores tirés nous enivrait jusqu'à l'oubli de nous-mêmes, et pourtant je pouvais distinguer quelques-uns de ses mouvements (...). J'avais remarqué en particulier l'inclinaison de sa tête. Comme si naguère il avait su prier. Parfois il fermait les yeux, comme s'il exigeait de ses pensées qu'elles se réduisent et se concentrent. Ses doigts étaient longs et fins, ils ne convenaient pas à son travail, et c'est pour cela qu'ils étaient et la plupart du temps blessés ou bandés. Au plus fort du jour, son regard avait une acuité merveilleuse. Comme la plupart des joueurs confirmés, c'était un homme renfermé, taciturne, mais son visage était expressif. Aharon Appelfeld, Histoire d'une vie.
Si on est doué au billard, et que quelqu'un nous propose une partie, on ne se met pas à jouer moins bien uniquement pour que la partie semble plus disputée, une fois qu'on a vu que l'autre n'est pas aussi bon. D'accord, on joue peut-être des coups difficiles ― on tente des trucs qu'on n'oserait pas dans une partie plus serrée, mais pas pour donner une chance à l'adversaire. En fait, on commence presque à jouer contre soi, puisqu'on fini toujours par retrouver son vrai jeu; et, si l'autre n'est pas au niveau, il perd. Voyez-vous, quand on a un don, on est obligé de l'utiliser au mieux de nos capacités. Même quand c'est mal ― on ne peut pas se dévaloriser à plaisir. Ce n'est pas de la charité: c'est de la condescendance. Ça plaît peut-être à certains ― pas à moi. Autant jouer franc jeu. Rentrer ses billes dans les poches, toutes, et à la fin de la partie on se quitte en ayant appris quelque chose l'un sur l'autre, qu'elle que soit l'issue du match. Russell Wangersky, Les courses
Elfride
s'aperçut très vite que son partenaire n'était qu'un débutant. Elle
remarqua ensuite qu'il avait une façon étrange de manipuler les pièces
lorsqu'il roquait ou faisait une prise. Thomas Hardy, Les yeux bleus.
À cet instant, elle fut interrompue par un "Holà! Holà! Echec!"
retentissant, et un Cavalier couvert d'une armure cramoisie, arriva au
galop droit sur elle en brandissant une énorme masse d'armes. Au moment
précis où il allait l'atteindre, son cheval s'arrêta brusquement:
"Vous êtes ma prisonnière!" s'écria la Cavalier en
dégringolant de sa monture. Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir
Tout le monde sait je le grand-duc de Hesse est l'habitué le plus exact des jeux de Baden. Ce prince, qui possède de fort belles moustaches grises, apporté, dit-on, tous les matins douze mille florins qu'il perd ou quadruple dans la journée. Une sorte d'estafier le suit partout lorsqu'il change de table, et reste debout derrière lui, afin de surveiller ses voisins. À quiconque s'approche trop, ce commissaire adresse des observations: «Monsieur, vous faites ombre sur le jeu du prince.» Ce prince ne se détourne pas, ne bouge pas, ne voit personne. Ce serait bien lui qu'on pourrait frapper par derrière sans que son visage en sût rien. Seulement l'estafier vous dirait du même ton glacé: «Votre pied vient de toucher le prince, prenez-y garde, monsieur!» Gérard
de Nerval, Souvenirs de Baden
Tout autour du château flottent des oriflammes
C'est le tournoi d'échecs où chacun s'entretue
C'est en vain que bientôt les pions marcheront droit
Ils se battront quand même, et les tristes vaincus Bertrand
Oudot, Le
noble jeu des échecs
Je crois qu'à aucun âge on n'écrit impunément des lettres enflammées, ni qu'on n'affecte sans danger les sentiments de l'amour. J'essaierais de montrer comment le jeu devient sérieux, comme le personnage s'imagine être le maître du jeu, alors que c'est le jeu qui déjà est maître de lui. La naissante beauté de la jeune fille, qu'il croit ne voir qu'en simple observateur, l'excite et l'émeut profondément, et le moment où, soudain, tout lui échappe fait naître en lui un désir spontané du jeu et du jouet. Je serais vivement captivé par cette conversion à l'amour qui probablement rend la passion d'un homme âge très semblable à celle d'un enfant, parce que tous deux ne se sentent pas pourvus de moyens normaux. Stefan Zweig, Le jeu dangereux
Cette
existence n'est qu'une partie de go. Shan Sa, La joueuse de go.
La plupart des professionnels du Go aiment aussi d'autres jeux, mais la passion du Maître présentait un caractère particulier: l'incapacité de jouer tranquillement, en laissant les choses suivre leur cours. Sa patience, son endurance s'avéraient infinies. Il jouait jour et nuit, pris par une obsession qui devenait troublante. Il s'agissait peut-être moins de dissiper des idées noires ou de charmer son ennui que d'une sorte d'abandon total au démon du jeu. Yasunari Kawabata, Le Maître ou le tournoi de go.
Un riche marchand vient d'installer au centre de la ville un stand de
loterie. Sur un plateau surélevé, on donne le résultat du tirage. À
côté des hommes en fourrure, grelottent des mendiants à peine vêtus.
Toute le ville est là, voleurs, voyous, militaires, étudiants,
bourgeoises et prostituées, attendant impatiemment. Soudain, l'annonce
est saluée par les lamentations et les cris de joie de la foule. Des
bagarres s'engagent. Il y a les maris qui battent leurs femmes parce
qu'elles ont changé leurs chiffres, ceux qui viennent de miser leurs
derniers centimes menacent de se suicider. Il y a aussi les créanciers
qui réclament leur dû, les gagnants qui ne trouvent plus leur
ticket. Shan Sa, La joueuse de go
À l'instant où je suis entré dans la salle de jeu (pour la première fois de ma vie), je suis resté encore un bout de temps sans me décider à jouer. Et puis, il y avait foule. Pourtant même s'il n'y avait eu que moi, je crois que, de toute façon, j'aurais préféré sortir plutôt que de me lancer. Je l'avoue, j'avais le coeur qui battait la chamade, et j'étais incapable de garder mon sang-froid, je le savais à coup sûr, je l'avais décidé depuis longtemps – je ne partirai pas comme ça de Roulettenbourg; il arriverait nécessairement quelque chose dans mon destin, quelque chose de radical et de définitif. Fédor Dostoïevski, Le Joueur.
Le baron de Galay (j'arrange ce nom) avait brillé, jeune, dans la bonne société de Budapest; bien en vue à la cour de Vienne, il avait, disait-on, porté l'uniforme d'un régiment de hussards et eu sa quote-part de duels au sabre. Ce prestige conventionnel était depuis longtemps remplacé par une satanique légende de joueur. Il misait avec le même élan qu'autrefois ses ancêtres se lançant contre une compagnie de janissaires. Dans tous les tripots et les casinos d'Europe, on se rappelait l'avoir vu, les jambes alourdies d'or et doublées de billets chiffons, jetant l'un d'eux au garçon de place qui lui appelait une voiture, nullement par ostentation et à peine par générosité, mais parce qu'il préférait les louis à ces papiers-monnaies qui lui paraissaient toujours sales. On l'avait vu aussi perdre d'un coup l'équivalent d'une ou deux petites fermes dans les Carpates. On ne ne lui connaissait que ce seul vice, qui avait dû dévorer tous les autres, s'il les avait eus. Marguerite Yourcenar, Archives du Nord.
L'anecdote des trois cartes du comte de Saint-Germain avait fortement frappé son imagination, et toute la nuit il ne fit qu'y penser. – Si pourtant, se disait-il le lendemain soir, en se promenant dans les rues de Pétersbourg, si la vieille comtesse me confiait son secret? si elle voulait seulement m'indiquer ces trois cartes gagnantes !... Il faut que je me fasse présenter, que je gagne sa confiance, que je lui fasse la cour... Oui! et elle a quatre-vingt-sept ans! Elle peut mourir cette semaine, demain peut-être... Alexandre Pouchkine, La Dame de pique.
...
un inconnu vint à lui, lui proposant un pari: il lui jouait son catamaran
au tric-trac. Georges Perec, La disparition
Si les heures passent très vite à Longchamp, les années n'y entrent pas; on y vieillit de trois ans pendant une course mais on y prend plus une ride, ensuite, pendant quinze ans. De toute manière, les rides que l'on y recueille sont celles de l'excitation, de l'énervement, du désappointement, de l'enthousiasme et de l'exultation; mais ce ne sont pas des rides sérieuses; en tout cas pas celles, dévastatrices et déshonorantes, de l'ennui. Coriolan expliquait cela par le caractère irréel que prend l'argent sur ces autres planètes que sont les champs de courses, où sa recherche, sa possession ne dépendent que de quadrupèdes capricieux; où un billet de cent francs à la dernière épreuve est dix fois plus excitant que mille à la première. Où l'on parle affablement à des conseilleurs professionnels dont les tuyaux vous ont déjà fait perdre des fortunes mais auxquels on sourit, et qu'accessoirement on est même capable de suivre dans la prochaine course, ce que l'on imaginerait mal à la Bourse. Françoise Sagan, La laisse
Il
s'agit du jeu de l'oie, le Noble Jeu plus ou moins renouvelé des Grecs.
Impossible de dire à quel point William J. Hypperborne s'y passionnait --
passion qui finit par gagner ses collègues. Il s'émotionnait à sauter
d'une case à l'autre au caprice des dés, à s'élancer d'oie en oie pour
atteindre le dernier de ses hôtes de basse-cour, à se promener sur le
"pont", à séjourner dans l' "hôtellerie", à se
perdre dans le "labyrinthe", à tomber dans le
"puits", à s'ennuyer dans la "prison", à se heurter
à la "tête de mort", à visiter les cases "du marin, du
pêcheur, du port, du cerf, du moulin, du serpent, du soleil, du casque,
du lion, du lapin, du pot de fleur", etc. Jules Verne, Le Testament d'un excentrique.
Elle prit le temps de relire en faisant une pause après chaque phrase. Elle décortiqua chaque mot. L'idée était simple. Son père souhaitait l'amener, par le biais d'un jeu, à découvrir qui elle était, d'où elle venait, afin de poursuivre plus sereinement son chemin. La dernière étape de ce jeu étant de se libérer en dispersant les cendres, comme un exutoire pour "être". Isabelle Bruhl-Bastien, Les secrets du cylindre
...une après-midi où ils étaient chez Bastien, celui-ci avait inventé un jeu dont les règles allaient se préciser et s'enrichir à mesure qu'il se développerait. Il s'était agi tout d'abord de classer par types, sur une feuille de papier, tous les jeux qu'ils connaissaient, la liste la plus longue désignant le gagnant. En commençant à jouer, Simon se trouva embarrassé par plein de choses à la fois: comment faire pour se rappeler non seulement les quelques jeux auxquels il avait pu participer, mais ceux dont il avait entendu parler sans pour autant y avoir jamais joué? quel nom donnait-on à tel jeu qu'il connaissait bien, celui où, par exemple, au milieu du cercle des joueurs, l'un d'eux reste immobile tandis qu'un autre court autour du cercle avec un mouchoir à la main qu'il laisse tomber dans le dos de celui qui doit s'en apercevoir, prendre le mouchoir et rattraper le coureur avant qu'il ait pris sa place, afin de lui faire occuper à son tour le centre du cercle? à quel jeu correspondait tel nom qu'il connaissait sans savoir s'il y avait jamais joué? le jacquet, les jonchets? à quel jeu disait-on: "Tu brûles!, tu gèles!" ou "Grand opéra!"?; comment classer tous les jeux? pour les cartes, les dés, les billes, les damiers, le ballon, c'était simple, mais les échasses, la course au trésor, le répondez vite, le chat perché, le furet, le Jacques a dit, la main chaude? Lorsqu'il eut fini de dresser ses listes évidemment beaucoup plus longues que celles de Simon, Bastien proposa de continuer le jeu en rayant des listes tous les jeux mal classés: il fallait appeler "jeux parlés et savants" les portraits, le cri des animaux (que fait le lapin? le renard, le crocodile, la cigogne?), le d'un mot à l'autre, les mots en chaîne, les charades, le téléphone; appeler "jeuxd´adresse" les fléchettes, le diabolo, les osselets, les jonchets dits aussi mikado; "jeux d'équilibre" les canards, les quatre coins, la chandelle, les barres, la brouette, le loup et l'agneau; et "jeux de groupe" le gendarme et les voleurs, les chaises musicales, le colin-maillard, le Jacques a dit, le cache-tampon, le furet. Afin de continuer encore le jeu, Bastien ne voulut garder que les seuls jeux auxquels ils avaient pu jouer, et auxquels il jouait, lui, à l'Epine avec les cousins de son âge, et Simon dût barrer la plupart des noms de ses propres listes tandis que Bastien barrait seulement le mah-jong, le jeu de la vérité, la baccalauréat, les allumettes, les jeux d'opération (combien de temps mettra la limace pour atteindre le sommet d'un poteau de douze mètres, sachant qu'elle monte de trois mètres chaque jour mais redescend de deux mètres chaque nuit?). Comme il ne cherchait pas tant à gagner, ce qui était fait depuis longtemps, qu'à relancer le jeu en y ajoutant de nouvelles contraintes, Bastien proposa enfin que chacun choisisse dans la liste de l'autre cinq jeux, qu'ils aient été barrés ou non barrés, et demande à son concurrent qu'il en indique clairement les règles essentielles afin de gagner le point. Parmi ceux qu'il ne connaissait pas, Simon releva l'aluette, les dames anglaises, le mah-jong, la grenouille, le tic,tac,toc,; il ne savait pas s'il s'amusait vraiment, s'inquiétait de savoir si l'on avait vraiment le droit d'inventer des jeux, comme ça, (...) Bastien, lui, riait aux éclats comme on fait d'un bon tour qu'on vous a joué et cessait de rire pour répondre avec le plus grand sérieux, expliquait les dames anglaises, la grenouille, le tic,tac,toc; mais l'aluette, c'était un jeu de cartes impossible, où les couleurs ne sont pas des couleurs, où il n'y a pas de dix, où les meilleures cartes ont des noms bizarres, le Borgne, la Vache, le Deux d'Ecrit, le Grand Neuf, où les joueurs se servent de signes conventionnels pour faire connaître leurs cartes à leurs partenaires: lever le pouce quand on a le Grand Neuf, montrer l'index quand on a le Deux de Chêne, faire la moue quand on a la Vache..., c'est trop compliqué, c'est un jeu de grands...; le mah-jong, c'est encore pire, il y a cent quarante-quatre pièces qu'on appelle tuiles, blanches sur une face et décorées sur l'autre, des chevalets pour les poser devant soi, des jetons, et le Quadruple Bonheur domestique est réalisé quand on a fait mah-jong avec les Quatre Vents ou les Treize Lanternes merveilleuses, je ne sais pas, à toi. En découvrant la liste des cinq jeux que Bastien avait retenus pour lui, Simon vit bien que cette ultime règle n'avait pas d'autre but que de lui permettre de gagner car les jeux qu'avait choisis Bastien étaient extrêmement simples: il y avait le que ferait-il?, le chat malade, la maison du petit bonhomme, les sept familles et le ballon prisonnier. Jean-Paul Goux, Les hautes falaises
De
même que l'homme fort se réjouit dans son aptitude physique, se complait
dans les exercices qui provoquent les muscles à l'action, de même
l'analyste prend sa gloire dans cette activité spirituelle dont la
fonction est de débrouiller. Il tire du plaisir même des plus triviales
occasions qui mettent ses talents en jeu. Il raffole des énigmes, des
rébus, des hiéroglyphes; il déploie dans chacune des solutions une
puissance de perspicacité qui, dans l'opinion vulgaire prend un
caractère surnaturel. Les résultats habilement déduits par l'âme même
et l'essence de sa méthode, ont réellement tout l'air d'une intuition. Edgar Allan Poe, Double assassinat dans la rue Morgue.
Depuis
son invention, le chiffre a été un moyen original de se divertir, de
poser des énigmes, de communiquer, etc. En effet, le chiffre recèle de
petites particularités qui en font un outil spécial pour l'homme. Un des
exemples les plus frappant de cette originalité et de cette complexité
du chiffre est bien le carré magique. Mike Harvay, The Times.
Mais comment diable
épargner soixante livres par semaine? Sophie Kinsella, Confessions d'une accro du shopping
Un moment après deux intendants des finances entrèrent aussi. M. du
Vernai d'un air riant et poli mit entre mes mains un cahier ni-folio me
disant: Casanova, Mon apprentissage à Paris
Une ombre passa, s'arrêta et se mit à ranger les figurines dans un petit cercueil. "Tout est fini", dit Loujine et il s'arracha de sa chaise en gémissant. Quelques fantômes se tenaient encore debout çà et là, en devisant. Il faisait froid et assez sombre. D'autres fantômes emportaient les échiquiers et les chaises. De quelque côté qu'il regardât, des images d'échecs, flexueuses et transparentes, flottaient dans l'air, et Loujine, comprenant qu'il s'était empêtré, égaré dans une de ces combinaisons à laquelle il avait songé tout à l'heure, fit un effort désespéré pour s'en dégager et s'en évader, fût-ce en sombrant dans le néant. Vladimir Nabokov, La Défense Loujine.
Jadis, à l'école militaire où il avait été formé, le vieil officier
prussien qui enseignait la stratégie et qui parfois, le soir, était son
partenaire aux échecs lui avait dit:"La victoire n'est rien,
mongarçon, la victoire ne laisse pas de traces, c'est un assouvissement
passager. La vie, c'est la défaite." Cees Nooteboom, Le Chant de l'être et du paraître.
Cependant le jeu, ce plaisir surhumain, avait coupé à divers intervalles nos fréquentes libations, et je dois dire que j’avais joué et perdu mon âme, en partie liée, avec une insouciance et une légèreté héroïques. L’âme est une chose si impalpable, si souvent inutile et quelquefois si gênante, que je n’éprouvai, quant à cette perte, qu’un peu moins d’émotion que si j’avais égaré, dans une promenade, ma carte de visite. Charles Baudelaire, Le joueur généreux (Spleen de Paris)
Au camp succéda, dans l'étrange randonnée de la jeep, un vaste bâtiment. C'était le tout dernier refuge de ceux qui croyaient encore aux bienfaits de la chance et du hasard prodigués par le jeu. Là agonisait, avant de disparaître tout à fait, la légende qui avait fait la fortune des romanciers et des cinéastes d'entre-les-deux-guerres: celle de "Macao, l'enfer du jeu"... On ne jouait plus que très peu ― et des sommes dérisoires ― dans la bâtisse tristement bétonnée. Le cri guttural des croupiers annonçant les numéros sortants du loto, jeu favori des jaunes, parvenait à peine à la ranimer: l'argent n'est plus à Macao où la misère a réussi à mater le vice majeur d'une race. Guy Des Cars, La Vipère
Comment s'imaginer un homme qui considère déjà comme un exploit le fait d'ouvrir le jeu avec le cavalier plutôt qu'avec un simple pion, et qui inscrit sa pauvre petite part d'immortalité au coin d'un livre consacré aux échecs ― un homme donc, un homme doué d'intelligence, qui puisse, sans devenir fou, et pendant dix, vingt, trente, quarante ans, tendre de toute la force de sa pensée vers ce but ridicule: acculer un roi de bois dans l'angle d'une planchette! Stefan Zweig, Le joueur d'échecs
|
||
Accueil
/ Calendrier
/ Retour
à la liste
/ Bibliographie sur ce thème |