Le Café Littéraire  / Au fil rouge d'Anne Bourrel

 

 

       

 

 

     Mon nom c'est Talib, docteur Ali Talib.   Mon nom, c'est presque Tabib, vous avez 

remarqué ? Talib / Tabib ? C'est drôle, non ? Tabib, c'est médecin, en arabe, vous le saviez, n'est-ce-pas ? J'étais prédestiné à faire ce métier… il faut le croire…

L'invention de la neige (p140 Pocket)

 

 

                                          Plusieurs fois par jour. Il faut avaler la mort. Ça passe lentement dans la gorge. C'est plein d'épines. À chaque fois que ça revient, il faut avaler encore. Les épines de la mort déchirent la gorge. La gorge est pleine de mort. La gorge est un boyau plein de mort. La gorge est un boa constrictor. La mort passe dans la gorge. L'effort est à chaque fois impossible, les yeux pleurent, on se dit qu'on n'y arrivera pas et puis, si, ça passe. Ça passe. Jusqu'à la prochaine fois.

 

L'invention de la neige (p174 Pocket)

 

 

 

     D'un claquement de doigts, je voudrais disparaître. Pas mourir, non, je veux dire sauter par-dessus ce moment comme on saute une marche, comme on traverse un tunnel sombre. Sans blessure ni foulure, ressortir plus loin, plus tard quand le sale moment sera passé.

Le dernier invité (p 100)                  

 

     

 

 

 

 

      Le vin dans sa gorge coulait, épais et rouge. Joues de bœuf qui fondent dans les joues, miracle cuisiné d'auberge. Auberge aux berges, l'eau berge, non l'auberge n'est pas au bord de l'eau. Si les mots s'en mêlent, si les morts s'emmêlent, on ne sait plus où ça mène, quel est le cours des choses.

L'invention de la neige

 (p143 Pocket)  

 

 

 

 

 

  Dans le coin bibliothèque, les livres lui faisaient de l'œil. Ils l'appelaient. Elle les voyait sans doute comme des amis, des personnages ou je ne sais quoi. Elle les caressait, elle leur parlait, elle conversait devant ces parallélépipèdes de papier qui pour beaucoup d'entre nous ne sont que des attrape-poussière et des corvées à déménager.  

L'invention de la neige (p 168 Pocket)

 

 

 

      Elle aurait voulu avoir un appareil branché en permanence sur l'intérieur de son corps pour surveiller ce qui s'y passait. La bonne marche de la digestion, le sperme miraculeux qui arrive en giclée étoilée. L'arrivée des maladies aussi, elle aurait voulu la voir, de la plus bénigne à la plus dangereuse et savoir même la mort imminente. Si nous sommes, nous ne sommes rien d'autre que ce corps hermétiquement inaccessible. L'ignorance de ce qui s'y passe est un comble et une injustice qui s'ajoute à toutes les autres.

L'invention de la neige (p182 Pocket)

 

 

      Mon grand-père chantait des chansons d'autrefois, Marinella, reste encore dans les bras, Le plus beau tango du monde, La belle de Cadix, des airs démodés mais qui me plaisaient.

L'invention de la neige

(p212 Pocket)

 

 

 

      Devant le grand portail du cimetière dont les volutes de fer forgé ciselaient la blancheur du ciel, les attendait le silence des morts et des gens venus en nombre, d'autres gens, encore d'autres, surtout des vieux, d'autres vieux, le visage plié, solennel. 

L'invention de la neige

(p79 Pocket)

 

 

 

 

   

      Dans toute la chaîne de vos ancêtres, ces gens auxquels vous tenez tant, vous, là, regardez : il y aura au moins un mensonge. Minimum. Comptez deux chaque cent ans et votre généalogie, elle vole en éclats. Et vos certitudes. Et votre aplomb. Et votre envie, que je lis si clairement dans vos yeux, de me jeter la première pierre.

L'invention de la neige (p258 Pocket) 

 

 

 

 

      Le vent souffle en bourrasques, agite les aubépines et les lauriers roses entremêlés. Sur trois cotés du terrain, les branches de la haie mal taillée se balancent d'avant en arrière. Les touffes de lavande déjà fleuries sont épaisses et bien fournies. Mais c'est le parfum entêtant de la bergamote qui sort vainqueur. Toujours la bergamote. Toujours. Elle est partout et pour que l'odeur s'estompe il faudra attendre que toutes les fleurs soient tombées, fanées, réduites en poussière et mélangées à la terre ocre de ce pays sans eau.

Le dernier invité (p 14)

 

 

       Il y tient tant à ce mariage. Cette vie bourgeoise et normée, quelle poisse. Ça fait des années qu'il travaille à la convaincre. Il est si fleur bleue, Xavier. Et elle l'aime. Elle veut bien lui faire plaisir. On sera comme les doigts de la main, il dit, paume crème offerte, tu verras, ma chérie, inséparable aux yeux de tous, unis jusqu'aux étoiles.

Elle a fini par accepter la mascarade. Par défi. Parce qu'elle ne veut pas le perdre. Parce qu'après tout ce n'est pas si grave, et faire la fête ça lui fera du bien à elle aussi.

Le dernier invité (p 17)

 

 

      Ce froid polaire, Ferrans répétait en boucle, c'est du jamais vu, du jamais vu. À l'arrière du Cayenne bleu nuit, intérieur tout cuir beige, les deux fillettes, une brune et une blonde, fixaient l'avancée de la route. Ferrans était au volant. Sur le tableau de bord, le thermomètre indiquait une température extérieure bien au-dessous de zéro. Laure était assise côté passager. Le moteur diesel ronflait, mais ils n'y faisaient pas attention. Ce qui les occupait sur cette route de montagne, les occupait et les préoccupait, c'était l'apparition de la neige. Ils étaient tendus vers elle. Ils en espéraient la blancheur, la fraîcheur, l'étendue picturale. Ils clignaient des yeux, mais en vain. Pas une seule flaque blanche sur le sol, pas un flocon entre les nuages serrés.

      D'habitude, elle apparaissait dès les premiers mètres de la montée, mais cette année, rien.

L'invention de la neige (p14 Pocket)        

 

 

      Il aurait voulu qu'on tente l'université, qu'on passe des concours, à la poste, à la police, à la mairie, mais nous, on n'en voulait pas de cette vie sédentaire. Avec les économies que mes parents m'avaient laissées, on a acheté un manège. Un manège où les enfants pouvaient voler dès trois ans dans des avions en couleurs.

 

     Le métier de forain, on l'a choisi plutôt qu'une carrière de fonctionnaire ou une vie de salariés. Ça nous plaisait d'être toujours par monts et par vaux, de transporter notre manège multicolore de ville en ville. On trouvait ça poétique, on se croyait au cinéma.

L'invention de la neige (p36-37 Pocket)

 

 

 

     Le jogging a traversé le cadre en aluminium de part en part. La vitre épaisse empêchait les sons d'arriver jusque dans le bar. Il courait encore, régulièrement, sur le même rythme, et comme auréolé de silence. Ses jambes moulinaient, et le pompon beige de son bonnet s'agitait contre le gris du ciel. Il a disparu dans le village. Laure se souvenait qu'autrefois les prêtres romains traçaient un carré imaginaire dans le ciel et lisaient l'avenir en y observant le passage des oiseaux. De gauche à droite ? a remarqué ma fille, mauvais présage.

L'invention de la neige

 (p112 Pocket)  

        Face à face, dans un instant suspendu, ils rouvrent les yeux et se regardent. Les yeux de l'un dans les yeux de l'autre. Tout ce qu'ils veulent leur est donné en une seule fois, c'est

      Insupportable.

L'invention de la neige
(p196 Pocket)

 

 

      On roulait vite, vitres ouvertes, la Clio accrochée au pare-chocs du Catalan. Il faisait presque froid. Ça aurait pu nous rafraîchir des chaleurs de l'été, mais on avait autre chose en tête.

      Pour ne pas avoir à lui courir après toute la nuit, on s'était assurés que le réservoir serait quasiment vide. Il n'irait pas bien loin. Sur ordre du Boss, le Chinois a presque tout siphonné. (...)

      Comme prévu, le Catalan a ralenti. En pleine panique, il a mis le clignotant, le pauvre, pour virer à droite vers le parking derrière la douane. Il a ralenti, il allait s'arrêter. Sa voiture a toussé, on a manqué lui rentrer dedans. Il a freiné, il est sorti de sa bagnole, une Bagheera jaune de collection.                                                              

Gran Madam's

 

 

 

 

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