Le Café Littéraire luxovien/ L'Or |
Pendant le premier milliard d'années de son existence, la Terre ne fut
qu'un énorme chaudron bouillonnant où eurent lieu des réactions
nucléaires en chaîne qui créèrent une centaine d'éléments
distincts. Ceux-ci, en se combinant ou non, formèrent ce qui compose
aujourd'hui notre environnement. Nicolas Vanier, L'or sous la neige
Mais l'or est bien plus qu'un matériau. Il est un symbole et, depuis les premiers âges de l'histoire se confond avec la légende. Signe de richesse, produit de luxe, on le connaît chez tous les peuples, dans toutes les civilisations et, au fil des millénaires, il a marqué toutes les étapes de l'histoire du monde. Pierre Guillemot et Pierre Nouaille, L'Or des légendes et des trésors
L'or, métal jaune qui, poli, renvoie la lumière, relève des thèmes solaires: pureté radieuse et idéal d'élévation («franc comme l'or», «un cœur d'or», dit bien la langue). Pourtant, tous les crimes qui furent commis en son nom (il n'est guère que la femme avec qui, à ce titre, il puisse rivaliser; et il est significatif qu'on la «couvre d'or») entachent irrémédiablement son évocation et le condamnent plutôt à la relégation des ténèbres. On sait, par ailleurs, sa force fantastique puisque la psychanalyse l'associe symboliquement à l'évacuation intestinale. La mythologie avait parsemé ses fables d'objets d'or: pommes d'or du jardin des Hespérides, ailes d'or des Gorgones, toison d'or que va chercher Jason, bracelets d'or qui tueront Tarpeia pour sa trahison envers Rome. D'or la médaille du vainqueur des jeux Olympiques; d'or la pomme que Pâris attribue à Aphrodite; d'or la pomme d'Éris, la Discorde. Le paradis perdu que chantent Hésiode et Ovide se nomme «l'âge d'or» et L'Or du Rhin de Wagner symbolise le trésor des dieux. L'or est le métal d'Apollon, dieu du Soleil; le druide a une serpe d'or (chez Astérix aussi!); l'anneau de mariage est d'or en général et Zeus féconde Danaé par une pluie d'or. Depuis le fameux Pactole où s'est baigné Midas pour se guérir de la malédiction qui consiste à tout changer en or, on sait que les eaux charrient des paillettes du précieux métal. De l'Eldorado du Candide de Voltaire jusqu'aux filon de la ruée vers l'or. Claude
Aziza, Paradis perdus et îles au trésor
L'or des déserts était livré aux temples: «chair des dieux», matériau incorruptible et symbole de vie éternelle, il donnait un éclat inégalable aux œuvres des artisans. Quant à l'État, il s'en servait comme mode de paiement pour certaines importations, ou bien comme cadeau diplomatique à des souverains étrangers afin de maintenir la paix. Christian Jacq, Ramsès le fils de la lumière
Mais que font-ils ici, tous, avec leurs lances, leurs épées, leurs
casques pointus et leurs chevaux de cirque ? Éric Vuillard, Conquistadors
À d'autres les bruits de cloches ou de bombardes, les chevaux fringants, les femmes nues ou drapées de brocart, à eux la matière honteuse et sublime, honnie ou adorée ou couvée tout bas, pareille aux parties secrètes en ce qu'on en parle peu et qu'on y pense sans cesse, la jaune substance sans laquelle Madame Impéria ne desserrerait pas les jambes dans le lit du prince, et Monseigneur ne pourrait payer les pierreries de sa mitre, l'Or, dont le manque ou l'abondance décide si la Croix fera ou non la guerre au Croissant. Ces bailleurs de fonds se sentaient maîtres ès réalités. Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir
L'or est maudit, et tous ceux qui viennent ici, et tous ceux qui le ramassent sont maudits, car la plupart d'entre eux disparaissent, je me demande comment. La vie a été un enfer ces dernières années. On se tuait, on se volait, on s'assassinait. Tout le monde se livrait au brigandage. Beaucoup sont devenus fous ou se sont suicidés. Tout ça pour l'or... Blaise Cendrars, L'or
Le mal est venu de l'abondance d'or, d'argent, de monnaie, ce qui a toujours été le poison destructeur des cités et des républiques. Pedro de Valencia (1608)
L'or, c'est une chose endiablée, disait Howard, le vieux. On peut en
avoir tant qu'on veut et en trouver encore, et en entasser plus qu'on n'en
peut transporter; malgré tout, on y pense toujours, on espère toujours
en ramasser davantage. et dans l'espoir d'en ramasser, on cesse de faire
la différence entre le bien et le mal. Quand on se met en route, on se
promet de se contenter de trente mille dollars. Quand on ne trouve rien,
on abaisse ses prétentions à vingt, puis à dix mille, et l'on explique
que cinq mille suffiraient tout à fait si seulement on pouvait les avoir,
même au prix d'un rude travail. Mais, si l'on trouve quelque chose, alors
les trente mille semblent dérisoire et l'on monte, l'on monte, on
voudrait cinquante, cent, deux cent mille dollars. enfin surviennent les
complications qui vous tombent dessus de tous côtés et ne vous laissent
plus fermer l'œil. (...) B. Traven, Le trésor de la Sierra Madre
L'immense tas d'or étincela sous un rayon de soleil; mais l'éclair du métal ne fut pas plus brillant que le regard de la vieille; ses prunelles jaunirent et scintillèrent étrangement. Après quelques minutes de contemplation éblouie, elle releva les manches de sa tunique rapiécée, mit à nu ses bras secs dont les muscles saillaient comme des cordes, et que plissaient à la saignée d'innombrables rides; puis elle ouvrit et referma ses doigts recourbés, pareils à des serres de griffon, et se lança sur l'amas de sicles d'or avec une avidité farouche et bestiale. Elle se plongeait dans les lingots jusqu'aux épaules, les brassait, les agitait, les roulait, les faisait sauter; ses lèvres tremblaient, ses narines se dilataient, et sur son échine convulsive couraient des frissons nerveux. Enivrée, folle, secouée de trépidations et de rires spasmodiques, elle jetait des poignées d'or dans son sac en disant: "Encore! encore! encore! "tant qu'il fut bientôt plein jusqu'à l'ouverture. Timopht, que le spectacle amusait, la laissait faire, n'imaginant pas que ce spectre décharné pût remuer ce poids énorme ; mais Thamar lia d'une corde le sommet de son sac et, à la grande surprise de l'Egyptien, le chargea sur son dos. L'avarice prêtait à cette carcasse délabrée des forces inconnues: tous les muscles, tous les nerfs, toutes les fibres des bras, du cou, des épaules, tendus à rompre, soutenaient une masse de métal qui eût fait plier le plus robuste porteur de la race Nahasi; le front penché comme celui d'un bœuf quand le soc de la charrue a rencontré une pierre, Thamar, dont les jambes titubaient, sortit du palais, se heurtant aux murs, marchant presque à quatre pattes, car souvent elle envoyait ses mains à terre pour ne pas être écrasée sous le poids; mais enfin elle sortit, et la charge d'or lui appartenait légitimement. Théophile Gautier, Le roman de la momie
Les meilleures
places étaient prises par les Alaskans eux-mêmes, par ceux de Forty
Miles, de Sixty Miles, de Circle City et de tous les campements alentour
qui, à des époques différentes, en fonction de leur éloignement et de
leur scepticisme à croire une pareille découverte, s'étaient rendus un
jour ou l'autre sur le secteur et y avaient piqueté une concession, un claim. Nicolas Vanier, L'or sous la neige
Nicolas Vanier, L'or sous la neige
De tous les travaux que mon père exécutait dans l'atelier, il n'y en
avait point qui me passionnât davantage que celui de l'or; il n'y en
avait pas non plus de plus noble ni qui ne requît plus de doigté; et
puis ce travail était chaque fois comme une fête, c'était une vraie
fête, qui interrompait la monotonie des jours.(...) Camara Laye, L'enfant noir
Ces nobles pièces de l'Amérique du Sud sont les médailles du soleil et le symbole des tropiques. Palmes, alpacas et volcans, disques solaires et étoiles, écliptiques, cornes d'abondance, riches bannières au vent s'y trouvent gravées avec une généreuse abondance, de sorte que cette fantaisie de la poésie espagnole semble rehausser la valeur et le prestige de l'or précieux. Herman Melville, Moby Dick
L'autre jour, me promenant tout seul au fond des Vosges, du côté de Sainte-Marie-aux-Mines ; comme il avait beaucoup plu, sur la montagne, pendant des semaines, la terre, inondée, s'écroula dans la bouche d'une caverne et je bondis de côté, pour me préserver ; Les rochers roulèrent dans le vallon, le sentier s'obstrua et la boue s'étant éboulée parmi les racines des sapins, -- je m'approchai, prudemment, de la trouée qui saignait au flanc de la paroi et j'aperçus, en écartant feuilles mortes et divers débris, j'aperçus dans l'ombre brune, quelque chose qui vaguement luisait, comme un essaim d'étoiles que recouvrait du sable rouge, des cailloux, des branches moisies, des racines et de la nuit ; Arrivé au pied de la « chose » qui brillait, je découvris, à mes pieds, à portée de ma...main, une pépite d'or qui (me dira le pharmacien du village) pèse 7,74 kg (j'avais déjà vu de l'or brut , au cinéma)... Très joyeux, je fractionnai l'or sauvage, en plusieurs morceaux d'un kilo chacun et je fis 7 ou 8 fois la navette avec la Suisse, pour y placer (en toute sécurité) ma nouvelle, surprenante fortune ! ... Il y en avait (m'ont avoué les peseurs d'or de la Banque Helvétique de Lausanne) pour bien 500 millions de centimes ; « Avec çâ, notre cher monsieur, vous pouvez vous reloger dans les mimosas de la Rivierâ, vous savez ! ... On peut vous acheter du cheptel en Argentine, ou du café au Brésil, du voilier en Australie, du bureau à New-York ; vous toucherez 9 à 11 % par an, c'est-à-dire environ 5 briques par mois ; je veux dire, plus de 1.000 F par jour, -- qu'en pensez-vous ? ... » Je ; signe ; où ? ... Mais vous me ferez mon virement trimestriel, par le Luxembourg, très discrètement ou per votre guichet de Kehl-am-Rhein ; -- «Voyons, Monsieur Kah, il va de soi que vous n'aurez pas même besoin de vous déplacer ; nous avons d'excellents garçons-de-course qui, dans un rayon de 500 km vont livrer à domicile, nos clients les plus importants » ; Jean-Paul
Klée, Mon coeur flotte sur Strasbourg Cherchant les signes gravés sur les pierres, mon cœur bondissant chaque fois que je découvrais un trait, une marque, marchant droit, instinctivement, vers le ravin où mon grand-mère a passé tant d'années de sa quête, est-ce que je suis encore moi-même? Ou bien, comment puis-je chercher ce trésor qui n'est que mirage, scruter la vallée à la recherche de bouleversements de terrain, évaluer le travail de sape de l'érosion, l'usure du vent et des embruns de la mer? Celui qui cherche l'or doit d'abord s'oublier soi-même, il doit devenir un autre. L'or aveugle et aliène, l'or brûle ses feux dans le néant. Ici, au fond de la vallée aride, dans le ravin où mon grand-père a fouillé et cherché si longtemps, où l'air pèse et brûle comme au fond d'une crevasse, quelque chose trouble l'intelligence, affole les sens. Je me souviens maintenant de l'histoire que me racontait un Indien de Manéné, dans la forêt du Darien panaméen, à propos de cet Américain obsédé par la quête de l'or, à qui l'on avait fait boire une dose de suc de Datura: soudain devenu fou, il courait tout nu à travers le village,prenant dans ses mains la fiente des poules qui brillait à ses yeux comme de l'or! Ici, comme au Darien, c'est vrai, il me semble avoir atteint une extrémité du monde, un cul-de-sac. C'est l'or, ou la solitude, ou peut-être cette terre sur laquelle s'est brisé le désir des hommes, parce qu'elle était plus stérile qu'eux. Jean-Marie Gustave Le Clézio, Voyage à Rodrigues
« Montre-moi ton or, fifille ! » Honoré de Balzac, Eugénie grandet
Bref, il atteignait le moment où l'homme sent mourir en lui tout élan, où l'archet inspiré s'exhale plus autour de son cœur, que des sons languissants. Alors le contact de la beauté n'enflamme plus les forces vierges de son être. En revanche les sens émoussés deviennent plus attentifs au tintement de l'or, se laissent insensiblement endormir par sa musique fascinatrice. La gloire ne peut apporter de joie à qui l'a volée: elle ne fait palpiter que les cœurs dignes d'elle. Aussi tous ses sens, tous ses instincts s'orientèrent vers l'or. L'or devient sa passion, son idéal, sa terreur, sa volupté, son but. Les billets s'amoncelaient dans ses coffres, et comme tous ceux à qui est départi cet effroyable lot, il devint triste, inaccessible, indifférent à tout ce qui n'était pas l'or, lésinant sans besoin, amassant sans méthode. Il allait bientôt se muer en l'un de ces êtres étranges, si nombreux dans notre univers insensible, que l'homme doué de cœur et de vie considère avec épouvante: ils lui semblent des tombeaux mouvants qui portent un cadavre en eux, un cadavre en place de cœur. Nikolaï Vassilievitch Gogol, Le portrait
Il fallait pourtant sauver le principal: le trésor impérial. Les officiers réquisitionnèrent quelques haridelles de la cavalerie pour les sauver, mais les voitures furent immobilisées par le fatras de caissons mêlés aux cadavres. On eut l'idée de confier les sacs d'or aux soldats pour les acheminer à pied. L'opération vira au pillage. Les crevards défoncèrent les panneaux de bois et s'emparèrent des sacs de pièces d'or avec des gestes de mantes. Ils se payaient de leur souffrance. Le pillage dura toute la nuit jusqu'à ce que les coups de fusil des Cosaques de Platov arrachent les plus avides à leur fièvre. Qu'avaient-ils à faire de ces fourrures, de ces barils d'argent dans une nuit de cauchemar où un brouet de mouton cuit était plus précieux que cent francs or? Beaucoup d'entre eux, alourdis par leur butin, furent rattrapés et tués par les Russes. Sylvain Tesson, Berezina
Il
était une fois un roi si grand, si aimé de ses peuples, si respecté de
tous ses voisins et de ses alliés, qu'on pouvait dire qu'il était le
plus heureux de tous les monarques. Charles
Perrault, Peau
d'Ane
―
Le bruit public vous prête une réussite plus
solide. Vous faites de l'or. Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir
―
(...) cette pierre dont vous dites tant de bien, n'est-elle pas d'abord
destinée à faire de l'or? Pierre Magnan, Chronique d'un château hanté
Par instants, on tremblait comme sur le bord d'une transmutation: un peu d'or semblait naître dans le creuset de la cervelle humaine; on n'aboutissait pourtant qu'à une équivalence; comme dans ces expériences malhonnêtes par lesquelles les alchimistes de cour s'efforcent de prouver à leurs clients princiers qu'ils ont trouvé quelque chose, l'or au fond de la cornue n'était que celui d'un banal ducat ayant passé par toutes les mains, et qu'avant la cuisson le souffleur y avait mis. Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir
Faire de l'or avec du plomb; voilà l'entreprise ultime de tout
alchimiste. Marguerite Yourcenar, dans son roman historique L'œuvre au
noir, s'improvise alchimiste : faire de l'humanité avec de l'homme. (...) Anne-Marie
Duquette Redonner un sens au mot "humanisme"
ALCHIMIE. Le terme jindanshu, « technique de l'or et du cinabre», est le plus répandu pour désigner l'alchimie taoïste externe ou waidan. Les premières techniques alchimistes sont mentionnées dans des ouvrages comme le Huainanzi sous le terme de huang-baishu, «techniques du jaune et du blanc», couleurs qui désignent l'or et l'argent ou leurs substituts.
Le lecteur de cadavres,
d'Antonio Garrido
―
Il a passé vingt-cinq ans à écrire sa vie à la surface de ces terres
du silence. Il a prospecté des centaines de rivières et de montagnes,
avec ses raquettes, son canoë et son tamis à poudre d'or. Il dormait
n'importe où, hiver comme été, dans un sac en fourrure de lièvre. Un
sacré gaillard. Nicolas
Vanier, L'or sous la neige
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