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«Vous allez en faire quoi de ces graines? demanda Robert en lui rendant
le calepin. Tracy Chevalier, À l'orée du verger
«Entartete Kunst», «Art dégénéré» était le terme employé par les nazis pour qualifier des œuvres insultantes pour le «sentiment allemand». «L'art dégénéré» englobait toute l'avant-garde germanique de l'entre-deux-guerres, les abstraits, les expressionnistes, et les peintres de renommée internationale comme Picasso. En promouvant Paul Klee et Otto Dix, Theodor Grenzberg était une cible idéale. Les nazis avaient saisi à tour de brassard et organisé une exposition itinérante à travers l'Allemagne pour démontrer la dégénérescence de l'art dit «moderne» en le confrontant à une exposition du «grand art allemand». L'Histoire pimentait sa cruauté d'un brin d'ironie: Entartete Kunst avait rencontré un immense succès populaire. Les nazis avaient été à l'origine de la plus visitée des expositions d'art moderne jamais proposées avant-guerre. Des peintres adoubés par le régime ne subsiste même pas le souvenir. Les œuvres de ceux qu'on avait réduits au silence, et pour beaucoup d'entre eux en cendres, valent aujourd'hui des millions de dollars. Yannick Grannek, Le bal mécanique
L'année de mes treize ans, lors d'un séjour à Berlin, nous nous trouvâmes à l'ouverture d'une exposition au Berliner Architekturhaus. Sur le trottoir, des hauts-de-forme criaient au scandale en quittant les lieux. On entendait des «Et on ose appeler ça de l'art?», «Un étalage de laideur!», et des «Sordide!» ou des «Obscène!» des plus alléchants. Excité par l'odeur du souffre, je convainquis père d'entrer dans le bâtiment. Ce jour-là, devant la petite toile d'un obscur peintre norvégien, je sus que je n'étais plus seul. La facture était grossière, à peine celle d'un enfant étrennant une boîte de couleurs: un homme sur un pont, regard rivé au spectateur. Ou plutôt son fantôme, car de l'humain il ne restait qu'un cri, noyant ses traits. Et ses mains plaquées sur ses oreilles pour empêcher sa tête d'imploser. Au loin disparaissaient deux silhouettes sombres, inquiétantes. Eaux noires et ciel rougeoyant tournoyaient en volutes déformées par la source même du tableau, le cri. Tout l'univers souffrait, tout l'univers criait avec lui. Yannick Grannec, Le bal mécanique
Même si la définition de la beauté est propre à chaque génération, à chaque individu, il est important de nourrir ses enfants avec celle qu'on croit reconnaître. Leur donner ce cadeau sans étiquette et sans marque est bien plus qu'une consolation, bien plus qu'un dérivatif, bien plus qu'une colère contre un avenir absurde et dangereux. C'est un lien à travers le temps. Regarde le monde, mon fils, et dis-moi comment tu le vois. Ne laisse personne te dire comment tu dois le voir. Pas même moi. Enfin, si. Parfois. Je suis ta mère. Yannick Grannec, Le bal mécanique
Moi, en regardant tomber ce bouton, j'ai intuitionné un millième de
seconde l'essence de la Beauté. (...) Et c'est pour ça que j'ai pensé
à Ronsard, sans trop comprendre au début: parce que c'est une question
de temps et de roses. Parce que ce qui est beau, c'est ce qu'on saisit
alors que ça passe. C'est la configuration éphémère des choses au
moment où on en voit en même temps la beauté et la mort. (...) est-ce
que cela veut dire que c'est comme ça qu'il faut mener sa vie? Toujours
en équilibre entre la beauté et la mort, le mouvement et sa disparition? Muriel Barbery, L'élégance du hérisson
« Nous
relisons sans fin Eugène 0niéguine et les poèmes. Hier, Anfime
est venu et il a apporté des cadeaux. Nous nous régalons et nous nous
cultivons. Discussions sans fins sur l'art. Boris
Pasternak, Le docteur Jivago
«Si vous le souhaitez, revenez me voir. Je vous enseignerai l'art du pinceau, puisque vous semblez l'ignorer. Vous avez un certain talent, je l'ai vu à l'œuvre, mais l'art est un état plus subtil que le talent. Il se situe au-delà. Pour se transformer en art, le talent doit prendre conscience de lui-même, et de ses limites, et être aimanté d'un but, qui l'oriente dans une direction indiscutable. Sinon, le talent s'agite; il bavarde. Revenez me voir, cela me ferait plaisir. Je peux vous indiquer le chemin.» Alexis Jenni, L'art français de la guerre
L'art, ça n'existe pas pour l'artiste, pas plus que pour le public, je pense; c'est une notion qui n'existe que pour les critiques et ceux qui vivent sur le devant de leur cerveau, pour ainsi dire. L'artiste et le public se contentent d'enregistrer, à la manière d'un sismographe, une charge électromagnétique qui ne peut être rationalisée. Tout ce que l'on sait, c'est qu'il se produit une transmission, vraie ou fausse, avec ou sans résultat, selon le cas. Mais vouloir disséquer les éléments pour y fourrer son nez ne mène à rien. (Et je ne suis pas loin de croire que cette façon d'aborder l'art est le fait de tous ceux qui sont incapables de s'abandonner à lui!) Paradoxe. Enfin, passons. Lawrence Durrell, Le Quatuor d'Alexandrie Tome III - Mountolive
La beauté d'une œuvre n'existe pas en elle-même; elle est étroitement
dépendante de sa valeur que vous qualifierez de «marchande»,
c'est-à-dire de la somme d'argent qu'un homme ou une institution sont
prêts à débourser pour l'acquérir. Croyez-vous que l'on parlerait du
génie de Van Gogh ou de Vermeer si leurs œuvres n'occupaient pas les
sommets de la hiérarchie financière? Un peintre médiocre ne vaut rien,
et c'est justice; dès qu'une toile devient inestimable, elle
m'intéresse, car il sera néanmoins obligatoire de fixer un prix et de
déclencher une bataille. J.B. Livingstone (pseudo de Christian Jacq), La jeune fille et la mort
―
L'art n'aide personne, dit Garp. En fait, l'art n'est d'aucune utilité
pour personne; les gens ne peuvent pas le manger, il ne les habillera pas,
pas plus qu'il ne les abritera ―
et, s'il sont malades, il ne les aidera pas à guérir. John Irving, Le monde selon Garp
Je ne suis ni heureux ni malheureux: je vis en suspens, comme une plume dans l'amalgame nébuleux de mes souvenirs. J'ai parlé de la vanité de l'art, mais pour être sincère, j'aurais dû dire aussi les consolations qu'il procure. L'apaisement que me donne ce travail de la tête et du cœur réside en cela que c'est ici seulement, dans le silence du peintre ou de l'écrivain, que la réalité peut être recréée, retrouver son ordre et sa signification véritables et lisibles. Nos actes quotidiens ne sont en réalité que des oripeaux qui recouvrent le vêtement tissé d'or, la signification profonde. C'est dans l'exercice de son art que l'artiste trouve un heureux compromis avec tout ce qui l'a blessé ou vaincu dans la vie quotidienne, par l'imagination, non pour échapper à son destin comme fait l'homme ordinaire, mais pour l'accomplir le plus totalement et le plus adéquatement possible. Lawrence Durrell, Le Quatuor d'Alexandrie Tome I - Justine
La grandeur de l'homme consiste à faire avec cette substance de cauchemar des œuvres belles et durables. Ou si l'on préfère : de transfigurer le cauchemar en vision, de nous délivrer, ne serait-ce qu'un instant, de la réalité informe par le moyen de la création. Octavio
Paz, Le labyrinthe de la solitude. Il se peut que l'une des fonctions les plus hautes de l'art soit de donner conscience aux hommes de la grandeur qu'ils ignorent en eux. André Malraux.
Les
tableaux vraiment mauvais possèdent une honnêteté et une authenticité
très différente Torgny
Lindgreen, Paula ou l'éloge de la vérité.
Beaucoup
de peintres avec du rouge et du vert ne font que du gris. André
Breton.
L'authenticité est une qualité de l'œuvre, elle n'a rien à voir avec
celui qui l'a exécutée. Aucun artiste n'est tenu à être aussi
rigoureux en matière d'authenticité que celui qui crée les images des
autres. Celui-là doit se trouver au niveau où il peint. Je suis obligé
non seulement d'être Léger, Braque ou La Fresnaye,
mais je dois être tout l'art de la peinture. C'est une question de
pénétration. De pénétration et de technique. Vous comprenez ? Torgny
Lindgreen, Paula ou l'éloge de la vérité.
Il
y a un moment dans la vie, quand on a beaucoup travaillé, les formes
viennent toute seules, les tableaux viennent tout seuls, on n'a pas besoin
de s'en occuper ! Tout vient tout seul. La mort aussi. André
Malraux, La tête d'obsidienne.
Certains
objets respirent la paix, d'autres la puissance. Cependant l'on ne sait
pas toujours ce qui fait la puissance. La beauté peut-être, mais le mot
possède une connotation éthérée en apparente contradiction avec
l'idée de force. La perfection ? Celle-ci évoque, peut-être à tort,
une notion de symétrie et de logique qui faisaient justement défaut ici
(…) Le plus juste,
c'était peut-être que ce pot, ce bol – à vrai dire le nom exact de
cet objet solitaire importait peu – avait l'air d'être Cees
Nooteboom, Rituels.
…
La beauté parfaite s'impose comme la mesure de notre propre imperfection, Cees
Nooteboom, Dans les montagnes des Pays-Bas. |
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