Le Café Littéraire luxovien/ L'Or

 

 

      

 

      Pendant le premier milliard d'années de son existence, la Terre ne fut qu'un énorme chaudron bouillonnant où eurent lieu des réactions nucléaires en chaîne qui créèrent une centaine d'éléments distincts. Ceux-ci, en se combinant ou non, formèrent ce qui compose aujourd'hui notre environnement.
      Un de ces éléments, produit au centre de la Terre, dans une chaleur incroyable et sous des pressions inconcevables, était un métal de couleur jaune que l'on appela bien plus tard de "l'or".
      La caractéristique la plus surprenante de l'or est son refus de réagir ou de s'associer à d'autres éléments tels que l'eau, comme s'il s'obstinait à rester un métal noble.
      Du centre de la Terre où il naquit, l'or remonta par des fissures en se déposant ici et là, en des lieux fort éloignés les uns des autres: en Afrique, en Australie, ou au Canada.

Nicolas Vanier, L'or sous la neige

      

      Mais l'or est bien plus qu'un matériau. Il est un symbole et, depuis les premiers âges de l'histoire se confond avec la légende. Signe de richesse, produit de luxe, on le connaît chez tous les peuples, dans toutes les civilisations et, au fil des millénaires, il a marqué toutes les étapes de l'histoire du monde.

Pierre Guillemot et Pierre Nouaille, L'Or des légendes et des trésors

 

      L'or, métal jaune qui, poli, renvoie la lumière, relève des thèmes solaires: pureté radieuse et idéal d'élévation («franc comme l'or», «un cœur d'or», dit bien la langue). Pourtant, tous les crimes qui furent commis en son nom (il n'est guère que la femme avec qui, à ce titre, il puisse rivaliser; et il est significatif qu'on la «couvre d'or») entachent irrémédiablement son évocation et le condamnent plutôt à la relégation des ténèbres. On sait, par ailleurs, sa force fantastique puisque la psychanalyse l'associe symboliquement à l'évacuation intestinale. La mythologie avait parsemé ses fables d'objets d'or: pommes d'or du jardin des Hespérides, ailes d'or des Gorgones, toison d'or que va chercher Jason, bracelets d'or qui tueront Tarpeia pour sa trahison envers Rome. D'or la médaille du vainqueur des jeux Olympiques; d'or la pomme que Pâris attribue à Aphrodite; d'or la pomme d'Éris, la Discorde. Le paradis perdu que chantent Hésiode et Ovide se nomme «l'âge d'or» et L'Or du Rhin de Wagner symbolise le trésor des dieux. L'or est le métal d'Apollon, dieu du Soleil; le druide a une serpe d'or (chez Astérix aussi!); l'anneau de mariage est d'or en général et Zeus féconde Danaé par une pluie d'or. Depuis le fameux Pactole où s'est baigné Midas pour se guérir de la malédiction qui consiste à tout changer en or, on sait que les eaux charrient des paillettes du précieux métal. De l'Eldorado du Candide de Voltaire jusqu'aux filon de la ruée vers l'or.

Claude Aziza, Paradis perdus et îles au trésor
(n° 12 de la collection Chemins d'étoiles de la revue Transboréal)

 

      L'or des déserts était livré aux temples: «chair des dieux», matériau incorruptible et symbole de vie éternelle, il donnait un éclat inégalable aux œuvres des artisans. Quant à l'État, il s'en servait comme mode de paiement pour certaines importations, ou bien comme cadeau diplomatique à des souverains étrangers afin de maintenir la paix. 

Christian Jacq, Ramsès le fils de la lumière

 

      Mais que font-ils ici, tous, avec leurs lances, leurs épées, leurs casques pointus et leurs chevaux de cirque ?
      Ils rêvent. Dieu a rempli pour eux de grandes bassines d'or. Ils vont manger de l'or, pisser de l'or, dormir dans des couvertures d'or. Car l'or est tout autour, ici ! là ! À l'ombre de cet arbre, il y a de l'or, il suffirait de savoir regarder, de savoir tendre la main ! L'or est à travers les branches, il transperce la peau, il ouvre le visage. Ils rêvent que tout le vert de la forêt va se transformer en or. Ils rêvent que leurs os seront de l'or.

Éric Vuillard, Conquistadors

 

      À d'autres les bruits de cloches ou de bombardes, les chevaux fringants, les femmes nues ou drapées de brocart, à eux la matière honteuse et sublime, honnie ou adorée ou couvée tout bas, pareille aux parties secrètes en ce qu'on en parle peu et qu'on y pense sans cesse, la jaune substance sans laquelle Madame Impéria ne desserrerait pas les jambes dans le lit du prince, et Monseigneur ne pourrait payer les pierreries de sa mitre, l'Or, dont le manque ou l'abondance décide si la Croix fera ou non la guerre au Croissant. Ces bailleurs de fonds se sentaient maîtres ès réalités.

Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir 

 

      L'or est maudit, et tous ceux qui viennent ici, et tous ceux qui le ramassent sont maudits, car la plupart d'entre eux disparaissent, je me demande comment. La vie a été un enfer ces dernières années. On se tuait, on se volait, on s'assassinait. Tout le monde se livrait au brigandage. Beaucoup sont devenus fous ou se sont suicidés. Tout ça pour l'or...

Blaise Cendrars, L'or

 

      Le mal est venu de l'abondance d'or, d'argent, de monnaie, ce qui a toujours été le poison destructeur des cités et des républiques.

Pedro de Valencia (1608)

 

      L'or, c'est une chose endiablée, disait Howard, le vieux. On peut en avoir tant qu'on veut et en trouver encore, et en entasser plus qu'on n'en peut transporter; malgré tout, on y pense toujours, on espère toujours en ramasser davantage. et dans l'espoir d'en ramasser, on cesse de faire la différence entre le bien et le mal. Quand on se met en route, on se promet de se contenter de trente mille dollars. Quand on ne trouve rien, on abaisse ses prétentions à vingt, puis à dix mille, et l'on explique que cinq mille suffiraient tout à fait si seulement on pouvait les avoir, même au prix d'un rude travail. Mais, si l'on trouve quelque chose, alors les trente mille semblent dérisoire et l'on monte, l'on monte, on voudrait cinquante, cent, deux cent mille dollars. enfin surviennent les complications qui vous tombent dessus de tous côtés et ne vous laissent plus fermer l'œil. (...) 
      Celui qui n'y a pas passé, dit rêveusement Howard, ne peut pas le croire. D'une maison de jeu, on peut s'en aller. D'un tas d'or où l'on n'a qu'à prendre, personne ne peut décoller.

B. Traven, Le trésor de la Sierra Madre

 

      L'immense tas d'or étincela sous un rayon de soleil; mais l'éclair du métal ne fut pas plus brillant que le regard de la vieille; ses prunelles jaunirent et scintillèrent étrangement. Après quelques minutes de contemplation éblouie, elle releva les manches de sa tunique rapiécée, mit à nu ses bras secs dont les muscles saillaient comme des cordes, et que plissaient à la saignée d'innombrables rides; puis elle ouvrit et referma ses doigts recourbés, pareils à des serres de griffon, et se lança sur l'amas de sicles d'or avec une avidité farouche et bestiale.

      Elle se plongeait dans les lingots jusqu'aux épaules, les brassait, les agitait, les roulait, les faisait sauter; ses lèvres tremblaient, ses narines se dilataient, et sur son échine convulsive couraient des frissons nerveux. Enivrée, folle, secouée de trépidations et de rires spasmodiques, elle jetait des poignées d'or dans son sac en disant: "Encore! encore! encore! "tant qu'il fut bientôt plein jusqu'à l'ouverture. Timopht, que le spectacle amusait, la laissait faire, n'imaginant pas que ce spectre décharné pût remuer ce poids énorme ; mais Thamar lia d'une corde le sommet de son sac et, à la grande surprise de l'Egyptien, le chargea sur son dos. L'avarice prêtait à cette carcasse délabrée des forces inconnues: tous les muscles, tous les nerfs, toutes les fibres des bras, du cou, des épaules, tendus à rompre, soutenaient une masse de métal qui eût fait plier le plus robuste porteur de la race Nahasi; le front penché comme celui d'un bœuf quand le soc de la charrue a rencontré une pierre, Thamar, dont les jambes titubaient, sortit du palais, se heurtant aux murs, marchant presque à quatre pattes, car souvent elle envoyait ses mains à terre pour ne pas être écrasée sous le poids; mais enfin elle sortit, et la charge d'or lui appartenait légitimement.

Théophile Gautier, Le roman de la momie

 

      Les meilleures places étaient prises par les Alaskans eux-mêmes, par ceux de Forty Miles, de Sixty Miles, de Circle City et de tous les campements alentour qui, à des époques différentes, en fonction de leur éloignement et de leur scepticisme à croire une pareille découverte, s'étaient rendus un jour ou l'autre sur le secteur et y avaient piqueté une concession, un claim.
      Ceux-là formaient un bel aréopage de chercheurs d'or du cru, des hommes tannés par le froid et les privations d'une vie passée à chercher le filon et qui l'avaient enfin trouvé. Ils regardaient avec une certaine condescendance ces cheechackos du Sud, venus de si loin pour ramasser des miettes. Mais des miettes d'or.

Nicolas Vanier, L'or sous la neige


      Bientôt ce serait la débâcle et alors il ne pourrait plus se servir de ses chiens avec lesquels il pouvait espérer trouver des élans, peut-être même des quelques grands mâles dont la viande lui rapporterait une fortune, celle-là même dont il avait besoin pour se procurer tout ce qu'un vrai prospecteur devait avoir. Car plus il réfléchissait, plus il était certain que de l'or se cachait toujours sous le sol gelé et il voulait être de ceux qui trouveraient l'"autre Klondike". Il en savait assez maintenant sur la prospection et ses techniques de fouilles et d'extraction pour croire en cette prophétie des vieux "Yukoners". Tout le monde disait que l'or, beaucoup d'or, serait encore trouvé dans la région. Matt laisserait les milliers de cheechakos déçus rejoindre les grandes villes du Sud et les autres se heurter aux dures réalités d'un Klondike occupé. Lui partirait à la recherche de l'autre Klondike. Il retournerait toutes les vallées de l'Alaska s'il le fallait, mais il découvrirait un filon. Et il couvrirait Marie d'or.

Nicolas Vanier, L'or sous la neige

 

      De tous les travaux que mon père exécutait dans l'atelier, il n'y en avait point qui me passionnât davantage que celui de l'or; il n'y en avait pas non plus de plus noble ni qui ne requît plus de doigté; et puis ce travail était chaque fois comme une fête, c'était une vraie fête, qui interrompait la monotonie des jours.(...)
      Quand enfin l'or entrait en fusion, j'eusse crié, et peut-être eussions-nous tous crié, si l'interdit ne nous eût défendu d'élever la voix; je tressaillais, et tous sûrement tressaillaient en regardant mon père remuer la pâte encore lourde, où le charbon de bois achevait de se consumer. La seconde fusion suivait rapidement; l'or à présent avait la fluidité de l'eau. Les génies n'avaient point boudé l'opération!

Camara Laye, L'enfant noir

 

      Ces nobles pièces de l'Amérique du Sud sont les médailles du soleil et le symbole des tropiques. Palmes, alpacas et volcans, disques solaires et étoiles, écliptiques, cornes d'abondance, riches bannières au vent s'y trouvent gravées avec une généreuse abondance, de sorte que cette fantaisie de la poésie espagnole semble rehausser la valeur et le prestige de l'or précieux.

Herman Melville, Moby Dick

 

        L'autre jour, me promenant tout seul au fond des Vosges, du côté de Sainte-Marie-aux-Mines ; comme il avait beaucoup plu, sur la montagne, pendant des semaines, la terre, inondée, s'écroula dans la bouche d'une caverne et je bondis de côté, pour me préserver ; Les rochers roulèrent dans le vallon, le sentier s'obstrua et la boue s'étant éboulée parmi les racines des sapins, -- je m'approchai, prudemment, de la trouée qui saignait au flanc de la paroi et j'aperçus, en écartant feuilles mortes et divers débris, j'aperçus dans l'ombre brune, quelque chose qui vaguement luisait, comme un essaim d'étoiles que recouvrait du sable rouge, des cailloux, des branches moisies, des racines et de la nuit ; Arrivé au pied de la « chose » qui brillait, je découvris, à mes pieds, à portée de ma...main, une pépite d'or qui (me dira le pharmacien du village) pèse 7,74 kg (j'avais déjà vu de l'or brut  , au cinéma)... Très joyeux, je fractionnai l'or sauvage, en plusieurs morceaux d'un kilo chacun et je fis 7 ou 8 fois la navette avec la Suisse, pour y placer (en toute sécurité) ma nouvelle, surprenante fortune ! ... Il y en avait (m'ont avoué les peseurs d'or de la Banque Helvétique de Lausanne) pour bien 500 millions de centimes ; « Avec çâ, notre cher monsieur, vous pouvez vous reloger dans les mimosas de la Rivierâ, vous savez ! ... On peut vous acheter du cheptel en Argentine, ou du café au Brésil, du voilier en Australie, du bureau à New-York ; vous toucherez 9 à 11 % par an, c'est-à-dire environ 5 briques par mois ; je veux dire, plus de 1.000 F par jour, -- qu'en pensez-vous ? ... » Je ; signe ; ? ... Mais vous me ferez mon virement trimestriel, par le Luxembourg, très discrètement ou per votre guichet de Kehl-am-Rhein ; -- «Voyons, Monsieur Kah, il va de soi que vous n'aurez pas même besoin de vous déplacer ; nous avons d'excellents garçons-de-course qui, dans un rayon de 500 km vont livrer à domicile, nos clients les plus importants » ;

Jean-Paul Klée, Mon coeur flotte sur Strasbourg
comme une rose rose (BF éditions).

     

      Cherchant les signes gravés sur les pierres, mon cœur bondissant chaque fois que je découvrais un trait, une marque, marchant droit, instinctivement, vers le ravin où mon grand-mère a passé tant d'années de sa quête, est-ce que je suis encore moi-même? Ou bien, comment puis-je chercher ce trésor qui n'est que mirage, scruter la vallée à la recherche de bouleversements de terrain, évaluer le travail de sape de l'érosion, l'usure du vent et des embruns de la mer? Celui qui cherche l'or doit d'abord s'oublier soi-même, il doit devenir un autre. L'or aveugle et aliène, l'or brûle ses feux dans le néant. Ici, au fond de la vallée aride, dans le ravin où mon grand-père a fouillé et cherché si longtemps, où l'air pèse et brûle comme au fond d'une crevasse, quelque chose trouble l'intelligence, affole les sens. Je me souviens maintenant de l'histoire que me racontait un Indien de Manéné, dans la forêt du Darien panaméen, à propos de cet Américain obsédé par la quête de l'or, à qui l'on avait fait boire une dose de suc de Datura: soudain devenu fou, il courait tout nu à travers le village,prenant dans ses mains la fiente des poules qui brillait à ses yeux comme de l'or! Ici, comme au Darien, c'est vrai, il me semble avoir atteint une extrémité du monde, un cul-de-sac. C'est l'or, ou la solitude, ou peut-être cette terre sur laquelle s'est brisé le désir des hommes, parce qu'elle était plus stérile qu'eux.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, Voyage à Rodrigues

 

      « Montre-moi ton or, fifille ! »

Honoré de Balzac, Eugénie grandet

 

      Bref, il atteignait le moment où l'homme sent mourir en lui tout élan, où l'archet inspiré s'exhale plus autour de son cœur, que des sons languissants. Alors le contact de la beauté n'enflamme plus les forces vierges de son être. En revanche les sens émoussés deviennent plus attentifs au tintement de l'or, se laissent insensiblement endormir par sa musique fascinatrice. La gloire ne peut apporter de joie à qui l'a volée: elle ne fait palpiter que les cœurs dignes d'elle. Aussi tous ses sens, tous ses instincts s'orientèrent vers l'or. L'or devient sa passion, son idéal, sa terreur, sa volupté, son but. Les billets s'amoncelaient dans ses coffres, et comme tous ceux à qui est départi cet effroyable lot, il devint triste, inaccessible, indifférent à tout ce qui n'était pas l'or, lésinant sans besoin, amassant sans méthode. Il allait bientôt se muer en l'un de ces êtres étranges, si nombreux dans notre univers insensible, que l'homme doué de cœur et de vie considère avec épouvante: ils lui semblent des tombeaux mouvants qui portent un cadavre en eux, un cadavre en place de cœur. 

Nikolaï Vassilievitch Gogol, Le portrait

 

      Il fallait pourtant sauver le principal: le trésor impérial. Les officiers réquisitionnèrent quelques haridelles de la cavalerie pour les sauver, mais les voitures furent immobilisées par le fatras de caissons mêlés aux cadavres. On eut l'idée de confier les sacs d'or aux soldats pour les acheminer à pied. L'opération vira au pillage. Les crevards défoncèrent les panneaux de bois et s'emparèrent des sacs de pièces d'or avec des gestes de mantes. Ils se payaient de leur souffrance. Le pillage dura toute la nuit jusqu'à ce que les coups de fusil des Cosaques de Platov arrachent les plus avides à leur fièvre. Qu'avaient-ils à faire de ces fourrures, de ces barils d'argent dans une nuit de cauchemar où un brouet de mouton cuit était plus précieux que cent francs or? Beaucoup d'entre eux, alourdis par leur butin, furent rattrapés et tués par les Russes.

Sylvain Tesson, Berezina

 

      Il était une fois un roi si grand, si aimé de ses peuples, si respecté de tous ses voisins et de ses alliés, qu'on pouvait dire qu'il était le plus heureux de tous les monarques.
      (...)
     
La magnificence, le goût et l'abondance régnaient dans son palais; les ministres étaient sages et habiles; les courtisans, vertueux et attachés ; les domestiques, fidèles et laborieux; les écuries, vastes et remplies des plus beaux chevaux du monde, couverts de riches caparaçons: mais ce qui étonnait les étrangers qui venaient admirer ces belles écuries, c'est qu'au lieu le plus apparent un maître d'âne étalait de longues et grandes oreilles.
      Ce n'était pas par fantaisie, mais avec raison, que le roi lui avait donné une place particulière et distinguée. Les vertus de ce rare animal méritaient cette distinction, puisque la nature l'avait formé si extraordinaire, que sa litière, au lieu d'être malpropre, était couverte, tous les matins, avec profusion, de beaux écus au soleil, et de louis d'or de toute espèce, qu'on allait recueillir à son réveil.

Charles Perrault, Peau d'Ane

 

      Le bruit public vous prête une réussite plus solide. Vous faites de l'or.
      ― Non, dit l'alchimiste, mais d'autres en feront. C'est affaire de temps et d'outils adéquats pour mener à bien l'expérience. Qu'est-ce que quelques siècles?
      ― Fort longtemps, s'il s'agit de payer l'écot de L'Agneau d'Or, fit plaisamment le capitaine.
      ― Faire de l'or sera peut-être un jour aussi facile que souffler du verre, continua Zénon. À force de creuser de nos dents l'écorce des choses, nous finirons bien par trouver la raison secrète des affinités et des désaccords...

Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir

 

      (...) cette pierre dont vous dites tant de bien, n'est-elle pas d'abord destinée à faire de l'or? 
      Elle avait lu le livre de Flamel et l'avait interprété tout de travers. 
      ―
Que si fait, ma mie, mais savez-vous d'abord ce que c'est que l'or? D'après Platon il d'agit de la métamorphose d'un liquide filtrant à travers les pierres, dont il serait possible de l'extraire par cuissons répétées. 
      ―
À la bonne heure! dit Clairance (...) Faisons cuire! Faisons cuire! 
      Elle le secondait dans cette chaufferie infernale pour parvenir au grand œuvre mais, y échouant, elle le traitait d'homme à béquilles dix fois le jour et néanmoins elle s'obstinait. Elle était hagarde à force de concentration. Son âme huchait littéralement hors de son corps pour tenter de se transcender en or par le truchement de cet étrange fourneau. Clairance ne voyait dans l'alchimie que le moyen de se procurer un peu de ce doux métal qui trouble tant de têtes. Oh, elle n'en attendait pas beaucoup. Une pincée lui eût suffi. (...) 
      La Clairance avait des muscles d'homme. Le Mèche l'observait avec commisération, sous la cheminée de fer, activant le feu devant l'athanor lequel, ce matin-là, lui paraissait d'une fainéantise absolue. Clairance insultait le fourneau sans vergogne. 
      (...) 
      Le Mèche se mit à rire. 
      ―
Nous sommes des dupes! Nous ne nous rendons pas compte que si un jour l'or devient si facile à faire, il perdra toute sa valeur, matérielle et spirituelle. Il faudra que l'espèce humaine trouve une autre rareté pour le remplacer. 

Pierre Magnan, Chronique d'un château hanté

 

      Par instants, on tremblait comme sur le bord d'une transmutation: un peu d'or semblait naître dans le creuset de la cervelle humaine; on n'aboutissait pourtant qu'à une équivalence; comme dans ces expériences malhonnêtes par lesquelles les alchimistes de cour s'efforcent de prouver à leurs clients princiers qu'ils ont trouvé quelque chose, l'or au fond de la cornue n'était que celui d'un banal ducat ayant passé par toutes les mains, et qu'avant la cuisson le souffleur y avait mis.

Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir

 

      Faire de l'or avec du plomb; voilà l'entreprise ultime de tout alchimiste. Marguerite Yourcenar, dans son roman historique L'œuvre au noir, s'improvise alchimiste : faire de l'humanité avec de l'homme. (...)
      «On appelle "l'œuvre au noir" la première étape de la transformation du plomb. C'est le moment de séparation des matériaux où l'on extrait la substance nécessaire à la fabrication de l'or» explique la chercheuse Miruna Craciunescu. Selon elle, ce serait le premier pas vers l'humanisme.(...)
      
Selon la chercheuse Craciunescu, tout le monde devrait pratiquer l'alchimie. Pas besoin de faire le tour du monde comme Zénon; il suffirait de séparer nos idées programmées par les institutions scolaires sur les classiques de la littérature afin de les relire, l'esprit clair, sans jugement. Cela permettrait de s'ouvrir à d'autres religions, à d'autres idées et façons de faire, de développer l'empathie, simplement en se mettant à la place de l'autre. Ainsi, la littérature pourrait être le plomb mettant l'or en homme.

Anne-Marie Duquette Redonner un sens au mot "humanisme" [Colloque 301 – Art, littérature et société]

 

      ALCHIMIE. Le terme jindanshu, « technique de l'or et du cinabre», est le plus répandu pour désigner l'alchimie taoïste externe ou waidan. Les premières techniques alchimistes sont mentionnées dans des ouvrages comme le Huainanzi sous le terme de huang-baishu, «techniques du jaune et du blanc», couleurs qui désignent l'or et l'argent ou leurs substituts.

Le lecteur de cadavres, d'Antonio Garrido
(Dans le glossaire à la fin du roman)

 

      Il a passé vingt-cinq ans à écrire sa vie à la surface de ces terres du silence. Il a prospecté des centaines de rivières et de montagnes, avec ses raquettes, son canoë et son tamis à poudre d'or. Il dormait n'importe où, hiver comme été, dans un sac en fourrure de lièvre. Un sacré gaillard.
      Et il n'a rien trouvé ?
      Si, il a fini par trouver un filon.
      Où ça ?
      je ne sais pas exactement, il l'a épuisé et est rentré. Il est mort l'année dernière au Commercial Hôtel de San Francisco alors qu'il préparait une nouvelle expédition.
      Il n'avait pas amassé assez d'or ?
      Si. Il était riche, mais il disait que sa vraie richesse n'était pas celle qu'il avait trouvée dans les mines.) 

Nicolas Vanier, L'or sous la neige
      

 

 

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